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La République ne reconnaît plus juridiquement aucun culte, mais elle les connaît tous, sans aucun privilège, ni aucune discrimination, sur un pied d'égalité. C'est d'abord dans le cadre du droit associatif que l'État connaît les religions et les cultes. Il permet, tout en les encadrant, de nombreuses manifestations publiques du culte, il organise des « services publics d'aumônerie » dans « les lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons » et les édifices du culte sont souvent des propriétés publiques.
En France, l'État est aussi pédagogue. La valeur culturelle et pédagogique de la connaissance des faits religieux et les efforts à faire en ce domaine ont été soulignés par les rapports Julliard et Debray. L'État fait aussi connaître les religions à ses fonctionnaires. Mais il s'adresse également aux religions et aux fidèles qu'il connaît pour leur enseigner les principes de la laïcité. Assurer la connaissance des religions dans l'ensemble de la société et d'abord à l'école ressort directement de la responsabilité de l'État laïc qui connaît tous les cultes et doit les faire connaître.
The Republic no longer recognizes any religion legally, but it acknowledges them all equally, without any privilege, nor any discrimination. The state acknowledges religions within the framework of the law regarding voluntary associations. It allows, albeit with certain regulations, many public expressions of religion : it organizes “public services of chaplains” in senior and junior high schools, and in elementary schools, hospices, and prisons. In addition religious buildings often are public property.
In France the state also acts as a teacher. The cultural and pedagogical value of knowing about religions and the efforts to be done in that field, have been stressed by the reports of Julliard and Debray. The state also informs its public servants about religions. It also addresses religious groups and their members in order to teach them the principles of the separation of church and state. To make sure that society, and first of all its schools, knows about religions, is part of the responsibility of the secular state that acknowledges all religions and must inform its citizens about them.
La República ya no reconoce jurídicamente a ningún culto, sino que los reconoce a todos, sin ningún privilegio, ni discriminación alguna, en carácter de igualdad. Es en principio en el marco del derecho asociativo que el Estado conoce las religiones y los cultos. Permite, encuadrándolas, numerosas manifestaciones públicas del culto, organiza “servicios públicos de capellanía” en “escuelas secundarias y primarias, hospicios, asilos y prisiones” y los edificios del culto son a menudo propiedades públicas.
En Francia, el Estado es también pedagogo. El valor cultural y pedagógico del conocimiento de los hechos religiosos y los esfuerzos en este campo han sido remarcados por los informes Julliard y Debray. El Estado hace conocer también las religiones a sus funcionarios. Pero también se dirige a las religiones y a los fieles que conoce para enseñarles los principios de la laicidad. Asegurar el conocimiento de las religiones en el conjunto de la sociedad y principalmente en la escuela surge directamente de la responsabilidad del Estado laico que conoce todos los cultos y tiene que hacerlos conocer.
1« La République ne reconnaît, ne subventionne, ni ne salarie aucun culte ». Tel est un des principes posés par la loi de séparation des Églises et de l'État de 1905 (article 2). On considère souvent que la loi de séparation est l'expression majeure de l'État laïc et la source de l'exception française en Europe. Pourtant elle n'est qu'un des aspects d'une laïcité dont le champ est beaucoup plus vaste 1, du Code civil dont nous venons de commémorer le bicentenaire, à l'école publique, et à la neutralisation des prétoires, des établissements publics et des cimetières 2. L'extension géographique en est aussi bien plus large puisque le principe de laïcité a une valeur constitutionnelle sur tout le territoire de la République, alors que la loi de 1905 ne s'applique ni en Alsace-Moselle, ni en Guyane, ni dans les Territoires d'outre mer, ni à Mayotte, ni à Saint-Pierre et Miquelon, ces exceptions qui connaissent, chacune, différents régimes juridiques de relations Églises/État fort éloignés de la Séparation, mais sur lesquels nous ne nous appesantirons pas dans le cadre de cette présentation.
2« La France est une République laïque... Elle respecte toutes les croyances », proclame notre constitution. Ce respect suppose bien que l'État laïc les connaisse. Mais comment le fait-il ? que connaît-il ? et d'abord comment cette connaissance se concilie-t-elle avec la non-reconnaissance juridique ?
