Anna Cornelia van Houten-van Gogh(d) (sœur) Théodore van Gogh (frère) Elisabeth Huberta Du Quesne-van Gogh(d) (sœur) Wil van Gogh (sœur) Cor van Gogh(en) (frère)
Van Gogh grandit au sein d'unefamille de l'anciennebourgeoisie. Il tente d'abord de faire carrière commemarchand d'art chezGoupil &Cie. Cependant, refusant de voir l'art comme une marchandise, il est licencié. Il aspire alors à devenirpasteur, mais il échoue aux examens dethéologie. À l'approche de 1880, il se tourne vers la peinture. Pendant ces années, il quitte les Pays-Bas pour laBelgique, puis s'établit en France. Vincent explore lapeinture et ledessin à la fois enautodidacte et en suivant des cours. Passionné, il ne cesse d'enrichir sa culture picturale : il analyse le travail des peintres de l'époque, il visite lesmusées et lesgaleries d'art, il échange des idées avec sesamis peintres, il étudie notamment lesestampes japonaises, lesgravuresanglaises, etc. Sa peinture reflète ses recherches et l'étendue de ses connaissances artistiques. Toutefois, sa vie est parsemée de crises qui révèlent soninstabilité mentale. L'une d'elles provoque sonsuicide, à l'âge de37 ans.
L'abondantecorrespondance de Van Gogh permet de mieux le comprendre. Elle est constituée de plus de800 lettres écrites à sa famille et à ses amis, dont 652 envoyées à son frère « Theo »[Note 2], avec qui il entretient une relation soutenue aussi bien sur le plan personnel que professionnel.
Assez méconnu dans lesannées 1890, van Gogh n'a été remarqué que par un petit nombre d'auteurs et de peintres enFrance, auxPays-Bas, enBelgique et auDanemark. Cependant, dans les années 1930, ses œuvres attirent 120 000 personnes à une exposition duMuseum of Modern Art, àNew York. Il est aujourd'hui considéré comme l'un des plus grandsartistes de tous les temps.
La famille de Vincent van Gogh En haut : son père Theodorus van Gogh et sa mère Anna Cornelia van Gogh (née Carbentus) En dessous : Vincent Willem, Anna Cornelia, Theo, Elisabetha Huberta, Willemina Jacoba et Cornelis Vincent.
Vincent Willem van Gogh (prononcé ennéerlandais : /ˈvɪnsɛnt ˈʋɪləm vɑŋ ˈɣɔx/) naît le 30 mars 1853 àZundert, un village près deBréda dans l'ouest duBrabant-Septentrional, dans le sud des Pays-Bas. Sa mère a mis au monde, un an plus tôt, jour pour jour, Vincent Willem (I), enfant mort-né, le 30 mars 1852, dont il reprendra les mêmes deux prénoms. Il est le fils aîné de Theodorus van Gogh, pasteur de l'Église réformée néerlandaise à Groot-Zundert depuis 1849, et d'Anna Cornelia, née Carbentus, fille d'un relieur de la cour duDuché de Brabant. Ses parents élèveront six enfants : Vincent, Anna Cornelia (1855-1930),Théodore (« Théo »), Elisabetha Huberta (« Liss », 1859-1936), Willemina Jacoba (« Wil » ou « Wilkie », 1862-1941) et Cornelis Vincent (« Cor », 1867-1900)[WM 2].
Son père Theodorus compte dix frères et sœurs. Plusieurs oncles paternels joueront un rôle déterminant dans la vie de Vincent. Hendrik Vincent van Gogh, « Hein », est marchand d'art àBruxelles.Johannes van Gogh(de), « Jan », estamiral et reçoit Vincent chez lui àAmsterdam pendant plus d'un an. Cornelis Marinus van Gogh, « Cor », est également marchand d'art. Son parrainVincent van Gogh, « Cent », s'est associé à la chaîne de galeries de l'éditeur d'art parisienGoupil &Cie[4].
La famille de Van Gogh mène une vie modeste. L'ambiance laborieuse du foyer parental marque profondément le jeune Vincent, qui est un enfant sérieux, silencieux et pensif[M 1].
En, Vincent van Gogh entre à l'école deZundert, dont l'effectif est de deux cents élèves[5]. Il est retiré de l'école et, à la fin d'année 1861, Anna Birnie (1844-1917)[6] est embauchée comme gouvernante pour donner des cours à Vincent et à sa sœur, Anna. Elle leur enseigne, entre autres, le dessin. Le1er octobre 1864, il part pour l'internat de Jan Provily àZevenbergen, une ville rattachée à la commune deMoerdijk à trente kilomètres de chez lui. Il y apprend lefrançais, l'anglais et l'allemand. Il y réalise aussi ses premiers essais de dessin[WM 3]. Le 15 septembre 1866, il entre au collège Guillaume II, àTilbourg.
Son professeur de dessin était le peintreConstant Cornelis Huijsmans aucollège Willem II(en)[7]. Vincent vit difficilement cet éloignement. En mars 1868, il quitte précipitamment l'établissement et retourne chez ses parents à Zundert.
Maison dans laquelle a séjourné Vincent van Gogh àCuesmes (Belgique), en 1878.
Le, à l'âge de16 ans, Vincent quitte la maison familiale pour devenir apprenti chezGoupil & Cie àLa Haye, filiale fondée par son oncle Hein[10]. Cette firme internationale qui vend des tableaux, des dessins et des reproductions, est alors dirigée par Hermanus Tersteeg[JLB 1], pour qui l'artiste avait un grand respect. En 1871, son père est muté àHelvoirt. Vincent y passe ses vacances en 1872, avant de rendre visite à Theo, à Bruxelles.
Après sa formation en apprentissage, il est engagé chez Goupil &Cie. En juin 1873,Adolphe Goupil l'envoie dans la succursale deLondres avec l'accord de sononcle Cent. Selon la future femme de Theo,Johanna Bonger dite « Jo », c'est la période la plus heureuse de sa vie[11]. Il réussit et, à20 ans, il gagne plus que son père. Il tombe amoureux d'Eugénie Loyer[Diff 1], la fille de sa logeuse àBrixton, mais lorsqu'il lui révèle ses sentiments, elle lui avoue qu'elle s'est déjà secrètement fiancée avec le locataire précédent[Z 1]. Van Gogh s'isole de plus en plus. À la même époque, il développe un fervent intérêt pour la religion. Son zèle religieux prend des proportions qui inquiètent sa famille. Le, Theo est muté à la succursale de La Haye par son oncle Cent.
