Ne faisons-nous pas plus de mal que de bien?» Question bête et méchante, simple et compliquée, physique et métaphysique. Elle poisse l'existence du docteur Rony Brauman depuis la rentrée 1985 exactement. A l'époque, la famine sévit en Ethiopie. Le barnum compassionnel lancé par Bob Geldof et quelques stars mondiales, enflamme l'Occident sur l'air de «We are the World». Mais sur le terrain, les ONG (Organisations non gouvernementales), MSF (Médecins sans frontières) et Brauman en particulier sentent que leur action bute sur une force mystérieuse. «Des événements étranges, des gens emmenés par des miliciens au petit matin.» Tout s'éclaire un jour d'octobre 1985 à Paris, quand, en tant que président de MSF, il vient s'expliquer devant le Club de la presse anglo-américaine: «En précisant, en étant obligé de raconter à des non-spécialistes, tout s'est mis en place. Des enchaînements, des intuitions. J'ai fini par expliquer que nous, les humanitaires, étions les éléments d'un dispositif criminel de déportation. Il fallait absolument se poser la question: ne faisons-nous pas plus de mal que de bien?» Autrement dit, l'humanitaire peut servir le totalitaire. Le soin peut contredire l'humain. Les centres de secours, mis en place par MSF, finissaient par servir la politique de déplacement de population de Mengistu, le dictateur éthiopien. Prise de conscience. La «quiétude humanitaire» se mue en inquiétude humaniste. Il a 35 ans. «Je n'y avais jamais pensé avant.» Quelques mois plus tar