Les relations entre élèves d'établissement scolaire sont l'un des thèmes récurrents duyuri.
Leyuri(百合?,lys), aussi appelégirls' love (GL), désigne dans la culture populairejaponaise un genre d’œuvres de fiction centré sur les relations intimes entre femmes, qu'elles soient émotionnelles, sentimentales ou encore sexuelles. Ce genre ne se limite donc pas seulement aulesbianisme puisqu'il concerne aussi d'autres types de relations intimes comme peuvent l'être des liens spirituels ou encore des relations fusionnelles entre femmes. Le termeyuri est couramment employé dans le monde dumanga et de l'anime, mais il est aussi parfois utilisé dans le cadre desjeux vidéo, de lalittérature ou encore ducinéma. L'équivalent masculin duyuri est leyaoi.
Leyuri est perçu comme l'héritier duesu(エス?), ungenre littéraire féminin du Japon du début duXXe siècle, avec lequel il partage de très nombreux points communs. Leyuri en tant que tel apparait au tout début des années 1970 dans lesshōjo mangas, avant de s'étendre au fil des décennies à toutes lesdémographies du manga puis à d'autres types de média que le manga.
Leyuri traite des relations intimes entre femmes ; il s'agit là d'une définition vague pour un genre aux frontières floues où se mélangent l'amour, l'amitié, l'adoration et la rivalité, et pour lequel le terme« lesbianisme » est bien trop limitatif par rapport à la variété des situations traitées par leyuri[1]. James Welker, de l'université de Kanagawa, résume la situation par cette phrase :« Savoir si les protagonistes deyuri sont lesbiennes est une question extrêmement complexe[2]. » La question de savoir si telle protagoniste deyuri est lesbienne/bisexuelle ou non ne peut être tranchée que si elle se décrit elle-même par ces termes. Or, la plupart desyuri préfèrent ne pas définir la sexualité de leurs personnages, laissant l'interprétation au lecteur/spectateur[3].
Historiquement et thématiquement lié aushōjo manga, leyuri s'est, depuis son apparition au début des années 1970, étendu à toutes les cibles démographiques du manga. Ces dernières exploitent tous les types deyuri, cependant Erica Friedman, éditrice américaine et spécialiste du manga, note quelques tendances générales dans les thématiques abordées[4] :
Lesshōjo optent pour des mondes fantaisistes voire irréels avec des sentiments forts qui peuvent tourner à« l'obsession malsaine » et une idéalisation de la figure de la« filleprince charmant » tandis que lesjosei se veulent plus réalistes en traitant des problèmes que rencontrent les couples féminins de même sexe. Lesshōnen etseinen utilisent quant à eux leyuri pour mettre en scène des romances légères entre les deux figures de la« jeune fille innocente » et de la« prédatrice lesbienne ». Toutefois, la plupart desmagazines de prépublication dédiés exclusivement auyuri ne suivent aucune démographie. Ainsi, on peut y trouver un manga qui traite d'une romance innocente entre deux adolescentes auquel succède un manga explicitement sexuel[4].
Contrairement à son alter egoyaoi où les représentations graphiques et explicites du rapport sexuel entre hommes sont courantes, elles sont bien plus rares dans le monde duyuri. La majorité de ces œuvres ne vont pas plus loin que les baisers ou la caresse des seins, l'accent étant mis sur la« connexion spirituelle entre femmes »[5].
Pour l'autrice Rica Takashima, les fans deyuri occidentaux ne sont pas les mêmes et ne recherchent pas la même chose que les fans japonais, ceci pour des raisons culturelles[6]. Selon elle, les Occidentaux s'attendent à trouver dans leyuri des« filles mignonnes qui se bécotent » quand les Japonais préfèrent« lire entre les lignes et chercher des indices subtils avec lesquels ils vont élaborer de vastes tapisseries à l'aide de leur imagination ». Cela explique une certaine différence de traitement des œuvres ; par exemple enOccidentSailor Moon est unmagical girl avec quelques élémentsyuri, cependant qu'au Japon il est considéré comme un« monument du genre » par les magazinesyuri[7]. En effet, les relations entre les différentessailors sont suffisamment ambiguës pour laisser l'imagination faire son travail et créer de nombreux couples imaginaires. Verena Maser,spécialiste du Japon, dit queSailor Moon est ainsi« devenu unyuri » même s'il n'a pas été créé en ce sens[8] ; il est généralement considéré que ce sont les fans, plus que les éditeurs, qui font d'une œuvre unyuri[4],[1].