Son père et son oncle envoient Vincent àParis à la mi-mai 1875, au siège principal de Goupil &Cie au 9rue Chaptal. Choqué de voir l'art traité comme un produit et une marchandise, il en parle à certains clients, ce qui provoque son licenciement le[12],[Z 2]. Entre-temps, la famille Van Gogh a déménagé àEtten, village du Brabant-Septentrional.
Van Gogh se sent alors une vocation spirituelle et religieuse. Il retourne enAngleterre où, pendant quelque temps, il travaille bénévolement, d'abord comme professeur suppléant dans un petitinternat donnant sur le port deRamsgate, où il est engagé. Il dessine quelques croquis de la ville. À son frère Theo, il écrit[Note 3],[M 2] :« À Londres, je me suis souvent arrêté pour dessiner sur les rives de laTamise en revenant deSouthampton Street le soir, et cela n'aboutissait à rien ; il aurait fallu que quelqu'un m'explique la perspective. » Comme l'école doit par la suite déménager à Isleworth dans leMiddlesex[Note 4], van Gogh décide de s'y rendre. Mais le déménagement n'a finalement pas lieu. Il reste sur place, devient un fervent animateurméthodiste et veut« prêcher l'Évangile partout ». À la fin d'octobre 1876, il prononce son premier sermon à laWesleyan Methodist Church àRichmond. En novembre, il est engagé comme assistant à laCongregational Church de Turnham Green[JLB 2].
ÀNoël 1876, il retourne chez ses parents. Sa famille l'incite alors à travailler dans unelibrairie deDordrecht aux Pays-Bas pendant quelques mois. Toutefois, il n'y est pas heureux. Il passe la majeure partie de son temps dans l'arrière-boutique du magasin à dessiner ou à traduire des passages de laBible en anglais, en français et en allemand. Ses lettres comportent de plus en plus de textes religieux. Son compagnon de chambre de l'époque, un jeune professeur appelé Görlitz, expliquera plus tard que Van Gogh se nourrit avec parcimonie[13] :« Il ne mangeait pas de viande, juste un petit morceau le dimanche, et seulement après que notre propriétaire eut longuement insisté. Quatre pommes de terre avec un soupçon de sauce et une bouchée de légumes constituaient son dîner. »
Le soutenant dans son désir de devenir pasteur, sa famille l'envoie en mai 1877 à Amsterdam, où il séjourne chez son oncle Jan, qui est amiral. Vincent se prépare pour l'université et étudie lathéologie avec son oncle Johannes Stricker, théologien respecté[Note 5]. Il échoue à ses examens. Il quitte alors le domicile de son oncle Jan, en juillet 1878, pour retourner à la maison familiale àEtten. Il suit des cours pendant trois mois à l'école protestante deLaeken, près de Bruxelles, mais il échoue à nouveau et abandonne ses études pour devenirprédicateur laïc. Au début de décembre 1878, il obtient une mission d'évangéliste en Belgique, auprès desmineurs de charbon duBorinage, dans la région deMons. Il y devient un prédicateur solidaire des luttes contre le patronat mais il a déjà fait son apprentissage pictural en ayant visité tous les grands musées des villes importantes qu'il a traversées quand il travaillait chez Goupil &Cie[14].
Vincent van Gogh (1878-1879), Wasmes, maison du boulanger Denis, angle rue du Petit-Wasmes et rue Wilson.
Sa traversée du Borinage en Belgique commence àPâturages (aujourd'hui dans la commune deColfontaine) en 1878, il arrive par la gare de Pâturages, il s'installe à la rue del'Eglise. Il y est accueilli par un évangéliste qui l'installe chez un cultivateur àWasmes. Très vite, il juge cette maison trop luxueuse et, en août, il part pourCuesmes pour loger chez un autre évangéliste. Allant au bout de ses convictions, Van Gogh décide de vivre comme ceux auprès desquels il prêche, partageant leurs difficultés, jusqu'à dormir sur la paille dans une petite hutte.
Il consacre tout aux mineurs et à leur famille. Il va même jusqu'à descendre dans un puits de mine duCharbonnage de Marcasse, à 700 mètres de profondeur. Lors d'un coup degrisou, il sauve un mineur. Mais ses activités de pasteur ouvrier ne tardent pas à être désapprouvées[Z 3], ce qui le choque. Accusé d'être un meneur, il est contraint d'abandonner la mission — suspendue par le comité d'évangélisation — qu'il s'était donnée[M 3]. Il en garde l'image de la misère humaine qui apparaîtra dans une partie de son œuvre. Après ces évènements, il se rend à Bruxelles puis revient brièvement à Cuesmes, où il s'installe dans une maison. Mais, sous la pression de ses parents, il retourne àEtten. Il y reste désœuvré, jusqu'en mars 1880, ce qui préoccupe de plus en plus sa famille. Vincent et Theo se disputent au sujet de son avenir : ces tensions les privent de communication pendant près d'un an[14].
De plus, un grave conflit éclate entre Vincent et son père, ce dernier allant jusqu'à se renseigner pour faire admettre son fils à l'asile deGeel. Il s'enfuit de nouveau et se réfugie àCuesmes, où il loge jusqu'en octobre 1880 chez un mineur. Entre-temps, Theo obtient un emploi stable chezGoupil &Cie àParis.
Fin avril 1881, Van Gogh revient à la maison familiale et y reste jusqu'àNoël. Il consacre principalement son temps à la lecture et aux études des figures. L'été, il tombe amoureux de Kee Vos, la fille de son oncle Stricker. Malgré le refus clair de Kee, veuve toute récente, Vincent insiste, créant une atmosphère de plus en plus tendue dans sa famille.
À la suite d'une violente dispute avec son père, il part pourLa Haye, où il s'installe dans un modeste atelier. Il y reçoit des leçons de peinture de son cousin par alliance,Anton Mauve (époux de sa cousine germaineAriëtte Carbentus), pratique alors essentiellement l’aquarelle et étudie laperspective.
En janvier 1881, Van Gogh rencontre une ancienne prostituée,Sien Hoornik, qui commence à poser pour lui. Au printemps 1882, son oncle Cornelis Marinus, propriétaire d'unegalerie d'art renommée à Amsterdam, lui commande des dessins de La Haye. Le travail ne s'avère pas à la hauteur des espérances de son oncle, qui lui passe néanmoins une deuxième commande. Bien qu'il lui ait décrit en détail ce qu'il attendait de lui, il est de nouveau déçu. En juin 1882, une hospitalisation liée à unemaladie vénérienne lui permet de se réconcilier avec ses parents[JLB 4].
