AccueilNuméros174Parcours politiques des objetsLa très petite image de Notre-Dam...
Au Liban et en Syrie, deux espaces politiques étroitement liés en raison de leur histoire et de leur configuration communautaire, un réseau de mystiques chrétiennes s’est constitué depuis le début des années 1980. Ces femmes, qui officient dans leur appartement ou maison particulière, ne se fréquentent pas ou très rarement. Elles sont néanmoins liées entre elles par Notre-Dame de Soufanieh, une « icône » miraculeuse dont la reproduction se retrouve chez chacune d’entre elles. L’histoire de cette image commence à Damas en novembre 1982, quelques mois après l’insurrection de Hama, dans un contexte d’extrême violence. S’intéresser à sa biographie, à sa matérialité et à son parcours politique apporte un éclairage sur les modalités de présentification de « la Vierge » qui, ici, exprime et provoque – par un déplacement ténu inattendu – un désordre critique.
In Lebanon and Syria, two political spaces linked by a common history and a similar confessional configuration, a network of Christian female mystics has been forming since the early 1980s. They build their holy gests in their private houses and don’t meet each other. However, each of them has a replica of the miraculous icon of Our Mother of Soufanieh. Therefore, this icon makes a link between them. The story of this image starts in Damascus, in November 1982, few months after the Hama insurrection, in a context of extreme violence. Exploring its biography, materiality and political career highlights how “the Virgin”is “presentified” and how “she” expresses and induces – through tenuous and unexpected movement – critical disorder.
En el Líbano y en Siria, dos espacios políticos estrechamente ligados por su historia y su configuración comunitaria, se constituyó una red de místicas cristianas desde principios de los años 1980. Estas mujeres, que ofician en sus departamentos o casas particulares, no se frecuentan, o lo hacen muy rara vez. Ellas están sin embargo ligadas entre sí por Nuestra Señora de Soufanieh, un “ícono” milagroso cuya reproducción se encuentra en la casa de cada una de ellas. La historia de esta imagen comienza en Damasco en noviembre de 1982, algunos meses después de la insurrección de Hama, en un contexto de extrema violencia. Interesarse por su biografía, por su materialidad y por su recorrido político contribuye a comprender las modalidades de presentificación de “la Virgen” que, aquí, expresa y provoca –por un desplazamiento inesperado– un desorden crítico.
1Au Liban, la plupart des églises maronites restaurées sont « vidées » de leurs représentations saintes. Cette tendance s’observe depuis la promulgation en 1990 par le Vatican du Code des canons des Églises orientales et la mise en place d’une politique de purification de la liturgie et des lieux de culte de leurs composantes latines. La tendance est aujourd’hui aux pierres apparentes et à la sobriété. L’objectif est à la fois de retrouver l’atmosphère des églises des premiers chrétiens et de valoriser le patrimoine maronite longtemps délaissé au profit d’une latinisation de la vie religieuse. Sont tout particulièrement disqualifiées les statues polychromes, perçues comme des éléments exogènes à la culture locale importés d’Occident1.
2Ce dénuement contraste de façon saisissante avec l’abondance des images – statues, photos, icônes – qui se bousculent dans le petit appartement d’une mystique de Beyrouth appelée Catherine Fahmi. Dans cet espace transformé en « église de maison2 », chaque meuble, chaque recoin sert de support à des objets religieux, une société de plâtre et de papier qui forme un réseau de lieux et d’événements extrêmement dense. Medjugorje ; le Honduras ; l’Afrique ; l’Italie ; la France, etc. à chacun des saints présents sont attachés un lieu et un récit.
3Un sanctuaire domestique (photo 1) est aménagé dans un angle du salon. Situé face à la porte d’entrée, il constitue le point d’attraction vers lequel l’essentiel de l’activité rituelle est orienté. Le visiteur qui le découvre pour la première fois est d’emblée saisi par le foisonnement des objets qui s’y accumulent. Des statues, des portraits de saints encadrés et de modestes images pieuses se serrent sur une structure pyramidale à trois niveaux au sommet de laquelle trône une réplique réduite de la grotte de Lourdes (photo 2). Face à cette profusion de formes et de couleurs, le regard tout d’abord tâtonne et hésite. Il finit par distinguer deux catégories d’images : alors que certaines, les plus nombreuses, sont recouvertes d’une substance noirâtre et poisseuse, d’autres ne présentent aucune tache ni souillure. Des liserés de coton blanc sont soigneusement disposés à la base des premières pour récolter « l’huile du Ciel », le liquide visqueux qui en exsude. À l’intérieur de la grotte qui, située à hauteur du regard, constitue l’aboutissement de son cheminement, les objets forment un magma gluant et indistinct recouvert d’une épaisse couche de suie noire. On discerne difficilement un ensemble de statuettes figurant la Sainte Famille et un fragment d’écorce de cèdre sur lequel se devine la silhouette de Charbel, le grand saint maronite canonisé en 1977. Pour voir ce qui se trouve en arrière-plan, le flash d’un appareil photo est nécessaire : on découvre alors, côte à côte un autre « saint Charbel » et surtout « Notre-Dame de Soufanieh », celle qui est fréquemment appelée : « la source de l’huile sainte ». Cette dernière image joue un rôle essentiel dans le réseau des mystiques chrétiennes du Liban et de Syrie. Elle se trouve en effet dans le salon de chacune d’elles, occupant toujours une place centrale ; par sa présence démultipliée, elle établit un lien tangible entre ces femmes qui, par ailleurs, ne se fréquentent pas. Mais alors, comment comprendre sa situation paradoxale chez Catherine, à la fois centre vers lequel les regards convergent et invisible ?
Photos 1 et 2. Dans la maison de Catherine, le sanctuaire domestique ; la grotte de Lourdes
© Emma Aubin-Boltanski
4L’histoire de Notre-Dame de Soufanieh (photo 3) commence ailleurs, à 90 km de Beyrouth, dans un quartier de la périphérie de Damas. Nous sommes le 27 novembre 1982, chez les Nazzour, un jeune couple mixte, Mirna est grecque catholique et Nicolas « roum3 ». Mirna révèle qu’une « icône de la Vierge » se trouvant chez elle « laisse couler de l’huile » et qu’un liquide similaire exsude de ses propres mains. La rumeur du miracle se diffuse en quelques heures. Dès le lendemain, une foule d’hommes et de femmes se presse dans sa maison pour « visiter la grâce4 ».
5Au Proche-Orient, des « phénomènes » – ce terme générique désigne sans préjuger ce qui semble sortir de l’ordinaire et pourra, le cas échéant, être qualifié de « miracle » ou d’« apparition » – surviennent régulièrement. Leurs récits circulent dans les paroisses et les salons. Ils sont parfois l’objet d’entrefilets dans la presse locale. Rares sont ceux, cependant, qui connaissent le retentissement, celui de Soufanieh. De même, les femmes qui prétendent voir, entendre et être « visitées » par la Vierge ou d’autres saints sont relativement nombreuses. Taxées de folie, de supercherie ou, pire, de satanisme, la plupart finissent par se taire. Mirna, elle, non seulement continua à parler, mais finit par s’imposer comme l’une des porte-parole privilégiés de la Vierge et du Christ. Aujourd’hui, plusieurs ouvrages traduits en différentes langues lui sont consacrés5. Une « success story » qui doit beaucoup au contexte politique du déclenchement de « l’affaire Soufanieh ».
