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Il y a trente ans…

JacquesHenriot

Texte intégral

1Qu'est-ce que cela veut dire : « il y a trente ans » ?

2C’est le « il y a » qui fait problème. Quand on dit « il y a », c’est au présent que l’on parle : c’est aujourd'hui que l’on parle d'autrefois. Ceux qui ont vécu ce temps d'autrefois, ce temps qui n’est plus et qui sont là pour en parler se sont alors engagés dans un aller sans retour dont on peut se demander s'il avait, s'il a toujours eu, s'il a encore forme de jeu. Un jeu, semble-t-il, a ses règles, sa logique. On y entre, on l'invente à mesure qu'on le découvre. Le jeu dont on parle est celui que l’on joue : il est fait de questions comme de réponses. Même si les réponses ont souvent quelque chose d’incertain, voire d'insaisissable, les chercheurs ont au moins la satisfaction de se croire intelligents.

3En ce qui me concerne (puisque l’on m’invite à dire quelques mots de moi), j’évoquerai brièvement les deux versants de ma recherche. Ce que j'ai pu faire à Villetaneuse est indissociable de ce que je faisais à l'université de Rouen : un jour ici, un jour là, en quête du mêmesujet. Il me paraissait impossible de concevoir que l’on puisse parler d’un acte de jouer, impliquant à coup sûr vouloir et penser, sans en faire l’expression d'un sujet capable de l'entreprendre et de le poursuivre. Une telle façon de voir n’est pas sans rapport avec une analyse de l'idée de sujet sur un plan éthique et même juridique : un jouer n’est jamais insignifiant ni « gratuit » ; il suppose un joueur responsable, garant de ce qu'il fait et des conséquences éventuelles de son acte. On se trouve là au cœur d’une anthropologie qui porte le poids de son nom.

4J’ai commencé, comme tout le monde, par envisager le jeu sous l’aspect d’une chose allant de soi. Tout le monde en parlait, j'en ai moi-même parlé. On me disait, lorsque j'étais enfant, que ce qu'il m'arrivait de faire, dans certaines circonstances, à condition que cela me fût permis, s'appelait « jouer ». Décidant plus tard de chercher à savoir ce que l’on pouvait entendre par là, je pris plaisir à lire quelques livres. Je constatai sans peine que les plus célèbres auteurs, notamment les psychologues spécialisés dans l’étude de la pensée de l'enfant ne voyaient dans ce type de comportement qu'une structure évidemment significative, sans mettre en question ce qu’ils posaient comme una priori : le fait que la conduite ludique soit la manifestation de ce qu'il y a de plus caractéristique dans la pensée et la manière d'être de l’enfant. Je découvris aussi que les plus remarquables théoriciens du jeu n'allaient pas plus loin dans leur analyse et prenaient cette manière particulière d'être et d'agir comme n’exigeant pas d'être soumise au moindre questionnement. Pour eux, le jeu allait de soi. Aucun d'eux, que ce soit Nietzsche ou Pascal, Heidegger ou Freud, n'éprouve le besoin d'en critiquer l’évidence ni même d'en expliciter le sens.

5J'avais pour ma part, en toute modestie, l'avantage de n'aborder le sujet que de manière indirecte, oblique. Ayant commencé par prendre pour objet d'analyse la notion d'obligation qui semble à première vue diamétralement opposée à l'idée que l’on se fait de ce que c’est que « jouer », cherchant à savoir si l’on peut réellement se considérer comme « obligé » alors que l’on ne fait que subir une contrainte venue d’ailleurs, imposée du dehors, ou s'il ne fallait pas d'abord y consentir pour pouvoir se dire obligé. J'avais cru découvrir, dans le choix d'une semblable attitude par un sujet conscient une sorte de déplacement, de mise en regard correspondant à ce que l'on nomme « vouloir » et qui touche de près ce que véhicule sous la forme banale, le concept de « jeu ».

6Je passai alors de la considération d'une psychologie du jouer à celle d'une phénoménologie du jouant pris comme symbole de l’existentiel. Cela ne me conduisit guère au-delà d'une pratique langagière plus descriptive qu’analytique. Il n’était pas difficile d'entrevoir l'impasse dans laquelle s’engageait une littérature développant à l'envi le thème du jouer pris comme paraphe d'une subjectivité.

7Restait en effet à rendre compte de l'emploi de ce verbe et de ce que signifie l’acte qui le conjugue. Le tournant, s'il m’est permis d'en juger, se situe approximativement entreLa condition volontaire, où je tentais de mettre au jour l’ambiguïté d'une approche purement phénoménologique de la conduite ludique (voir le chapitre intituléLe jeu du vouloir) et la préface que j'ai donnée à la troisième édition duJeu, publiée sous une couverture que j'aime beaucoup et dont l'essentiel consiste à dire que l'idée de jeu apparaît d'abord, pour qui s'efforce de la saisir, dans la perspective d'une interprétation dont est porteuse une culture. Parler de « jeu », c'est parler de quelque chose dont « on » se fait l'idée, en donnant la parole à ce « on » auquel on tend à s’identifier et dont on se sent proche parent.