3Si la République ne reconnaît aucun culte, elle les connaît tous, en droit, et sur un pied d'égalité. La loi de séparation met un terme au régime antérieur des cultes reconnus (catholique, réformé, luthérien et israélite), issu du concordat de 1801 et des Articles organiques 3 qui supposait que l'État ne reconnaisse (et donc n'avantage financièrement) qu'un nombre limité de cultes, les autres n'étant pas reconnus et se trouvant juridiquement dans une situation d'inégalité, et étant souvent considérés, surveillés, voire persécutés comme des « sectes ». Lorsque le législateur écrit en 1905 que « la République ne reconnaît aucun culte », il affirme simplement que l'État est non confessionnel, que le pouvoir civil ne peut s'immiscer dans le domaine spirituel et que les Églises sont incompétentes pour gérer directement le temporel, comme l'a rappelé Mgr Jean-Louis Tauran, devenu cardinal le 12 novembre 2001 devant les membres de l'Académie des Sciences Morales et Politiques. Cela ne signifie pas, bien au contraire, que l'État nie l'existence des cultes et leur fonction sociale.
4Avec la loi de 1905 4, la distinction entre cultes reconnus et cultes non reconnus disparaît complètement, l'État se déclarant incompétent pour déterminer ce qu'est une bonne ou une vraie religion et ce qui n'en serait pas.
5Remarquons d'emblée que l'État utilise peu le terme de « religion », mais qu'il s'intéresse plus précisément à des institutions (établissements publics du culte, Églises ou associations cultuelles ayant pour objet exclusif l'exercice du culte...). Il connaît les cultes publics dont il garantit le libre exercice, en assurant l'égalité entre tous les cultes (article 1er de la loi de 1905) mais il ignore largement les cultes privés.
6L'État connaît d'abord « des associations pour l'exercice des cultes » (titre IV de la loi de 1905). Ces associations sont formées « pour subvenir aux frais, à l'entretien et à l'exercice public d'un culte » (article 18). Elles « devront avoir exclusivement pour objet l'exercice d'un culte » (article 19). Elles se constituent, s'organisent et fonctionnent librement (article 18 du décret du 16 mars 1906 portant règlement d'administration publique pour l'exécution de la loi du 9 décembre 1905). Elles doivent être constituées conformément aux articles 5 et suivant du titre Ier de la loi du 1er juillet 1901 (article 18 de la loi de 1905).
7L'État connaît donc désormais les religions et les cultes dans le cadre du droit associatif. Il y a bien privatisation de la religion, dans le domaine juridique, à travers le passage d'un droit public des cultes (avec les cultes reconnus, organisés à travers des établissements publics du culte) au droit privé des associations cultuelles. Mais l'État n'intervient pas dans l'organisation interne de chaque culte, ni dans ses croyances, ni dans sa liturgie, ni dans son ecclésiologie. L'article 4 de la loi de 1905, qui fit l'objet de nombreuses discussions dans le camp républicain, dispose que les associations cultuelles doivent se conformer « aux règles d'organisation générale des cultes dont elles se proposent d'assurer l'exercice », ce qui indique bien que l'État n'entend pas favoriser la création d'associations schismatiques. Dès les lendemains de la loi de 1905, le Conseil d'État veilla à l'application stricte de cet article, à l'occasion de conflits opposant des curés à leur évêque.
8Si les associations cultuelles se constituent librement, à condition de respecter certaines dispositions spécifiques (article 19), et si l'État doit recevoir leur déclaration même si elles sont soupçonnées de trouble à l'ordre public ou de « dérive sectaire », elles ne bénéficient pas automatiquement des avantages liés à leur objet cultuel. Mais il se réserve le droit de vérifier la qualité cultuelle d'une association qui se déclare telle. La jurisprudence a retenu un certain nombre de critères : objet exclusif du culte, ancienneté, universalité, respect de l'ordre public et des bonnes mœurs. Ces critères n'empêchent pas une évolution dans la jurisprudence et les jugements concernant « la grande capacité cultuelle », le Conseil d'État faisant prévaloir une conception de plus en plus large de la liberté religieuse, ce que montre par exemple l'évolution de ses jugements concernant les Associations de Témoins de Jéhovah. On peut préciser que cette approche libérale, qui a toujours prévalu (elle est fondée en particulier sur l'article 1er de la loi de 1905) et que souhaitait en particulier Aristide Briand, a été renforcée par la Convention européenne du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ratifiée par la France par la loi du 31 décembre 1973 (spécialement son article 9) et par l'abondante jurisprudence en la matière de la Cour européenne des droits de l'homme.