6Rappelons, pour commencer, qu’en Syrie, où les sunnites sont largement majoritaires (71 %), les chrétiens constituent environ 6 % de la population et sont divisés en onze Églises arabes et non arabes. Parmi celles-ci, l’Église grecque orthodoxe est de loin la plus importante, – approximativement 500 000 individus –, alors que la seconde, l’Église grecque catholique, en compte 110 000. Depuis le coup d’État de Hafez al-Assad en 1970, la communauté alaouite domine le jeu politique. Fortement minoritaire, son pouvoir s’appuie jusqu’au déclenchement de la révolution en 2011 sur un système d’alliances dans lequel les Églises jouent un rôle non négligeable, en particulier, l’Église grecque orthodoxe. Il faut se garder d’un discours globalisant faisant des chrétiens de simples affidés du pouvoir6. Cependant, il est indéniable que le régime alaouite a su au fil des ans s’allier non seulement les clergés, mais une grande majorité de la population chrétienne. Dans cette stratégie d’alliance aux multiples facettes, bien que prétendument laïc, il s’est non seulement imposé comme « protecteur de la minorité chrétienne » face à la majorité sunnite, mais a fait en sorte que les chrétiens prennent en charge un discours identitaire qui tout en étant arc-bouté sur les thèmes de « l’arabité » et de la « syrianité » est ouvertement hostile aux « musulmans ». L’idée selon laquelle sans le régime d’al-Assad, les chrétiens seraient « mangés sans sel » (Poujeau, 2014 : 60) est articulée à une fiction sur l’autochtonie et l’antériorité chrétiennes en Syrie face à des musulmans réduits à des « envahisseurs étrangers » ou pire à des « renégats » convertis à l’islam (ibid. : 62). Ce discours, explique Anna Poujeau, est le plus souvent partagé dans l’« entre-soi » de cercles privés, « à l’abri des oreilles indiscrètes » (ibid. : 60). Cependant, il est parfois repris publiquement par des prélats, sans que le régime y trouve à redire. Ainsi, en 1984, le patriarche grec orthodoxe d’Antioche et de tout l’Orient, Ignace IV Hazim pouvait-il déclarer au journalal-Jumhûriyyaque « les musulmans sont des invités, pour nous les chrétiens » (ibid. : 63-64).
7En novembre 1982, lorsque Mirna rendit public « le phénomène », la Syrie sortait à peine d’une période de grande tension politique. Neuf mois plus tôt, dans une violence extrême, le régime baasiste avait mis un terme à l’insurrection islamiste commencée en 1976. Épicentre du soulèvement, Hama, la quatrième ville du pays, fut en grande partie détruite par des bombardements intensifs, puis assiégée et affamée, avant d’être complètement reprise en main par les Unités spéciales de l’armée. On estime le nombre de victimes « hamawi » à 30 000 personnes, parmi lesquelles une grande majorité de sunnites et également, fait moins connu, de nombreux chrétiens7. Lors du pilonnage de la vieille ville, des églises furent détruites. Dans les quartiers chrétiens de Damas – Bab Touma, Bab Sharqi et Soufanieh – l’ampleur de la répression suscita un grand émoi et quelques protestations immédiatement tues : une chape de plomb s’était abattue sur la société syrienne entièrement contrôlée, verrouillée par une « entreprise de domestication » (Majed, 2014) qui se traduisit notamment par le renforcement d’un réseau très dense demukhabarat (hommes des services de renseignement). Un mot ou un geste déplacé provoquait immédiatement une intervention musclée, voire violente de leur part. Pendant trente années, la tragédie de Hama continua d’agir comme le spectre d’un traumatisme passé sous silence, mais indélébile, muselant les voix dissidentes8.
8Le début des années 1980 vit la naissance du « renouveau monastique » en Syrie. Ce mouvement d’envergure se traduisit par la rénovation, l’agrandissement et la construction d’une vingtaine de monastères par les Églises grecque orthodoxe, grecque catholique, syriaque orthodoxe et syriaque catholique. L’érection de ces bâtiments qui, disséminés dans tout le territoire, sont parfois immenses et attirent un nombre important de visiteurs, constituait « un moyen consensuel – conforme à ceux qu’utilis(ait) le pouvoir syrien dans son projet de construction nationale – pour les quatre Églises bâtisseuses de se doter d’une visibilité réelle et symbolique » (Poujeau, 2014 : 80). Dans le même temps, le Renouveau contribua à l’intensification d’une polarisation du champ religieux chrétien syrien entre deux « pouvoirs » qui parfois entrent en tension : celui des hiérarchies ecclésiales d’une part, et celui des communautés monastiques d’autre part (ibid.).
9C’est dans ce contexte que « la Vierge » entra en scène sous une forme jusque-là inédite, provoquant et exprimant, à sa façon, – par un déplacement ténu et inattendu –, undésordrecritique.Par désordre critique nous entendons une confusion, un vacillement qui constitue, en soi et par son surgissement même, une remise en cause des ordres établis : d’une part, l’ordre politique, ici absolu et implacable et, d’autre part, l’ordre religieux divisé vis-à-vis duquel une troisième voie d’accès au divin était proposée. À distance du monastère de Saidnaya, centre de pèlerinage marial important, institué autour de la célèbre Shaghoura9, « la Vierge » apparut dans un lieu inattendu : une image de rien se trouvant dans une maison ordinaire. Insaisissable, « elle » se dissémina et ouvrit la voie à des formes de contre-conduites – consistant notamment à rendre apparent le martyre et la souffrance subis, et à susciter des rassemblements importants – qui contrevinrent à la discipline imposée par un régime de terreur.
10La scène qui, au départ, ne comprend qu’un petit cercle de proches – Mirna, son mari Nicolas, sa sœur, sa mère et une voisine musulmane –, s’élargit rapidement pour inclure des fidèles de différentes religions, des prêtres, des agents de l’État, des journalistes et un philosophe marxiste. Le « phénomène » Soufanieh devint une « affaire » au sens sociologique du terme : il suscita des débats, des commentaires contradictoires impliquant des Églises, l’État et des médias. De ce fait, divers matériaux – chroniques et articles de journaux – permettent de le documenter. Mon étude s’appuiera d’une part, sur des enquêtes ethnographiques réalisées à Damas en mai 2007 et en avril 2009 et, d’autre part, sur la chronique des événements de Soufanieh établie par Élias Zahlaoui (1991), un prêtre grec catholique qui suivit l’affaire de bout en bout, ainsi que sur un long article écrit par Antoine Maqdisi (1991), un philosophe marxiste influent. Loin d’être des observateurs neutres, ces deux protagonistes s’imposèrent comme les médiateurs ou traducteurs du message de Soufanieh, contribuant à sa mise en forme intelligible, puis à sa large circulation.
