Yukio Mishima(三島 由紀夫,Mishima Yukio?),nom de plume deKimitake Hiraoka(平岡 公威,Hiraoka Kimitake?), né le 14 janvier 1925 et décédé le 25 novembre 1970, est unécrivainjaponais. Auteur d'une quarantaine de romans, d'une cinquantaine de pièces de théâtre et de plus de cent-cinquante nouvelles, il est brièvement acteur et mannequin. Il est également célèbre pour avoir été le fondateur et dirigeant duTatenokai, milicenationaliste favorable à la restauration politique du pouvoir de l'empereur et de son statut divin, à l'origine ducoup d'État organisé le 25 novembre 1970 dans le quartier général du commandement de l'armée japonaise deTokyo durant lequel Mishima commet leseppuku qu'il avait imaginé et organisé au préalable afin d'alerter le Japon sur ce qu'il considérait comme le déclin de ce dernier.
Parallèlement à sa carrière littéraire, Mishima est un expert enarts martiaux. Il prône lebushido, est5e dan dekendo, expert eniaidō, et participe au Premier Championnat du Monde de Kendo quelques mois avant sa mort.
Kimitake Hiraoka naît le àTokyo. Il est le fils aîné d'Asuza Hiraoka, alors sous-directeur du bureau des Pêches au ministère de l'Agriculture, et de Shizue Hashi. Du côté paternel, il est issu d'une famille de la paysannerie de larégion de Kobe. Son grand-père Jotarō Hiraoka a été gouverneur desîles Sakhaline à l'ère Meiji. Du côté de sa grand-mère maternelle, la famille de Mishima a des origines nobles, étant liée auxsamouraïs de l'èreTokugawa[1].
Son enfance est marquée par sa grand-mère Natsu Nagai, qui le retire à sa mère pour le prendre en charge, séparé du reste de la famille. Sa grand-mère garde des prétentions aristocratiques, même après avoir épousé le grand-père de Mishima — dont l'extraction modeste est compensée par le statut privilégié dont il jouit en tant que diplômé de l'Université impériale ; elle lit le français et l'allemand et apprécie le théâtrekabuki. Cette grand-mère, victime de douleurs et desciatique, est extrêmement têtue et prompte à des accès de violence ; Mishima la masse. Elle interdit à Mishima de sortir au soleil, de faire du sport ou de jouer avec des garçons : il passe la plupart de son temps seul ou avec ses cousines[2].
Mishima rejoint sa famille à douze ans et développe une relation très forte avec sa mère[3]. Celle-ci le réconforte et l'encourage à lire. Son père, employé de ministère et bureaucrate rangé, est un homme brutal, marqué par la discipline militaire, qui l'éduque en le forçant par exemple à se tenir très près d'un train fonçant à toute vitesse[4]. Il fait également des rafles dans sa chambre pour trouver des preuves de son intérêt efféminé pour la littérature et déchire ses manuscrits. Mishima ne se révolte pas ouvertement contre son père mais s'arrange pour ne plus conserver ses travaux chez lui[5].
Après six années d'école, il est toujours un adolescent fragile, mais devient le plus jeune membre de l'équipe éditoriale de la société de littérature de son école. Il est invité à écrire un roman en feuilleton pour le prestigieux magazine de littératureBungei-Bunka(文芸文化?,Art et Culture), auquel il soumetHanazakari no Mori(花ざかりの森?,La forêt tout en fleur), pour lequel il prend son pseudonyme deYukio Mishima. Le roman est publié en livre en1944 en un petit nombre d'exemplaires à cause de la disette de papier causée par la guerre. Il fréquente à cette époque le milieu de l'École romantique japonaise.
Mishima est convoqué par l'armée pendant laSeconde Guerre mondiale, mais prétend souffrir detuberculose, et ainsi échappe à la conscription. Bien que soulagé d'avoir évité le combat, il se sentira coupable d'avoir survécu et d'avoir raté la chance d'une mort héroïque.
Mishima, malgré l'interdiction de son père, continue à écrire ; il est soutenu par sa mère, Shizue, toujours la première à le lire.
Après l'école, son père, qui avait sympathisé avec les nazis, le contraint d’étudier ledroit allemand. Tout en continuant d'écrire, il sort diplômé de la prestigieuseuniversité de Tokyo en1947 ; il entre au ministère des finances, où il est promis à une brillante carrière.
Peu après, son père accepte qu'il démissionne pour se consacrer durant un an à sa passion de l'écriture, puis se résigne définitivement à voir son fils devenir écrivain. Mishima rencontreYasunari Kawabata, qui l’encourage à publier ses manuscrits.
Yukio Mishima (devant) et le futur maire de TokyoShintarō Ishihara en 1956.
