Pourquoi lire Nietzsche ?
Souvent condamnée, récupérée, exploitée, la pensée de Nietzsche n'a finalement été que rarement étudiée pour elle-même et sans arrière-pensée. Si son style poétique, s'exprimant souvent par aphorismes et métaphores, a de quoi surprendre, tant il est loin du cliché du philosophe au vocabulaire technique et aux tournures ardues, Nietzsche n'en est pas moins l'un des penseurs les plus révolutionnaires de son temps. Ni systématique, ni uniforme, son uvre déploie des thèmes récurrents qui s'assemblent dans une direction : celle d'une pensée neuve et énergique qui détruit les « idoles », telles que
Platon, pour mieux envisager l'avenir.
Inspiré par
Arthur Schopenhauer dans sa jeunesse, Nietzsche tient de lui le pessimisme qui conduit au nihilisme. Mais en affirmant que « Dieu est mort », le philosophe ne se contente pas d'un constat désabusé. S'il n'y a rien hors de l'humain, c'est en lui-même que celui-ci doit chercher l'espoir d'une vie meilleure. Pour cela, il doit devenir fort et libre, capable de détruire les postulats de la métaphysique depuis ses fondements platoniciens mais aussi de rejeter le christianisme et son héritage moral, qui, selon Nietzsche, bride à tort les instincts vitaux. En abolissant l'idée d'un être transcendant, Nietzsche entend réhabiliter la réalité concrète. Sa philosophie n'est pas prisonnière des sphères de l'esprit, contrairement à ce que son style poétique pourrait laisser croire : le penseur a les pieds sur terre, et la conscience tournée vers le monde qui l'entoure.
C'est d'ailleurs la confrontation au monde de son époque qui lui vaut des dépressions et crises nerveuses, mais aussi la rupture avec ceux qui ont le plus compté pour lui. Très proche de sa sur Élisabeth et du couple Wagner, Nietzsche rompt avec eux lorsque leur antisémitisme devient prégnant. Ironie de l'Histoire, sa pensée est partiellement récupérée par l'idéologie nazie, qui fait du concept du Surhomme le modèle de l'Aryen. Mais le Surhomme n'est en aucun cas une espèce biologiquement supérieure. Ce que prône Nietzsche, c'est le dépassement des fictions consolantes alimentées par la religion et la capacité à observer la réalité en face et à l'affronter.
Car le réel n'est pas donné comme tel, et de ce fait, la vérité n'est pas une et absolue. La réalité demande à être saisie et ordonnée par l'esprit humain, qui, pour connaître, doit faire l'effort de se l'approprier et de l'organiser. La vérité est une valeur en tant qu'elle contribue à l'organisation du réel. Elle est un outil pour la volonté de puissance. De ce concept clé de la philosophie nietzschéenne, nous ne saurons jamais tout ce que le penseur avait à nous dire : son grand uvre,
La Volonté de puissance, qui devait synthétiser ses idées, n'a jamais été achevé. La maladie puis la folie viennent l'empêcher de poursuivre sa carrière universitaire puis sa réflexion. Il reste de son uvre un style inimitable, rare en philosophie, une énergie irrépressible, une volonté d'amélioration du sort de l'humain et de dépassement des présupposés du christianisme. Sa pensée reste aujourd'hui encore moderne, dynamique et inspirante.
Chronologie
15 octobre 1844 : naissance à Röcken de Friedrich Wilhelm Nietzsche, fils d'un pasteur.
1846 : naissance d'Élisabeth, sur de Friedrich.
1848 : naissance de Joseph, frère de Friedrich.
1849 : mort du père de Friedrich.
1850 : mort de Joseph.
1858 : Friedrich Nietzsche entre au collège de Pforta.
1864 : Nietzsche s'inscrit en faculté de théologie à Bonn, il envisage de devenir pasteur comme son père.
8 novembre 1869 : Nietzsche rencontre
Richard Wagner à Leipzig, où il vient d'achever son service militaire.
1869 : Nietzsche est nommé professeur de philologie à Bâle.
1872 : publication de
La Naissance de la tragédie.
1973 : Nietzsche rencontre
Paul Rée, qui devient son ami.
Novembre 1876 : rupture avec ses amis les Wagner, en partie due à l'antisémitisme croissant de Cosima, l'épouse du compositeur.
1878 : parution de
Humain, trop humain.
1879 : malade, Nietzsche démissionne de son poste de professeur.
1880 : parution du
Voyageur et son ombre.
1881 : publication d
Aurore.