8C’est en fonction de tels repères sur la base de cette idée d'une approche socio-culturelle du phénomène « jeu », que j'en suis venu à participer à la création et au développement du centre de recherche de l'Université Paris Nord, en prêtant voix à ce discret leitmotiv. En y participant, j'eus l'impression d’entrer dans un jeu à plusieurs qui était tout autre chose qu'un divertissement, qu’une façon amusante de passer le temps, mais dont le sérieux n'excluait cependant pas l’ironie. Nous étions à même d'en inventer quelques règles à mesure que nous en découvrions d'autres, acceptant d'agir ensemble et de coordonner nos travaux. Je vis aussi avec plaisir que, jour après jour, chacun de nous ne cessait d'improviser.

9Aujourd'hui, le jeu est à la mode, plus encore qu’il y a trente ans. C'est un domaine de plus en plus étendu, diversifié, où s'aventurent des chercheurs de plus en plus nombreux, avertis, de mieux en mieux équipés. Il ne serait sans doute pas superflu de s’interroger sur l’émergence de cet état de fait. On conçoit, on fabrique des jeux et des jouets de toutes sortes. Encore faudrait-il ne pas ignorer, ni feindre d'oublier qu’uneidée donne sens à ce projet ainsi qu’au mode d'emploi de semblables instruments : qu'en font réellement ceux qui s'en servent pour « jouer » ? Il ne faudrait pas oublier non plus lecontexte où opère la Recherche : le jeu des chercheurs comme tout jeu, prend place dans un ensemble culturel, un système qui l'englobe et le comprend. Concepteurs et fabricants ne sont-ils pas eux-mêmes jouets d’autres jeux que ceux qu’ils inventent ? On entre là dans un monde où se multiplient passes d'armes, traquenards et coups montés. Il n'est pas sans intérêt de chercher à savoir quels sont ceux qui mènent de tels jeux ou s'il s’agit, selon la formule connue, d’un « procès sans sujet »,ce qui, nonceuxqui.

10Le fait que le jeu soit devenu marchandise ne modifie en rien la nature des problèmes que son identité colporte.

11A condition qu’on ne les occulte pas.

12Cette « marchandisation » de la chose ludique est peut-être l’effet, à moins qu'elle n'en soit le mode opératoire – ou le masque – d’un jeu infiniment complexe, subtil et peut-être inquiétant, dont les témoins que nous sommes, observateurs et analystes, doivent sans doute se préoccuper.

13Il faut pour cela prendre ses distances et faire preuve d'esprit critique : attitude paradoxale pour qui joue mais au demeurant pleine d’attrait.

Note

14« Précurseurs » : Je ne sais si mes travaux le furent. Ils m'apparaissent au moins, avec le recul, comme lescurseurs d’un va-et-vient, le va-et-vient d'une phénoménalité se développant, se multipliant, se diversifiant au point de tout envahir, non seulement sur le plan technique ou matériel, mais avant tout dans le domaine des idées.

15Aujourd’hui nous en sommes là : à nous d’y réfléchir. Voilà notre aujourd'hui.

Encore un mot

16Ce sera peut-être le dernier (ce « peut-être » entretient le plaisir d’exister).

17Au reçu de divers témoignages et de quelques commentaires, j’ai cru comprendre que l’on n’avait pas toujours bien saisi le sens de ma démarche. Je n’ai pas voulu expliquer ma propre conception, dire ce que j’entendais moi-même par jouer mais rassembler et chercher à interpréter les diverses manières dont on parlait de cette chose étrange qu’est le jeu.

18L’enquêteur gardait ses distances, laissant place à des informations, des images cueillies au jour le jour, de ci de là, empiriquement, par une observateur de la société de son temps, s’efforçant dans la mesure du possible de faire abstraction de son point de vue personnel.

19Le philosophe, aux aguets, ne prit vraiment la parole qu’au moment de s’interroger, se demandant si l’on pouvait réellement concevoir et pratiquer une forme de conduite répondant à l’idée que l’on semblait s’en faire.

20N’en sachant pas davantage, j’en restai là et me contentai, après avoir posé la question de la laisser en suspens.

21Que l’on ne dise donc pas qu’à la suite de tant d’autres, j’ai tracé les contours d’une théorie du jeu : il m’a seulement paru nécessaire de réfléchir à la possibilité d’une telle théorie.

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Pour citer cet article

Référence électronique

JacquesHenriot,« Il y a trente ans… »Sciences du jeu [En ligne], 1 | 2013, mis en ligne le01 octobre 2013, consulté le30 mars 2025.URL : http://journals.openedition.org/sdj/213 ;DOI : https://doi.org/10.4000/sdj.213

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JacquesHenriot

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