Mishima fréquente le groupe de la revueLittérature moderne, mais ne se sent pas en phase avec leJapon d’après-guerre.En1946, il commence son premier romanTōzoku(盗賊?) qu'il publie en1948. Il est suivi deConfessions d'un masque(仮面の告白,Kamen no Kokuhaku?), une œuvre autobiographique sur un jeune garçon devant cacher ses désirs homosexuels. Cette œuvre rend célèbre Mishima, qui n'a alors que24 ans.
Il commence alors une brillante et prolifique carrière d'auteur. On peut citer ses romansAmours interdites (1951), paru l'année de son premier voyage en Occident,Le Tumulte des flots (1954),Le Pavillon d'or (1956) ouAprès le banquet (1960).
Il écrit également des récits populaires pour s’assurer le confort matériel, des pièces de théâtrekabuki pour la compagnie théâtrale leBungaku-za ainsi que des recueils de nouvelles et des essais littéraires.
Il obtient une renommée internationale, notamment en Europe et aux États-Unis.Il voyage beaucoup et est pressenti trois fois pour leprix Nobel de littérature. C'est toutefois son amiYasunari Kawabata qui le reçoit, et Mishima comprend que les chances pour qu'un autre auteur japonais le remporte prochainement sont faibles. De plus, Kawabata était son mentor et l'avait introduit dans les cercles littéraires de Tokyo.
Il rédige de1965 jusqu'à sa mort en1970 l'œuvre qu’il considère comme sa plus importante, un cycle de quatre romans intituléLa Mer de la fertilité (Neige de printemps,Chevaux échappés,Le Temple de l'aube,L'Ange en décomposition).
AprèsConfessions d'un masque, Mishima essaie de s’échapper de son personnage fragile en s’astreignant à des exercices physiques. En 1955, il a un corps d’athlète qu’il entretiendra jusqu'à la fin de sa vie, et devient un expert enkendo.
Mishima fréquente les bars homosexuels en observateur et aurait eu quelques liaisons avec des étrangers de passage, avec des Français à Paris, etc. Après avoir envisagé une alliance avecMichiko Shōda, qui devient par la suite l'épouse de l'empereur du JaponAkihito, il se marie en1958 avec Yoko Sugiyama (1937-1995). Il aura avec elle deux enfants. Cette vie apparemment rangée traduit surtout la volonté de l'écrivain de satisfaire le désir de sa mère.
L'homosexualité de Mishima apparaît dans ses romans, dans ses essais (par exemple dansLa Mort de Radiguet, traduit en français en 2012) et elle est attestée par maints témoignages. Toutefois, au Japon, ce thème est difficile à aborder : en 1995, la famille de Mishima intente un procès au romancierJiro Fukushima(ja), qui venait de publier un livre, assorti de lettres, sur sa liaison avec l'écrivain. Avant d'être interdit, ce livre est vendu à plus de 90 000 exemplaires. Certains auteurs japonais n'hésitent pas à nier la réalité de l'homosexualité de Mishima, pourtantsecret de Polichinelle. En Occident, cette tentative d'occultation peut aussi se retrouver, par exemple, dans le filmMishima. En effet, Paul Schrader n'y accorde qu'un plan assez rapide au thème de l'homosexualité, qui est pourtant le thème central deConfessions d'un masque.La biographie de Mishima parHenry Scott-Stokes(en), ouvrage de référence, donne en revanche à ce sujet une attention soutenue. Le biographe rappelle notamment qu'en 1970, au moment de la mort de Mishima, de nombreux journalistes et certains hommes politiques ont vu dans cet acte unshinjū, un suicide à deux, manière d'authentifier l'amour que Mishima et Morita se seraient porté. Du reste, les photos d'art où Mishima exhibe son corps relèvent d'une esthétique homosexuelle d'avant-garde et sont devenues par la suite de véritables icônes.
Dans lesannées 1960, il exprime des idées fortement nationalistes. En1967, il s’engage dans lesForces japonaises d'autodéfense, puis forme la milice privéeTatenokai (« société du bouclier ») destinée à assurer la protection de l’empereur.
À la fin de sa vie, il joue dans plusieurs films et coréaliseYūkoku ou Rites d'amour et de mort, une adaptation de sa nouvellePatriotisme(憂国,Yūkoku?).
Mishima sur le balcon de l'École militaire prononçant son discours le 25 novembre 1970.
Au cours de l'année1970, Mishima achève sa tétralogieLa Mer de la fertilité avec son quatrième tome,L'Ange en décomposition. Le, il poste à son éditeur la fin de son manuscrit, puis se rend au ministère des Armées accompagné de quatre jeunes disciples. Au deuxième étage de l'École militaire du quartier général du ministère de la Défense, quartier d'Ichigaya àShinjuku (Tokyo), aujourd'hui mémorial des forces japonaises d'autodéfense, il prend en otage le général commandant en chef des forces d'autodéfense et fait convoquer les troupes : il leur tient alors un discours en faveur du Japon traditionnel et de l'empereur et tente de les motiver à lancer un coup d'état militaire. La réaction des 800 soldats est vite hostile. Devant les huées, son discours devenant à peine audible, il se retire vers11 h.
