À la recherche d'un système alternatif au dessin d'architecture traditionnel, et influencée par lesuprématisme et l'avant-garde russe, Zaha Hadid adopte la peinture comme outil de conception et l'abstraction comme principe d'investigation pour réinvestir les expériences avortées et non testées du modernisme, et dévoiler de nouveaux champs de construction. Elle est une précurseure dans l’utilisation de laconception paramétrique pour modéliser ses projets.
Zaha Hadid est née le àBagdad enIrak, d'une famillesunniteturcomane de la classe supérieure[1]. Son père, Muhammad al-Hajj Husayn Hadid, est un riche industriel deMossoul. Il est l'un des fondateurs du groupe politique de la gauche libérale al-Ahali, importante organisation politique durant les années 1930 et 1940. Il est aussi le cofondateur du Parti national démocrate en Irak[2]. Sa mère, Wajiha al-Sabunji, est une artiste originaire de Mossoul. Dans les années 1960, son père l'envoie avec ses deux frères en Europe, où elle est en pensionnat en Angleterre et en Suisse[3].
Elle rejoint Koolhaas et Zenghelis à l'Office for Metropolitan Architecture (OMA) deRotterdam, dont elle devient l'associée en 1977, année de l'obtention de son diplôme[3],[7]. Grâce à cette association avec Koolhaas, elle rencontre l'ingénieurPeter Rice, qui l'aide et l'encourage à un moment où ses idées semblent difficiles à construire[1].
En 1980, elle crée sa propre agence à Londres[8]. En 1983, elle remporte le premier prix du concours pour un club privé àHong Kong. Les dessins pour ce projet non-réalisé intègrent déjà un grand nombre d'idées qu’elle développera tout au long de sa carrière, et portent la marque de concepts et de formes relativement avant-gardistes pour l’époque[9]. Cependant, au cours de la décennie 1980, elle conçoit et présente un certain nombre de projets qui ne seront pas sélectionnés lors de concours d’architecture, ou auxquels les commanditaires ne donneront pas suite[10].
En 1988, elle fait partie des sept architectes qui exposent leurs dessins et peintures pour l’expositionDeconstructivism in Architecture organisée parPhilip Johnson et Mark Wigley auMuseum of Modern Art de New York[Note 1],[11]. Cette exposition, ainsi qu'une conférence à laTate de Londres et la couverture médiatique de son travail vont non seulement renforcer sa réputation internationale dans le monde de l'architecture mais permettre également au public d'associer son nom au style déconstructiviste[2]. Cette année 1988 voit aussi l’arrivée de Patrik Schumacher au studio d’architecture. Encore étudiant à ce moment, il devient progressivement le bras droit de Zaha Hadid et occupe bientôt le poste de directeur de l’agence[Note 2]. Théoricien et promoteur de laconception paramétrique, Patrik Schumacher permet à l’architecte de convertir les dessins déconstruits de Zaha Hadid en structures réalisables[3].
Sous l'impulsion de Rolf Fehlbaum, le président de la sociétéVitra, ungrand espace consacré au design et à l’architecture est créé autour de l’usine du fabricant de meubles àWeil am Rhein. Zaha Hadid conçoit la caserne des pompiers en 1993, une structure anguleuse à base de pointes et de diagonales en béton brut. L'architecte réalise ainsi son premier projet d’envergure[13]. L’année suivante, elle présente un projet pour le concours du nouvel un opéra deCardiff aupays de Galles. Son projet est choisi par le jury du concours, mais le gouvernement gallois refuse de le financer et la commande est confiée à un autre architecte[14]. Six ans plus tard, à proximité du campus Vitra, elle achève la construction d’une structure appeléeLandscape Formation One. Imaginé dans le cadre duLandesgartenschau 1999 — une exposition horticole — ce pavillon allongé qui se fond dans la nature comprend des zones d’exposition, des bureaux, un restaurant et un passage pour traverser les jardins exposés[15].
L'année suivante, en 2004, Zaha Hadid reçoit leprix Pritzker[20]. C'est là aussi une première puisqu'elle est la première femme à obtenir cette récompense. Grâce à cette distinction, les commandes vont affluer[3].