C'est sur ce point que Verena Maser voit la principale différence entre les fictionsyuri et les fictions lesbiennes : les fictions lesbiennes s'intéressent généralement au processus d'auto-identification et d'affirmation des protagonistes en tant que lesbiennes ou bisexuelles quand leyuri s'appuie essentiellement sur les non-dits et la subjectivité[3].
Il existe trois termes pour décrire les œuvres de typeyuri :yuri,Girls' Love etshōjo-ai. Les définitions de ces trois termes sont plutôt floues et ils ne sont pas forcément utilisés de la même façon auJapon et en Occident.
Le motyuri(百合?) désigne lelys, et plus particulièrement le lys blanc, qui estde facto devenu le symbole du genreyuri. Depuis leromantisme japonais, le lys est associé à l'image de la femme idéale, symbolisant les deux concepts de labeauté et de la pureté[9].
Les premiers usages du termeyuri pour décrire des relations intimes entre femmes apparaissent pendant les années 1970 : en 1976, le magazine gayBarazoku(薔薇族?,tribu des roses) a intégré une colonne nomméeYurizoku no heya(百合族の部屋?,chambre de la tribu des lys) et rassemblant des lettres du lectorat féminin, que ces dernières soient lesbiennes ou non[10],[11]. Une théorie alternative veut que ce soit plutôt le magazine gayAllan(アラン,Aran?) qui, dans les années 1980, ait associé le termeyuri au lesbianisme, avec sa colonneYuri tsūshin(百合通信?,correspondances des lys) dédiée aux rencontres entre femmes[12].
À partir des années 1990, le termeyuri s'est vu associé à lapornographie lesbienne, notamment à travers le magazine mangaLady's Comicmisuto (1996-1999) qui était essentiellement constitué de contenu pornographique entre femmes, tout en employant une très forte symbolique construite autour du lys[12]. Ce n'est qu'à partir des années 2000 que les éditeurs de mangas commencent à utiliser le termeyuri, notamment à travers la création du magazineYuri Shimai en 2003[12].
Leyuri entretient des relations ambiguës avec la pornographie et le lesbianisme. Ainsi, l'héritage duesu lui renvoie une image de pureté et d'innocence bien éloignée du désir sexuel, tandis que son usage pendant les années 1980 et 1990 renvoie à un contenu lesbien et pornographique, donnant une vision bien plus sexualisée au genre. De fait, les avis des éditeurs et des journalistes divergent pour savoir s'il intègre ou non les œuvres pornographiques, et sur la frontière exacte entre leyuri et le contenu purement lesbien[13].
Le termeyuri apparaît en Occident au cours des années 1990. L'Occident n'ayant pas connu l'influence duesu, le terme est très vite associé au lesbianisme de façon quasi-exclusive. L'usage du termeyuri est parfois limité au contenu le plus sexuellement explicite quand le termeshōjo-ai désigne le contenu non-sexuel[11].
Le termewasei-eigoGirls' Love(ガールズラブ,gāruzu rabu?) apparaît au Japon au cours des années 2000, principalement chez les éditeurs[11]. Il est généralement considéré comme un synonyme au motyuri. Toutefois, une nuance est apparue en 2011 avec l'anthologie de mangasGirls Love qui contient du contenu purement érotique, s'opposant à la vision d'innocence et de pureté associée auyuri. Mais si cette distinction entre les deux termes possède une certaine réalité au Japon, elle ne s'est pas systématisée, et les deux mots restent employés de façon interchangeable[14].
Le termeshōjo-ai(少女愛?) apparaît en Occident dans les années 1990 en parallèle du termeyuri. Il est employé afin de faire la symétrie avec la distinction qui a cours dans les mangas gays, entre leyaoi et leshōnen'ai. Ainsishōjo-ai est interprété comme voulant dire« amour entre filles », et désigne leyuri ne possédant peu ou pas du tout de contenu sexuel[11].