11« Pour la première fois dans l’histoire, la Vierge parle l’arabe » répète volontiers le père Zahlaoui. À partir de décembre 1982, la mère de Dieu et Jésus apparurent régulièrement à Mirna et, selon un processus déjà observé à maintes reprises10, « lui parlèrent dans sa langue ». Les messages délivrés entre 1982 et 2014 sont au nombre de trente-cinq. Leur teneur principale est un appel à fonder l’union des chrétiens d’Orient dans des foyers et non pas dans des églises11. Ils contiennent, en outre, une violente charge à l’encontre des Églises divisées et éclatées12. À partir de ces messages, Zahlaoui et Maqdisi façonnèrent une Vierge « arabophone, révolutionnaire et unificatrice ». En s’érigeant en avocats de Mirna (une femme et une laïque, rappelons-le), ils contribuèrent à ouvrir une brèche dans l’ordre religieux établi qui, nous le disions, s’organise entre onze Églises différentes et, au sein des plus importantes d’entre elles, entre deux pouvoirs parfois en tension, celui des prélats et celui des communautés monastiques. Une autre voie semblait donc voir le jour, tracée par une mystique et « une Vierge » à la forme jusque-là inédite.
12Lorsqu’on interroge Mirna sur ses origines, elle répond invariablement la même chose : « Mon père s’appelle Jean, ma mère Noha. Ma mère est orthodoxe, mon père catholique. Mon père est originaire de Homs, ma mère de Hama. » Parfois elle ajoute, avec un sourire gêné, comme pour clore le sujet, qu’elle « ne connaît rien à la géographie ». Précisons également que si elle est prolixe sur sa branche familiale venue de Homs, de ses grands-parents maternels, Bahjat et Adèle, elle ne dit mot et, bien sûr, n’évoque jamais la répression de février 1982.
13En revanche, celle qui est aujourd’hui appelée « l’icône de Notre-Dame de Soufanieh » exprime l’ineffable par sa matérialité même. Pour comprendre comment cet objet « parle », procédons par étapes. Commençons par rappeler qu’une icône au sens strict est une image sainte faite selon des règles et composée selon les canons de l’art chrétien d’Orient (Boespflug, 2008 : 100). Considérée comme l’instrument de l’activité de Dieu, rien n’est laissé au hasard lors de son exécution. De l’assemblage du châssis à la composition des pigments en passant par les choix des couleurs et des thèmes, chaque étape est fixée par des traités et des guides (Belting, 1990 et Velmans, 2013). Inscrites dans la continuité d’une longue chaîne de « reproduction », les icônes dites « vraies » ne laissent que très peu de place à la créativité et donc à l’inattendu : elles se conforment à des normes et répètent des types iconographiques (ibid.). Considérées comme des présences sacrées puissantes et agissantes, il n’est en aucun cas exceptionnel qu’un culte se développe autour d’elles ; « qu’on les vénère jusqu’à leur prêter une vie, en se persuadant qu’elles entendent quand on leur parle, répondent si on les interroge [...], souffrent si on pèche, saignent si on les maltraite » (Boespflug, 2008 : 100).
14Enchâssée dans un reliquaire en argent ouvragé, Notre-Dame de Soufanieh trône dans le patio de la maison de Mirna. Vers elle, convergent quotidiennement des fidèles de religion, de confession et de nationalité différentes. Pour la voir, il faut s’approcher au plus près de la vitre du précieux coffret. On est alors stupéfait de découvrir une image de la Vierge à l’Enfant, de petite dimension (8 cm sur 6) cornée, froissée et en partie effacée disposée dans un cadre en plastique lui-même jauni et abîmé. Notre-Dame de Soufanieh est plus proche de la relique vénérée que de l’icône orthodoxe (photo 4).
15Saisie par l’intrigue que représente cette icône-relique inattendue, j’ai tenté de repérer quelques-unes des épreuves par lesquelles elle était passée. Je me suis intéressée à la matière qui la constitue et à la façon singulière qu’elle a de s’imposer comme un « corps d’expérience » susceptible d’être impliqué dans la dynamique des rapports sociaux et d’être marqué par eux13.
16La Vierge tend à occuper une place qui ne cesse de croître dans le panthéon chrétien. Cette figure surprend par sa capacité à évoluer à travers les âges, l’extraordinaire attachement qu’elle suscite et sa capacité à absorber et à cristalliser les espérances14. Elle doit son amplitude à l’histoire particulière de sa confection (Claverie, 2008 et Jane Boss, 2007) ; un long processus au cours duquel furent articulés dans une même personne individuée « l’intime et le politique, le privé et le public, les questions de génération (places et affiliations) et celles du salut renégocié » (Claverie, 2008 : 268) ; un long processus au cours duquel des théologiens s’attachèrent à fixer et à limiter ses qualités et attributs. « C’est qu’il y avait un blanc à remplir » (ibid. : 270). En effet, non seulement le Nouveau Testament se montre peu prolixe sur la Mère de Jésus, mais le lien de filiation Vierge – Jésus/Christ/Fils de Dieu qu’il esquisse, nécessita un travail d’ajustement et d’explicitation sur le personnage et son corps qui se poursuit toujours. Aujourd’hui, c’est la tentative d’installer une Mariecorédemptrice qui, malgré les résistances de certains clercs et théologiens, fait son chemin dans l’imaginaire catholique. Les apparitions de Medjugorje (ibid.), comme les visions d’Ida Peederman (Margry, 2009) aux Pays-Bas ou encore les rituels qui se sont mis en place autour des expériences mystiques de Catherine Fahmi (Aubin-Boltanski, 2014) et de Mirna Nazzour modèlent lentement mais sûrement cette nouvelle facette du personnage.
17Sévère et guerrière, à Béchouate ; mièvre et souffreteuse, à Rmeich ; énigmatique à Soufanieh : au Proche-Orient, comme ailleurs, « Marie » se présente sous diverses formes « individuées » (Albert-Llorca, 1994) que nous désignons par l’expression « Notre-Dame », réservant le vocable « Vierge » au prototype unique auquel chacune renvoie. Ces « Notre-Dame » constituent un réseau dans la double acception du terme : conçu d’une part, comme un ensemble d’éléments matériels (statues, icônes, images, sanctuaires, etc.), d’énoncés (Évangiles, apocryphes, Coran, hadiths, exégèses, hymnes, prières, etc.) et d’événements (apparitions de Lourdes 1858, de Pontmain 1871, de Béchouate 2004, de Rmeich 1983, de Soufanieh 1982, etc.) reliés plus ou moins étroitement entre eux, et, d’autre part, comme « cours d’action » et « mouvement ». Elles sont ce par quoi l’entité « Vierge » existe et agit, chacune constituant une « passe » définie comme « une épreuve qui obtient la continuité d’une trajectoire par la discontinuité d’un hiatus » (Latour, 2012). La théorie latourienne de l’acteur-réseau ainsi appliquée à notre sujet rejoint celle de « l’objet disséminé » d’Alfred Gell (2009). « La Vierge » peut, en effet, être conçue comme un bloc spatio-temporel auquel il est possible d’accéder par l’intermédiaire de « Notre-Dames » qui, ensemble, forment un réseau d’événements biographiques et d’objets matériels dispersés. À l’instar des œuvres d’art étudiées par Gell, elles sont des moments d’une série qui entrent dans une véritable lignée : prises individuellement, chacune est l’ancêtre et la descendante d’une autre ; prises ensemble, elles participent à l’agentivité sociale de la Vierge en composant un seul être, un être temporel, qui évolue dans le temps.
