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La Complainte du désespéré

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Texte établi parLéon SéchéRevue de la Renaissance2 (p. 115-128).
collectionLa Complainte du désespéréJoachim du BellayRevue de la Renaissance1903ParisC2La Complainte du désespéréDu Bellay - Œuvres complètes, édition Séché, tome 2.djvuDu Bellay - Œuvres complètes, édition Séché, tome 2.djvu/7115-128 

LA COMPLAINTE DU DESESPÉRÉ

Qui prestera la parole
     A la douleur qui m’affole ?
     Qui donnera les accens
     A la plainte qui me guide.
     Et qui laschera la bride
     A la fureur que je sens ?
Qui baillera double force

     A mon ame, qui s’efforce
     De souspirer mes douleurs ?
     Et qui fera sur ma face
     D’une larmoyante trace
     Couler deux ruisseaux de pleurs ?
Sus mon cœur ouvre ta porte
     A fin que de mes yeux sorte
     Une mer à ceste fois.
     Ores faut que tu te plaignes,
     Et qu’en tes larmes tu baignes
     Ces montaignes et ces bois.
Et vous mes vers dont la course
     A de la première source
     Les sentiers abandonnez.
     Fuyez à bride avallée,
     Et la prochaine vallée
     De vostre bruict estonnez.
Vostre eau, qui fut claire et lente
     Ores trouble et violente,
     Semblable à ma douleur soit,
     Et plus ne meslez vostre onde
     A l’or de l’arène blonde,
     Dont vostre fond jaunissoit.
Mais qui sera la premiere ?
     Mais qui sera la derniere
     De vos plaintes ? O bons Dieux !
     La furie qui me dompte
     Las, je sens qu’elle surmonte
     Ma voix, ma langue et mes yeux.
Au vase estroit, qui dégoutte
     Son eau qui veut sortir toute.
     Ores semblable je suis :
     Et faut, ô plainte nouvelle !
     Que mes plaincts je renouvelle
     Dont plaindre assez je ne puis.
Quand toutes les eaux des nues
     Seroient larmes devenues,
     Et quand tous les vents cognus
     De la charette importune
     Qui fend les champs de Neptune,
     Seroient souspirs devenus :

Quand toutes les voix encores
     Complaintes deviendroyent ores,
     Si ne me suffiroyent point
     Les pleurs, les souspirs, le plaindre,
     A vivement contrefeindre
     L’ennuy, qui le cœur me poingt.
Ainsi que la fleur cueillie
     Ou par la bize assaillie
     Perd le vermeil de son teint,
     En la fleur du plus doux aage
     De mon pallissant visage
     La vive couleur s’esteint.
Une languissante nue
     Me sille desjà la vue,
     Et me souvient en mourant
     Des douces rives de Loyre,
     Qui les chansons de ma gloire
     Alloit jadis murmurant.
Alors que parmi la France
     Du beau Cygne de Florence
     J’allois adorant les pas,
     Dont les plumes j’ay tirées,
     Qui des ailes mal cirées
     Le vol n’imiteront pas.
Quel bois, quelle solitude,
     Tesmoin de l’ingratitude
     De l’archer malicieux,
     Ne resonne les alarmes
     Que les amoureuses larmes
     Font aux esprits vicieux.
Les bleds ayment la rousée
     Dont la plaine est arrousée :
     La vigne ayme les chaleurs,
     Les abeilles les fleurettes,
     Et les vaines amourettes
     Les complaintes et les pleurs.
Mais la douleur vehemente,
     Qui maintenant me tourmente,
     A repoussé loin de moy,
     Telle fureur insensée
     Pour entrer en ma pensée

     Le traict d’un plus juste esmoy.
Arriere plaintes frivoles
     D’un tas de jeunesses folles :
     Vous ardents souspirs enclos,
     Laissez ma poitrine cuite,
     Et traînez à vostre suite
     Mille tragiques sanglots.
Si l’injure dereglée
     De la fortune aveuglée,
     Si un faux bonheur promis
     Par les faveurs journalieres,
     Si les fraudes familieres
     Des trop courtisans amis :
Si la maison mal entiere
     De cent procez heritiere.
     Telle qu’on la peut nommer
     La galere désarmée,
     Qui sans guide et mal ramée
     Vogue par la haute mer :
Si les passions cuisantes
     A l’ame et au corps nuisantes,
     Si le plus contraire effort
     D’une fiere destinée,
     Si une vie obstinée
     Contre un désir de la mort :
Si la triste cognoissance
     De nostre fresle naissance,
     Et si quelque autre douleur
     Geinne la vie de l’homme,
     Le mérite, qu’on me nomme
     L’esclave de tout malheur.
Qu’ay-je depuis mon enfance
     Sinon toute injuste offense
     Senti de mes plus prochains ?
     Qui ma jeunesse passée
     Aux tenebres ont laissée,
     Dont ores mes yeux sont pleins.
Et depuis que l’aage ferme
     A touché le premier terme
     De mes ans plus vigoureux,
     Las, helas, quelle journée