9On parle souvent à ce propos, à tort juridiquement, et même dans des textes du Conseil d'État, de reconnaissance cultuelle des associations. Les deux sens du terme de reconnaissance des cultes ou de leur exercice sont bien précisés dans les conclusions que M. Arrighi de Casanova, commissaire du gouvernement, a rendues en vue de l'avis de l'Assemblée du Conseil d'État du 10 octobre 1997 dans l'affaire de l'Association locale pour le culte des Témoins de Jéhovah de Riom :
10« Au moment où la pratique des religions traditionnelles semble reculer, de nouveaux cultes apparaissent et cherchent, sinon à être reconnus – puisque depuis 1905, et sauf en Alsace-Moselle, la République n'en reconnaît aucun – du moins à obtenir une reconnaissance officielle indirecte en sollicitant le bénéfice des législations qui prennent en compte, d'une manière ou d'une autre, l'existence d'un culte. La reconnaissance de l'existence d'un culte suppose ainsi que soient réunis un élément subjectif et un élément objectif :
11– le premier est constitué par une croyance ou une foi en une divinité ;
12– le second, qui matérialise le premier, est l'existence d'une communauté se réunissant pour pratiquer cette croyance lors de cérémonies. 5 »
13Pour accorder cette reconnaissance de l'existence d'un culte, et les avantages qui y sont joints pour les associations, – droit de recevoir des dons manuels, mais aussi des legs sans droit de mutation, exonération de la taxe foncière, de la taxe d'habitation, de l'impôt sur le revenu, déductibilité fiscale des dons qui leur sont consentis, aides indirectes à la construction d'édifices du culte –, le Conseil d'État examine à la fois la réalité de l'objet cultuel de l'association et l'absence de troubles à l'ordre public. Les juridictions ont successivement rejeté les refus d'accorder le bénéfice de la grande capacité cultuelle fondée sur le refus d'accomplir le service militaire, le refus de voter, le refus des transfusions sanguines, la rigidité du système éducatif ou le prosélytisme. Il s'agit bien de la prise en compte par l'État laïc, avec toutes les conséquences juridiques et fiscales qui en découlent, du caractère cultuel d'une association déclarée selon la loi de 1905. C'est dans ce domaine de la connaissance des différents cultes par l'État, qui confie aux associations ayant pour objet exclusif l'exercice du culte la grande capacité juridique entraînant les avantages fiscaux qui en découlent, que l'on se rapproche le plus d'une reconnaissance, qui a suscité une importante jurisprudence. L'État, sous le contrôle du juge, est appelé à « trier » entre les cultes véritables et ceux qui ne le sont pas, avec une évolution récente des jugements du Conseil d'État, concernant par exemple les Témoins de Jéhovah. D'ailleurs, les associations déclarées conformément à la loi de 1905 qui ne bénéficient pas de la grande capacité cultuelle, restent bien connues de l'État, comme toutes les associations déclarées de la loi 1901, qui peuvent avoir entre autres un objet cultuel, mais elles ne sont pas connues en tant qu'associations cultuelles. Elles peuvent faire l'objet de la vigilance des pouvoirs publics si ceux-ci les soupçonnent de dérives sectaires, dans une action coordonnée désormais par la Mission Interministérielle de Vigilance contre les Dérives Sectaires (MIVILUDES). On sait l'impact de divers rapports parlementaires sur les sectes, en particulier le rapport Vivien qui s'appuyait sur une liste de « sectes » établie par les Renseignements Généraux. Certes, cette liste était indicative. Elle n'avait pas de valeur juridique, même si certains attendus de jugements y ont fait à tort allusion. Mais des associations qui y étaient mentionnées et dont le caractère sectaire n'a pas été établi, comme l'Assemblée Évangélique de Besançon, ont par la suite rencontré bien des difficultés avec l'Administration à cause de cette mention.
14C'est bien là que jouent à la fois le « respect de toutes les croyances » proclamé dans l'article premier de la Constitution et le fait que si la République ne reconnaît plus juridiquement aucun culte, elle les connaît tous, sans aucun privilège, ni aucune discrimination, sur un pied d'égalité. Les seules restrictions à la liberté religieuse doivent être édictées par la loi, « dans l'intérêt de l'ordre public » (article 1er de la loi de 1905). L'article 18 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales précises : « Les restrictions qui sont apportées aux dits droits et libertés ne peuvent être appliquées que dans le but pour lequel elles ont été prévues ».