Au Japon, l'expressionshōjo-ai(少女愛?) a une tout autre signification et ne possède aucun lien avec le manga ou la littérature. Le terme est interprété comme voulant dire« amour pour les filles », renvoyant à l'image de l'homme adulte qui aime les petites filles[15],[11],[16]. Ainsi le termeshōjo-ai désigne pour les Japonais une forme depédophilie et est très négativement connoté. Un synonyme deshōjo-ai estlolicon.
Le discours japonais considère que leyuri plonge ses racines dans la littératureesu du début duXXe siècle[17]. Leesu traite de relations intimes entre adolescentes, ces relations sont intenses mais platoniques, de plus elles sont limitées à l'adolescence ; il est supposé que lorsque les filles arriveront à l'âge adulte elles se marieront avec un homme.
Leesu se développe très rapidement dans la littératureshōjo d'avant-guerre. Comme les mangas des années 2000, leesu était publié dans des magazinesshōjo qui, dans les années 1930 faisaient entre 300 et400 pages, essentiellement constitués deesu. Après la guerre, leesu commence à apparaitre dans lesshōjo mangas, ce qui n'empêche pas un déclin important du genre, irrémédiablement remplacé par les romances filles-garçons[18].
Traditionnellement, leesu se déroule dans des écoles de jeunes filles privées, souvent chrétiennes, un mondehomosocial réservé aux femmes. Il traite d'une relation entre deux filles ou femmes d'âge différent, la plus âgée est qualifiée deonē-sama(お姉さま?,grande sœur) quand la plus jeune est qualifiée deimōto(妹?,petite sœur), et elle concerne deux élèves de l'école, ou plus rarement une élève et sa professeure[19].
Pour Erica Friedman, leesu est à l'origine de nombreuxlieux communs que l'on retrouve dans leyuri moderne, elle cite l'utilisation du terme« onē-sama », la« tension sexuelle lors d'un duo au piano », les écoles privées chrétiennes ou encore« l'atmosphère fleurie »[20],[21]. Verena Maser note que les principales notions qui ressortent desesu sont la« beauté » et« l'innocence », qui se retrouvent régulièrement dans leyuri[22].
Selon la façon dont est perçu le genreyuri, il peut être considéré que leesu et leyuri sont deux genres distincts[26], que leesu forme un « proto-yuri »[25],[21] ou encore que leesu fait partie intégrante duyuri[26],[20].
En 1970 est publié parMasako Yashiro unshōjo manga nomméShīkuretto rabu. Ce manga raconte l'histoire d'untriangle amoureux parfait entre deux filles et un garçon et est considéré comme le premier manga non-esu qui traite d'une relation intime entre femmes, faisant de celui-ci le premieryuri[27]. Mais le manga et son autrice sont aujourd'hui peu connus. La plupart des chroniques[28],[29],[30] considèrent que le« premieryuri » est le mangaShiroi heya no futari parRyōko Yamagishi, daté de 1971.
Sur les 20 années qui suivent, une petite dizaine deyuri shōjo mangas sont publiés, la plupart concentrés dans les années 70[31].
La majorité desyuri de cette époque sont destragédies, se terminant par une séparation ou la mort, des relations vouées à l'échec. Yukari Fujimoto, de l'université Meiji, considère queShiroi heya no futari est devenu le prototype de la romanceyuri pendant les années 1970 et 1980. Elle le nomme le prototype« Candy et Rose Écarlate » où Candy incarne unefem qui admire Rose, un personnage de typebutch. La relation entre Candy et Rose fait l'objet de rumeurs et même de chantages. Malgré cela les deux femmes finissent par accepter leur relation. L'histoire se termine par la mort de Rose qui se sacrifie afin de protéger Candy du scandale[32].
Par leur faible nombre et la fin tragique de cesyuri, le magazineYuri Shimai a qualifié cette époque d'« âge sombre » duyuri[33] quand Verena Maser considère que c'est une époque de« détresse »[34]. Plusieurs théories ont vu le jour pour expliquer la tendance tragique desyuri de cette époque : Frederik Schodt, traducteur américain de manga, considère que lesshōjo de cette époque étaient pour leur majorité des tragédies, qu'ils soient ou non desyuri[32]. James Welker préfère voir dans ces histoires des éléments de la« panique lesbienne »[32] (où le personnage — et par extension possiblement l'autrice — refuse ses propres sentiments et désirs lesbiens[35]). Verena Maser suggère que la disparition duesu a supprimé le seul contexte où des relations intimes entre femmes étaient possibles[36]. Pour Yukari Fujimoto, c'est le poids des« forces patriarcales » qui écrase les désirs de ces femmes[32].