     Fut onq’ si mal fortunée
     Que mes jours les plus heureux ?
Mes os, mes nerfs, et mes veines
     Tesmoins secrets de mes peines,
     Et mille soucis cuisans,
     Avancent de ma vieillesse
     Le triste hyver, qui me blesse
     Devant l’esté de mes ans.
Comme l’Automne saccage
     Les verds cheveux du boccage
     A son triste advenement,
     Ainsi peu à peu s’efface
     Le crespe honneur de ma face
     Veuve de son ornement.
Mon cœur jà devenu marbre
     En la souche d’un vieil arbre
     A tous mes sens transmuez :
     Et le soir, qui me desrobbe,
     Me fait semblable à Niobe
     Voyant ses enfans tuez.
Quelle Medée ancienne
     Par sa voix magicienne
     M’a changé si promptement ?
     Fichant d’aguilles cruelles
     Mes entrailles et mouëlles
     Serves de l’enchantement ?
Armez-vous contre elle donques
     O vous mes vers, et si onques
     La fureur vous enflamma,
     Faites luy sentir l’iambe,
     Dont contre l’ingrat Lycambe.
     La rage Archiloq’ arma.
O nuict ! ô silence ! ô lune,
     Que ceste vieille importune
     Ose du Ciel arracher !
     Pourquoy ont la terre, et l’onde,
     Mais pourquoy a tout le monde
     Conspiré pour me fascher ?
Ni toute l’herbe cueillie
     Par les champs de Thessalie,
     Ni les murmures secrets,

     Qui la verge enchanteresse,
     Dont la Dame vengeresse
     Tourna les visages Grecs :
Ni les flambeaux, qu’on allume
     Aux obseques, ni la plume
     Des mortuaires oyseaux.
     Ni les œufs qu’on teint et mouille
     Dans le sang d’une grenouille,
     Ni les avernales eaux :
Ni les images de cire.
     Ni ce, qui l’Enfer attire,
     Ni tous les vers enchantez
     Par la vieille eschevelée
     D’une voix entremeslée
     Six et trois fois rechantez :
Ni le monstrueux breuvage
     Meslé avecques la rage
     Qui s’enfle au front des chevaux,
     Ni les furies ensemble
     Enfanteroyent {ce me semble)
     Le moindre de mes travaux.
Moindre feu ne me consume,
     Et moindre peste ne hume
     La tiede humeur de mes os
     Que l’herculienne flamme
     Ayant le don de sa femme
     Engravé dessus le dos.
Les flots courroucez, qui baignent
     Leurs rivages, qui se plaignent
     Ne sout plus sourds que je suis :
     Ni ce peuple qui habite
     Où le Nil se précipite
     Dedans la mer par sept huis.
Les vents, la pluie, et l’orage,
     N’exerce plus grand outrage,
     Sur les monts et sur les flots,
     Que l’eternelle tempeste,
     Qui brouille dedans ma teste
     Mille tourbillons enclos.
Comme la fole prestresse,
     A qui le Cynthien presse

     Le cœur superbe et despit,
     Hérissant sa chevelure
     Contre-tourne son allure
     Par un mouvement subit :
Ainsi avecq’ noire mine
     Tout furieux je chemine
     Par les champs plus esloignez,
     Remaschant d’un souci grave
     Mille fureurs, que j’engrave
     Sur mes sourcils renfrongnez.
Tel est le Thebain Panthée
     Quand son ame espouvantée
     Voit le soleil redoublé :
     Tel, le vengeur de son pere
     Quand les serpens de sa mere
     Luy ont son esprit troublé.
D’une entre-suyvante fuite
     Il adjourne, et puis ennuite :
     L’an d’un mutuel retour
     Ses quatres saisons rameine :
     Et après la Lune pleine,
     Le croissant luit à son tour,
Tout ce que le ciel entourne,
     Fuit, refuit, tourne et retourne,
     Comme les flots blanchissans,
     Que la mer venteuse pousse,
     Alors qu’elle se courrousse
     Contre ses bords gemissans.
Chacune chose decline
     Au lieu de son origine ;
     Et l’an qui est coustumier,
     De faire mourir et naistre,
     Ce qui fut rien avant qu’estre
     Reduit à son rien premier,
Mais la tristesse profonde,
     Qui d’un pié ferme se fonde
     Au plus secret de mon cœur,
     Seule immuable demeure,
     Et contre moy d’heure en heure
     Acquiert nouvelle vigueur.
Ainsi la flamme allumée,