15La connaissance des religions par l'État peut aller plus loin. Prenons un exemple théorique, et pourtant assez proche de faits réels. Une association cultuelle de la loi de 1905 « Les adorateurs du poireau » est déclarée en Préfecture. L'Administration doit enregistrer cette déclaration. Mais la grande capacité cultuelle ne lui est pas automatiquement accordée, bien que l'association prétende avoir pour objet exclusif l'exercice d'un culte. En effet, cette association ne répond pas aux critères d'universalité et d'ancienneté d'un culte, tirés de la jurisprudence (critères qui, bien sûr, sont « conservateurs » des cultes existants). La République respecte une telle croyance, tant qu'elle ne porte pas atteinte à l'ordre public. Mais il est normal que les services de renseignement suivent les agissements d'une telle association. Tant qu'il s'agit de proclamer que le poireau est un produit naturel, voire un symbole de la vie, il n'y a pas de problème. Mais, si les adeptes réduisaient leur régime alimentaire à la consommation de poireau et surtout l'imposaient à leurs enfants, avec des risques pour leur santé, les services de renseignement chargés de surveiller une telle association alerteraient les services sociaux et médicaux et des incriminations pourraient être portées contre les adeptes de l'association, voire des poursuites engagées contre l'association en tant que personne morale. On est bien dans la thématique de Michel Foucault, « Surveiller et punir », ou plutôt surveiller toute association et punir si des faits délictueux sont commis.
16La protection de la liberté de conscience et du libre exercice des cultes est primordiale. Le Conseil d'État l'a rappelé : « Le respect de la volonté d'une personne, fondée sur des convictions religieuses, est impératif » (affaire Mme Catherine Senanayake, 26 octobre 2001, sur le refus de transfusion sanguine). On ne peut incriminer des personnes physiques, et, depuis la loi Picard-About, poursuivre des personnes morales (associations) pour dérive sectaire que sur des faits avérés et sur des formes d'abus de situation de faiblesse.
17Si la loi de 1905 exclut la reconnaissance juridique des cultes, l'article 38 : « Les congrégations religieuses demeurent soumises à la loi du 1er juillet 1901 », maintient paradoxalement un régime spécifique pour les congrégations, prévoyant l'autorisation ou la reconnaissance par la loi. Les congrégations non reconnues étaient interdites, l'appartenance à une congrégation non autorisée constituant alors un délit puni par la loi. Ces dispositions « liberticides », dictées par des motifs de « défense républicaine » suite à l'attitude antidreyfusarde de nombreuses congrégations (comme les Assomptionnistes deLa Croix) ont été abrogées par l'acte dit loi de Vichy de 1942, intégré à la légalité républicaine à la Libération. Les congrégations peuvent être désormais légalement reconnues par décret en Conseil d'État. Cette pratique s'est considérablement développée depuis 1970, car elle offre aux congrégations d'importants avantages qui sont assimilables à ceux des fondations, avec un contrôle administratif beaucoup plus léger. De très nombreuses congrégations catholiques ont été reconnues depuis (dont, un siècle après la loi de 1901, la Province de France de la Compagnie de Jésus) et la notion de congrégation a été élargie à de très nombreuses formes de vie religieuse (on parle de vie consacrée) et à de très nombreux cultes, puisque ont été reconnues successivement des congrégations orthodoxes, bouddhistes, protestantes (dont l'Armée du Salut) et hindouistes. Pour être reconnues ces congrégations doivent se placer sous la direction d'autorités religieuses (un évêque catholique ou orthodoxe par exemple) ou s'appuyer sur une communion ou des relations avec un responsable religieux (le président de la Fédération protestante de France, par exemple, pour l'Armée du Salut).
18Il existe de très nombreux autres domaines où l'État connaît les religions. Il permet notamment, tout en les encadrant, de nombreuses manifestations publiques du culte, en particulier les processions et autres manifestations extérieures d'un culte ou les sonneries de cloches (article 27). Ce qui montre bien que la loi de 1905 ne privatise la religion que sur un simple plan juridique, en ce que l'on passe du droit public des cultes reconnus, avec des établissements publics du culte, au droit privé des associations. Les cultes continuent à pouvoir occuper en partie l'espace public.