1882 : lors d'un voyage en Italie,
Paul Rée présente
Lou Salomé à Nietzsche, qui la demande en mariage à deux reprises, mais elle refuse. La même année paraît
Le Gai Savoir.
1883-1885 : parution d'
Ainsi parlait Zarathoustra en quatre volumes. Séjours en Italie, en Suisse et en France.
Avril 1884 : Nietzsche rompt avec sa sur et son beau-frère à cause de leur antisémitisme.
1884 : rédaction de
La volonté de puissance.
1886 : publication de
Par-delà Bien et Mal.
1887 : parution de
La généalogie de la morale.
1888 : Nietzsche publie
Le Cas Wagner,
Le Crépuscule des idoles, et rédige
Nietzsche contre Wagner.
3 janvier 1889 : Nietzsche s'effondre à Turin. En proie à la folie, il est rapatrié par un ami et interné à Iéna.
1894 : parution de
LAntéchrist. Création des Archives Nietzsche, dirigées par Élisabeth.
Juillet 1897 : Nietzsche est emmené à Weimar.
25 août 1900 : décès de Nietzsche à Weimar.
1908 : parution de
Ecce Homo, écrit en 1888.
Le saviez-vous ?
Peu après la mort de son père, le jeune Friedrich Nietzsche fait un rêve étrange dans lequel son père, vêtu de son linceul, sort de sa tombe et traverse une église où résonne une marche funèbre en portant un enfant dans ses bras. Quelques jours plus tard, son petit frère Joseph décède d'une mystérieuse maladie.
À l'adolescence, Nietzsche crée un « théâtre des Arts » où il joue avec des amis les tragédies qu'il a écrites sur les dieux de l'Olympe.
À 14 ans, il s'intéresse à la légende de Mucius Scaevola et, pour en prouver la véracité à ses camarades dubitatifs, saisit dans un poêle allumé un charbon brûlant.
Malgré ses grandes qualités intellectuelles, Nietzsche faillit rater l'examen équivalent à notre baccalauréat à cause de ses mauvaises notes en mathématiques.
Nietzsche était un très bon pianiste et aimait improviser ou composer. Il envoya une de ses uvres au chef d'orchestre Hans von Bülow qui la jugea « épouvantable » et « nuisible ».
A
Gustave Flaubert qui affirmait "On ne peut penser et écrire quassis" Nietzsche répondra dans Le Crépuscule de Idôles : "Je te tiens nihiliste. Etre cul de plomb, voilà par excellence le péché contre lesprit ! Seules les pensées quon a en marchant valent quelque chose"
Malade depuis les années 1875, Nietzsche sombre dans la folie en 1889 à Turin en voyant un cocher martyriser un cheval. Il se jette au cou de l'animal et fond en larmes, bloquant la circulation. Dans les jours qui suivent, il s'identifie à des figures mythiques comme Dionysos.
L'origine de sa maladie reste encore floue. Alors qu'on a cru pendant longtemps qu'il était atteint de la syphilis, d'autres théories lui prêtent des troubles psychologiques héréditaires, ou encore une tumeur au cerveau.
Inspirateurs et héritiers
À l'adolescence, c'est d'abord la poésie qui séduit Nietzsche. Fasciné par
Friedrich von Schiller,
Friedrich Hölderlinet surtout
Lord Byron, il trouve sans doute dans ces lectures l'inspiration de son style métaphorique et aphoristique. Sa première grande rencontre philosophique est celle des uvres de
Schopenhauer, qui l'influencent dans sa jeunesse mais qu'il critique par la suite dans
Humain, trop humain. Il s'intéresse ensuite à
Démocrite,
Empédocle et
Héraclite, cherchant chez les présocratiques des arguments pour contrer le platonisme.
La pensée de Nietzsche, et en particulier le concept de Surhomme, ont souvent été récupérés, notamment par l'idéologie nazie, ce qui a valu au philosophe d'être longtemps décrié. Parmi ses premiers disciples importants, on peut citer
Jules de Gaultieret
Alphonse Chide. Par la suite, sa pensée a eu une influence indéniable sur l'existentialisme, la philosophie postmoderne et une branche de la philosophie analytique.
Ils ont dit de Nietzsche
Georges Bataille: « Nietzsche s'adressait à des esprits libres, incapables de se laisser utiliser. »
André Gide: « Ce que j'aime surtout en Nietzsche, c'est sa haine de la fiction. »
Catherine Golliau: « Lire Nietzsche, c'est se faire à bon compte une injection d'intelligence et d'énergie. »
Louis Weber: « La philosophie de Nietzsche porte en elle un flambeau de discorde qui ne s'éteindra jamais. »