     Que les vents ont animée,
     Forcenant cruellement
     En mille poinctes s’eslance,
     Dedaignent la violence
     De son contraire element.
Quand l’obscurité desserre
     Ses ailes dessus la terre.
     Et quand les presens des Dieux
     Pour emmieller la peine
     De toute la gent humaine
     Charme doucement les yeux.
Lors d’une horreur taciturne
     Dessous le voile nocturne
     Tout se fait paisible et coy :
     Toute maniere de beste
     Au sommeil courbe la teste
     Dedans son privé requoy.
Mais le mal qui me resveille
     Ne permet que je sommeille
     Un seul moment de la nuict.
     Sinon que l’ennuy m’assomme
     D’un espouventable somme
     Qui plus que le veiller nuit
Puis quand l’aube se descouche
     De sa jaunissante couche
     Pour nous esclairer le jour,
     Avec moy s’esveille à l’heure
     Le soin rongeard, qui demeure
     En son familier sejour.
Où tout cela, que lon nomme
     Les bienheuretez de l’homme,
     Ne me sçauroit esjouyr,
     Privé de l’aise qu’apporte
     A la vie demi-morte
     Le doux plaisir de l’ouyr,
Et si d’un pas difficile
     Hors du triste domicile
     Je me traine par les champs
     Le souci, qui m’accompagne,
     Ensemence la campagne
     De mille regrets tranchans.

Si d’avanture j’arrive
     Sur la verdoyante rive,
     J’essourde le bruit des eaux :
     Si au bois je me transporte,
     Soudain je ferme la porte
     Aux doux gosiers des oiseaux
Jadis la tourbe sacrée
     Qui sur le Loyr se recrée
     Me daignoit bien quelquefois
     Guider autour des rivages,
     Et par les antres sauvages,
     Imitateurs de ma voix :
Mais or’ toute espouvantée
     Elle fuit d’estre hantée
     De moy despit et félon,
     Indigne que ma poictrine
     Reçoive sous la courtine
     Les saints presens d’Apollon.
Mesmes la voix pitoyable.
     Dont la plainte larmoyable
     Rechante les derniers sons,
     Dure et sourde à ma semonce
     Desdaigne toute responce
     A mes piteuses chansons.
Quelque part que je me tourne,
     Le long silence y sejourne
     Comme en ces temples devots,
     Et comme si toutes choses
     Pesle-mesle estoyent r’encloses
     Dedans leur premier caos.
Mettez-moy donq’ où la tourbe
     Du peuble estonné se courbe
     Devant le sceptre des Rois,
     Et en tous les lieux encore,
     Où plus la France decore
     Et ses armes et ses loix :
Mettez-moy, où l’on accorde
     La contre-accordante corde
     Par les discordans accords.
     Et où la beauté des Dames
     Souffle les secrettes flammes

Qui brusient dedans le corps :
Metiez-moy ^’si bon vous semble}
Où la Dalienne assemble
Sa bande apprise au labeur,
A cri. à cor. et à suite
Pressant la légère fuite
Des cerfs ailez par la peur :
Mettez-moy où Cytherée
En la saison altérée
Sa jeune troppe conduit
Et sans craindre la froidure
Dessus i’humide verdure
Raie au serain de la nuict :
Mettez-moy là. où florissent
Les arbres, qui se nourrissent
Au beau séjour d’Alcinois,
Et là. où le riche automne
D’une main prodigue donne
L’honneur du front d’Achelois ;
Mettez-moy. où plus abonde
Tout ce que plus en ce monde
Contente l’humain désir :
■ Si ne pourray-je en tel aise
Trouver plaisir, qui me plaise.
Que l’obstiné desplaisir.
Helas, pourquoy tant s’augmentent
Les malheurs, qui me tourmentent
Désespéré d’avoir mieux ?
Ou pourquoy à les accroîstre.
Par trop les vouloir cognoistre,
Suis-je tant ingénieux ?
Heureux, qui a par augures
Preveu les choses obscures :
Et trop plus heureux encor’,
En qui des Dieux la largesse
A respandu la sagesse
Des cieux le plus beau thresor.
Combien (si nous estions sages)
Se demonstrent de présages.
Avant-coureurs de nos maux ?
Soit par injure céleste.

