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Comptes-rendus

Georges-Henri Soutou,Europa ! Les projets européens de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste, Paris, Tallandier, 2021, 540 p.

Anne-SophieNardelli-Malgrand
p. 283-286

Texte intégral

  • 1  Voir notamment Davide Rodogno,Il nuovo ordine mediterraneo : le politiche di occupazione dell’Ita(...)
  • 2  Raimund Bauer,The Construction of a National Socialist Europe during the Second World War : How t(...)

1Professeur émérite d’histoire des relations internationales à l’université de Paris-Sorbonne, membre de l’Académie des Sciences morales et politiques, Georges-Henri Soutou a à son actif une œuvre considérable sur l’histoire de l’Europe et du système international européen pendant la première guerre mondiale, l’entre-deux-guerres et la Guerre froide. Cet ouvrage, qui étudie la période allant des années 1930 aux lendemains de la deuxième guerre mondiale, tout en se concentrant largement sur cette dernière, vient combler une lacune historiographique. S’il existe en effet des études sur les politiques d’occupation de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste qui en analysent la dimension programmatique pour l’après-guerre, si la réception en France de l’ « Europe nouvelle » de Hitler a suscité un certain intérêt1, si, ainsi que le souligne Georges-Henri Soutou, les historiographies allemande et anglo-saxonne sont plus riches sur ces points, peu d’ouvrages ont embrassé aussi largement la question de la réorganisation de l’Europe selon un ordre nouveau totalitaire. Car, et c’est là l’utile rappel liminaire de l’ouvrage, l’Axe eut bien une politique européenne, certes soumise à des intérêts particuliers, fondée sur le préalable de la domination, matrice des pires violences, mais bien réelle. L’originalité de l’étude tient à ce qu’elle met en regard les projets nazis comme les projets fascistes italiens, ce qui n’est pas commun malgré le renouvellement global du champ2. L’objet de l’étude ne se limite pas non plus aux relations bilatérales entre l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste mais examine la dialectique qui s’instaura entre elles d’une part, entre elles et entre les autres États du continent d’autre part, à propos des projets européens. Le titreEuropa ! reflète ainsi bien l’injonction, prégnante dans les années 1930 et 1940, à réaliser l’union géopolitique et économique du continent et à l’accompagner d’un projet social et culturel corporatiste. L’ampleur même de ces projets explique que l’ouvrage aborde aussi bien les aspects politiques, diplomatiques, militaires, qu’économiques, sociaux et intellectuels.

2L’étude repose sur une parfaite maîtrise bibliographique qui est manifeste aussi bien dans la bibliographie succincte proposée à la fin de l’ouvrage que dans les notes, nombreuses et précises. Elle s’appuie également sur la consultation de nombreuses sources imprimées et sur une connaissance intime des archives françaises et allemandes, aussi bien des archives diplomatiques que des archives privées et des archives publiques nazies qui permettent de documenter la position des différents cercles du régime hitlérien. Cet ouvrage est donc le résultat des travaux de longue haleine mûris par l’auteur tout au long de plusieurs années et bénéficie de sa connaissance approfondie des cercles et des processus de décision au sein des régimes considérés. Cette qualité scientifique n’est cependant pas exclusive de l’accessibilité : Georges-Henri Soutou offre un récit enlevé, soucieux d’éclairer les conceptions des acteurs, qui se lit avec plaisir et ne s’adresse pas qu’aux spécialistes.

3Le plan de l’ouvrage se déroule de manière chronologique, non sans quelques allers-retours qui rendent parfois difficile la compréhension des tournants majeurs. Cette complexité est cependant liée à la subtilité des questions abordées et à un souci permanent de la nuance et de la contextualisation. Les trois premiers chapitres examinent les conceptions qui avaient cours en Italie, plus précocement sensible au thème européen, et en Allemagne avant 1940. Ils mettent en valeur leur aspect antidémocratique, antisémite, impérialiste tout en soulignant à quel point elles étaient alors répandues dans toute l’Europe. Des passages essentiels sont consacrés aux projets euro-méditerranéen et eurafricain et à leur dimension géostratégique, comme à laMitteleuropa et à la terminologie nazie : Georges-Henri Soutou souligne ainsi l’importance du terme deGrossraum (grand espace) par rapport à celui deLebensraum (espace vital). Le premier, doté d’aspects économiques, mais aussi politiques et juridiques, occupait une place importante dans la réflexion de plusieurs représentants et intellectuels du régime nazi. C’est pourquoi l’auteur a soin de revenir aux textes fondamentaux, que ce soient ceux de Hitler, de Carl Schmitt ou de la revue fascisteCritica fascista, aussi bien que de confronter les idées aux décisions prises, ce qui démontre une fois de plus la complexité maintes fois constatée de la politique hitlérienne et de la politique fasciste.