18C’est donc en tant que « passe » et comme « moment » dans une lignée que Notre-Dame de Soufanieh doit être saisie. Prêtons-nous à l’exercice en tentant de retracer sa trajectoire ou tout au moins la chaîne de référence dans laquelle elle s’inscrit. Avant de s’autonomiser et de devenir une « icône miraculeuse », il ne s’agissaitqued’une modeste copie intrinsèquement liée à la célèbre icône de Notre-Dame de Kazan, une somptueuse Hodegetria ou « Mère de Dieu qui montre la voie » (photo 5).
19Une légende, dont les origines restent obscures (Belting, 1990 : 84-86 ; Velmans, 2013 : 16), attribue la composition de la première et authentique Hodegetria à saint Luc devant lequel Marie aurait posé de son vivant. Toujours selon ce récit, l’icône approuvée et bénie par la Vierge (ibid.) fut retrouvée à Jérusalem et donnée vers 450 à l’impératrice Pulchérie. La recevant, cette dernière « fit vœu de chasteté » (Treadgold, 1997) et l’installa à Constantinople dans le monastère de la Panaghia Hodegetria spécialement édifié pour elle. Considérée comme une « relique venue de Jérusalem » (Lidov, 2004), elle acquit la réputation de guérir les aveugles et devint le palladium de l’Empire byzantin. Lors du siège des Arabes en 717-718, elle fut conduite en procession jusqu’au rempart de la ville (Bakalova et Petkovic, 2009 : 180) et comme la retraite des troupes du calife Omar coïncida avec la fête de la Dormition, la victoire contre les musulmans lui fut attribuée.
20Sous la forme d’une Vierge à mi-buste désignant l’Enfant faisant le geste de la bénédiction, l’Hodegetria est devenue l’un des « types iconographiques » les plus répandus en Orient et en Occident15. Au fil des siècles, plusieurs villes, églises et monastères revendiquèrent la détention de la « véritable icône » peinte par saint Luc. Toutes furent l’objet de légendes relatant leur apparition, leur voyage miraculeux de Constantinople et, pour celles qui élurent domicile dans l’Empire russe, leur rôle de défenseurs indéfectibles contre les envahisseurs étrangers.
21L’une d’elles doit être plus longuement mentionnée. Il s’agit de la « Shaghoura », la mystérieuse icône « incarnée » qui se trouve à Saidnaya, un monastère grec orthodoxe situé à 35 km au nord-est de Damas. Mystérieuse car bien qu’elle ait fait couler beaucoup d’encre, notamment en Occident, à la fin du Moyen Âge (Sansterre, 2010 ; Bacci, 2006 ; Weyl-Carr, 2002), personne ne semble l’avoir jamais vue si ce n’est sous la forme de traces de « couleurs » (Bacci, 2006 : 7). « Incarnée » car la légende raconte que rapportée de Jérusalem auviiie siècle par un moine grec, elle n’était pas peinte, mais de « chair ». De ses seins exsudait une huile miraculeuse : « Dieu, voulant quel’ymage sa douce mere fût en plus grande autorité et vénération, la revêtitcom d’incarnation et lui fit naître deus mamelets d’où coula le liquide miraculeux » relate Gautier de Coinci, un moine bénédictin (1178-1236) (Sansterre, 2010). Non seulement la Shaghoura protégea le monastère des musulmans, mais leur dispensant de nombreuses « grâces », elle « les soumit à sa dévotion » (Weyl-Carr, 2002 ; Bacci, 2006). Jusque récemment, l’icône, toujours invisible, protégée par une grille à l’instar d’une relique et recouverte de tissus, de porte-bougies et d’ex-votos, restait le centre d’un culte interreligieux important (Poujeau, 2014). Des pèlerins chrétiens et musulmans venaient quotidiennement prier dans la petite pièce circulaire et sombre où elle était censée se trouver. Depuis le déclenchement de la guerre et la destruction partielle du monastère de Saidnaya, nul ne sait ce qu’elle est devenue.
Photo 6. Icône de Notre-Dame de Kazan, musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg, Russie,
source : in.pinterest.com
22Notre-Dame de Kazan (photo 6) fait partie des « Mères de Dieu montrant la voie » que les peintres d’icônes russes produisirent en grand nombre à partir duxve siècle. Cependant, elle se distingue du canon iconographique par le jeu de mains des personnages. Portant également le titre de « La porte du Ciel » (Tradigo, 2005 : 169), l’Hodegetria donne à voir une Vierge d’Intercession qui invite du regard le spectateur à lui adresser une prière qu’elle se charge de transmettre à Jésus. Cette lecture est signifiée par la position des mains : au centre du tableau, la main droite de Marie, aux doigts démesurément longs, désigne Jésus alors que ce dernier donne sa bénédiction d’une main et enserre le rouleau des Écritures dans l’autre (Pentcheva, 2006 : 111-112). Notre-Dame de Kazan, quant à elle, « n’a qu’une seule main » située au cœur de l’icône : celle du Christ bénissant, l’index et le majeur dressés, tandis que le rôle de médiation de Marie est signifié par son regard et l’inclinaison de son visage vers l’Enfant. Notre-Dame de Kazan n’est donc pas une simple réplique : elle se singularise par ce « hiatus » formel dans le réseau figuratif des Hodegetria. Selon un processus similaire, la narration qui lui est attachée constitue une « redite altérée » de la légende concernant l’icône de saint Luc découverte à Jérusalem. On y retrouve les topos du récit d’une image « non faite de main d’homme » (acheiropoïète) : « l’apparition » ; une femme visionnaire « découvrant » l’objet « caché », les miracles, la consécration et la révérence des puissants ; la transformation en « emblème » et en « bannière » d’un territoire politique et de la chrétienté menacée par l’islam. Dans le même temps ces différents éléments s’emboîtent pour raconter une autre histoire : la geste sainte d’une icône étroitement liée à la fondation de l’Empire russe et à deux figures emblématiques : Yvan le Terrible (1547-1584) et Catherine II de Russie (1729-1796).
