| Titre | Voyelles |
|---|---|
| Auteur | |
| Pays d'origine | |
| Publication | |
| Date de publication | |
| Type |
| Sujets | Lettre vocalique(en),synesthésie |
|---|---|
| Incipit | |
| Explicit |
Voyelles est unsonnet d'Arthur Rimbaud, écrit en1871[Note 1] et publié seulement le dans la revueLutèce. Il s'agit d'un des plus célèbres poèmes de l'auteur.
Il existe au moins deux anciennes versions manuscrites. La première, de la main de Rimbaud, fut offerte par le poète à son amiÉmile Blémont[1],[Note 2]. La seconde est une copie effectuée parPaul Verlaine. Leur différence tient essentiellement dans laponctuation[2].
Verlaine publie le sonnet, pour la première fois, dans le numéro du au de la revueLutèce.
Les deux textes ci-après reproduisent les versions :
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Outre quelques différences mineures de ponctuation et de nombre, le verbe « bombillent » à gauche est devenu « bombinent » à droite, auvers 4[Note 3].
L'utilisation de l'alexandrin donne ausonnet une apparente conformité aux règles du genre.
Par contre, si lesquatrains croisent lesrimes ils n'en respectent pas la traditionnelle répétition : ABBA au premier mais BAAB au second, au lieu de ABBA ABBA. Le sonnet s'avère donc de type « irrégulier ».
De plus, auxtercets la rime du dernier vers associe unediérèse (« stu/di/eux ») et unesynérèse (« yeux »)[Note 4]. La poésie classique proscrit pareille combinaison, qu'elle tient pour harmoniquement fautive.
En outre, les rimes sont presque exclusivementféminines : elles comportent unE muet à la réserve de celles,masculines, qui unissent les deux tercets à « studieux » et « yeux ». L'alternance traditionnelle entre rimes masculines et féminines fait donc défaut, au profit de ces dernières. Ce trait inhabituel plaiderait pour l'interprétation de Robert Faurisson selon qui le titre du poème, lui-même unemétaphore du corps féminin, doit s'entendre comme « Vois elles » en vertu d'unjeu de mots.
Plusieurs termes sont répétés, ce qu'interdit un sonnet classique à l'exception des articles :
Enfin, on observe troisnéologismes tels que Rimbaud les affectionne :

AvecLe Cœur supplicié, ce poème est sans doute le plus commenté de ceux de Rimbaud. De nombreux chercheurs, enseignants ou érudits, telsErnest Gaubert[3],Henri Héraut,Henri de Bouillane de Lacoste,Georges Izambard[4],Robert Faurisson,Claude Lévi-Strauss,Jean-Jacques Lefrère et Michel Esnault[5], ont développé des théories diverses sur ses sources et sa signification.
Les interprétations suivantes sont notamment avancées :
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Certains poètesvisionnaires duXIXe siècle -Ernest Cabaner[7] en tête mais aussi lesSymbolistes - pourraient préfigurer, par leur style d'écriture évoquant unalgorithme, ce qui s'épanouira cent ans plus tard[8] dans lemultimédia[9]. Lacyberculture, auxdonnées constammentmises à jour, s'inscrirait ainsi dans une relation temporelle avec le sonnetVoyelles[10],[11].
SelonRobert Faurisson, professeur d'enseignement secondaire àVichy au début desannées 1960, il s'agit d'un poèmeérotique évoquant le corps féminin. Cette interprétation suscite un débat qui mobilise certains médias nationaux, dontLe Monde, et plusieurs universitaires telRené Étiemble[12],[13].
C'est lors de cettepolémique que Faurisson se fait connaître du grand public.
L'anthropologueClaude Lévi-Strauss explique le sonnet non par la relation entre voyelles et couleurs énoncée dans le premiervers, mais par une analogie d'opposition entre voyelles d’une part et couleurs d'autre part.
Auphonème « /a/ » qui évoque généralement lerouge, Rimbaud associe lenoir, comme par provocation. En fait, le « A » (phonème le plus saturé) s'oppose au « E muet » comme le noir s’oppose aublanc[14].
Le rouge du « I » — couleur supérieurement chromatique — s’oppose ensuite au noir et au blanc achromatiques qui le précèdent. Le « U »vert suit le « I » rouge et« l’opposition chromatiquerouge/vert est alors maximale comme l'opposition achromatiquenoir/blanc à laquelle elle succède ». Cependant, du point de vuephonétique, l’opposition la plus forte au « I » est le « OU » et non le « U » : Rimbaud aurait choisi le « U » faute de disposer, en français, d'une voyelle traduisant le son « OU »[14].
