L'utilisation de la figure de Crésus dans l'idéologie aristocratique athénienne
Solon, Alcméon, Miltiade et le dernier roi de Lydie"
Les Histoires d'Hérodote contiennent trois récits qui évoquent les contacts privilégiés qu'aurait entretenus le dernier roi de Lydie, Crésus, avec les Athéniens Solon, Alcméon et Miltiade l'Ancien. La discussion, plusieurs fois reprise par les auteurs postérieurs, entre Solon et Crésus à propos du « bonheur » (I, 29-33) appartient au livre I et à ce qu'il est convenu d'appeler le logos de Crésus, tandis qu'il faut attendre le livre VI et le récit de la première guerre medique pour rencontrer à nouveau le Lydien et l'évocation de ses relations avec Alcméon (VI, 125) et Miltiade l'Ancien (VI, 37). Loin d'être un élément insignifiant, l'emplacement de ces épisodes au sein de l'œuvre d'Hérodote conditionna en fait, dans une large mesure, la bibliographie contemporaine : bien qu'il y fût également question du roi lydien, les exégètes traditionnels du logos de Crésus1 se préoccupèrent peu ou pas du livre VI, laissant ce soin aux historiens de l'Athènes archaïque, qui eux, en revanche, ne s'intéressaient pas directement au personnage de Crésus ni à un dialogue cherchant à déterminer « le plus heureux des hommes ». L'exégèse des deux anecdotes du livre VI n'a donc jamais véritablement concerné le dernier roi de Lydie, auquel est restée attachée une vision largement préconçue du monarque oriental. À travers un réexamen de l'ensemble du volet athénien du dossier « Crésus », on s'attachera donc particulièrement à l'image que les sources classiques ont conservée d'un personnage pour lequel nous ne disposons, à l'exception de là dédicace des colonnes de l'Artémision d'Ephèse2, d'aucune source écrite contemporaine. Afin de relancer
Je tiens à exprimer ici toute ma reconnaissance envers le professeur Didier Viviers, qui fut quelque part à l'origine de cette étude et qui a aimablement accepté d'en relire le manuscrit.
1 Fr. HELLMANN, Herodots Kroisos-Logos, Berlin, 1934 [réédité largement par une traduction italienne partielle : L. Belloni, L' evento di Creso : il racconto di Erodoto secondo Hellmann, dans Aevum Antiquum, 9 (1996), p. 11-48] ; A. HEUSS, Motive von Herodots lydischem Logos, dans Hermes, 101 (1973), p. 385-419 ; A.C. Sheffield, Herodotus' Portrait of Croesus. A Study in Historical Artistry, Diss. Standfort, 1973 ; H. Erbse, Studien zum Verständnis Herodots, Berlin - New York, 1992, p. 10-30.
2 Hérodote (I, 92) déclare que Crésus a offert «la plupart des colonnes», ce qui fut confirmé par la découverte de la dédicace en grec (Londres, Brit. Mus. Β 16 et Β 32 ; I.K. XV, 1518) et vraisemblablement en lydien (LONDRES, Brit. Mus. Β 136).