En 1985 le gouvernement du Japon ratifie laConvention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. Pour Yukari Fujimoto cette convention — et tout particulièrement son article 11 qui traite de l'égalité dans l'emploi — est très importante à la fois pour lesshōjo et lesyuri mangas : désormais une femme (et par extension un couple de femmes) peut vivre seule, sans avoir besoin d'un homme pour la supporter[33]. La pression qui pesait sur les femmes d'être choisie par un homme disparait petit à petit dans la société japonaise, et par extension dans les mangas, où les histoires d'amour accusent un net recul face à desshōjo dédiés à l'affirmation de soi.
Ce changement de paradigme se manifeste en 1992 par la sortie du mangaSailor Moon parNaoko Takeuchi, dont le très large succès lui permet d'être adapté enanime, en films, de s'exporter à l'international, et d'ouvrir de nouvelles perspectives pour leshōjo et leyuri. Cette série raconte l'histoire des filles-guerrières qui vont affronter divers ennemis. Si ces différentes guerrières partagent des relations étroites, c'est surtout la venue deSailor Neptune et de Sailor Uranus qui sont présentées sous la forme d'un couple qui fait définitivement intégrerSailor Moon dans lesyuri[7]. Le couple devient très populaire au sein des fans et le monde dudōjinshi se l'approprie massivement afin de développer la relation entre les deux femmes[37].
Sailor Moon provoque un véritable appel d'air pour lesyuri qui se multiplient. Ainsi leyuri s'étend naturellement dushōjo aujosei avec, par exemple,Pietà publié en 1998, mais s'intègre aussi dans les démographies masculines que sont leshōnen et leseinen avec, par exemple,Devilman Lady (1997) ouNoir (2001). C'est aussi à cette époque que l'on note le retour des thématiquesesu et que leyuri investit la littérature,Maria-sama ga miteru (1998) illustre ces deux faits.
Face à la multiplication des histoires portant sur l'homosocialité, l'homoérotisme et l'homosexualité féminine, certains éditeurs décident d'exploiter le registre en créant des magazines dédiés au genre. C'est ainsi qu'en 2003, les premiers magazines consacrés auyuri — Yuri Tengoku etYuri Shimai — font leur entrée sur le marché[38]. Le nom« yuri » est sélectionné par rapport à sa popularité dans le monde dudōjinshi[12]. La création de ces magazines permet de donner une véritable visibilité au genre dans le monde du manga. Toutefois, ils possèdent la particularité de ne pas être associés à une quelconque cible démographique traditionnelle ; tout au plus certains magazines sont adressés« plutôt aux femmes » ou« plutôt aux hommes ». Ce fut par exemple le cas deComic Yuri Hime qui était« plutôt pour femmes » et deComic Yuri Hime S« plutôt pour hommes ». Pourtant, les deux magazines fusionnent en 2010 sous le nom deComic Yuri Hime qui est ainsi devenu« mixte »[39].
La diffusion de ces magazines a pour effet d'installer une« cultureyuri » et encourage les femmes à créer des relationsyuri[30],[40]. Par ailleurs, ces magazines ont permis d'établir l'histoire duyuri en labellisant rétroactivement un certain nombre d'œuvres afin qu'elles intègrent le corpusyuri[41]. Ainsi, entre 2003 et 2012, huit des dix œuvres les plus citées dans lecanonyuri selon les magazines sont des œuvres publiées avant 2003[41] :Apurōzu - Kassai (1981-85),Sakura no sono (1985-86),Sailor Moon (1992-96),Cardcaptor Sakura (1996-2000),Utena, la fillette révolutionnaire (1997-99),Maria-sama ga miteru (1998-2012),Loveless (depuis 2001),Les Petites Fraises (depuis 2001). Toutefois, malgré l'établissement d'un canon, aucun de ces magazines n'a donné de définition claire sur ce qu'est leyuri, reconnaissant qu'il existe plusieurs définitions au genre[42].