19Les édifices du culte sont souvent des propriétés publiques. Nombre d'entre eux l'étaient déjà, avant 1905, que ce soient les cathédrales, propriétés de l'État, ou des églises, temples, ou synagogues, propriétés de communes. Des édifices du culte catholique qui étaient propriétés des établissements publics du culte sont devenus propriétés des communes par la loi de 1907, car ils n'ont pu être remis à des associations cultuelles du fait du refus de l'Église catholique d'en constituer, sur les injonctions de l'encycliqueGravissimo officii de 1906. Dans tous ces cas, l'État garantit le droit de l'affectataire, c'est-à-dire la jouissance totale et gratuite de l'édifice par les ministres du culte concerné, les frais d'entretien incombant au propriétaire. Ce qui constitue un avantage aujourd'hui non négligeable pour les cultes qui bénéficient de cette situation et montre bien qu'il n'y a pas en France de séparation radicale, dans la mesure où de nombreux édifices du culte restent des propriétés publiques et que la puissance publique s'engage à respecter scrupuleusement les droits du culte affectataire.
20Par ailleurs ne sont pas considérées comme des subventions les aides des collectivités à l'entretien des édifices du culte qui sont propriétés des associations cultuelles depuis l'acte dit loi du 25 décembre 1942 intégré, à la Libération, dans la légalité républicaine. Selon l'article 19 de la loi de 1905in fine, les associations pour l'exercice des cultes ne peuvent sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l'État, des départements et des communes. Mais « ne sont pas considérées comme subventions les sommes allouées pour réparation aux édifices affectés au culte public, qu'ils soient ou non classés monuments historiques ».
21Afin de garantir la liberté religieuse et le libre exercice des cultes, l'État organise des « services publics d'aumônerie » dans « les lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons » (article 2, alinéa 2 de la loi de 1905 et, depuis bien longtemps, dans les armées (loi du 8 juillet 1880, toujours en vigueur, reprise dans le décret modifié du 1er juin 1964 portant règlement d'administration publique relatif aux ministres du culte attachés aux forces armées qui ne concerne toujours pas le culte musulman). Les dépenses afférant à ces services, c'est-à-dire en particulier les traitements des ministres du culte, présentés par les autorités religieuses pour remplir ces fonctions, ne sont pas considérées comme des subventions. Vianney Sevaistre a examiné avec beaucoup de précision le statut des agents publics des cultes agréés par les pouvoirs publics pour exercer des fonctions d'aumôniers dans les armées, les prisons, les hôpitaux et établissements de santé ou relevant de l'Éducation nationale 6. On pourrait y ajouter le cas des aumôneries des aéroports, des ports et des gares. L'État est donc bien appelé à connaître les ministres du culte qu'il agrée, nomme, protége et souvent rémunère ou salarie comme aumôniers, sur proposition bien sûr des autorités religieuses dont ceux-ci dépendent. Ceci en conformité avec tout un arsenal de textes législatifs et réglementaires rédigés en application de la loi du 8 juillet 1880 sur l'aumônerie militaire et de l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 sur les aumôneries dans les services publics, mais également du Code de procédure pénale, du Code de la santé publique, du Code de l'éducation, et du Code de l'action sociale et des familles pour les centres de vacances et de loisirs.
22Dès les lendemains de la loi de 1905, malgré la rupture des relations diplomatiques avec le Vatican, malgré les troubles des inventaires, un protocole officieux fut établi, avec l'aide du Quai d'Orsay, pour réserver une place d'honneur aux autorités religieuses. À l'étranger, comme d'ailleurs dans son domaine colonial, et suivant la célèbre formule, « l'anticléricalisme n'est pas un article d'exportation », la France ne renonçait pas à ses prérogatives de « fille aînée de l'Église », notamment à ses droits sur Saint Jean du Latran à Rome ou sur les lieux saints de Jérusalem. Elle protégeait les congrégations catholiques (même lorsqu'elle avait chassé les congréganistes poursuivis pour délit de congrégation par la loi de 1901 ou interdits d'enseignement par la loi de 1904), parfois aussi les missions protestantes comme la Société des Missions de Paris, ou le réseau des écoles de l'Alliance Israélite Universelle. Par ailleurs, avec le rétablissement des relations diplomatiques avec le Vatican en 1921, le nonce apostolique est devenu « naturellement » le doyen du corps diplomatique en France.