À sa sortie, il s'installe dans un plus grand atelier avec Sien Hoornik et ses deux enfants. C'est au cours de l'été 1882 qu'il commence lapeinture à l'huile. Cette période de sa vie lui permet de se consacrer à son art. Il partage ses réflexions sur des peintres qu'il admire commeDaumier ou Jean-François Millet dont il connaît bien les œuvres[Lettre 1],[Lettre 2]. Il exécute de nombreux tableaux et dessins selon différentes techniques. Il envoie ses œuvres à Theo et écrit à Anthon van Rappard. À partir du printemps 1883, il s'intéresse à des compositions plus élaborées, basées sur le dessin. Très peu de ces dessins ont survécu car, manquant de nervosité et de fraîcheur selon Theo, ils seront détruits par Vincent.
Les vingt mois qu'il passe à La Haye (entre 1882 et 1883) semblent décisifs pour l’artiste, qui réalise sa volonté de rompre avec les conventions morales de son milieu social, et son impossibilité à mener une existence normale. De nombreuses lectures,Honoré de Balzac,Victor Hugo,Émile Zola ou encoreCharles Dickens, viennent enrichir sa vision du monde, et renforcent ses convictions sociales. En août 1883, il envisage de partir dans la province campagnarde de laDrenthe pour profiter de ses paysages. Sa relation avec Sien Hoornik se termine alors.
De septembre à décembre 1883, Vincent séjourne en solitaire dans la province de Drenthe, dans le nord des Pays-Bas, où il s'acharne à sa peinture. C'est l'unique remède qu'il trouve face à un profond sentiment de détresse. Il change assez souvent de logement et la solitude lui pèse. Le temps pluvieux et les difficultés financières de son frère Theo le décident à rejoindre sa famille installée depuis juin 1882 àNuenen, en Brabant-Septentrional, dans le presbytère paternel[JLB 5].
Van Gogh profite d'un petit atelier aménagé à son intention dans la maison familiale. Il y réalise des séries de tableaux sur différents thèmes, notamment les tisserands. C'est à Nuenen que son travail se révèle définitivement : de cette époque datent de puissantes études à la pierre noire de paysans au travail, mais aussi quelque deux cents tableaux à la palette sombre et aux coups de brosse expressifs, qui confirment alors sa force de dessinateur et de peintre[15].
Theo propose à Vincent de ne plus lui verser de pension mais plutôt de lui acheter ses tableaux. Theo acquiert ainsi des tableaux qu'il espère vendre[JLB 6]. Vincent continue à voir Van Rappard avec qui il peint. À cette période, il donne aussi des cours de peinture à des amateurs. Puis, en mai 1884, il loue un atelier plus vaste que celui qu'il avait jusqu'alors.
Pour la troisième fois, Van Gogh tombe amoureux. Il entame une relation avec sa voisine, Margot Begemann, ce que leurs familles respectives n'apprécient pas. À la mi-septembre, Margot tente de se suicider. Elle passe sa période de convalescence àUtrecht. Le 26 mars 1885, le père de Van Gogh meurt d'une crise cardiaque. À cause des relations difficiles qu'il entretient avec son entourage, la sœur de Vincent lui demande de quitter le presbytère. Il habite alors dans son atelier entre avril et mai 1885.
Alors qu'il est encore à Nuenen, il travaille sur une série de peintures qui doivent décorer la salle à manger d'un de ses amis vivant àEindhoven. Van Gogh s'intéresse alors aux artistes renommés de l'école de La Haye, commeThéophile de Bock etHerman Johannes van der Weele. Il s'agit d'un groupe d'artistes qui, entre 1860 et 1890, sont fortement influencés par la peinture réaliste de l'école de Barbizon. Parmi ces artistes,Johan Hendrik Weissenbruch ouBernard Blommers par exemple, sont cités dans les lettres de Van Gogh lors de ses discussions sur l'art[Lettre 3],[Lettre 4]. Il n'hésite pas non plus à faire des remarques surRembrandt etFrans Hals en discutant de leurs œuvres[Lettre 5].
À la même époque,Émile Zola est critique d'art. En 1885, au moment où paraît son romanGerminal, Van Gogh peintLes Mangeurs de pommes de terre. Ils exposent tous les deux la vie de la classe populaire. Après son séjour à Nuenen, passant de ce réalisme sombre aucolorisme, Van Gogh prend un nouvel élan dans sa peinture. Sa palette devient plus claire et plus colorée, alors que ses coups de pinceaux deviennent plus nets[16].
ÀAnvers de nouveau, en, il est impressionné par les peintures deRubens et découvre lesestampes japonaises, qu'il commence à collectionner dans cette ville. C'est aussi dans la capitale flamande que l'artiste inaugure sa fameuse série d'autoportraits. Il prend divers cours de dessin et réalise des études de nus. L'idée de repartir à Paris lui est agréable. Il compte déjà étudier dans l'atelier deFernand Cormon et se loger chez Theo pour des questions d'économie[JLB 7]. En, il débarque donc à Paris.
Au début du mois de, Vincent rejoint son frère Theo àMontmartre, avec l'envie de s'informer sur les nouveautés de la peintureimpressionniste. À l'époque, Theo est gérant de la galerie montmartroise Boussod, Valadon &Cie (les successeurs deGoupil &Cie)[JLB 8],[Z 5]. Vincent y devient également l'amant d'Agostina Segatori, tenancière italienne du cabaretAu Tambourin,boulevard de Clichy. Seule la connaissance du milieu artistique parisien peut véritablement permettre à Van Gogh de renouveler et d'enrichir sa vision. Cette année-là est celle de ladernière exposition impressionniste que Vincent découvre, et en 1887 doit avoir lieu la première rétrospective de l’œuvre deMillet[14].
Paris se prépare alors à accueillir plusieurs expositions : en plus du Salon, où sont exposées les œuvres dePuvis de Chavannes, Van Gogh visite les salles de la cinquième exposition internationale à la galerieGeorges Petit, qui présente des toiles d'Auguste Renoir et deClaude Monet. Ces derniers n'avaient pas souhaité participer à la huitième et dernière exposition des impressionnistes, qui offrait le spectacle d'un groupe déchiré, entre les défections et les nouvelles arrivées, et ouvrait ses portes à la nouveauté du moment, lenéo-impressionnisme, avec la toile deGeorges Pierre Seurat,Un dimanche après-midi à l'île de la Grande Jatte.
À Paris dans les années 1886-1887, Van Gogh fréquente un moment l’Académie du peintre Cormon, où il fait la connaissance deHenri de Toulouse-Lautrec, deLouis Anquetin, d’Émile Bernard ainsi que deJohn Peter Russell. Ce dernier réalise son portrait. Il rencontre également, par l’intermédiaire de son frère, presque tous les impressionnistes, en particulierGeorges Seurat etCamille Pissarro, ainsi quePaul Gauguin. Dans la boutique dupère Tanguy, il devient l'ami dePaul Signac. Sous l’influence des estampes japonaises, ses compositions acquièrent peu à peu davantage de liberté et d’aisance, tandis qu’il s’essaie à la technique de l’aplat coloré. Pissarro l’initie également aux théories nouvelles sur la lumière et au traitementdivisionniste des tons. La palette de l'artiste s’enrichit alors de couleurs vives et sa touche s’anime et se fragmente, ceci grâce également à Signac avec qui il travaille en 1887[M 4].