Restent alors une voyelle, le « O », et deux couleurs, lebleu et lejaune. Sous le bleu du « O » transparaît, dans le secondtercet, le jaune desclairons, comme le rouge d’éclatantes était sous-jacent au « A » noir du premierquatrain : le « O » contient l'oppositionbleu/jaune, analogue aurouge/vert. Au dernier vers le bleu, couleur la plus saturée après le rouge, s'assombrit en se mêlant à ce dernier et renvoie ainsi au « A » noir du début[14].
L'écrivainJean-Jacques Lefrère observe que l’adjectif définissant une couleur ne contient jamais la voyelle à elle associée.
En outre, l’ordre alphabétique de présentation des voyelles (A, E, I, U, O), qui inverse les deux dernières pour finir par O - l'oméga grec - traduit l'idée d'un achèvement par la progression de l'alpha à l'oméga.
Comme précisésupra, Rimbaud énonce les voyelles[Note 5] dans leur ordre alphabétique. Mais s'il commence logiquement auA, il intervertit les deux dernières pour finir par leO. Il s'inspire manifestement de l'« alpha et l'oméga », première et dernièrelettres grecques par lesquelles laBible - et plus précisément l'Apocalypse, dont lessept trompettes résonnent dans le « suprême Clairon » - résumeDieu dans son accomplissement temporel[15]. En nommant indirectement l'auteur de « vibrements divins », maître « des Mondes et des Anges » dont l'Œil (ici dupliqué sous l'effet du « dérèglement des sens ») voit absolument tout, il suggère une perfection qui confère à son poème une portée quasi-universelle.
On remarque aussi qu'il omet leY pourtant présent dès le titre, que laphonétique considère, selon le cas, commevoyelle ousemi-voyelle. Cette mise à l'écart (comme peut-être aussi celle du violet) pourrait s'expliquer par le parti-pris - répondant à une nécessitémétrique - de n'utiliser, pour les lettres comme pour leurs couleurs, que des termesmonosyllabiques.
Sans préjuger ni exclure une correspondancenumérologique, le tableau suivant recense l'occurrence desvoyelles A, E, I, O, U et Y :
| Titre | Vers 1 | Vers 2 | Vers 3 | Vers 4 | Vers 5 | Vers 6 | Vers 7 | Vers 8 | Vers 9 | Vers 10 | Vers 11 | Vers 12 | Vers 13 | Vers14 | Total | |
|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
| A | 0 | 2 | 4 | 3 | 2 | 2 | 3 | 2 | 2 | 0 | 5 | 3 | 2 | 2 | 2 | 34 |
| E | 2 | 6 | 5 | 6 | 5 | 10 | 6 | 8 | 8 | 6 | 5 | 4 | 7 | 9 | 5 | 92 |
| I | 0 | 2 | 3 | 1 | 2 | 0 | 4 | 2 | 2 | 5 | 5 | 5 | 3 | 1 | 1 | 36 |
| O | 1 | 4 | 2 | 3 | 2 | 2 | 3 | 1 | 2 | 0 | 0 | 1 | 2 | 1 | 4 | 28 |
| U | 0 | 3 | 3 | 2 | 6 | 2 | 0 | 1 | 1 | 1 | 1 | 4 | 2 | 0 | 1 | 27 |
| Y | 1 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 4 |
| Total | 4 | 18 | 16 | 15 | 17 | 16 | 16 | 14 | 15 | 13 | 16 | 14 | 16 | 13 | 14 | 217 |

Lescouleurs apparaissent dans l'ordre suivant :noir,blanc,rouge,vert,bleu etviolet, si l'on prend en compte l'oméga.
Elles forment deux groupes distincts mais complémentaires :
Rimbaud ne cite pas les couleurs au hasard. Enoptique, la lumière se compose d'ondes électromagnétiques. L'œil humain n'en perçoit qu'une partie, appelée spectre, formée de rayonnementsmonochromatiques allant du rouge au violet[Note 6].
Ainsi, comme lessons qui ponctuent le sonnet (bourdonnement des mouches ; rire des lèvres ; stridence du Clairon) et se dissolvent dans le silence, les couleurs participent à la « profonde unité » qu'ont révélées les « correspondances » baudelairiennes.
Le poèteFrançois Coppée, que Rimbaud etVerlaine aimaient railler en le pastichant, commenta ainsi le sonnet rimbaldien :
Rimbaud, fumiste réussi,
Dans un sonnet que je déplore,
Veut que les lettres O, E, I
Forment le drapeau tricolore.
En vain le décadent pérore,
Il faut sans « mais », ni « car », ni « si »
Un style clair comme l'aurore :
Les vieuxParnassiens sont ainsi[16].
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