Lorsque j'ai ouvert un Nouveau Testament pour la première fois, cela faisait quelques mois seulement que j'avais quitté la Yeshiva 1 . Je n'espérais pas trouver dans une autre "religion" la sainteté et la vie intellectuelle du Judaïsme....
moreLorsque j'ai ouvert un Nouveau Testament pour la première fois, cela faisait quelques mois seulement que j'avais quitté la Yeshiva 1 . Je n'espérais pas trouver dans une autre "religion" la sainteté et la vie intellectuelle du Judaïsme. Mes lectures de livres spirituels et d'essais sur les religions m'avaient plutôt confirmé dans l'idée qu'il n'y avait rien pour moi au-delà de ce que j'avais quitté. Et pourtant, dès les premiers mots de l'Évangile, voici que remontaient à la surface les discussions subtiles et acharnées à la recherche de la vérité biblique que j'avais connues à la Yeshiva. Tout dans l'Évangile m'était familier mais tout était nouveau, baignant dans une lumière bien réelle que je n'avais jamais rencontrée. "Cet homme-là", Jésus, prononçait les paroles que je cherchais désespérément à exprimer lors des discussions avec Rav Eliyahou et mes compagnons d'étude. Tout dans l'Évangile faisait résonner en moi la Torah et réveillait cette relation privilégiée d'Israël aux Écritures, mais cette fois la Parole ouvrait dans ma vie une porte sur la lumière. J'appartenais sans le moindre doute et depuis toujours à cette Parole qui donnait chair à la Torah et un sens à l'histoire du peuple juif. A la lumière de ces quelques lignes de témoignage, on comprendra que j'ai toujours eu quelques difficultés à recevoir les arguments qui, sous prétexte de "liberté évangélique", visent à marginaliser la Loi parmi les Écritures. En ce qui me concerne, la lumière de l'Évangile m'a permis, avec la meilleure tradition chrétienne, de lire la Torah dans une perspective prophétique. Le prophète dévoile le sens des événements, il révèle la volonté de Dieu et met à nu les ressorts cachés d'une histoire qui tourne à la catastrophe. D'une manière analogue, la Loi dévoile la volonté divine et les ressorts de l'injustice 1 École juive traditionnelle où l'on étudie la Torah, mais surtout les traditions qui se sont développées dans le Judaïsme autour de la pratique de la Torah et qui sont discutées dans le Talmud. dans l'être humain; elle place devant nous la volonté de Dieu, "le bonheur et la vie" (Dt 30, 15). Simplement, en révélant positivement la volonté de Dieu pour l'être humain, la Torah revêt une dimension plus eschatologique que les oracles prophétiques 2 . Or nous lisons les prophètes d'Israël, nous les aimons et ils sont pour nous, qui appartenons à Jésus Christ, une source inépuisable d'inspiration, comme tout le reste de l'Écriture. Il ne nous viendrait pas à l'idée de négliger la lecture des prophètes sous prétexte qu'ils ont annoncé le Sauveur et que le Sauveur est déjà venu. De même, je ne crois pas que la Loi, parce qu'elle est accomplie en Christ, ait perdu sa force d'inspirer nos actions individuelles et communautaires. Bien au contraire. La Torah est là, dans les Écritures, lue en Christ elle est parole de Dieu. Un trésor de normes éthiques et de valeurs spirituelles nous y est offert que le Nouveau Testament n'a pas ressenti le besoin de répéter puisqu'elles étaient l e s Écritures au temps de la naissance de l'Église. La lumière du Christ suffit à les placer dans leur vraie dynamique. Nous avons le choix de les lire avec le réalisme de la foi, et avec reconnaissance envers le SEIGNEUR, ou bien de nous perdre en considérations abstraites sur la place exacte de la Loi dans l'économie du salut 3 … Le danger étant alors, pour le peuple de Dieu, de perdre la perception vive de son histoire, laquelle fait une halte solennelle au pied du Sinaï. Cette amnésie du Sinaï, comme toute rupture dans la mémoire d'un individu ou d'une communauté, est une perte d'identité, et donc une altération du rapport à la réalité 4 . C'est pourquoi l'Église a toujours refusé cette rupture et a lutté contre ceux qui la prônaient. Je vous invite donc à découvrir, dans quelques unes de ses lois, la dimension évangélique de la Torah. J'ai choisi à dessein des lois économiques, car il me semble qu'un séminaire d'éthique fondé sur l'Écriture doit prioritairement développer ce thème qui revient tout au long de la Loi et des Prophètes, alors que les questions de morale sexuelle qui obsèdent la réflexion contemporaine sont largement minoritaires dans les textes bibliques. Et ce n'est pas un hasard. L'oubli du Créateur, avec tous ses effets pervers, commence d'abord dans l'oubli de ce que l'on est une créature. Et cet oubli, qui 2 Les prophètes eux-mêmes ont souligné le caractère eschatologique du projet de Dieu révélé dans la Loi, par ex. Is 2, 1-4 et Mi 4, 2; Is 42, 1-7; Jr 31, 31-34, etc.; voir plus loin la section 7.4. sur le statut prophétique de la Loi. 3 Il me semble qu'il y a dans cette seconde attitude une forme latente de légalisme sur laquelle je reviendrai plus loin, dans la section 7.3. 4 Cette amnésie est aussi une amnésie des liens indissolubles entre le peuple juif et le Corps du Messie dans le projet de Dieu pour l'humanité. Elle conduit trop souvent encore au dénigrement du Judaïsme et à la caricature facile de la pratique juive de la Torah.