Suivant le rituel, Mishima sedonne la mort parseppuku ; sonkaishakunin, un des membres deTatenokai,Masakatsu Morita, devait accomplir seul la décapitation mais, ne parvenant pas à décapiter Mishima après plusieurs tentatives, c'estHiroyasu Koga(en) qui termine le geste. Morita suivra ensuite Mishima dans la mort. Ce coup d'éclat avait été minutieusement préparé pendant plus d'une année ; Mishima avait même décrit une action très similaire dans son romanChevaux échappés (1969) et dans sa nouvellePatriotisme (1960), avec une fin tout aussi tragique. Certains ont avancé que cettetentative de coup d'État n'était qu'un prétexte symbolique destiné à accomplir le suicide rituel que Mishima avait toujours fantasmé et qu'il avait depuis longtemps prémédité et mis en scène[9],[10]. Avant de se suicider, Mishima aurait fumé uneOnshino Tabako, les cigarettes spéciales de lamaison impériale du Japon.
Mishima publia près de quarante romans pour un total d'une petite centaine d'ouvrages : essais,20 recueils de nouvelles,18 pièces de théâtre… Son œuvre est très ambiguë : jusqu'au début desannées 1960, ses écrits sont de type plus européen que purement japonais. Il vivait d'ailleurs à l'occidentale, dans une villa moderne, généralement vêtu de complets-vestons, lisant abondamment les classiques européens (il affectionnaitRacine, et lisait et parlait l'anglais, et un peu le grec). Dès sa jeunesse, c'est« un fervent lecteur de littérature française ; attiré tout particulièrement par le style classique, il a comme auteurs préférésRaymond Radiguet,Madame de La Fayette et Jean Racine[14]. » Mais par la suite, à partir du début des années 1960, c'est surtoutSade et l'œuvre deGeorges Bataille qui le fascinent. Il considère ce dernier comme une sorte de frère aîné spirituel, déclarant dans une interview juste avant sa mort : il est« le penseur européen dont je me sens le plus proche[15]. »
Pourtant il se réclame de la tradition classique japonaise, dont il est également familier. Ambiguïté aussi dans son attirance pour les hommes, tout à la fois assumée dans ses livres et refoulée dans sa vie. De condition chétive, il proclamait le culte de la force physique ; à force de pratiquer la musculation et les arts martiaux, il finit par obtenir dans ses dernières années un corps d'athlète.
Son œuvre est empreinte d'un certain pessimisme et abonde en dénouements tragiques. La fascination pour la souffrance est par exemple un thème récurrent. Mishima se disait envoûté par le tableauSaint Sébastien deGuido Reni qui représente le martyr à demi-nu et percé de flèches. Une célèbre photographie deEikō Hosoe le représente d'ailleurs dans cette posture (publiée dans l'albumOrdalie par les roses (Barakei) en 1963 :39 portraits et une préface de l'écrivain). Une série de photographies en saint Sébastien sera réalisée en collaboration avecKishin Shinoyama en 1968[16].
Deux de ces nouvelles ont fait l’objet d’une édition à part :Martyre, précédé deKen, Paris, Gallimard,coll. « Folio 2 € »no 4043, 2004.
1951 :Les Ailes(翼――ゴーティエ風の物語?), dansLes Ailes La Grenade Les Cheveux blancs et douze autres récits (1945-1960), nouvelle traduite du japonais par Marc Mécréant, Arles, Le Calligraphe-Picquier, 1986 ; réédition, Arles, Philippe Picquier, 1991 ;Anthologie de nouvelles japonaises (Tome II - 1945-1955) - Les Ailes La Grenade Les Cheveux blancs, Arles, Philippe Picquier,coll. « Picquier poche », 1998.
1953 :La Mort de Radiguet(ラディゲの死?), nouvelle traduite du japonais par Dominique Palmé, Paris, Gallimard (édition hors commerce à l’occasion du Salon du livre), 2012.
1962 :Bouteilles thermos(魔法瓶?) (cette nouvelle figure également dans la même traduction dansTrésor de la nouvelle des littératures étrangères, tome 2, Paris, Les Belles Lettres, 1999)
1954 :Le Prêtre du temple de Shiga et son amour(志賀寺上人の恋?) (cette nouvelle figure également dans la même traduction dansLa Nouvelle Revue Françaiseno 306 (p. 1-19),)
1956 :Les Sept Ponts(橋づくし?) (cette nouvelle figure également dans la même traduction dansLa Nouvelle Revue Françaiseno 250 (p. 253-271),)
1961 :Patriotisme(憂国?) (cette nouvelle figure également dans la même traduction dansLa Nouvelle Revue Françaiseno 206, (p. 220-247),)
Quatre de ces nouvelles ont fait l’objet d’une édition à part :Dōjōji, suivi deLes Sept ponts,Patriotisme etLa Perle, Paris, Gallimard,coll. « Folio 2 € »no 3629, 2002.