Si l'animeLady Oscar, diffusé en France en 1986, est parfois considéré comme unyuri[31],[43], il faut attendre l'année 1993 pour voir la diffusion deTrès cher frère... et deSailor Moon. Cette dernière publication a été censurée à cause de ses nombreuses thématiquesLGBT ; le couple lesbien formé par Sailor Uranus et Sailor Neptune est notamment devenu un couplehétérosexuel, le physique degarçon manqué de Sailor Uranus favorisant sa transformation en homme lorsqu'elle apparait en civil[44].
Du côté des mangas, si certains titres sont diffusés sporadiquement, telsSailor Moon en 1995 ouChirality en 1998, il faut attendre 2004 pour voir apparaitre une collection dédiée auyuri : l'éditeurAsuka lance une collection centrée autour des œuvres d'Ebine Yamaji. Mais la collection est rapidement abandonnée et Asuka arrête de publier de nouvelles licencesyuri en 2006.Taifu Comics démarre sa propre collectionyuri en 2011 avecGirl Friends comme titre d'ouverture[45]. Sa collection rencontre des difficultés pour s'insérer sur le marché francophone ; la maison d'édition cesse de publier desyuri en 2015[46], mais annonce la relance de sa collection pour 2016 avec le titreCitrus.
Le premieryuri à paraitre en Amérique du Nord est la version anime deSailor Moon, diffusée sur les antennes en 1995[47], d'abord auCanada puis auxÉtats-Unis. Toutefois le studio chargé de l'adaptation de l'anime a voulu censurer la relation homosexuelle entre Sailor Neptune et Sailor Uranus en les présentant comme des cousines afin de justifier leur intimité, mais des failles dans le processus de censure ont laissé passer des scènes de flirts entre les deux jeunes filles ce qui a eu pour résultat de conserver la relation lesbienne qui est même devenueincestueuse[48].
En 2000, Erica Friedman fonde laYuricon comme une« convention en ligne » afin de rassembler la communautéyuri occidentale[49]. LaYuricon a physiquement lieu pour la première fois en 2003, àNewark aux États-Unis. La même année, laYuricon crée une succursale nomméeALC Publishing et chargée de publier desyuri mangas, anime, romans et autres produits dérivés. Toutefois,ALC arrête la publication de nouveaux produits en 2013.
En 2006 l'éditeurSeven Seas Entertainment publie leyuri mangaKashimashi ~Girl Meets Girl~ ainsi que leyuri romanStrawberry Panic!. L'année suivante l'éditeur ouvre une collection consacrée intégralement auyuri manga, nommée« Strawberry » en l'honneur de son titre d'ouverture, qui n'est autre que la version manga deStrawberry Panic![50].
Bien que né dans lesshōjo, leyuri s'est diversifié et touche désormais toutes les démographies du manga, de l'anime et de la littérature. Aussi, diverses études ont eu lieu au Japon pour tenter de déterminer quel est le profil type du fan deyuri.
Verena Maser a réalisé sa propre étude de la démographie du publicyuri japonais, entre septembre et[53]. Cette étude réalisée sur internet et principalement orientée vers la communautéYuri Komyu! et le réseau socialMixi reçoit un total de 1 352 réponses valides.
Cette étude obtient des résultats sensiblement différents de celles des éditeurs. Si pour les éditeurs la démographie semble relativement homogène en étant typéejosei, l'étude de Verena Maser montre une démographie mixte, aux sexualités différentes.
Si en Occident le terme« yuri » est couramment synonyme de« lesbienne », ceci est loin d'être le cas au Japon. Verena Maser explique que si pendant les années 1970-80 le termeyuri était régulièrement associé aux lesbiennes, ce lien s'est depuis profondément affaibli[54]. Elle relève que les fans, les journalistes et les éditeurs japonais reconnaissent que« yuri » et« lesbienne » partagent un socle commun, mais qu'ils refusent de les faire synonymes. Elle cite notamment Nakamura, l'éditeur en chef des magazinesYuri Shimai etComic Yuri Hime :« en général leyuri ne met pas en avant des lesbiennes liées par des désirs charnels, mais valorise des connexions spirituelles proches de l'amour ». Elle note aussi que les mouvementsqueers et lesbiens japonais s'étaient opposés à l'usage du termeyuri dès les années 1990[54].
