NATURALISME
Le terme “naturalisme”, dans son acception littéraire, s'est imposé à la critique européenne à partir des années 1880. Le responsable de cette terminologie estÉmile Zola, qui, dans ses articles de critique autant que de théorie, a propagé un terme qui a appartenu d'abord au vocabulaire scientifique et philosophique, avant d'être utilisé dans celui de la critique artistique.
La tradition de l'historiographie littéraire française est restée longtemps sous l'emprise de cette référence à Zola : or, s'il est incontestable que le naturalisme a partie liée avec Zola, il ne peut être confondu avec l'auteur desRougon-Macquartet duRoman expérimental.Si son histoire commence en effet de façon visible en France, elle se poursuit et se développe dans toute l'Europe, s'étend à l'ensemble du continent américain et touche également les littératures extrême-orientales. Cette expansion entraîne d'emblée deux remarques : d'une part, le naturalisme ne s'arrête ni avec le “Manifeste des Cinq” contreLa Terre (1887) ni avecLe Docteur Pascal(1893) ; d'autre part, le naturalisme n'est pas confiné au seulrécit en prose : il a également produit des chefs-d'œuvre dramatiques, notamment en Allemagne.
Le mot
Le terme même denaturaliste est attesté en français dès l'année 1527, au sens de “celui qui étudie l'histoire naturelle” ; celui denaturalisme, dont la première occurrence est légèrement postérieure, est employé, auxviiie siècle, pour désigner un système philosophique dans lequel on attribue tout à la nature comme premier principe (Diderot l'utilise comme synonyme de “religion naturelle”). Puis, dans la seconde moitié duxixe siècle, ces termes commencent à être appliqués à la peinture : Baudelaire (Salon de 1846) oppose les coloristes, peintres du Nord, et les naturalistes, peintres du Midi, “car la nature y est si belle et si claire que l'homme [...] ne trouve rien de plus beau à inventer que ce qu'il voit”. Mais c'est surtout le critique d'art Castagnary qui suggère l'émergence d'une “école naturaliste”, dont il dit, dans sonSalon de 1863, qu'elle “affirme que l'art est l'expression de la vie sous tous ses modes et à tous ses degrés, et que son unique but est de reproduire la nature en l'amenant à son maximum de puissance et d'intensité : c'est la vérité s'équilibrant avec la science”.
Lorsque Zola commence à employer le terme naturalisme, dans les années 1865-1866, il trouve donc un terrain déjà préparé dans le domaine de la peinture ; il hérite aussi d'un emploi du terme qui le corrèle avec les sciences de la nature, alors en plein développement, qui forment la grande référence scientifique de l'époque. Taine est ici l'initiateur : en 1858, il signale en Balzac un “naturaliste”. La première annonce importante d'un naturalisme littéraire est constituée par une phrase de la deuxième édition deThérèse Raquin(1868) : Zola y évoque en effet un “petit groupe d'écrivains naturalistes auquel [il a] l'honneur d'appartenir” ; mais, à cette date, on serait bien embarrassé de nommer les membres de ce groupe.
À l'étranger
Hors de France, les situations varient suivant les pays. L'Angleterre connaît “naturalism” depuis lexvie siècle, mais le mot reste longtemps réservé au seul domaine philosophique, encore auxixe siècle. En Russie, le critique Bielinski donne une certaine popularité à l'expression “natural'naja škola” (“école naturelle”), en 1846, pour désigner les écrivains de la tradition gogolienne. L'Italie dispose d'un terme particulier apparu vers 1860 : “ verismo”, qui est généralement considéré comme la version italienne du naturalisme. Quant à l' Allemagne, on trouve le terme “Naturalismus” chez Goethe dans une critique d'art de 1801 (“À Berlin, le naturalisme, avec son exigence de réalité et d'utilité, semble être chez lui”), et chez Schiller, dans la Préface deLa Fiancée de Messine (1803) : le dramaturge voit dans le chœur des tragédies antiques le rempart qui doit déclarer la guerre au naturalisme dans l'art. De ce fait, la tradition germanique va rester longtemps marquée par ces notations péjoratives, encore renforcées par l'emprise de l'esthétique idéaliste de Hegel : les théories de Zola et le terme même de naturalisme auront beaucoup de mal à être acceptés en Allemagne, où les controverses seront très vives.