En 2005, elle achève la construction d’un édifice dont elle a remporté le concours en 2000, LePhaeno, situé àWolfsburg, en Allemagne, unmusée scientifique de 9 000 m2 de surface, destiné à vulgariser et diffuser la culture scientifique et technique[21]. Son concept consiste en une structure surélevée de sept mètres sur despylônes en béton. Z. Hadid prévoit que l'espace sous le bâtiment soit rempli d'activités : les dix colonnes massives en forme de cône inversé qui soutiennent le bâtiment abritent par exemple un café, une boutique ainsi que l'entrée du musée. Ces supports inclinés s'élèvent à travers le bâtiment et soutiennent également le toit. La structure du bâtiment ressemble à un énorme navire, avec ses murs penchés et ses fenêtres asymétriques. L'intérieur, avec ses colonnes angulaires et sa charpente métallique apparente, donne l'illusion d'être à l'intérieur d'un navire ou dans un laboratoire en activité[22].
Toujours en 2005, elle achève le nouveau bâtiment administratif pour l'usine du constructeur automobileBMW àLeipzig, en Allemagne. À la suite du concours d’architecture remporté en 2002, elle est chargée d’imaginer l’édifice qu’elle conçoit comme le« centre nerveux du complexe BMW » reliant les trois bâtiments d'assemblage, conçus par d'autres architectes, qui le jouxtent[23]. Comme pour le musée Phaeno, le bâtiment est hissé au-dessus du niveau de la rue sur des pylônes de béton adossés. L'intérieur contient une série de niveaux et d'étages qui semblent être en cascade, portés par des poutres en béton inclinées et un toit soutenu par des poutres en acier en forme de « H ». Selon l’architecte, l'intérieur ouvert vise à« éviter la ségrégation traditionnelle des groupes de travail » et à montrer la« transparence globale de l'organisation interne » de l'entreprise[24],[23].
Achevé en 2010, leMAXXI,musée national des Arts duXXIe siècle, àRome, se caractérise principalement par son sens du mouvement : tout dans la structure semble fluide et en mouvement. Pour cette réalisation, Zaha Hadid s'est inspirée des trames urbaines du site environnant afin de déterminer la forme générale de l’édifice[27]. La façade appartient à sa première période, avec des murs blancs aux courbes lisses et un schéma de couleurs noir et blanc austère. Le bâtiment est perché sur des groupes de cinq pylônes très fins, et une galerie avec une face en verre surplombe avec délicatesse la place devant le musée, tout en créant de l'ombre[28]. Le critique d’architecture Rowan Moore décrit sa forme comme« des tubes oblongs pliés, se chevauchant, se croisant et s'empilant les uns sur les autres. L'image est celle d'un flux et d'un mouvement, et elle ressemble à une pièce démente d'architecture de transport. […] À l'intérieur, des escaliers et des ponts en acier noir, dont le dessous brille d'une lumière blanche, volent à travers le vide. […] Ils vous emmènent vers les galeries, qui sont elles-mêmes des œuvres dont le mouvement est figé. […] La conception génère ce que Hadid a appelé « confluence, interférence et turbulence » »[29].
Par la suite, Zaha Hadid est chargée d’imaginer l’Aquatics Centre qui doit accueillir les épreuves denatation en bassin desJeux olympiques d'été de 2012 àLondres. Le bâtiment abrite trois piscines, et peut accueillir 17 500 spectateurs autour des deux bassins principaux. La toiture — en acier et aluminium, et couverte de bois sur son parement intérieur — ne repose que sur trois supports ; elle a la forme d'un arc parabolique à double courbure qui plonge au centre[32]. Le critique Rowan Moore évoque la sensation de voir le toit flotter et onduler, et il qualifie le centre d'« espace le plus majestueux des Jeux olympiques »[33]. Avec 269 millions de livres sterling, le complexe a coûté trois fois plus cher que l'estimation initiale, principalement en raison de la complexité du toit. Celui-ci fait l'objet de nombreux commentaires lors de sa construction[32],[33].
Centre culturel Heydar-Aliyev, Bakou, Azerbaïdjan.
