Designer de formation, Teycir évoluait dans le domaine du cinéma. Mais lorsque la pandémie de COVID-19 a frappé, elle s’est retrouvée confinée chez elle, sans travail, comme beaucoup de jeunes créatifs. Ce moment d’arrêt forcé a été pour elle un temps de réflexion, de sensibilisation et surtout de prise de conscience.« Je voulais faire quelque chose qui a du sens, quelque chose que j’aime. Je suis très liée à l’environnement et je me suis dit : je veux être une actrice du changement, à partir de ma position. »
Vivante dans un milieu assez sensibilisé aux enjeux écologiques, elle décide d’aller plus loin : partager cette conscience et agir concrètement. Son projet naît d’un besoin personnel : éviter les sacs plastiques proposés par les vendeurs, potentiellement vecteurs de virus. Elle commence alors à utiliser les sacs cousus par sa mère, une solution simple, utile et durable.
Le premier produit qu’elle a lancé est un sac à pain, puis des sacs à légumes. L’objectif est clair : réduire l’usage du plastique au quotidien. Très vite, les client.e.s demandent d’autres articles : tote bags, sacs de plage… Puis, avec l’arrivée de Wael ,son nouveau associé de son entreprise , l’idée s’élargit aux accessoires : pochettes pour ordinateurs, étuis à lunettes et porte-monnaie.
Chkarty prend alors forme : une marque zéro déchet. Teycir refuse d’acheter de nouveaux tissus alors qu’il existe déjà des déchets textiles et des ressources comme les friperies. Elle valorise les chutes de tissu en les transformant et en les recyclant, donnant ainsi une seconde vie à des matériaux souvent négligés.
Et elle ne s’arrête pas là : elle documente tout le processus. Elle filme ses visites en friperie, montre ce qu’elle achète, comment elle transforme les pièces — le avant/après. Cette transparence inspire son entourage, qui commence à lui apporter de vieux tissus à réutiliser. De là naît une nouvelle idée : lancer des ateliers de transformation textile, pour transmettre son savoir-faire et encourager une consommation plus responsable.
Mais dans sa démarche zéro déchet, Teycir a aussi commencé à recycler des matériaux plus complexes, comme les roll-ups et les bâches publicitaires, souvent jetés après les événements. Ces matières, bien que difficiles à transformer, sont devenues une source de création unique. Teycir les utilise pour fabriquer des sacs et pochettes personnalisés, robustes, originaux et porteurs d’histoire.
Au début, la couture se faisait à la maison, avec sa mère. Aujourd’hui, le projet s’est largement développé : Teycir collabore avec trois ateliers répartis sur le Grand Tunis, et travaille avec une douzaine de femmes couturières. Un showroom a été ouvert, ainsi qu’un espace dédié aux couturières, pour faciliter la production et valoriser leur travail.
Face à une demande croissante, des travaux d’extension sont en cours. Mais Teycir tient à garder une croissance maîtrisée :« C’est vrai qu’on élargit l’équipe et qu’on a ouvert un showroom, mais on a décidé de commencer petit à petit pour garantir la pérennité du projet et la stabilité des salaires. On ne voulait pas nous plonger directement dans une grande structure. »
Pour Teycir, le projet Chkarty est bien plus qu’une entreprise. Elle y joue plusieurs rôles : couturière, communicante, gestionnaire, créatrice, tout en gardant une forte dimension humaine. Elle est devenue indépendante moralement et financièrement, avec une vraie autonomie« Aujourd’hui, je me sens inspirante et influente. Une vingtaine de projets de master se sont inspirés de Chkarty. »
La communication est centrale dans le projet. L’équipe anime activement Instagram pour partager ses produits, ses valeurs et les coulisses. Chaque tissu a une histoire, souvent liée au recyclage ou à la friperie, racontée via de petites étiquettes de storytelling. L’objectif : toucher un public large avec une offre inclusive et variée.
Les événements et les festivals comme Hammamet ou les journées musicales de Carthage , marchés éco-responsables ou foires artisanales sont aussi des moments clés pour rencontrer les clients et renforcer sa présence.
L’Accélérateur de croissance verte et d’emploi : une accélération vers l’impact
Teycir découvre le programme Green Growth and Jobs Accelerator (GGJA) via Facebook et décide de postuler, déjà incubée dans le programme Green for Youth avec Impact Partner.
Le programme dure cinq mois, avec des périodes très chargées et d’autres plus calmes. Pour Teycir, ce qui distingue GGJA, c’est la qualité et la profondeur des contenus abordés : empreinte carbone, certification, impact… des notions complexes, souvent nouvelles mais essentielles pour les jeunes entrepreneurs.e.s .« On s’est retrouvés face à des concepts très avancés par rapport à notre projet, parfois difficiles à comprendre, mais essentiels pour évoluer. Les autres entreprises étaient là pour ça, et ça nous a poussés à monter en compétence. »
Les formations sont d’un haut niveau, et Teycir s’y dédie complètement, pour ne pas les rater. Elle bénéficie aussi d’un formateur dédié, qui l’accompagne notamment sur la gestion du site web, un point stratégique pour son projet.
Grâce au programme, Teycir a pu échanger directement avec des investisseurs, assister à des événements, et surtout avoir accès à des propositions d’investissement. Avant GGJA, elle ne comprenait pas bien ce monde, mais aujourd’hui, elle affirme avoir changé de mindset :« On a compris qu’il existe beaucoup d’opportunités, et maintenant on avance avec une vision plus claire vers ce monde. »
Les journées de pitch organisées par GGJA lui ont permis de présenter son projet devant des acteurs clés de l’écosystème entrepreneurial et de l’investissement. C’est à travers ces journées qu’elle a été repérée par des journalistes danois qui l’ont contactée pour partager son histoire sur leurs réseaux internationaux. Une belle reconnaissance pour un projet né dans une chambre, et qui aujourd’hui rayonne bien au-delà des frontières.
Chkarty : une aventure humaine et professionnelle
Grâce au programme GGJA, Teycir a acquis une vision plus structurée de l’entrepreneuriat. Elle pense à l’évolution de Chkarty à grande échelle.
« Le programme nous a permis de comprendre les notions clés de l’entrepreneuriat, de structurer notre travail et de nous projeter dans l’avenir avec clarté. »
Avec Chkarty, Teycir Chitoui prouve qu’on peut transformer les déchets en création et les contraintes en opportunités. Son parcours illustre la force tranquille d’une génération d’entrepreneures tunisiennes qui inventent, à leur manière, un futur plus durable.