23Une « biographie » précise et circonstanciée de l’icône de Kazan reste à faire. Des éléments épars et parfois contradictoires peuvent être glanés ici ou là dans des catalogues et des guides d’arts ou encore sur des sites internet dédiés à la religion et à la spiritualité orthodoxes ou aux apparitions mariales. On peut ainsi distinguer une légende « orthodoxe » et une légende « catholique » qui ne se recouvrent pas complètement, notamment sur les péripéties de l’icône auxxe siècle, pendant la période soviétique16. Dans le synaxaire de l’Église russe orthodoxe, Notre-Dame de Kazan est célébrée le 8 juillet et le 22 octobre de chaque année. Ces dates correspondent à l’anniversaire de deux événements auxquels se résument les récits légendaires la concernant. Reprenons celui que propose Mère Sofia, auteur d’un ouvrage surLes fêtes et les icônes de la mère de Dieu dans l’Église russe(1990 : 322-329)17. 8 juillet 1579 : à cette date, le Tsar Yvan le Terrible est toujours sur le trône, mais son pouvoir s’est étiolé. Les Tatares menacent de reprendre les territoires conquis de haute lutte au début de son règne, parmi lesquels se trouve Kazan annexée à la Russie en 1552 et majoritairement peuplée de musulmans. Dans ce contexte mouvementé, une jeune fille appelée Matrona Onoutdina voit en songe la mère de Dieu qui lui indique où se trouve « son » icône « probablement enfouie en terre à l’époque de la domination tatare [...] lorsque les orthodoxes étaient souvent contraints de cacher leur foi » précise mère Sofia (ibid. : 325-326). Aidée par sa mère, Matrona creuse la terre et découvre l’image « à un endroit où il y avait eu précédemment un feu » (ibid. : 324). L’icône enveloppée dans un drap ancien rouge cerise « resplendissait d’une lumière merveilleuse » (ibid.). Des prodiges s’ensuivent : deux aveugles recouvrent la vue « en signe de la protection de la Mère de Dieu pour éclairer les musulmans à la foi orthodoxe » (ibid. : 325). Le Tsar apprenant la nouvelle, ordonne le transport de l’icône à Moscou. Frappé par sa « grandeur spirituelle », il ordonne l’érection d’une église à l’endroit où elle fut découverte et la construction d’un couvent de jeunes filles dont Matrona devient l’higoumène. Puis il renvoie l’icône « richement ornée » à Kazan. Grâce aux dons du souverain, elle est recouverte d’or, de pierres précieuses et de perles. Le 22 octobre 1612, elle est conduite à Moscou pour libérer la capitale de l’Empire des « envahisseurs catholiques polonais ». Un siècle plus tard, de nouveaux et somptueux revêtements lui seront offerts par l’Impératrice Catherine La Grande. Elle devient la « protectrice » de la Russie et de la foi orthodoxe. Le 29 juin 1904, elle est volée. Sa disparition est considérée par de nombreux Russes orthodoxes, comme le prélude des remous politiques que connut leur pays auxxe siècle.
24Suivant le même cheminement que l’Hodegetria, Notre-Dame de Kazan se démultiplia et se dissémina. Considérées comme des reliques de contact, ses copies héritèrent de son pouvoir surnaturel et en vinrent à « agir comme elle18 » au point qu’il devint difficile d’établir une claire distinction entre l’original et ses multiples répliques qui furent placées dans la plupart des grandes villes de l’Empire. À chacune de ses copies sont attachéesdes biographies qui tout en contribuant à l’individuation de l’objet, l’inscrivent dans une chaîne de référence qui dessine une trajectoire référant à la Vierge enpassant par les formes successives de l’« Hodegetria » et de « Notre-Dame de Kazan ».
25Les récits concernant l’Hodegetria, Notre-Dame de Saidnaya et Notre-Dame de Kazan constituent les « strates biographiques19 » de Notre-Dame de Soufanieh, l’inscrivant dans une continuité et lui conférant des compétences et des attributs. Toutefois, son icône dérange et perturbe parce que sa facture et les substances qui la composent l’imposent comme une forme inédite. Les légendes racontent que l’Hodegetria et Notre-Dame de Kazan furent revêtues d’or et serties de pierres précieuses, et que l’icône « de chair » de Saidnaya était d’une si grande valeur qu’elle devait rester cachée. Entre ces images et Notre-Dame de Soufanieh – une vignette minuscule de papier glacé froissée, en partie déchirée et effacée (photo 4) –, l’écart ne saurait être plus grand. Notre-Dame de Soufanieh n’est d’aucune valeur. Une « très petite image [...] entourée d’un cadre en plastique bien modeste ». C’est par ces quelques mots, manifestant son étonnement, qu’Élias Zahlaoui (1991 : 30) la décrit dans son journal, le jour de sa première visite dans la maison des Nazzour.
26Elle fut rapportée de Bulgarie en 1982 par Nicolas Nazzour, l’époux de Mirna. Ce dernier raconte volontiers l’avoir achetée avec cinq autres vignettes pour une somme modique, un quart de dollar, dans le parking de la cathédrale Alexandre Nevski de Sofia où le bus qui le ramenait vers son pays fit un arrêt. À cette date, la Bulgarie communiste venait de commémorer les « 1 300 années de la constitution de l’État bulgare » (Valtchinova, 2005). Ces fastueuses célébrations s’accompagnèrent du développement d’un discours mettant l’accent sur l’identité slave et le patrimoine chrétien orthodoxe de la nation et, dans un même mouvement, rejetant l’islam comme « héritage légué par l’Empire ottoman » (ibid.). Ce discours identitaire était sous-tendu par une politique de patrimonialisation visant en particulier les images religieuses qui, considérées comme des « œuvres » représentatives « du génie créateur du peuple bulgare insoumis et aspirant à sa liberté » (ibid.), furent non seulement valorisées, mais également largement diffusées dans la société sous différentes formes (fresques murales, icônes) (ibid.). Cette histoire-là compose également l’une des strates de la biographie de Notre-Dame de Soufanieh. De façon saisissante, on y retrouve letopos de la nation en butte à l’islam qui structure lesvita des Hodegetria. Dans le même temps, ce passage par la Bulgarie socialiste du début des années 1980, lui confère d’emblée une qualité inédite : Notre-Dame de Soufanieh est une émanation du « petit peuple », une « prolétaire » en somme, et c’est en tant que telle qu’elle sera « donnée à la vénération » dans la Syrie baasiste dont l’idéologie prétendait combiner socialisme arabe et nationalisme panarabe. Cette qualité, inscrite dans sa matérialité même, la distingue radicalement des icônes serties de pierres précieuses et recouvertes de manteaux d’argent.
27L’icône de Notre-Dame de Soufanieh est non seulement de facture modeste, mais elle est partiellement déchirée et son cadre est cassé. C’est avec ces marques qu’elle a été reproduite à des centaines de milliers d’exemplaires. Nous le disions en introduction, lorsque Mirna (photo 7) rendit public le « phénomène », le 27 novembre 1982, la Syrie était en état de siège et la population sous étroite surveillance. L’afflux des visiteurs dans une maison particulière provoqua l’intervention immédiate des services de renseignement. Cependant, un revirement eut lieu, qui vit les enquêteurs hostiles et distants dans un premier temps devenir les témoins privilégiés du miracle. Rien d’inédit dans ce retournement qui correspond en réalité à une séquence classique des scénarios d’apparition mariale. Il révèle une nouvelle fois la difficulté qu’ont les pouvoirs en place à endiguer et à maîtriser ce type de phénomène20.
