Journée nationale d'hommage aux victimes du communisme
Exposés de motifs
Texte n° 544 (2022-2023) de Mme Valérie BOYER et plusieurs de ses collègues, déposé au Sénat le 20 avril 2023
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis le 24 février 2022, la guerre fait rage enUkraine. Refusant le dialogue diplomatique, le Président russe aentraîné son pays dans une guerre brutale. Il s'agit d'uneoffensive d'une violence inouïe, d'une négation des principeshumanitaires les plus essentiels. Même si la communautéinternationale est pleinement mobilisée aujourd'hui, rappelons qu'enréalité ce conflit a débuté le 6 avril 2014 dans leDonbass (Ukraine) et le 28 février 2014 en Crimée(Ukraine).
Une fois encore l'histoire bégaie. Comment ne paspenser aux crimes communistes ?
Le livre noir du communisme1
Nous pourrions évoquerl'URSSavec ses goulags (camps de travail forcé) entre 1930 et 1953, sesdéplacements de population, les grandes famines planifiées comme« l'holodomor » de 1932-1933 reconnu commegénocide par le Parlement européen le 15 décembre 2022,par l'Assemblée nationale le 28 mars 2023 et le Sénat devrait lefaire à l'occasion de la séance du 17 mai 20232
Comme l'explique l'essayiste Thierry Wolton3
Nous pourrions également évoquerl'arrestation et l'assassinat de milliers de communistes opposésà Staline à partir de 1934, les « GrandesPurges » de 1936-1938, l'invasion de la Pologne à la suite dupacte germano-soviétique le 17 septembre 1939 ou encore lesdéplacements forcés de populations. Concernant les goulags,Alexandre Soljenitsyne5(*) avec son livre L'Archipel du Goulag,acréé un des plus grands évènements politiques etlittéraires du XXème siècle. Il y traite du systèmecarcéral et du travail forcé mis en place en Unionsoviétique. Écrit de 1958 à 1967 dans laclandestinité, l'ouvrage ne se veut ni une histoire du goulag ni uneautobiographie, mais porte la parole des victimes des goulags : il estécrit à partir de 227 témoignages de prisonniers ainsi quede l'expérience de l'auteur. Pour Alexandre Soljenitsyne, le goulag,fait partie intégrante du système soviétique dèsson origine. Dans son ouvrageDe Lénine à Castro, RomainDucoulombier6(*)explique notamment que « le goulag est le fruit d'une histoire,son existence, quoique fondamentale pour comprendre le stalinisme, esttransitoire et présente des caractéristiquesparticulières. Si les premiers camps datent de l'époque deLénine, le goulag ne survit à Staline que sous formerésiduelle, après les grandes vagues de libération dumilieu des années 1950 ». Nous pourrionségalement évoquer les ouvrages de Varlam Chalamov7
Ou encorel'Europe de l'Est, le bloc de l'Est,a aussi souffert des procès politiques, des camps de travailforcé, de la répression des manifestations, des polices etassassinats politiques, des populations sous contrôle, des purges...
Comment ne pas évoquer égalementlaChine et la famine de 1959-1961, les Laogais qui sont des camps detravail forcé essentiellement entre 1959-1961, mais qui perdure encoreaujourd'hui, comme le démontre par exemple, le reportage de la chaineArte :Les camps, secret du pouvoir chinois8
Enfin, nous pourrions revenir sur les répressionsde laCorée du Nord, les exactions de Fidel CastroàCuba ou encore les massacres par les khmers rouges auCambodge. À ce sujet, le 16 novembre 2018, deux anciensdirigeants khmers rouges ont été condamnés à laperpétuité par le tribunal spécial chargé de jugerles atrocités du régime cambodgien des khmers rouges, en raisondes crimes commis contre les minorités ethniques et religieuses entre1975 et 1979. En effet, les Chambres extraordinaires au sein des tribunauxcambodgiens (CETC), un tribunal cambodgien parrainé par les Nationsunies pour juger les anciens dirigeants khmers rouges, ont tranché, le16 novembre 2018, en condamnant Khieu Samphan et Nuon Chea, respectivementchef d'État et idéologue du régime khmer rouge, àla prison à perpétuité pour le« génocide », non du « peuplecambodgien », mais de deux minorités : les Vietnamiens duCambodge et l'ethnie musulmane Cham. Près d'un quart de la population,soit deux millions de Cambodgiens, ont trouvé la mort parassassinat, famine ou épuisement physique et psychologique. Parce qu'ilssont nés ou ont vécu en ville, lieu de la contaminationimpérialiste, ils sont considérés comme impurs.Stigmatisés et triés en fonction de critèressocio-territoriaux, hommes, femmes et enfants sont contraints à unerééducation idéologique et à la politique decollectivisation des terres.
La liste est trop longue pour êtreentièrement développée dans ce texte, elle aété étudiée à travers des ouvrages et desdocumentaires qui restent encore trop peu nombreux pour êtreexhaustifs.