23Depuis les Accords Briand-Cerretti de 1923-1924, s'est également établie la tradition scrupuleusement respectée de consultation des autorités françaises par le Saint-Siège via le nonce apostolique, le Quai d'Orsay et le ministère de l'Intérieur, avant toute nomination épiscopale. L'État français est ainsi amené à faire savoir par note diplomatique s'il ne voit pas d'objection à la nomination de chaque évêque et à son installation dans tel diocèse. Pour la nomination de l'évêque aux armées, on arrive même à une nomination conjointe, puisqu'il est nécessaire que le ministre de la Défense agrée cet évêque pour qu'il puisse exercer la plénitude de ses fonctions à la tête de l'aumônerie militaire catholique.
24Un symbole de cette connaissance respectueuse des cultes par l'État laïque est la cérémonie annuelle des vœux des autorités religieuses au président de la République. Jusqu'à une période très récente, n'y assistaient que les responsables des anciens cultes reconnus, en général le cardinal-archevêque de Paris, le président de la Fédération protestante de France, le Grand Rabbin de France. Pour la première fois, en 2004, un représentant du culte musulman y prenait également part, Dalil Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris, en sa qualité de président du tout récent Conseil Français du Culte Musulman. Ce qui enregistre, avec quelque retard, l'évolution du paysage religieux français.
25Il est loin le temps où l'on se demandait si un membre du gouvernement,a fortiori le président de la République, avait le droit d'entrer dans un édifice religieux ou d'assister à un office. Les relations entre les cultes et l'administration sont plus étroites qu'avant. Le 12 février 2002, Lionel Jospin, premier ministre, recevait officiellement Mgr Jean Pierre Ricard, président de la Conférence des Évêques de France, accompagné du nonce apostolique (car les relations entre l'Église catholique et les États relèvent canoniquement du Saint-Siège) et du cardinal archevêque de Paris (dont le rôle est historiquement établi) pour examiner un certain nombre de problèmes concrets se posant à l'Église catholique 7. S'en est dégagé le principe de rencontres régulières au niveau politique pour définir les objectifs à atteindre et la constitution d'une structure de travail mixte sur différents dossiers, la construction et l'utilisation des édifices du culte, la protection du patrimoine religieux, l'enseignement du fait religieux à l'école, le secret professionnel des ministres du culte et le financement des Églises. On sait également le rôle que les pouvoirs ont joué dans la consultation qui a permis les élections du Conseil Français du Culte Musulman et des Conseils Régionaux du Culte Musulman.
26Le Professeur Jean Chelini estimait dansLe Figarodu 13 juillet 2001, à propos du bicentenaire du Concordat de 1801 que « l'État doit cesser de considérer que “la sécularisation indéfinie est un bien” et proposait de rendre à la religion sa place dans la République à travers une législation d'ensemble pour rapatrier les religions au sein de la nation, reconnaître leur rôle public et social et admettre la validité de leur prise de parole dans leurs domaines de compétence » 7. Mais n'est-on pas déjà largement entré dans cette voie de (re)connaissance, certes sans passer par la loi mais la loi est-elle obligatoire ou même à conseiller en la matière ?
27Le Conseiller pour les affaires religieuses du ministère des Affaires étrangères 8 remplit une fonction créée après le rétablissement des relations diplomatiques avec le Saint-Siège, sous l'impulsion d'Aristide Briand. À la suite de Louis Canet, ses titulaires furent longtemps des universitaires. Depuis une dizaine d'années, il s'agit de diplomates de carrière qui animent une petite équipe chargée des relations avec les autorités religieuses dans le monde entier et de connaître les différentes forces religieuses et leurs évolutions dans tous les domaines, en particulier en ce qui concerne leur impact politique et social.