Photo 7. Mirna Nazzour en 1982. À sa gauche, disposée sur une table, l’image de Notre-Dame de Soufanieh entourée de coton blanc
source : soufanieh.com
28Dès le lendemain de l’annonce du miracle, trois hommes pénétrèrent dans le domicile des Nazzour. Leur attitude et leurs gestes permirent de les identifier sans difficulté. Il s’agissait desmukhabarat : un médecin chrétien et deux musulmans selon Zahlaoui (1991 : 31 ; photo 11). Bien qu’ils s’affichassent d’emblée comme hostiles et distants, tous trois s’apprêtaient à jouer les rôles d’attestataires : le premier en tant que médecin et scientifique peu enclin à croire aux miracles et les deux autres en tant que « religieusement autres ». Avant « d’y croire », ils menèrent leur enquête conformément à ce qui était attendu d’eux : dans la violence. Ils s’emparèrent de l’image suspecte, source de perturbation. En la manipulant sans ménagement, ils la déchirèrent et brisèrent son cadre. Ils entreprirent d’essuyer l’écoulement d’huile avec un torchon imbibé d’eau. Ils exigèrent que Mirna se lave les mains en leur présence. Puis ils retournèrent dans le salon et le « miracle » se produisit : de l’huile se répandit de l’image et des doigts de Mirna. Le premier à le constater fut le médecin qui s’exclama aussitôt : « C’est la grâce ». Avant de quitter la maison, raconte Zahlaoui, les trois enquêteurs « conquis » demandèrent un morceau de coton imbibé d’huile. Ce geste marquait leur complète adhésion au « phénomène ».
29« La grâce » fut invoquée pour marquer le revirement des représentants de l’ordre. Sans nous attarder trop longuement sur cette notion complexe, contentons-nous de préciser qu’envisagée comme opérateur de conversion, elle permet de maintenir la transformation hors de soi, de se porter témoin d’une apparition ou d’un miracle sans laisser supposer une adhésion volontaire et consciente, ni même permanente. Il est donc tout à fait significatif que lesmukhabarataient eu recours à ce schème explicatif qui avait l’avantage de ne pas engager leur responsabilité dans une affaire dont la dimension politique, bien qu’implicite, n’échappait à personne.
30Dans une étude en grande partie consacrée à la complexité des liens entre idolâtrie et iconoclasme, David Morgan (2005) souligne que la violence qui vise les images ne fait qu’ajouter un nouveau chapitre à leur longue vie. Non seulement la brutalité subie est intégrée à l’hagiographie de Notre-Dame de Soufanieh, mais l’image garde trace de sa confrontation avec les services secrets du régime baasiste. Aucun effort de restauration ou de réparation n’a été entrepris. Déchirée, gondolée et en partie effacée, ces différentes marques du martyre subi font d’elle un être d’expérience éminemment efficace.
31« Ce qu’ont fait lesmukhabarat à l’image n’est rien comparé à ce qu’a fait l’Église », expliquait un proche de Mirna avant d’ajouter : « Comparez et jugez par vous-même ! » Poursuivons donc « l’hagiographie » que nous livre Zahlaoui. Très tôt, le « phénomène » fut l’objet d’une sourde compétition entre les clergés grec catholique et grec orthodoxe. Dans les jours qui suivirent les premières manifestations, la question de savoir laquelle des deux avait autorité pour le qualifier ou le disqualifier, l’interpréter et, surtout, l’encadrer et le contrôler se posa. Comme l’homme de la famille était grec orthodoxe, il fut décidé que « son » Église était légitime pour exercer sa tutelle. Cependant, ne furent visibles dans la maison de Mirna, elle-même melkite21, que des clercs catholiques qui très tôt, à l’instar du père Zahlaoui, choisirent d’y officier. En réalité, les deux Églises adoptèrent chacune à sa façon une attitude d’attentisme marquée par l’ambiguïté et la demi-teinte : l’Église grecque orthodoxe fit valoir son autorité tout en maintenant une froide distance avec les Nazzour ; l’Église grecque catholique laissa des membres de son clergé fréquenter la maison tout en affirmant ne pas être officiellement responsable de ce qui s’y déroulait. Déjà maintes fois observées dans les cas d’apparitions et de miracles, ces positions ambivalentes, voire contradictoires (Laurentin, 2007), sont symptomatiques d’une gêne à l’égard d’un phénomène qui se produit en dehors du cadre institutionnel et concerne une femme et une image non consacrées.
32Le 31 décembre 1982, le patriarcat grec orthodoxe publia un communiqué dans lequel transparaissait son embarras. Organisé en six points, le texte était une suite de formules dubitatives et alambiquées qui montraient avant tout, de la part de l’Église, la volonté de ne prendre aucune position tranchée tout en manifestant son autorité. Ainsi était-il expliqué que « les miracles sont choses ordinaires pour Dieu, même s’ils ne paraissent pas ordinaires » ; que « ces phénomènes apparaissent et parfois disparaissent » et que « la reconnaissance d’un miracle est une affaire difficile et infiniment grave ». Concernant les Nazzour, il était précisé qu’ils formaient « une maison croyante et une famille orthodoxe fière de sa foi [...] où personne ne prétend être saint comme beaucoup se l’imaginent ». Par cette phrase sibylline, l’institution signifiait, menaçait presque : prétendre à la sainteté équivaudrait à s’exclure de l’Église et de la foi pour Mirna, qualifiée à dessein de femme « douce et humble » et pour Nicolas décrit de façon tout autant intentionnelle comme un « ouvrier actif dans l’église ». Il était dès lors demandé aux fidèles de « cesser toute exagération dans les paroles et tout emballement dans la conduite, afin que cela ne se retourne pas contre Dieu et l’Église et la famille bénie Akhrass-Nazzour ». En conclusion, le patriarcat annonçait sa décision de transférer l’image « de la maison où elle est, jusqu’à l’église de la Sainte-Croix, le lieu convenable pour la louange du Sauveur et de sa Mère la Vierge ».
33L’une des premières actions concrètes entreprises par le patriarcat grec orthodoxe pour faire valoir son autorité fut donc de défaire le couple formé par la jeune femme et l’image. Cette dernière, officiellement élevée au statut d’« icône sainte », fut solennellement transférée le 9 janvier 1983 en suivant un protocole imposé par le patriarcat. Tout était fait pour signifier le contrôle de l’Église et, dans le même temps, la mise à l’écart des Nazzour. Nicolas Nazzour souhaitait transporter l’image avec ses trois frères dans un baldaquin décoré de fleurs fabriqué par ses soins. Ce privilège lui fut refusé : l’honneur de la porter à bout de bras revint au prêtre grec orthodoxe de l’église de la Sainte-Croix accompagné de deux chorales, l’une orthodoxe, l’autre catholique. Une foule importante se joignit à la procession. Dans l’église, l’image fut disposée sur un appui élevé, devant la porte royale de l’Iconostase pour permettre aux fidèles de l’embrasser. La solennité de ce transport et le choix de cette place d’honneur constituaient une reconnaissance inédite, voire surprenante pour une reproduction sur papier disposée dans un cadre en plastique de mauvaise qualité. Elle fut cependant de courte durée et s’acheva par un geste humiliant avant tout destiné à disqualifier l’objet, en le ravalant au rang d’image ordinaire. Cinq semaines plus tard, le 21 février 1983, trois prêtres se présentèrent au domicile des Nazzour. Sans même prendre la peine d’entrer, l’un d’eux tendit à Nicolas un vulgaire sac en plastique noir contenant l’icône, « Voilà, le patriarche nous demande de te rapporter ça » furent ses seuls mots. Dans sa chronique des apparitions de Soufanieh, le père Zahlaoui ne fait aucune allusion aux circonstances du retour de l’icône. En revanche, à cette date, il note avoir reçu « d’une haute autorité ecclésiale » l’ordre de ne plus se rendre chez les Nazzour. Tout ceci en dit long sur l’écheveau de tension que suscita Notre-Dame de Soufanieh : tension entre Mirna et l’Église grecque orthodoxe ; tension entre l’Église grecque catholique et l’Église grecque orthodoxe ; tension également au sein de chacune de ces deux Églises entre prêtres favorables et prêtres hostiles au phénomène.