Exalté par la ferveur du climat artistique parisien, Van Gogh brûle les étapes de son renouvellement artistique grâce à la fréquentation des peintres les plus anticonformistes du moment : il s'essaye au néo-impressionnisme auprès de Signac et Pissarro, enquête sur les profondeurs psychologiques du portrait avec son amiToulouse-Lautrec, est précocement informé de la synthèse ducloisonnisme par ses compagnonsLouis Anquetin etÉmile Bernard, et peut apprécier les toiles exotiques réalisées par Gauguin enMartinique. Régénéré par cette modernité, il est prêt à réaliser son rêve méditerranéen, à la recherche de la lumière aveuglante de laProvence, qui fait resplendir les couleurs pures de la nature, étudiées jusque-là dans sa collection d'estampes japonaises. C'est une période très fertile où son art s'oriente vers l'impressionnisme, mais l'absinthe et la fatigue aggravent son état mental. Le 19 février 1888, il quitte Paris.
Scène de rue à Montmartre, 1887 : tableau représentant l'un desmoulins de la Galette sur la butte deMontmartre à Paris, jamais exposé entre 1920 et 2021.
Le, il s'installe àArles, dans la vieille ville à l'intérieur des remparts à l'hôtel-restaurantCarrel, au 30, rue de la Cavalerie, à l'époque quartier des maisons closes, avec comme compagnon le peintre danois Christian Mourier-Petersen. Il loue également une partie de la « maison jaune » pour en faire son atelier. Quelques jours après, il loge auCafé de la Gare, 30, place Lamartine[Lettre 6],[JLB 9] et s'installe ensuite, à partir du 17 septembre, dans laMaison Jaune, juste à côté, détruite lors du bombardement allié d'Arles du 25 juin 1944.
Bien qu'il arrive dans la cité avec un temps de neige, une nouvelle page de son œuvre s'ouvre avec la découverte de la lumière provençale. Dès le, il commence sa production arlésienne : il parcourt à pied la région et peint des paysages, des scènes de moissons et des portraits. Il envoie toujours ses tableaux à Theo. Trois de ses premiers tableaux sont présentés à la4e exposition annuelle de laSociété des artistes indépendants. En avril, Vincent rencontre le peintre américainDodge MacKnight, qui habiteFontvieille, un petit village au nord-est d'Arles. Par MacKnight, il fait la connaissance du peintreEugène Boch, avec lequel une relation plus profonde se développe et dontil fait le portrait[18].
Au début du mois de, ayant reçu un billet de 100 francs de son frère Theo, il se rend en diligence auxSaintes-Maries-de-la-Mer pour un séjour de cinq jours. Il y peint la barqueAmitié et le village regroupé autour de l'église fortifiée.
Portrait du docteur Félix Rey par Van Gogh (1889) et croquis par le médecin de la section de l'oreille du peintre et du lobe restant (1930).
À Arles, des idées plus anciennes sur l'art et la peinture réapparaissent, comme faire des séries de tableaux[Note 7]. Au printemps 1888, il réalise ainsi une série sur lesvergers fleurissants dans des triptyques, ainsi qu'une série de portraits comme ceux de lafamille Roulin. La première série destournesols date aussi de cette époque. Entre-temps, il continue à échanger des lettres et des tableaux avecÉmile Bernard etPaul Gauguin. Vincent qui habite lamaison jaune, rêve en effet d'une communauté d'artistes unissant fraternellement leurs expériences et leurs recherches :Paul Gauguin vient le rejoindre dans ce but le 23 octobre 1888 et ils commencent à travailler ensemble, par exemple sur la série de tableaux consacrés auxAlyscamps. Mais les deux hommes s'entendent mal : la tension et l’exaltation permanentes qu’implique leur démarche créatrice débouchent sur une crise.
Le, à la suite d'une dispute plus violente que les autres avec Gauguin, Van Gogh est retrouvé dans son lit avec l'oreille gauche tranchée[19],[20]. Plusieurs théories tentent d'expliquer l'incident[21]. La thèse classique, soutenue par le musée Van Gogh d'Amsterdam d'après le témoignage de Gauguin[22],[23], explique que Van Gogh menace d'un rasoir Gauguin qui s'enfuit, laissant Van Gogh seul. Dans un accès de délire, celui-ci retourne le rasoir contre lui-même et se coupe l'oreille avant d'aller l'offrir à une employée du bordel voisin nommée tantôt Rachel, tantôt Gaby pour Gabrielle (âgée de 16 ans, elle ne pouvait pas être prostituée, se contentant de faire le ménage et de ne travailler au bordel qu'en tant que domestique)[JLB 10]. Différents diagnostics possibles expliquent cet accès de folie (voirci-dessous).
Autoportrait à l'oreille bandée, 1889, huile sur toile (60 × 49 cm),Londres,Institut Courtauld, The Samuel Courtauld Trust (F527/JH1657).
Le lendemain de sa crise, Van Gogh est admis à l'hôpital et soigné par le docteur Rey dontil peint le portrait. Theo, inquiet de la santé de son frère, vient le voir et retourne à Paris le jour de Noël[JLB 10] accompagné de Gauguin. Cependant, unepétition signée par trente personnes demande l'internement ou l'expulsion de Vincent van Gogh d'Arles : il lui est reproché des troubles à l'ordre public. Le, le docteur Delon demande son internement pour« hallucinations auditives et visuelles ». Le, le commissaire de police d'Ornano conclut dans son rapport que Van Gogh pourrait devenir dangereux pour la sécurité publique[24]. En, après une période de répit, il peint entre autresAutoportrait à l'oreille bandée. Cependant, à la suite de nouvelles crises, il est interné d'office sur ordre du maire à l'hôpital d'Arles[Lettre 7]. À la mi-avril, il loue un appartement au docteur Rey dans un autre quartier d'Arles[Lettre 8]. Le, Theo et Johanna Bonger se marient à Amsterdam[JLB 11].
Pendant son séjour à Arles, Vincent maintient le lien avec l'univers artistique parisien grâce à l'abondante correspondance qu'il échange avec son frère Theo. Malgré l'échec de son projet d'établir un atelier à Arles, il ne renonce pas au dialogue avec ses amisÉmile Bernard etGauguin. Ce dernier, après son séjour mouvementé à Arles, accompagne à travers ses lettres la vie de Van Gogh jusqu'à la fin[25].