C'est pourquoi, l'opinion publique qui a pleinementconscience des crimes commis par les nazis, est pourtant très peuconsciente et peu instruite des crimes commis par les régimescommunistes, et pour plusieurs raisons. Bien sûr nous ne devons pasétablir une « hiérarchie de l'horreur »mais jamais les crimes commis au nom du communisme n'ont fait l'objetd'enquêtes ou de condamnations internationales, contrairement aux crimescommis par son jumeau « hétérozygote »selon l'expression de l'historien Pierre Chaunu, l'autre régimetotalitaire du XXe siècle, le nazisme. L'absence decondamnation s'explique aussi en partie par l'existence de pays dont lesgouvernements adhèrent toujours à l'idéologie communiste,perpétuent encore les horreurs ou s'en revendiquent.
« Les crimes nazis sont facilementrepérables. Ils ont été découverts par lesAlliés, des peuples d'Europe occidentale en ont eu une expériencedirecte et les témoignages sur les atrocités nazies abondent. Lescrimes nazis furent d'une rare violence (un grand nombre de victimes d'uneportion délimitée de l'humanité sur une courtepériode) et ils se concentrèrent sur l'éliminationphysique des victimes. Enfin, élément essentiel pour AlainBesançon9(*), lachambre à gaz possède un caractère unique dans l'histoireà cause de sa dimension industrielle. À la chambre à gaztrès médiatisée répondent le Goulagsoviétique et le Laogaï chinois qui restent enveloppés debrouillard, et demeurent un objet distant, indirectement connu, malgréles témoignages rendus publics qui furent souventinterprétés comme de la propagande anticommuniste. Les crimescommunistes constituent une notion floue dans la mesure où ilsconcernent l'adhésion morale des victimes à un projet politique,sans nécessairement en venir au meurtre systématique. Il estalors difficile de définir précisément les victimes descrimes communistes et les bourreaux »10
Pourtant, nous pouvons noter des caractéristiquescommunes entre l'ensemble des régimes communistes historiques quels quesoient le pays, la culture ou la période.
Ces régimes ont été marqués,sans exception, par des violations massives des droits de l'Homme. Cesviolations incluaient les assassinats et les exécutions, qu'ils soientindividuels ou collectifs, les décès dans des camps deconcentration, l'organisation de famines, les déportations par groupeethnique entier, les persécutions religieuses, la torture, le travailforcé et d'autres formes de terreur physique collective.
Ces crimes ont été justifiés par lathéorie de la lutte des classes et le principe de la dictature duprolétariat. L'interprétation de ces deux principes rendaitlégitime « l'élimination » descatégories de personnes considérées et définiescomme « nuisibles » à la construction d'unesociété nouvelle et, par conséquent, comme« ennemies » des régimes communistes.
Rappelons-le, certains États aujourd'hui serevendiquent comme communistes : Cuba, Chine, Corée du Nord,Viêt Nam, Laos, Transnistrie.
Aussi, la mémoire de ces crimes estdestinée à éviter que des crimes similaires ne seproduisent à l'avenir. Le jugement moral et la condamnation des crimescommis jouent un rôle important dans l'éducation donnée auxjeunes générations. Une position claire de la communautéinternationale sur ce passé pourrait leur servir deréférence pour leur action future.
Malheureusement, l'ombre du communisme totalitaire quiappartenait jusqu'à présent à l'histoire, planedésormais sur l'actualité. Comme l'écrit ThierryWolton11(*) :« La violence des méthodes de guerre utilisées parla Russie en Ukraine nous renvoie à une époque que nousespérions révolue en Europe, comme si les penduless'étaient arrêtées ». Et d'expliquerque :« l'Ukraine est la quatrième guerremenée par Poutine en vingt ans. Toutes les méthodes qui y sontutilisées, de nature militaire ou dirigées contre des civils,sont l'héritage de la violence de l'Armée rouge, qui a eu sa partde responsabilité dans les crimes d'antan ».
Alors que des victimes des régimes communistes oudes membres de leurs familles sont encore en vie, il est temps dereconnaître leurs souffrances.
En ce sens, l'assemblée parlementaire du Conseilde l'Europe, a voté le 25 janvier 2006, la condamnation des crimes desrégimes communistes totalitaires. Elle a été lapremière organisation internationale à faire ce geste.
Le 19 septembre 2019, le Parlement européen aégalement adopté une résolution sur l'importance de lamémoire européenne pour l'avenir de l'Europe12
Le 19 novembre 2020, le Parti Populaire (PP)présentait à la commission constitutionnelle du parlementespagnol une déclaration condamnant au même titre lestotalitarismes communistes et nazi. Rejetée par lesdéputés de la gauche espagnole, l'initiative aura eu lemérite de mettre en évidence les lacunes historiques de certainsreprésentants ainsi que la complaisance vis-à-vis de la violencepolitique de certains partis.