34Après le retour de l’icône « chez elle » les visites reprirent de plus belle et les guérisons miraculeuses attestées par des rapports médicaux se multiplièrent. Surtout, les premiers signes de « dissémination » de l’objet se produisirent. Dans son journal, le père Zahlaoui note précisément chacune des étapes de ce processus de dispersion dans l’espace, qui aboutit à ce que Notre-Dame de Soufanieh forme un ensemble d’éléments entrant en résonnance les uns avec les autres. Le prêtre avait déjà mentionné sa « surprise » de voir de l’huile s’écouler d’une seconde image se trouvant dans la chambre de Mirna le 17 janvier 1983 (1991 : 84). À partir de novembre de cette même année, le processus s’accéléra : l’huile « se manifesta » sur plusieurs reproductions à l’intérieur comme à l’extérieur de la maison. Zahlaoui consacre notamment deux pages au récit d’un certain Samir Younes présenté comme un « jeune musulman », à « la tête bourrée de marxisme » qui eut la surprise de voir apparaître de l’huile d’une image « format carte postale » qu’on venait de lui donner. « Les gouttes d’huile, poursuit le prêtre, ont déchiré tous ses concepts. Son univers marxiste, fermé sur tout autre monde, a croulé d’un seul coup ». Profondément ébranlé, le jeune homme peignit une image qui fut gravée sur du cuivre. Accrochée dans le salon du domicile des Nazzour, cette dernière se mit à exsuder les jours suivants (ibid. : 102-103). Le 26 novembre, ce fut au tour d’un agrandissement de Notre-Dame de Soufanieh de « verser des larmes d’huile » (ibid. : 106). Au fil des pages de son journal, père Zahlaoui énumère ainsi une centaine de cas. En se disséminant, l’image assura l’expansion du phénomène aussi loin qu’à Détroit, aux États-Unis.
35À partir de 1984, cette diffusion fut accélérée par la mise en place d’une entreprise de reproduction à grande échelle de la photographie de l’image déchirée dans son cadre en plastique cassé. En novembre de cette année, elles furent 40 000 à être imprimées en format « moyen » accompagné d’un feuillet « relatant les principaux faits du Phénomène, en quatre langues : arabe, français, anglais et allemand » ; les années suivantes 40 000 images grand format seront reproduites avec la mention « Notre-Dame de Soufanieh. Source de l’huile sainte » en arabe, français, anglais, allemand et italien. Élias Zahlaoui prend soin de consigner les noms et les motivations de quelques-uns des donateurs qui rendirent possible cette reproduction massive : un certain Manuel Khawan dont le fils fut un « miraculé de Soufanieh » (ibid. : 179), Adnane Khatib, un « musulman, ancien directeur de l’imprimerie du ministère de la Culture » (ibid.) et, en 1986, signe de l’internationalisation du phénomène, Jean-Pierre Gourdon, un diplomate français, et son frère (ibid.).
36Le succès d’un acteur politique se mesure à son efficacité, à son charisme et à l’étendue de son réseau. Si l’on ajoute qu’il doit pouvoir tracer son chemin malgré les humiliations et les coups qui lui sont portés, nous avons ici le portrait de Notre-Dame de Soufanieh. Répliquée à des centaines de milliers d’exemplaires sur des supports de facture et de taille différentes, elle se retrouve partout au Proche-Orient, parfois dans des églises, mais plus souvent dans des maisons particulières et plus spécifiquement dans les salons des mystiques chrétiennes du Liban. Par sa démultiplication active, se manifestant par des écoulements d’huile, elle établit un lien tangible entre ces femmes qui, par ailleurs, ne se fréquentent jamais. Sa diffusion en dehors de Damas sur un vaste territoire traduisit une remise en cause des hiérarchies établies : entre clergé et laïcs ; entre icônes consacrées et images pieuses. Elle contribua à l’expansion du « message » de Soufanieh, – un message articulé autour d’une eschatologie de l’unité des chrétiens –, tout en confortant la place de Damas comme centre de la chrétienté proche-orientale. Sur un plan plus strictement politique enfin, elle joua un rôle paradoxal : alors même que le régime baasiste prenait position en « sa faveur » dans l’objectif de se rallier la communauté chrétienne après les événements de Hama, cornée, déchirée, effacée, elle continua de « dire et de redire » (en se disséminant) la violence subie par l’État en 1982. Cependant, depuis le déclenchement du conflit syrien, le réseau dont elle forme un maillon essentiel connaît une profonde reconfiguration.
37Maison de Catherine, 7 septembre 2014. J’interroge les fidèles présents au sujet de l’identité de l’image qui se trouve au centre du sanctuaire domestique de Catherine. « C’est une icône byzantine comme les autres » ; « C’est une Vierge à l’enfant » ; « C’est la source de tout ici » ; « C’est la source de l’huile ». Surprise que personne ne « reconnaisse » Notre-Dame de Soufanieh, je finis par demander à Catherine : « N’est-ce pas Notre-Dame de Soufanieh ? L’image de Mirna qu’on appelle la Source de l’huile sainte ? » « Mais non ! Me répond-elle brusquement, rien à voir. C’est juste une icône et la source de l’huile sainte ici c’est saint Charbel ! ». J’essaye d’entamer une conversation sur Soufanieh, mais n’obtiens que des réponses évasives. Mona coupe court à la discussion en me murmurant ces mots embarrassés : « Emma, ne parlons pas politique ! La politique divise ».