Le, il quitte Arles, ayant décidé d'entrer dans l'asile d'aliénésSaint-Paul-de-Mausole que dirige le médecinThéophile Peyron, àSaint-Rémy-de-Provence. Il y reste un an, au cours duquel il a trois crises importantes : à la mi-juillet, en décembre et la dernière entre février et.
Malgré son mauvais état de santé, Van Gogh est très productif. Ce n'est que pendant ses crises de démence qu'il ne peint pas. Dans l'asile, une pièce au rez-de-chaussée lui est laissée en guise d'atelier[26]. Il continue à envoyer ses tableaux à Theo. Deux de ses œuvres font partie de la5e exposition annuelle de laSociété des artistes indépendants de Paris. Un des premiers tableaux de cette époque est l’Iris. Les peintures de cette période sont souvent caractérisées par des remous et des spirales. À diverses périodes de sa vie, Van Gogh a également peint ce qu'il voyait de sa fenêtre, notamment à la fin de sa vie avec une grande série de peintures de champs de blé qu'il pouvait admirer de la chambre qu'il occupait à l'asile deSaint-Rémy-de-Provence. Il quitte l'asile le[Note 8].
Theo rencontre le docteurPaul Gachet sur les recommandations dePissarro. Theo encourage Vincent à sortir de l'asile et à se rendre à Auvers-sur-Oise, où il pourra consulter le médecin et être près de son frère[JLB 12].
Van Gogh commence également à être connu. En, un article d’Albert Aurier dans leMercure de France[27] souligne pour la première fois l’importance de ses recherches. Un mois plus tard, la peintreAnna Boch acquiert l’un de ses tableaux,La Vigne rouge pour la somme de 400 francs[28].
Le naît le petit Vincent, fils de son frère Theo[29]. Dans les mois précédents la venue au monde de ce neveu et dont Vincent est le parrain, il écrit à Theo sans jamais mentionner le nom de l'enfant, en le nommant« le petit ». Lorsque le nouveau-né tombe malade sans gravité, Vincent éprouve de la tristesse et du découragement.
Après avoir rendu visite à Theo à Paris, Van Gogh s'installe àAuvers-sur-Oise, situé à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Paris[30]. Cette commune rurale duVexin français était déjà connue dans le milieu des peintres, initialement par les paysagistes de l'école de Barbizon, puis par les impressionnistes[Note 10]. Il y passe les 70 derniers jours de sa vie, du au. Le docteurPaul Gachet a promis de prendre soin de lui à la demande de Theo[Lettre 9]. Gachet, ami dePaul Cézanne et des peintres impressionnistes et lui-même peintre amateur, veille sur Van Gogh, qui loue une petite chambreno 5 dans l’auberge Ravoux, pour 3,50 francs par jour[Note 11].
Van Gogh, au sommet de sa maîtrise artistique, va alors décrire dans ses œuvres la vie paysanne et l'architecture de cette commune. Des articles paraissent dans la presse parisienne, bruxelloise et néerlandaise. C'est un signe important de sa reconnaissance dans ce milieu artistique. Grâce aux soins du docteur Gachet, son activité est intense : il peint 74 tableaux plus ou moins achevés, réalise 45 dessins et une gravure[VK 1],[31]. D'autre part, Theo, dont la maladie perdure, lui confie son inquiétude pour son travail et pour le petit Vincent Willem, malade. Theo désire retourner aux Pays-Bas.
L'instabilité mentale de Vincent van Gogh reprend vers la fin[réf. souhaitée]. Le dimanche, après avoir peint son ultime toile,Racines d'arbres[33], il se tire un coup derevolver dans la poitrine. Revenu à l'auberge Ravoux, il monte dans sa chambre. Ses gémissements attirent l'attention de l'aubergiste, Arthur Ravoux, qui le découvre blessé et fait venir le docteur Jean-Baptiste Mazery et ledocteur Gachet. Une opération chirurgicale n'est pas envisageable au vu des circonstances et de l'impossibilité de déterminer la trajectoire de la balle.Anton Hirschig, artiste néerlandais pensionnaire de son auberge, se rend à Paris le lendemain pour prévenir Theo van Gogh. Vincent van Gogh décède le 29 juillet, à 1 heure 30 du matin, à l'âge de 37 ans, son frère Theo étant à son chevet[34].
Theo, atteint desyphilis et de ses complications neurologiques, est hospitalisé en dans une clinique àUtrecht, où il meurt le[35] à l'âge de 34 ans. Les deux frères reposent tous deux au cimetière d'Auvers-sur-Oise, depuis queJohanna van Gogh-Bonger a fait transférer le corps de son premier mari auprès de son frère en 1914.
En 2011, une hypothèse alternative sur la mort de Vincent van Gogh a été avancée par deux auteurs, Steven Naifeh et Gregory White Smith, qui reprennent une rumeur lancée par un journaliste anonyme dans les années 1930, attribuée erronément àVictor Doiteau[36] : Vincent van Gogh aurait été victime par accident d'une balle tirée par René Secrétan, jeune homme de 16 ans amateur d'armes à feu et admirateur de Buffalo Bill, en villégiature à Auvers-sur-Oise avec son frère Gaston, 19 ans. Le coup de feu fatal serait parti pendant une possible lutte entre René, 16 ans, et Van Gogh. Avant de succomber deux jours plus tard, le peintre aurait alors décidé d'endosser toute la responsabilité de l'acte en déclarant s'être visé lui-même, dans le but de protéger les garçons[37] et par amour pour son frère Théo, pour lequel il pensait être devenu un fardeau trop pesant.
Marianne Jaeglé relate cette thèse dans son livreVincent qu'on assassine, dans lequel la vie de Vincent Van Gogh est écrite sous l'angle de la thèse du meurtre du peintre.
Cette thèse repose sur plusieurs arguments[38] : Vincent van Gogh aurait été le souffre-douleur de René Secrétan ; l'historien d'artJohn Rewald a recueilli dans les années 1930 des rumeurs auversoises dans ce sens, mais ces témoignages sont tardifs et de seconde main ; René Secrétan, dont les auteurs américains prétendent que le peintre a réalisé un dessin déguisé en cowboy et qui a assisté auBuffalo Bill Wild West Show à Paris au début de l'année 1890, aurait volé le revolver de l'aubergiste Arthur Ravoux pour tirer sur des oiseaux et petits animaux, revolver[Note 12] à l'origine de l'homicide involontaire ou du tir accidentel sur Vincent van Gogh[39],[40],[41],[42] ; lessignes de l'impact de la balle rendent peu probable qu'elle ait été tiréeà bout portant selon un expert américain en médecine légale, le docteur Vincent DiMaio[43],[44].