En, Zaha Hadid est choisie pour la reconstruction dustade olympique national de Tokyo devant accueillir laCoupe du monde de rugby 2019 ainsi que lesJeux olympiques etparalympiques de 2020, mais son projet est très critiqué[37]. Plusieurs architectes japonais le désapprouvent, notammentArata Isozaki qui le compare à une« tortue qui attend que le Japon coule pour s’en aller nager au loin » — ces réactions pouvant éventuellement venir du dépit de voir une femme étrangère remporter ce concours[38]. Le projet est aussi attaqué pour son esthétique par des intellectuels, mais c'est son coût qui lui vaut les principales critiques : à l'origine estimé à 130 milliards deyens (963 millions d’euros), l'estimation double, passant à 252,5 milliards de yens (1 872 millions d’euros). Même si Zaha Hadid se défend en invoquant la hausse des taxes sur les matériaux de construction et la difficulté à trouver de la main d'œuvre au Japon[39], ce nouveau budget entraîne finalement le lancement d'un nouvel appel d'offres en 2015.
L’agence Zaha Hadid Architects compte un peu plus de quatre cents employés en 2016. Son siège est situé àLondres, dans le quartier deClerkenwell[40]. Zaha Hadid est alors entourée par quatre associés : Patrik Schumacher, Gianluca Racana, Jim Heverin et Charles Walker[41].
Hospitalisée àMiami pour soigner unebronchite, elle meurt le, des suites d'unecrise cardiaque[42]. Elle est enterrée entre son père Mohammed Hadid et son frère Foulath Hadid au cimetière deBrookwood enAngleterre[43]. Dans son testament, elle laisse 67 millions delivres sterling, léguant divers montants à son associé Patrik Schumacher et à des membres de sa famille. Son entreprise de design, qui représente l'essentiel de sa fortune, est placée enfiducie[44],[45].
Le style architectural de Hadid n'est pas facile à classer, et elle n'est pas considérée comme relevant d'un style ou d'une école en particulier. Néanmoins, avant même d'avoir construit un premier immeuble, elle est identifiée par leMetropolitan Museum of Art comme une figure majeure dudéconstructivisme ; par ailleurs, son travail se voit également cité comme un exemple denéo-futurisme[46],[47]. Un portrait que le magazineNew Yorker brosse d'elle s'intitule « The Abstractionist » (L'Abstractionniste)[48].
Un certain nombre d'éléments propres à un « style » peuvent être relevés, en soulignant que ledit style se caractérise par une prédilection pour les entrelacs de lignes tendues et de courbes, les angles aigus, les plans superposés, qui donnent à ses créations complexité et légèreté[49]. D'autre part, à l'époque où la technologie s'intègre dans la conception, Zaha Hadid introduit l'utilisation duparamétrisme pour développer ses projets, tout en continuant à dessiner ses bâtiments à la main et à réaliser des modèles de ses conceptions[2]. À travers son style de conception, ellepeint donc les dessins conceptuels de ses projets dans des formes fluides et géométriques. Il s'agit de grandes peintures qui illustrent son processus et« la nature rationnelle de sa construction »[50].
Lorsqu'elle reçoit leprix Pritzker en 2004, le président du jury, Lord Rothschild, remarque que« parallèlement à son travail théorique et académique, en tant qu'architecte en exercice, Zaha Hadid a marqué un engagement inébranlable envers le modernisme », tout en relevant que« toujours inventive, elle s'est éloignée de la typologie existante, de la haute technologie, et a transformé la géométrie des bâtiments »[51]. LeDesign Museum remarque aussi qu'elle« a fait voler en éclats lemodernisme classiquement formel et limité par des règles deMies van der Rohe et duCorbusier, ainsi que les vieilles règles de l'espace - murs, plafonds, avant et arrière, angles droits » pour ensuite les rassembler en des formes fluides très expressives, parcourues par« de multiples points de perspective et une géométrie fragmentée, conçus pour incarner la fluidité chaotique de la vie moderne »[52].The Guardian la surnomme« la reine de la courbe » (queen of the curve)[53]. Enfin, Michael Kimmelman duNew York Times considère que Zaha Hadid a« libéré la géométrie architecturale, lui donnant une toute nouvelle identité expressive »[54].