38Chez Catherine, nous le précisions en introduction, Notre-Dame de Soufanieh occupe une place paradoxale : placée au cœur du sanctuaire domestique, elle constitue le centre vers lequel les regards convergent, mais reléguée au fond de la grotte et dissimulée sous une épaisse couche de suie noire, elle est invisible. Ces trente dernières années, les nombreuses visites au Liban de Mirna et de son icône donnèrent systématiquement lieu à de grands rassemblements et à des reportages dans les médias chrétiens du pays. Personne autour de Catherine n’ignore l’histoire de Notre-Dame de Soufanieh. Cependant, les fidèles, comme la mystique elle-même, semblent vouloir « oublier » l’identité de l’icône. Comment comprendre cette rupture ? Bien qu’elle ne soit pas explicitement énoncée par les intéressés eux-mêmes, la raison en est, fort probablement, le positionnement politique dans le conflit syrien de Mirna Nazzour et surtout du père Zahlaoui. Ce dernier est, en effet, un infatigable défenseur de Bachar al-Assad. Participant volontiers à la propagande du régime syrien, il n’hésite pas à y « enrôler » Notre-Dame de Soufanieh qui, de ce fait même, a perdu sa capacité à unir largement les chrétiens de la région. Catherine, quant à elle, évite systématiquement les sujets politiques. Cependant, dans son appartement, un objet « en parle » presque sans discontinuer : le poste de télévision qui, disposé au centre du salon familial, est allumé sur trois chaînes en alternance, Télé Lumière, la LBC et Future TV. Si la première est entièrement consacrée à des programmes religieux, les deux autres sont, au contraire, généralistes et étroitement liées à des partis politiques libanais – respectivement les Forces Libanaises et le Courant du futur –, qui ont, l’un et l’autre, choisi le camp de l’opposition au régime de Bachar al-Assad.
39Les images ont une vie sociale dont le cours est marqué par des changements, des inflexions, des retournements (Morgan, 2005). De ce fait, « leur forme et leur signification ne sont jamais définitivement fixées » (Jansen, 2009 : 36). Notre-Dame de Soufanieh a connu un très grand succès se traduisant par une dissémination exponentielle de l’objet reproduit à des centaines de milliers d’exemplaires. Cependant, les bouleversements survenus depuis 2011, le déclenchement de la révolution en Syrie et la guerre civile qui s’est ensuivie, ont radicalement changé la façon dans elle est d’emblée perçue, ainsi que la langue dans laquelle elle est entendue et dans laquelle on en parle : enrôlée dans un camp, et de ce fait isolée, chez Catherine, elle ne s’adresse plus à personne et ses destinataires ne se laissent plus toucher ou convertir par elle.
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1 Sur un phénomène similaire observé en Europe de l’Est, voir Mahieu (2010).
2 Les églises de maison qui, à Beyrouth comme à Damas, s’ouvrent autour de femmes mystiques rassemblent quelques-unes des caractéristiques del’oikos du christianisme primitif : un espace à la fois domestique et sacré centré sur une figure féminine (Baslez, 2008).
3 « Roum » : grec orthodoxe.
4 L’action de « visiter » (zâra) implique ici un engagement complet des sens : voir, toucher, sentir, entendre et goûter la « grâce » (ni’ma) matérialisée par un fluide visqueux et odorant, et également constituée par des mots ou messages (risâla pl. rasâ’il).
5 En français, mentionnons la chronique de Zahlaoui (1981) ; le livre d’entretiens de Arjakovsky (2010) et le rapport médical de Loron (1992). Dans leur dictionnaire des apparitions mariales, Laurentin et Sbalchiero (2007 ; 1093-1097) consacrent une large notice à Mirna.
6 À ce propos, voir l’introduction de l’ouvrage de Poujeau (2014 : 36).
7 Pour un rapport détaillé sur le massacre de Hama en 1982,cf. Ismael Quiades (2014). L’auteur explique que le simple fait d’être un habitant de Hama (musulman ou chrétien) était une condition suffisante pour être visé par la répression. Il évoque, en outre, la destruction de nombreuses mosquées et églises lors des bombardements. Sur le déroulement de l’insurrection et la répression qui s’est ensuivie voir également Benkorich (2012).
8 Il fallut attendre le déclenchement du soulèvement de 2011 pour que le voile se lève sur « la tragédie de Hama »,cf. Benkorich (2012).
9 Terme araméen signifiant « l’icône célèbre et très réputée ».
10 Sur différents sites d’apparitions comme à Lourdes en 1858, Pontmain en 1871 ou encore Medjugorje en 1981, la Vierge « s’exprime » en langue vernaculaire (Bouflet et Boutry, 1997 ; Claverie, 2008).
11 Message du 19 décembre 1982 (Arjakovsky, 2010 : 83).
12 Message du 24 mars 1983 (Arjakovsky, 2010 : 88-89).
13 Sur ce point,cf. Baschet (2008).
14 À ce sujet, voir l’ouvrage collectif de Hermkens, Jansen et Notermans (2009).
15 Initialement, ce type était constitué d’une figuration en pied de la Vierge tenant l’Enfant sur son bras gauche, parfois assise sur un trône. C’est plus tard qu’il en est venu à représenter la Vierge à mi-buste, avec l’Enfant tantôt sur le bras gauche, tantôt sur le bras droit. Sur les différents types iconographiques byzantins,cf. Bakalova et Petkovic (2009) et Velmans (2013).
16 Pour une version « catholique » des péripéties de Notre-Dame de Kazan, après la révolution de 1917 et en lien avec les apparitions de la Vierge à Fatima,cf.http://www.mariedenazareth.com/qui-est-marie/notre-dame-de-kazan-synthese et pour une version « orthodoxe », voir le récit du père Nicodème repris de Merslukine, « Histoire de l’icône de Kazan de la toute sainte Mère de Dieu », Paris, 1964 sur le blog.
17 Cette notice présente l’intérêt de compiler en français différents récits faisant autorité.
18 Sur ce processus de démultiplication des images considérées comme le résultat d’un miracle céleste,cf. Belting (1990, 77) et Schmitt sur l’Uronica (2002 : 225).
19 Sur les « strates biographiques » des icônes orthodoxes,cf. Hanganu (2010).
20 Ce fut notamment le cas pour le parti communiste de Yougoslavie lors des apparitions de Medjugorjeh (Claverie, 2003).
21 Melkite : Grec-catholique.
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Légende | Photos 1 et 2. Dans la maison de Catherine, le sanctuaire domestique ; la grotte de Lourdes |
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Légende | Photo 3. Notre-Dame de Soufanieh |
Crédits | © Emma Aubin-Boltanski |
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Légende | Photo 4. Notre-Dame de Soufanieh, 1982 |
Crédits | © Emma Aubin-Boltanski |
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Légende | Photo 5. Hodegetria de Smolensk |
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Légende | Photo 6. Icône de Notre-Dame de Kazan, musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg, Russie, |
Crédits | source : in.pinterest.com |
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Légende | Photo 7. Mirna Nazzour en 1982. À sa gauche, disposée sur une table, l’image de Notre-Dame de Soufanieh entourée de coton blanc |
Crédits | source : soufanieh.com |
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EmmaAubin-Boltanski, « La très petite image de Notre-Dame de Soufanieh »,Archives de sciences sociales des religions, 174 | 2016, 101-123.
EmmaAubin-Boltanski, « La très petite image de Notre-Dame de Soufanieh »,Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 174 | Avril-Juin 2016, mis en ligne le 01 avril 2018, consulté le 24 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/assr/27738 ; DOI : https://doi.org/10.4000/assr.27738
Haut de pageCentre d’études en sciences sociales du religieux,CéSor, EHESS-CNRS,emma.aubin-boltanski@ehess.fr
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