Par quelque perte moleste,
Ou par mort des animaux ?
Mais la pensée des hommes.
Pendant que vivans nous sommes,
Ignore le sort humain :
La divine prescience
Par certaine expérience
Le tient clos dedans sa main.
Seroii point déterminée
Quelque vieille destinée
Contre les esprits sacrez r
Mille, qui dessus Parnaze
Beurent de l’eau de Pegaze,
Ont fait semblables regrets.
De la Lyre Thracienne,
Et de lAmphionienne
Les malheurs je ne diray :
De l’aveuglé Stesichore
Et du grand aveugle encore
Les labeurs je nescriray.
Je tais la mort d’Euripide,
Et la tortue homicide.
Je laisse encore la faim
De ce misérable Plaute,
Et les peines de la faute
De l’amoureux escrivain.
Seulement me plaist escrire
Comme le Dieu, qui inspire
Le trouppeau musicien,
Mortel, sous habit champestre,
Sept ans les bœufs mena paistrc
Au rivage Arnphrysien,
Maudite donq’ la lumière,
Qui m’esclaira la première.
Puisque le ciel rigoureux
Assujettit ma naissance
A lindontable puissance
D’un astre si malheureux.
O Dieux vengeurs, que Ion jure,
Dieux, qui punissez linjure
Dune rompue amitié

Si les dévotes prières
Pour les injustes misères
’ous esmeuvent à pitié,
Las. pourquoy ne se retire
De moy ce cruel martyre.
Si mes innocentes mains
Pures de sang, et rapines.
Ne furent oncques inclines
A rompre les droits humains ?
Je ne suis né de la race,
Qui dessus les monts de Thrace,
O Dieux, sarma contre vous,
Ni de l’hoste abominable,
Qui pour son forfait damnable
Accreut le nombre des loups.
Je n’ay hanté le collège
De ce larron sacrilège
Qui fut premier inventeur
De feindre la cognoissance
De vostre divine essence
Par un visage menteur.
Je ne suis né de la terre,
Qui en la Thebaine guerre,
Huma le sang fraternel.
Dont le mutuel outrage
Tesmoigna l’aveugle rage
De l’inceste paternel.
D’une cruauté nouvelle
Je n’ay rompu la cervelle
De mon père, et si n’ay pas
De ses entrailles saillantes
Rempli les gorges sanglantes
Par un nocturne repas.
Si mon innocente vie
Ne fut oncques asservie
Aux serves affections :
Si l’avare convoitise,
Si l’ambition n’attise
Le feu de mes passions :
Si pour destruire un lignage,
Par escrit, ou tesmoignage,

Ma langue n’a point menti :
Si au rang de l’homme juste
Avecques le plus robuste
Jamais je n’ay consenti :
Si la vieille depiteuse
Du mal d’autruy convoiteuse : ^
Si l’ire, si la rancueur,
(Et si quelque autre furie
A sur l’homme seigneurie)
Ne m’ont atfolé le cœur :j
Divine Majesté haute
D’où me viennent, sans ma faute
Tant de remors furieux ?
O malheureuse innocence,
Sur qui ont tant de licence
Les astres injurieux.
Heureuse la créature,
Qui a fait sa sépulture
Dans le ventre maternel !
Heureux celuy, dont la vie
En sortant s’est veuë ravie
Par un sommeil éternel.
Il n’a senti sur sa teste
L’inévitable tempeste,
Dont nous sommes agitez.
Mais asseuré du naufrage
Dé bien loin sur le rivage
A veu les flots irritez.
Sus mon âme, tourne arrière.
Et borne ici la carrière
De tes ingrates douleurs.
Il est temps de faire espreuve.
Si après la mort on treuve
La fin de tant de malheurs.
Ma vie désespérée,
A la mort délibérée
J’à desjà se sent courir.
Meure donques, meure, meure,
Celuy qui vivant demeure
Mourant sans pouvoir mourir.
Ainsi le Divin d’Adraste,

Qui pour le fils d’Iocaste
Encontre Thebes s’arma,
S’eslançoit de grand’ audace
Dedans l’horrible crevace,
Qui sur luy se referma.
Vous, à qui ces durs allarmes
Arracheront quelques larm.es,
Soyez joyeux en tout temps,
Ayez le ciel favorable,
Et plus que moy misérable,
Vivez heureux et content.

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