Un chercheur, Wouter van der Veen, travaillant sur la vie et l’œuvre de Vincent van Gogh, a publié en 2020 une analyse[45] de la dernière journée de Vincent van Gogh, du lieu où il a passé cette journée, du dernier tableau qu'il a peint (Racines d'arbres, conservé aumusée Van Gogh d’Amsterdam), et de ses derniers écrits, corroborant le suicide[46],[47].
À plusieurs reprises, Van Gogh souffre d'accès psychotiques et d'instabilité mentale, en particulier dans les dernières années de sa vie. Au fil des ans, il a beaucoup été question de l'origine de samaladie mentale et de ses répercussions sur son travail. Plus de cent cinquante psychiatres ont tenté d'identifier sa maladie et quelque trente diagnostics différents ont été proposés[48].
Une théorie suggère que le docteurGachet aurait prescrit de ladigitaline à Van Gogh pour traiter l'épilepsie, substance qui pourrait entraîner une vision teintée de jaune et des changements dans la perception de la couleur d'ensemble. Cependant, il n'existe aucune preuve directe que Van Gogh ait pris de ladigitaline, même si Van Gogh a peintPortrait du docteur Gachet avec branche de digitale,plante à partir de laquelle est produite la digitaline[51].
Rédigées entre 1872 et 1890, les lettres de Vincent van Gogh témoignent de sa vie ainsi que de l'enchaînement de ses idées lorsqu'il produisait une œuvre. Ces textes n'ont pas été écrits en vue d'être publiés : ils représentent les pensées les plus profondes et les sentiments de leur auteur. La vision intime de sa propre vie, sa démarche artistique et l'origine de ses tableaux y sont expliqués dans un style direct et transparent. Ces lettres constituent une référence très riche concernant le contexte artistique et intellectuel dans lequel il se trouvait et les efforts qu'il fournissait pour s'y attacher, les méthodes et les matériaux utilisés à l'époque, les relations intimes qu'il nouait avec ses proches, sa façon de voir les autres artistes, etc.[JLB 13].
En général, les lettres de Van Gogh sont adressées à son frère Théo, qui est aussi son plus grand soutien[52]. Au début de cette correspondance, il écrit[Note 3],[Lettre 11] :« […] nous n'aurons qu'à nous écrire très souvent. » Il a aussi écrit aux autres membres de sa famille et à ses amis, tels quePaul Gauguin etÉmile Bernard[53]. La lettre la plus ancienne est adressée à Théo et datée du. La dernière, rédigée quelques jours avant sa mort, était également destinée à Théo et il la portait sur lui le jour de son suicide. Environ les deux tiers de ses lettres, jusqu'en 1886, sont rédigées en néerlandais. Après cette date, il écrit en français, langue qu'il maîtrise depuis son apprentissage de la langue dans son enfance et qu'il perfectionne en France. Il a aussi écrit quelques lettres en anglais[54]. En 2011, il existe 902 lettres répertoriées, dont 819 écrites par lui et 83 à son intention. Ces lettres ainsi que des photographies et d'autres documents le concernant sont conservés en 2011 aumusée Van-Gogh à Amsterdam.
À la mort de Vincent, son frère devient propriétaire de toutes les peintures, sauf une qui a été vendue du vivant de Vincent, ainsi que des lettres. Theo, atteint de la syphilis, perd la raison trois mois après le décès de son frère. D'abord interné à Paris, il est rapidement transféré àUtrecht aux Pays-Bas où il finira ses jours[VK 2]. À la suite de cet évènement, Johanna Bonger-Van Gogh, la femme de Theo, devient l'héritière de cette collection d'art, qui n'a pas à l'époque une grande valeur marchande.
Grâce à Johanna, Émile Bernard et d'autres amis, ses lettres apparaissent dans les revues de l'époque (Van Nu en Straks etMercure de France, par exemple). La première publication des lettres sous forme d'ouvrage date de 1914[55]. Cette édition comporte les lettres de Vincent à Theo et à Johanna. Durant les années 1920, d'autres correspondances de Vincent apparaissent :Émile Bernard,Paul Gauguin,Gabriel-Albert Aurier,Paul Signac,John Peter Russell, etc. Après la mort de Johanna en 1925, son fils Vincent Willem van Gogh prend le relais. Après laSeconde Guerre mondiale, il publie une édition en 4 volumes de nature documentaire[56]. Vingt ans plus tard, il publie une autre édition en 2 volumes, cette fois-ci en tâchant de rassembler les dernières lettres de Van Gogh en français[57].
Petit à petit, le nombre d'ouvrages concernant les lettres se multiplie. Sa célébrité ne cessant de croître, la publication de ses lettres et leur analyse deviennent de plus en plus fréquentes, comme les travaux de Jan Hulsker[58],[59]. L'originalité du travail de Hulsker réside dans sa recherche de compréhension et d'explication des œuvres. Il a identifié les œuvres mentionnées dans les lettres, reproduit les croquis et revu les datations des courriers[JLB 14]. Pour le centenaire de Van Gogh, lemusée Van-Gogh publie sa correspondance au complet en néerlandais[60] dans l'ordre chronologique. De nombreux livres reprennent une partie des lettres et les analysent à leur façon. Le dernier grand ouvrage est le fruit du projetLettres de Van Gogh, lancé par le musée Van Gogh, en partenariat avec leHuygens Institute en 1994[54]. Publiés en trois langues (néerlandais, français et anglais), ces 6 volumes offrent une analyse approfondie, de nouvelles lettres non publiées et, surtout, des bases solides pour effectuer de nouvelles recherches sur ce peintre[61],[62].
L'art de Van Gogh a évolué constamment au cours de sa carrière artistique. Par exemple, il s'intéresse auxestampes japonaises et aux gravures anglaises. Il prend plaisir à exécuter des reproductions auxquelles il souhaite apporter une contribution artistique originale. Il réalise plusieurs séries de tableaux, notamment desautoportraits etLes Tournesols. Par ailleurs, il accorde aussi une place importante aux tableaux nocturnes[66]. Il applique les couleurs par touches de pinceaux, sans mélanger sur la palette. Les couleurs se fondent à distance dans l'œil du spectateur.
À l'automne 1882, Theo commence à financer Vincent afin que ce dernier puisse développer son art sereinement. Au début de l'année 1883, il commence à travailler sur des compositions multi-figures, surtout des dessins. D'après Theo, ces travaux manquent de vivacité et de fraîcheur. À cause de ces commentaires, Vincent les détruit et se tourne vers la peinture à l'huile. À Nuenen, il réalise de nombreuses peintures de grande taille mais il en détruit également. Parmi les toiles de l'époque, on peut citerLes Mangeurs de pommes de terre, les différentes têtes de paysans et les diverses interprétations de la chaumière.