Mais c'est chez Zaha Hadid elle-même, qui utilisait souvent un jargon architectural dense, qu'il reste possible de trouver une définition claire et simple de l'essence de son style :« L'idée est de ne pas avoir d'angles à 90 degrés. Au début, il y avait la diagonale. La diagonale vient de l'idée de l'explosion qui « reforme » l'espace. C'était une découverte importante[55]. »
2011 :résidence Capital Hill dans la forêt de Barvikha,Moscou. Cette résidence privée a été construite pour le développeur immobilier russeVladislav Doronin et est la seule résidence privée que Hadid a conçue dans sa vie[67],[68]
Également livré en 2019, l’aéroport international de Pékin-Daxing, enChine — plus grand aéroport du monde — obtient trois récompenses dans le cadre desArchitizer A+ Awards: en plus duJury Winner et duPopular Choice Winner, il est récompensé duSpecial Honoree Award pour une réalisation architecturale significative pour le territoire et inspirante pour l’avenir. De plus, en octobre 2021, cet aéroport est lauréat de laSociety of British International Interior Design (SBID) dans la catégorie « Design d’espace public ». Enfin, leGrand Théâtre de Rabat, dont la construction a débuté en 2014, est achevé huit ans plus tard[83].
Certains projets de Zaha Hadid n'aboutissent pas de son vivant, par exemple la Maison d'opéra de la baie de Cardiff(Cardiff Bay Opera House)[84] qui voit leWales Millennium Centre construit à sa place ; ce dernier ouvre en 2004[85]. Deux ans plus tard, la Médiathèque intercommunale à dimension régionale dePau est un projet d'envergure, mais il est annulé le pour cause de difficultés techniques[86]. En 2010, ce qui doit être le futurmusée Guggenheim Hermitage àVilnius, est abandonné pour des raisons financières[87]. Choisi en 2011, l'étude de Zaha Hadid du Parc des expositions deChartres n'est pas construite à la suite de dépassements de budget[88]. Enfin, le Stade olympique pourTokyo 2020 dessiné par l'architecte irakienne qui, après avoir été accepté durant la candidature nippone, est vivement critiqué en raison de sa démesure et de son coût jugé excessif par le gouvernement deShinzo Abe ne voit pas le jour. In fine, le projet est abandonné au profit d’un concept plus sobre incarné par l’architecteKengo Kuma[89].
Outre ses travaux d'architecture, Zaha Hadid a conçu de nombreux objets et pris en charge des décorations d'intérieur, dont celle de laMind Zone auDôme du Millénaire à Londres en 1999[90].
Côtédesign, elle dessine en 2007 la série des canapésMoon System pour le fabricant de meubles italiens B&B Italia[91],[92]. En 2009, elle collabore avecLacoste pour l'édition d'une série limitée de bottes[93]. En 2013, elle conçoit, pour la galerie anglaise David Gill, une série de tables nommées « Liquid Glacial » qui, grâce à une de réfraction de la lumière à l'intérieur dumatériau acrylique, évoquent des blocs de glace[94]. Elle aussi imaginé un sac pourLouis Vuitton, un vase pourAlessi, des ensembles à thé, des bouteilles pour Léo Hillinger (cuvée Icon Hill), un banc élastique pour lemusée Ordrupgaard au Danemark, ou encore son « Aquatable » fétiche enpolyuréthane[8], dont le prix atteint la somme de 296 000 dollars lors d'une vente aux enchères en 2006[95]. En 2015, elle conçoitChevron, une poignée de porte réalisée en collaboration avecOlivari pour l’immeuble 520 West 28th à New York[96].
↑Patrik Schumacher, né en 1961 àBonn, est un architecte et un théoricien de l'architecture. Il devient l'architecte principal du cabinet Zaha Hadid Architects et reste crédité sur nombre de réalisations. En parallèle, depuis 1993, il est également enseignant, et publie des articles liés à l'architecture depuis 1996. À la mort de Zaha Hadid, il reprend le cabinet[12].
↑Le Maggie's Center de Kirkcaldy, « Fife », ouvre en novembre 2006 à l'hôpital Victoria. Il s'agit du premier ouvrage construit par Zaha Hadid au Royaume-Uni. Dans ce bâtiment, l'accent est mis sur la transition entre le naturel et l'artificiel, ainsi que sur le verre clair et translucide, avec desporte-à-faux sculpturaux — la façade d'entrée est d'ailleurs presque entièrement en verre. Côté nord, l'extension du toit protège l'entrée, tandis qu'au sud, elle apporte de l'ombre. Cela peut être vu comme une fusion entreforme et fonction. La cuisine occupe le centre du bâtiment.
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