Même Robert Hue, alors Secrétaire nationaldu Parti Communiste français (PCF) déclarait en 1997 :« Il y a eu de l'aveuglement ; le PCF a mis beaucoup trop detemps avant de condamner l'inacceptable ; et, dans son fonctionnementmême, des pratiques ont été marquées du sceau dustalinisme [...] mais le PCF n'a pas à se reprocher rien de comparableavec les crimes staliniens ». Bien sûr, il n'appartient pasà travers ce texte de remettre en question le rôle desrésistants au nazisme qui étaient parfois communistes mais il esttemps, alors que des victimes des régimes communistes ou des membres deleurs familles sont encore en vie et que certains souffrent encore derégimes politiques qui se revendiquent toujours comme communistes, dereconnaître leurs souffrances.
Comme a pu le conclure Thierry Woltonprécédemment cité : « L'absence d'untravail de mémoire sur le communisme permet à certains dirigeantsde continuer à s'en réclamer ; puis, d'en vanter lesmérites, comme en Chine. Poutine ne trouverait pas tant de soutiens dansle monde si ce passé, d'où il est issu, avait étéclairement dénoncé. Au contraire, il incarne pour beaucoup unesprit de revanche contre cet Occident dont la contagion des valeurs sur lesesprits est tant redoutée par les apprentis dictateurs. Faut-il rappelerl'utilité de l'histoire si elle permet de tirer des enseignements utilespour l'avenir ? À défaut, le risque d'être contraintà un retour éternel du passé demeure, comme un cauchemarsans fin ».
C'est pourquoi, cette proposition de loi qui s'inspire dela proposition de loi de Bernard Carayon13(*), vise à rendre un juste hommage aux victimesdes régimes communistes en instituant une Journée nationale dusouvenir. La date retenue est celle de la chute du Mur de Berlin, le9 novembre 1989. Cette date est en effet le symbole de la chute du« mur de la honte », le rideau de fer qui aenfermé dans la prison du communisme pendant 70 ans, les pays d'Europede l'Est, « satellites » de l'Union soviétique,selon le découpage décidé à Yalta.
*1Le Livre noir ducommunisme : Crimes, terreur, répression a étérédigé par une équipe d'historiens et d'universitaires aentrepris, continent par continent, pays par pays, de dresser le bilan le pluscomplet possible des méfaits commis sous l'enseigne du communisme : leslieux, les dates, les faits, les bourreaux, les victimes.
*2https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppr22-200.html
*3 Parmi les nombreuxouvrages de Thierry Wolton, journaliste et essayiste, signalons : Unehistoire mondiale du communisme en trois volumes chez Grasset, qui a faitévénement : Les Bourreaux (2015), Les Victimes (2016), LesComplices (2017). L'auteur a récemment publié LeNégationnisme de gauche (Grasset, 2019).
*4https://www.lefigaro.fr/vox/monde/notre-memoire-a-occulte-les-exterminations-par-la-famine-imputees-aux-regimes-communistes-20200716
*5 AlexandreIssaïevitch Soljenitsyne est un écrivain russe et un des pluscélèbres dissidents du régime soviétique durant lesannées 1970 et 1980.
*6 Agrégéd'histoire, il a soutenu en 2007 à Sciences Po Paris, sous la directionde Marc Lazar, une thèse de doctorat sur« Régénérer le socialisme. Aux origines ducommunisme en France (1905-1925) », qui a remporté le prixHenri-Hertz des Universités de Paris. Il a égalementcodirigé avec Vincent Chambarlhac Les socialistes français et laGrande Guerre. Ministres, militants, combattants de la majorité,1914-1918 (Éditions universitaires de Dijon, 2008). Il est actuellementprofesseur d'histoire au lycée du Noordover à Grande-Synthe dansle Nord.
*7 Emprisonné 17ans au goulag, l'écrivain russe Varlam Chalamov (1907-1982) fut untémoin essentiel de l'horreur du système pénitentiairestalinien.
*8https://www.arte.tv/fr/videos/106702-001-A/les-camps-secret-du-pouvoir-chinois-1-2/
*9 Historienfrançais, membre de l'Institut, directeur d'études àl'EHESS, à l'Institut d'histoire sociale et à la NouvelleInitiative Atlantique, spécialiste de l'histoire russe et du communismesoviétique. Membre du Parti communiste français dans sa jeunesse,il rompt avec le communisme après la révélation des crimesstaliniens qui intervient à partir de 1956, et adopte alors une positiond'analyse critique de la question du totalitarisme.
*10https://www.erudit.org/en/journals/bhp/1900-v1-n1-bhp04649/1060535ar.pdf
*11https://www.lefigaro.fr/vox/histoire/thierry-wolton-pourquoi-il-n-y-a-pas-eu-proces-de-nuremberg-du-communisme-sovietique-20220508
*12 Résolutiondu Parlement européen du 19 septembre 2019 sur l'importance de lamémoire européenne pour l'avenir de l'Europe (2019/2819(RSP))https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2019-0021_FR.pdf
*13 Proposition de loin°422 du 21 novembre 2007, déposée àl'Assemblée nationale par Bernard Cayaron, Valérie Boyer etplusieurs de leurs collègueshttps://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion0422.asp