Pensant qu'il manque de connaissance sur les techniques de la peinture, il se rend à Paris pour continuer à apprendre et développer son style. Sa tendance à développer les techniques et les théories desimpressionnistes et lesnéo-impressionnistes dure peu. À Arles, Van Gogh reprend d'anciennes idées. Il recommence par exemple à peindre une série de tableaux sur des sujets similaires. La progression de son style se voit dans sesautoportraits. En 1884, à Nuenen, il avait déjà travaillé sur une série pour décorer la salle à manger d'un de ses amis à Eindhoven. Toujours à Arles, il transforme sesVergers fleurissants en triptyques. Il réalise une autre série sur lafamille Roulin et il travaille avec Gauguin sur la décoration de lamaison jaune. Les peintures faites pendant la période de Saint-Rémy sont souvent caractérisées par des tourbillons et des spirales. Les motifs de luminosité de ces dernières images ont été montrés conforme aumodèle statistique de turbulence de Kolmogorov[67].
L'historien d'artAlbert Boime est l'un des premiers à montrer que Van Gogh basait ses travaux sur la réalité[68]. Par exemple, le tableauMaison sous un ciel nocturne montre une maison blanche au crépuscule avec une étoile bien visible, entourée d'uneauréole jaune. Les astronomes du Southwest Texas State University à San Marcos ont établi que cette étoile estVénus, très brillante le soir du, date de la création de ce tableau[69].
Van Gogh a peint des autoportraits à plusieurs reprises. Beaucoup de ces toiles sont de petites dimensions : ces essais lui permettent d'expérimenter les techniques artistiques qu'il découvre[H 3]. Ses autoportraits reflètent ses choix et ses ambitions artistiques qui évoluent en permanence[H 3]. Les peintures varient en intensité et en couleur et l'artiste se représente avec barbe, sans barbe, avec différents chapeaux, avec son bandage qui représente la période où il s'est coupé l'oreille, etc. La plupart de ses autoportraits sont faits à Paris. Tous ceux réalisés àSaint-Rémy-de-Provence montrent la tête de l'artiste de gauche, c'est-à-dire du côté opposé de l'oreille mutilée. Plusieurs des autoportraits de Van Gogh représentent son visage comme se reflétant dans un miroir, c'est-à-dire son côté gauche à droite et son côté droit à gauche. Il s'est peint37 fois en tout[70]. Cependant, durant les deux derniers mois de sa vie, à Auvers-sur-Oise, et malgré sa productivité, il ne peint aucun autoportrait. SonAutoportrait au visage glabre, qui date de fin, est une des toiles les plus chères au monde, vendue à 71,5 millions de dollars en 1998 à New York[71].
La Courtisane (d'aprèsEisen), 1887, huile sur toile, 105,5 × 60,5 cm,Amsterdam,musée Van Gogh, Fondation Vincent van Gogh (F373/JH1298).
Pruniers en fleurs (d'aprèsHiroshige), 1887, huile sur toile, 55 × 46 cm,Amsterdam,musée Van Gogh, Fondation Vincent van Gogh (F371/JH1296).
Père Tanguy, 1887, huile sur toile, 92 × 75 cm,Paris,musée Rodin (F363/JH1351).
Lejaponisme, style qui se développe en France surtout dans la seconde moitié duXIXe siècle avec l’ouverture du Japon à l'Occident de l’ère Meiji, attire Van Gogh depuis qu'il est à Nuenen. Les maîtres japonais commeHokusai etHiroshige l'inspirent. Il achète ses premières reproductions à Anvers et transmet son goût pour cet art asiatique à son frère Théo. Les deux réunissent plus de 400 œuvres qui sont aujourd'hui aumusée Van Gogh d'Amsterdam[H 4]. L'Université Ritsumeikan dans une étude réalisée en collaboration avec Université Féminine de Kyoto voit dans lestyle Kutani, créé parGoto Saijiro un précurseur du peintre et une source d'inspiration pour celui-ci[72].
À Paris, Van Gogh s'interroge sur l'apport de cet art d'une grande qualité esthétique par rapport à ses propres travaux[H 5]. Il exécute alors plusieurs copies des crépons japonais.Le Courtisan est la reproduction d'un dessin qu'il a vu sur la couverture deParis illustré spécial Japon. Il lui ajoute un arrière-plan inspiré desestampes japonaises en employant des couleurs intenses.Le Prunier en fleur est un autre tableau de ce genre : il interprète cette fois-ci une œuvre deHiroshige. Le fond duportrait du père Tanguy est aussi décoré d'estampes japonaises. Van Gogh a l'habitude de délimiter des plans ou des objets par du noir, une couleur qualifiée de « non-couleur » par lesimpressionnistes, qui la bannissent quasiment systématiquement de leurs palettes. Il trouve ainsi une justification à cette pratique dans les estampes japonaises. Par la suite, il s'approprie l'art japonais, et confesse à son frère[Note 3],[Lettre 13] :« Tout mon travail est un peu basé sur la japonaiserie… »
Cette fascination pour le Japon ne le quittera jamais et durant la dernière année de sa vie, Van Gogh cherchera par exemple à rencontrer un peintre français nomméLouis Dumoulin[73] après avoir vu plusieurs de ses tableaux inspirés d'un voyage au Japon notamment lors de la grande exposition organisée auChamp-de-Mars en par laSociété nationale des Beaux-Arts. Deux lettres à l'attention de son frère Théo écrites alors qu’il séjourne à Auvers-sur-Oise exposent en effet son désir de rencontrer Dumoulin (qu’il écrit « Desmoulins ») comme « celui qui fait le Japon »[74],[75].