1966 :Du fond des solitudes(荒野より?), dansAnthologie de nouvelles japonaises contemporaines (t. I), nouvelle traduite du japonais par Estrellita Wasserman, Paris, Gallimard, 1986.
1960 :L’Arbre des tropiques(熱帯樹?), tragédie en trois actes traduite du japonais par André Pieyre de Mandiargues avec la collaboration de Jun Shiragi (Silla), Paris, Gallimard,coll. « Le Manteau d’Arlequin », 1984.
1965 :Madame de Sade(サド侯爵夫人?), version française d’André Pieyre de Mandiargues, établie d’après la traduction littérale effectuée à partir du texte original japonais par Nobutaka Miura, Paris, Gallimard,coll. « Du monde entier », 1976.
1967 : Postface deLa Beauté, tôt vouée à se défaire de Yasunari Kawabata, traduite du japonais par Liana Rosi, Paris, Albin Michel, 2003 ; réédition, Paris, LGF,coll. « Le Livre de poche. Biblio »no 3395, 2004.
1967 :Le Japon moderne et l'éthique samouraï – La Voie du Hagakuré(葉隠入門――武士道は生きてゐる?), essai traduit de l’anglais par Émile Jean, Paris, Gallimard,coll. « Arcades »no 1, 1985.
1963-1971 :Ordalie par les roses(薔薇刑?), photographies de Yukio Mishima parEikō Hosoe ; préface de Yukio Mishima et note de Eikō Hosoe traduites de l’anglais par Tanguy Kenec’hdu, Hologramme, 1986.
En 1989,Ingmar Bergman adapte et met en scène au théâtreLa Marquise de Sade (titre original : サド侯爵夫人 - Sado Kōshaku Fujin ; titre suédois :Markisinnan de Sade) de Yukio Mishima, avecAnita Björk.
Un des spectacles duCirque Baroque,Ningen (1998), s’inspire de Mishima : éléments de sa vie telle qu’il l’a racontée dansConfession d'un masque, son déchirement entre Orient et Occident, son goût du scandale, son obsession du martyre de saint Sébastien[17].
Riyoko Ikeda a publié dans le magazineShukan Josei, depuis le, l'adaptation deHaru no yuki (Neige de Printemps). La famille de Mishima a accepté cette adaptation. Après cette parution, un film du même nom, tiré de la même œuvre de Mishima et réalisé parIsao Yukisada, est sorti le au cinéma, avecSatoshi Tsumabuki etYūko Takeuchi. Une des musiques de ce film est la chansonBe My Last interprétée parHikaru Utada.
En France, son suicide est abondamment décrit dans le roman deStéphane Giocanti,Kamikaze d'été (Ed. du Rocher, 2008), dans lequel Mishima joue un grand rôle. Giocanti est également l'auteur du livret de présentation de l'édition française du DVD deYûkoku. On rappelle Yourcenar, déjà mentionnée.
En 2022, une de ses pièces de théâtre,Le Tambourin de soie est repris auThéâtre Nanterre-Amandiers sous le nomLe Tambour de soie (un nô moderne), mis en scène et joué parKaori Ito etYoshi Oida.
↑Nao Sawada, « Bataille et Mishima : corps à corps », dansSexe et Texte : Autour de Georges Bataille, Presses universitaires de Lyon, 2007, textes réunis par Jean-François Louette et Françoise Rouffiat,p. 140.
↑ source, article : Marc Dazy, « Pierre-Jules Billon, batteur baroque », paru dansLe Progrès le 07/01/1999.Pierre-Jules Billon est l'un des compositeurs-interprètes de la musique deNingen, spectacle créé auparc de la Villette à Paris en 1998, puis joué en tournée internationale, en Europe et aux États-Unis vingt-quatre fois à la date de l’article de M. Dazy).
Philippe Baillet, « Corps classique et culte des héros : le dépassement de l'individualité dans un livre de Yukio Mishima », dansPhilippe Baillet,Le parti de la vie : clercs et guerriers d'Europe et d'Asie, Saint-Genis, Akribeia, 2015, 241 p.(ISBN978-2-913612-57-0),p. 183-198.
Annie Cecchi,Mishima Yukio : esthétique classique, univers tragique : d'Apollon et Dionysos à Sade et Bataille, Paris, Honoré Champion,, 278 p.(ISBN2-7453-0034-2 et978-2-7453-0034-8)