Zola et le terme “naturalisme”
En France aussi, où on peut dater des années 1875 le début d'une véritable “campagne publicitaire” de la part de Zola, la dénomination qu'il propose suscite de fortes réserves. À en croire d'ailleurs Edmond de Goncourt (Journal de la vie littéraire, 19 février 1877), qui rapporte que Flaubert reproche à Zola ses “professions de foi naturalistes”, celui-ci aurait répliqué simplement : “Oui, c'est vrai, je me moque comme vous de ce motNaturalisme ; et, cependant, je le répéterai sans cesse, parce qu'il faut un baptême aux choses, pour que le public les croie vraies.” Un peu plus tard, il s'emploie à préciser l'emploi du terme, notamment au cours des années 1879-1881, où il multiplie études critiques et chroniques, qu'il réunit dans un ensemble de six recueils, dont le plus connu estLe Roman expérimental (1880). Se souvenant sans doute de conversations avec Tourgueniev – qui a dû citer Bielinski –, il y déclare notamment qu'il ne croit pas “avoir inventé ce mot, qui était en usage dans plusieurs littératures étrangères”, et qu'on “l'emploie en Russie depuis trente ans” ; se cherchant des ancêtres français, il cite Montaigne et “le positiviste Diderot”.
C'est bien à Zola en tout cas qu'on doit la popularité du terme, qui a fini par être adopté par l'ensemble de la critique européenne et des historiens de la littérature, non sans que le terme ne conserve longtemps une connotation péjorative, qui n'a peut-être pas encore totalement disparu aujourd'hui.
Accédez à l'intégralité de nos articles
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ?Se connecter
Écrit par
- Yves CHEVREL: professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
Médias
Autres références
NATURALISME, notion de
- Écrit parFlorence FILIPPI
- 1 524 mots
Avant de désigner un mouvement littéraire, le termenaturalisme recouvre deux acceptions, l'une relevant de la philosophie des sciences, l'autre des beaux-arts. Auxviiie siècle, le mot désigne une démarche scientifique matérialiste. Il est repris en peinture au début duxixe pour qualifier...
BELGIQUE -Lettres françaises
- Écrit parMarc QUAGHEBEUR etRobert VIVIER
- 17 496 mots
- 5 médias
...grand souvenir.Un mâle, Au cœur frais de la forêt, Le Vent dans les moulins, Comme va le ruisseau témoignent de l'ampleur de son registre. Lenaturalisme de Lemonnier ne va pas sans un lyrisme descriptif qui le rapprocherait de Zola plutôt que de Maupassant, et l'on peut songer à Huysmans ou...BERLIN ALEXANDERPLATZ,Alfred Döblin - Fiche de lecture
- Écrit parLionel RICHARD
- 898 mots
Quand paraîtBerlin Alexanderplatz, en octobre 1929, l'écrivain allemandAlfred Döblin (1878-1957) a déjà écrit cinq romans, trois pièces, deux recueils de nouvelles, trois volumes de réflexions esthétiques ou philosophiques. Il a été mêlé à l'expressionnisme à son origine, vers 1910, mais...
BRUNEAUALFRED(1857-1934)
- Écrit par Encyclopædia Universalis
- 734 mots
Le compositeur et critique français Alfred Bruneau a joué un rôle important avec son introduction du réalisme et dunaturalisme littéraire dans l' opéra français. Ses œuvres ont été très souvent représentées de son vivant, avant de connaître une éclipse. Certaines d'entre elles, comme ...
CONTES DE LA BÉCASSE,Guy de Maupassant - Fiche de lecture
- Écrit parDidier MÉREUZE
- 982 mots
- 1 média
...Maupassant connaissait et admirait. Surtout, lerécit liminaire met en scène un vieux chasseur auquel ses amis viennent raconter différentes histoires. La Normandie – pays de Caux et pays d'Auge – en constituera le cadre essentiel. Ainsi, d'un récit à l'autre, une ligne se dessine. Celle des peurs et...- Afficher les 44 références
Voir aussi