4Les onze chapitres suivants traitent la période 1940-1944 sans se limiter aux points de vue allemand et italien mais en intégrant l’évolution des milieux collaborationnistes de Vichy, la place accordée au Royaume-Uni dans ces projets, celle des pays occupés en Europe occidentale. L’étude articule les directions stratégiques méditerranéennes, abandonnées dans un premier temps à l’Italie, et européennes dans un projet euro-méditerranéen initial qui séduisit largement les élites collaboratrices avant d’être compromis par les défaites de l’Axe en Afrique du Nord. L’auteur montre ainsi que, en Allemagne et en Italie même, le thème européen ne fut pas seulement instrumental au sens où il n’aurait été utilisé que pour masquer la domination de l’Axe d’une rhétorique plus ou moins creuse : le polycentrisme systématique du IIIe Reich permit notamment de combiner occupation militaire et perspectives politiques. Très attentif à la chronologie, l’auteur étudie la transformation progressive, entre 1940 et l’été 1942, du thème européen : les besoins de la guerre qui se prolongeait impliquaient en effet de passer d’une Europe dominée et organisée autour de l’Allemagne à une Europe proprement nazie et largement germanisée, ce qui condamna à l’échec le projet continental de l’Axe, y compris dans plusieurs milieux politiques et industriels italiens qui l’avaient jusque-là soutenu. Les configurations restaient cependant complexes, ainsi que le montrent les conséquences de l’opération Barbarossa. La réinterprétation de cet événement au prisme des projets européens montre comment il marginalisa le projet deGrossraum et inquiéta les fascistes italiens tout en arrimant plus solidement Vichy, où Europe et antibolchevisme étaient étroitement liés, à l’Allemagne nazie. À plusieurs reprises, le thème européen fut relancé, à l’automne 1941, au printemps 1943, pas seulement en Allemagne et en Italie, mais aussi dans des pays occupés comme la France ou la Grèce : l’idée d’une Europe qui serait certes dirigée depuis Berlin mais réellement structurée, avec des avantages réciproques, venait en contrepoint d’un Reich « grand-germanique » dominant l’Europe sans partage. Georges-Henri Soutou montre bien comment, sur ce point, une rivalité feutrée s’exprima entre la SS et l’Auswärtiges Amt, d’où émana en mars 1943 le projet d’une confédération européenne fondée sur une union économique destinée à assurer l’indépendance du continent face à l’URSS ou aux États-Unis. Contre la thèse d’un thème européen utilisé de manière utilitariste, l’auteur estime que, à partir de 1943, le thème européen se maintint malgré la radicalisation liée à la conduite de la guerre à l’Est, à la chute du fascisme italien et à l’instauration de la République de Salò, à la montée en puissance de Darnand et de la Milice à Vichy. Ce maintien montre l’importance véritable qui lui était accordée au sein des cercles dirigeants nazis et fascistes.

5Au sein de ce plan globalement chronologique s’insèrent plusieurs chapitres qui mettent l’accent sur les structures mentales de la « nouvelle Europe », l’organisation du grand espace économique européen, les projets de législation corporatiste et sociale et montrent la consistance de ces projets véritablement organiques dans une Europe qui devait préalablement être organisée selon les critères raciaux et politiques des régimes totalitaires. Les chapitres consacrés aux aspects économiques soulignent à quel point Allemagne nazie et Italie fasciste n’envisageaient pas leur économie dans les limites d’une autarcie nationale mais à une échelle européenne, éventuellement eurafricaine, avec une connotation hostile au libéralisme et à la mondialisation. Dans ce cadre eurent lieu des débats sur une union monétaire, ou au contraire sur des intégrations sectorielles, précisément exposés dans l’ouvrage. Le fait que la guerre conduisit à la mise en place d’une économie de prédation n’empêcha pas la coexistence, en 1943-1944, de discours idéologiques totalitaires et de plans économiques où une communauté européenne assurerait la reconstruction grâce à l’économie dirigée : derrière ces plans se retrouve l’action de l’Auswärtiges Amtet du ministère de l’Économie ainsi que celle d’hommes comme le futur chancelier ouest-allemand Ludwig Erhard. Enfin, un dernier chapitre, que l’auteur prend soin de ne pas intituler « Épilogue », mais bien « Fin et rémanence de l’Europe de l’Axe », identifie, au-delà de la rupture démocratique essentielle de 1945, la continuité d’un certain nombre de débats formulés pendant la guerre dans le sillage des projets nazis et fascistes, ainsi que de représentations du monde qui mettaient l’accent sur l’Eurafrique entre le monde anglo-saxon et l’univers soviétique.

6Au total, l’ouvrage a l’immense mérite de mettre en œuvre cette leçon méthodologique essentielle selon laquelle, si l’histoire compte des ruptures, elle n’insère pas de parenthèse : il ancre l’histoire de la construction européenne dans le temps long duxxe siècle et contribue à éclairer les choix que forgèrent les débats, les contradictions et les horreurs de la deuxième guerre mondiale.

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Notes

1  Voir notamment Davide Rodogno,Il nuovo ordine mediterraneo : le politiche di occupazione dell’Italia fascista in Europa (1940-1943), Turin, Bollati Boringhieri, 2003 ; Bernard Bruneteau,L’ « Europe nouvelle » de Hitler : une illusion des intellectuels de la France de Vichy, Monaco, Éditions du Rocher, 2003.

2  Raimund Bauer,The Construction of a National Socialist Europe during the Second World War : How the New Order Took Shape, Londres, Routledge, 2020.

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Pour citer cet article

Référence papier

Anne-SophieNardelli-Malgrand,« Georges-Henri Soutou,Europa ! Les projets européens de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste, Paris, Tallandier, 2021, 540 p. »Cahiers de la Méditerranée, 106 | 2023, 283-286.

Référence électronique

Anne-SophieNardelli-Malgrand,« Georges-Henri Soutou,Europa ! Les projets européens de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste, Paris, Tallandier, 2021, 540 p. »Cahiers de la Méditerranée [En ligne], 106 | 2023, mis en ligne le01 décembre 2023, consulté le01 avril 2025.URL : http://journals.openedition.org/cdlm/17313 ;DOI : https://doi.org/10.4000/cdlm.17313

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Auteur

Anne-SophieNardelli-Malgrand

Université Savoie Mont-Blanc
Laboratoire LLSETI

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CC-BY-NC-ND-4.0

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