Erin Subramian, de laYuricon, explique qu'aux yeux de la plupart des Japonais, le terme« lesbienne » décrit ou bien des« personnes anormales dans la pornographie » ou bien des« étranges personnes vivant dans d'autres pays »[55]. Leyuri quant à lui est vu comme un produit japonais qui renvoie aux idéaux de beauté, de pureté, d'innocence et de spiritualité bien avant les thématiques sexuelles, où l'importance est donnée à la« connexion entre les cœurs » plutôt qu'à la« connexion entre les corps »[56]. Cette description rapproche leyuri davantage du principe d'homosocialité que d'homosexualité, même si les deux ne sont pas exclusifs.
Par exemple, Kazumi Nagaike, de l'université d'Ōita, relève de nombreux témoignages de lectrices deComic Yuri Hime qui se décrivent comme hétérosexuelles mais se disent intéressées par la création d'une relationyuri, attirées par l'expérience homosociale duyuri[40].
Pour Kazumi Nagaike, leyuri est un sous-produit de lashōjo kyōdōtai(少女共同体?,communauté desshōjo)[57] qui s'est formée dans les espaces clos qu'étaient les écoles pour filles du Japon d'avant-guerre. Isolées de l'influence des hommes et de la société en général, des adolescentes se sont créées une cultureshōjo indépendante, féminine et forte. Elles ont utilisé leesu comme moyen de diffusion et de partage de leurs codes culturels, créant un« continuum féminin » sur une base homosociale. Mais cette culture était éphémère puisqu'en quittant l'école, chaque adolescente cessait d'être uneshōjo et devenait une femme soumise au patriarcat avec l'obligation de se marier à un homme[57].
Aussi, le japonologueJohn Treat considère que la principale distinction entre uneshōjo et une femme soumise au patriarcat est son absence de fécondité. Lesshōjo apparaissent ainsi comme des personnes fondamentalement asexuées, qui échappent de fait à la distinction binaire dugenre et à l'hétérosexisme. La culture féminine desshōjo n'est ainsi pas imposée par le patriarcat[57].
Après la guerre, lesshōjo intègrent principalement des écoles mixtes et leesu qu'elles utilisaient pour créer leurs liens homosociaux tombe en désuétude. Aussi, lesshōjo construisent de nouveaux outils d'opposition au patriarcat qu'elles emploient dans leur littérature et leurs mangas : letravestissement et leyaoi[58],[59], ainsi que leyuri afin de remplacer leesu. Pour lesshōjo, leyuri permet avant tout de créer entre elles des liens homosociaux dont l'homosexualité, qui apparait fréquemment dans les œuvresyuri, n'est qu'un aspect[5].
Si la majorité desyuri se déroulent dans des lycées — lieux de prédilection desshōjo — l'instauration en 1985 de l'égalité entre hommes et femmes dans le monde du travail a permis la diffusion de la cultureshōjo et duyuri au-delà des enceintes scolaires et le maintien d'une appartenance à cette culture par des adultes moins soumises aux normes patriarcales et hétérosexuelles dominantes[57].
Leyuri permettant auxshōjo d'entretenir une culture féminine commune, comme autrefois leesu, Kazumi Nagaike considère qu'il s'oppose à la vision politique du lesbianisme deMonique Wittig qui considère que les lesbiennes doivent détruire la construction sociale du genre féminin pour en finir avec le patriarcat. Elle le rapprocherait plutôt de la vision d'Adrienne Rich qui invite à créer un« continuum lesbien » entre femmes afin d'échapper à« l'obligation à l'hétérosexualité » imposée par la norme patriarcale dominante[58].
Verena Maser, dans samonographieBeautiful and Innocent (2013), a sélectionné dix textesyuri qu'elle juge représentatifs de leur époque ou d'une tendance importante[60] :
La version du 26 octobre 2015 de cet article a été reconnue comme « bon article », c'est-à-dire qu'elle répond à des critères de qualité concernant le style, la clarté, la pertinence, la citation des sources et l'illustration.