LA REFORME AGRAIRE EN GRECE
par Pierre-Yves Péchoux
La réforme agraire fut accomplie en Grèce dans le premier tiers de ce siècle, soit bien plus tôt que dans les autres Etats méditerranéens, ce qui permet aujourd'hui d'analyser ses circonstances et d'évaluer ses résultats avec un recul dont on manque ailleurs. Cette réforme ne présenta pas le même caractère radical que celles qui furent conduites après 1945 en Albanie, en Bulgarie ou en Yougoslavie ; car elle n'avait pas la même finalité : il s'agissait en Grèce de préserver une société fondée sur un système de production capitaliste et non pas d'en changer en assurant le succès de la révolution dans les campagnes. Les connotations politiques aussi bien que les modalités techniques de la réforme agraire grecque permettent au contraire d'y voir un modèle des réformes entreprises plus tard en Italie méridionale ou bien dans le cadre plus étroit du Plan de Badajoz en Espagne ou du périmètre de l'Enfida en Tunisie.
La réforme agraire grecque est méconnue. Cela tient au fait qu'elle s'est inscrite dans la période qui a vu la Grèce atteindre ses limites territoriales actuelles et vivre l'effondrement de la « Grande Idée », celle de l'établissement d'un Etat grec qui aurait occupé, avec Athènes, Iraklion de Crète, Salonique et Smyrně, toutes les rives de l'Egée et aurait rétabli à Constatinople la capitale historique de l'Empire byzantin et de l'Eglise orthodoxe. Dans ce contexte on a tenu la crise agraire comme d'importance secondaire par rapport aux objectifs de la reconquête : le souci de l'hellénisme l'emportait sur celui du sort des classes paysannes. C'est en partie le ressort des mécanismes politiques qui entraînèrent l'alternance au pouvoir des deux grands leaders bourgeois de la fin du xixe siècle : Deliyiannis, qui s'identifie plus étroitement à la volonté d'expansion territoriale, et Trikoupis, plus soucieux de consolider les structures internes d'un Etat qui accepte déjà l'émigration d'une partie de ses travailleurs et qui doit supporter le poids croissant de la dette extérieure. Après eux la Grèce est entrée dans la série des guerres balkaniques
1. Le compte des réfugiés accueillis en Grèce est malaisé. Certains ne se sont pas fixés et sont repartis vers l'Amérique, l'Afrique tropicale, l'Europe, le Maroc. Après 1922, tous n étaient pas Grecs ; mais certains Arméniens repartirent vers l'Union Soviétique. — 1913: 40 000 Grecs de Macédoine annexés par la Bulgarie.