28On sait l'impact de l'affaire des fiches du général André en 1904 qui non seulement mentionnaient les convictions religieuses des officiers, mais soulignaient leur degré de pratique et de leur attachement à l'Église catholique, leur avancement supposant l'absence d'influence cléricale : elle aboutit à la chute du gouvernement d'Émile Combes. Les fonctionnaires bien sûr ne sont plus fichés et toute discrimination fondée sur des opinions politiques et religieuses est strictement prohibée, ce qu'a confirmé l'arrêt Barrel de 1954. N'oublions pas cependant que la mention de l'appartenance religieuse des préfets et sous-préfets s'est poursuivie jusqu'à la Seconde Guerre mondiale et lors de la libération de l'Alsace-Moselle dans les dossiers d'épuration, on a souvent fait mention des opinions religieuses, en particulier pour des pasteurs luthériens, suspectés de tendances germanophiles. Dans ces trois départements, la mention de la religion a été relevée dans les recensements de la population jusqu'en 1967 et, à cause du statut scolaire, la confession des élèves est toujours mentionnée, l'enseignement de la religion à l'école publique restant obligatoire, avec, bien entendu, des possibilités de dispense.
29De très nombreuses commissions font appel à des représentants des différents cultes. Parfois, cette présence est prévue expressément (Commission d'art sacré du ministère de la Culture). Mais même lorsque cette présence ne relève pas d'une disposition juridique, elle montre bien que l'État tient à recueillir l'avis de théologiens et de responsables religieux dans de nombreuses enceintes (Comité national d'éthique, Commission nationale consultative des droits de l'homme, Haut Conseil à l'intégration).
30En France, l'État est pédagogue. La connaissance des faits religieux a toujours été transmise dans l'enseignement public, dans les programmes et les cours d'histoire, de géographie, de langues, de français, de philosophie, mais souvent de manière allusive et partielle, alors que l'importance et la valeur culturelle et pédagogique de ce savoir ont été soulignées par les rapports Julliard et Debray. L'effort en ce domaine devrait d'abord porter sur la formation des enseignants, en particulier dans les IUFM et sur l'élaboration de matériels pédagogiques par les CRDP. L'État fait aussi connaître les religions dans la formation de ses fonctionnaires dans les IRA et à l'ENA et de nombreuses sessions de formation continue sont proposées sur les religions en général, sur l'islam en France et dans le monde ou sur les phénomènes sectaires. De très nombreux services de l'État et des collectivités locales sont appelés à connaître les religions à travers leurs multiples activités, car les religions vont bien au-delà du seul exercice des cultes. Que d'associations, simplement déclarées ou reconnues d'utilité publique voire de fondations, ou d'ONG, éducatives, sportives, culturelles, sociales, caritatives... ont une référence confessionnelle ou religieuse. Elles peuvent bénéficier de subventions publiques directes et bien sûr elles sont suivies par les services qui leur accordent ces subventions et elles sont contrôlées pour tout ce qui concerne l'utilisation des fonds publics, sans préjudice du principe de liberté d'associations et de leur libre administration. On oublie trop souvent la mine de renseignements que renferment les bureaux des associations dans les préfectures qui non seulement détiennent leurs statuts mais qui reçoivent la déclaration annuelle de leurs activités et de leurs organes dirigeants.
31L'État connaît aussi les religions quand il cherche une légitimation ou le recueil d'une pluralité d'opinions dans des instances consultatives. Dans de très nombreux conseils siègent des personnalités dont l'engagement religieux est connu, voire des théologiens et des ministres du culte : Comité national d'éthique, Commission consultative des droits de l'homme, Haut conseil à l'intégration, Comité d'orientation de la MIVILUDES, Commission de la République Française pour l'UNESCO, Commission d'art sacré...
32Mais l'État cherche également à être éclairé sur les évolutions des forces religieuses, sur leur impact politique et social, par ses services, en particulier par les renseignements généraux, dont les agents sont spécialisés dans la connaissance des différentes religions. Les menées d'organisations religieuses d'origine étrangère mettant en péril les intérêts de notre pays (et pas seulement des groupes terroristes islamistes) sont suivies par la DST, la Direction du renseignement militaire et la DGSE.
33Dans la surveillance des religions, la notion première est celle d'ordre public. La liberté des religions est très large, mais différents mouvements peuvent remettre en cause l'ordre républicain ou créer des troubles à l'ordre public. L'État se doit de connaître ces agissements et de les prévenir dès lors qu'ils menacent la société ou certains de ses membres. Cependant si l'État s'en tenait aux rapports des services de renseignement, il n'aurait qu'une vision partielle et tronquée « policière » des religions. Mais les sources d'information et les occasions de rencontres sont multiples, dans l'indépendance de chaque institution.
34Enfin, la mission didactique de l'État comporte un autre volet. Il s'adresse également aux religions et aux fidèles qu'il connaît, pour leur enseigner les principes de la laïcité et en montrer les mérites. Par exemple, la consultation du culte musulman s'est ouverte par l'affirmation des « principes juridiques régissant l'exercice du culte musulman en France », principes qui s'appliquent à toutes les religions. Ces principes sont rappelés à de nombreuses occasions. Les préfets sont appelés à rencontrer régulièrement les responsables religieux de leur département et une récente circulaire du 15 juillet 2004 leur demande de développer chez les fonctionnaires la connaissance de la laïcité et des religions.
35La France est une République laïque. Elle n'en continue pas moins à reconnaître juridiquement des religions sur une partie non négligeable de son territoire (Alsace-Moselle, Guyane, Territoires d'outre-mer) et à reconnaître légalement des congrégations sur l'ensemble de son territoire. Surtout elle connaît tous les cultes organisés dans le cadre des associations cultuelles de la loi de 1905 ou même dans celui des associations de la loi de 1901. Elle garantit le libre exercice des cultes, elle favorise leur expression, elle leur confère fiscalement les avantages des associations reconnues d'utilité publique, elle leur offre gratuitement l'entretien des édifices du culte dont la propriété est publique et qui leur sont affectés, elle leur fait une place dans de nombreuses instances et elle leur réserve un espace d'expression publique (les émissions religieuses sur les chaînes publiques, par exemple). La Séparation est « bien tempérée », et connaît bien des limites, à la fois juridiques et territoriales.
36Cette connaissance des religions par l'État laïc est-elle suffisante ? Les Églises répondent souvent par la négative. Mais n'entraîne-t-elle pas cependant trop de sollicitude en faveur des religions, aux dépens des athées, des incroyants ou des rationalistes qui n'ont pas les mêmes possibilités d'expression, comme le souligne le rapport de la commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République, présidée par Bernard Stasi.
37Le problème essentiel aujourd'hui n'est peut-être pas là, mais dans la distance entre la totale égalité juridique entre les cultes et les inégalités de fait dont souffrent les cultes « récents » apparus sur le territoire de la métropole après 1905, comme l'islam. Il importe sans doute que la connaissance des religions se renforce et s'approfondisse, par exemple à travers l'enseignement des faits religieux à l'école publique, en veillant à respecter scrupuleusement à la fois l'égalité entre tous les citoyens, croyants et incroyants, et l'égalité entre tous les cultes, ce qui constitue bien la responsabilité première de l'État laïc.
38Comme l'affirme Rémy Schwartz, « la société française a profondément changé depuis 1905. La finalité n'est absolument plus d'assurer l'indépendance réciproque entre l'État et les Églises, principalement l'Église catholique. Il s'agit aujourd'hui d'assurer le vivre ensemble dans une société plurielle. Les principes posés restent ainsi d'une totale actualité alors même que notre société a radicalement évolué : indépendance réciproque de l'État et des Églises, égalité des droits de chacun qu'il soit croyant ou non-croyant (...) La neutralité des services publics demeure donc d'une totale actualité, d'autant plus lorsqu'il s'agit de les préserver des conflits et pressions extérieures » 9 . Mais la liberté de conscience et le libre exercice des cultes supposent connaissance et respect des religions dans toutes leurs dimensions par les personnes publiques, dont les agents ont plus d'obligations en la matière que les usagers du service public, et c'est dans ce domaine concret que des progrès restent à accomplir.
39Il est donc nécessaire de développer les occasions et les lieux de dialogue entre l'État et les religions afin de lutter contre la méconnaissance croissante des faits religieux par les médias mais aussi par les responsables administratifs et politiques. Mais c'est aussi dans l'ensemble de la société et d'abord à l'école que cette connaissance des religions doit être assurée. Ce qui ressort directement de la responsabilité de l'État laïc qui connaît tous les cultes et doit donc les faire connaître.
AlainBoyer, « Comment l'État laïque connaît-il les religions ? »,Archives de sciences sociales des religions, 129 | 2005, 37-49.
AlainBoyer, « Comment l'État laïque connaît-il les religions ? »,Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 129 | janvier - mars 2005, mis en ligne le 09 janvier 2008, consulté le 30 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/assr/1107 ; DOI : https://doi.org/10.4000/assr.1107
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