Non seulement Vincent van Gogh aime contempler les reproductions des œuvres d'art mais il en réalise lui-même. Sa première reproduction date de l'époqueSaint-Rémy-de-Provence : il copie une lithographie de laPietà d'Eugène Delacroix, cette dernière ayant été abîmée. Il interprète aussi plusieurs tableaux à l'huile dans son propre style. Entre et, il produit de nombreuses œuvres d'après Delacroix,Rembrandt etJean-François Millet, dont, de ce dernier,Hiver, la plaine de Chailly[78]. Ce sont des scènes religieuses et des travailleurs des champs. Durant la période où il est confiné dans un asile psychiatrique àSaint-Rémy-de-Provence, il trouve dans la reproduction d'œuvres un moyen de poursuivre son travail sans modèle ; il n'avait les moyens de n'employer que lui-même comme modèle. Il considère que le sujet d'un tableau n'est qu'un seul point de départ et que l'interprétation de l'artiste est la contribution principale. Il exprime cette idée à son frère par les mots suivants[Note 3],[Lettre 14] :« Je pose le blanc et noir de Delacroix ou de Millet ou d'après eux devant moi comme motif. — Et puis j'improvise de la couleur là-dessus mais bien entendu pas tout à fait étant moi mais cherchant des souvenirs de leurs tableaux — mais le souvenir, la vague consonance de couleurs qui sont dans le sentiment, sinon justes — ça c'est une interprétation à moi. »
Le tableauLe Semeur, de Millet, est l'un des exemples caractéristiques éclairant les intentions de Van Gogh pour la reproduction. On voit l'apport de l'utilisation de la couleur et les coups de pinceaux très personnels de Van Gogh. Le résultat est plus vif, la personnalité de l'artiste s'affirme par l'intensité des couleurs appliquées.
On peut également évoquerLa méridienne (ouLa Sieste) du même peintre dont s'inspire Vincent dans son tableauLa Méridienne.
Van Gogh a réalisé plusieurs séries de tableaux. Pour affiner son art, il aime peindre plusieurs tableaux sur des sujets similaires concernant la nature : les fleurs, les champs de blé, les vergers fleurissant, etc. Il fait également des séries de portraits, surtout en peignant chaque membre de lafamille Roulin ou des séries de semeurs. Van Gogh s'intéresse particulièrement à la peinture des fleurs. Il réalise plusieurs paysages avec différentes fleurs : des lilas, des roses, des lauriers, etc. Sur certains de ses tableaux, commeIris, on les voit au premier plan. Il a fait deuxséries de tournesols : la première alors qu'il est à Paris en 1887, la seconde lorsqu'il habite Arles l'année suivante. La première montre des tournesols fraîchement cueillis posés par terre. Dans la seconde, les tournesols sont dans des vases, parfois en train de faner. Les fleurs sont peintes par d'épais coups de brosse avec des surplus de peinture.
L'idée de Van Gogh est de remplir les murs de l'atelier qu'il veut partager avecPaul Gauguin dans le but de créer une communauté d'artistes[Note 3],[Lettre 15] :« Dans l'espoir de vivre dans un atelier à nous avec Gauguin, je voudrais faire une decoration pour l'atelier.Rien que des grands Tournesols. » Gauguin représente dans un de ses tableaux van Gogh en train de peindre des tournesols. Van Gogh est assez content du résultat le montrant« fatigué et chargé d'électricité[Lettre 16] ».
De gauche à droite :
Verger, 1889, huile sur toile , 72 × 92 cm,Amsterdam,musée Van Gogh, Fondation Vincent van Gogh (F511/JH1386).
Verger en fleurs et vue d'Arles, 1889, huile sur toile, 72 × 92 cm,Munich,Neue Pinakothek (F516/JH1685).
La série des vergers en fleur de Van Gogh fait partie de ses premiers travaux à Arles. Les peintures de cette série sont joyeuses. Il passe beaucoup de temps à exprimer la gaieté du printemps. Vincent dit à son frère[Note 3],[Lettre 17] :« J'ai maintenant 10 vergers sans compter trois petites etudes et une grande d'un cérisier que j'ai ereintée[Note 13]. » Dans la plupart de ces peintures, un arbre fleuri est mis en valeur. Il varie ses coups de pinceau : des touches depointillisme, des élansimpressionnistes plus veloutés, aplatissement des traits à la manière desestampes japonaises. Les tonalités intenses remplissent ses toiles, la couleur plus délicate des fleurs occupe le visuel[H 6].
Une des séries de tableaux les plus connues que Van Gogh a réalisées est celle des cyprès. Ces arbres, caractéristiques des paysages duMidi de la France, inspirent Van Gogh. Il écrit à son frère[Note 3],[Lettre 18] :« Les cyprès me preoccupent toujours, je voudrais en faire une chose comme les toiles des tournesols parce que cela m'étonne qu'on ne les ait pas encore fait comme je les vois ». Pendant l'été 1889, sur la demande de sa sœur Wil, il peint aussi plusieurs petites versions deChamp de blé avec cyprès[9]. Ces travaux sont caractérisés par des tourbillons et par une technique qui lui permet de garder visibles les différentes couches de peinture qu'il superpose. Les autres tableaux de la série partagent les mêmes éléments stylistiques. Son tableau,La Nuit étoilée — qu'il peint lorsqu'il est àSaint-Rémy-de-Provence — fait partie de cette série.
La peinture des scènes vespérales et nocturnes est très fréquente chez Van Gogh qui écrit[Note 3],[Lettre 19] :« Souvent, il me semble que la nuit est bien plus vivante et richement colorée que le jour. » L'importance qu'il accorde à cette période de la journée peut être constatée lorsqu'on considère le nombre d'œuvres qu'il a peintes pour la représenter. Il évoque le plus souvent la dure vie rurale, les paysans dans leur intimité familiale ou en plein travail, aux champs. Par ailleurs, une de ses peintures les plus connues,Terrasse du café le soir, décrit une ambiance citadine.
Pour Van Gogh, les peintres de son siècle ont réussi à représenter l'obscurité par de la couleur[Lettre 3]. Il réinterprète ce sujet dans ses tableaux en s'inspirant de plusieurs grands peintres. Si enJules Breton etJean-François Millet il voit l'essentiel de la représentation du travail de la terre, il est impressionné par la réussite deRembrandt à utiliser de la couleur pour peindre la nuit. À travers ses œuvres,Delacroix lui apprend comment les couleurs vives et les contrastes de couleurs peuvent décrire les couchers de soleil, les tombées de nuit, voire les nuits avec leurs étoiles. Comme pourAdolphe Monticelli, la couleur devient pour Van Gogh un moyen de juger la modernité d'un tableau. Il apprécie l'art de l'impressionnisteMonet, capable de donner l'impression d'une ambiance vespérale par un coucher de soleil en rouge. Il admire aussi la technique pointilliste deSeurat parvenant à évoquer une atmosphère nocturne, avec des taches et aplats de couleurs[66].
Van Gogh est donc fasciné par la réalité vespérale et nocturne. La disparition progressive de la lumière, un coucher de soleil intense, le crépuscule avec l'apparition des lumières artificielles des maisons et le scintillement des étoiles et de la lune dans un ciel sombre, nourrissent son imagination et sa créativité.
Van Gogh peignait sur des toiles souvent déjà apprêtées, qu'il pouvait réutiliser, soit en grattant l'œuvre précédente, soit en la recouvrant d'une nouvelle couche[79]. Il employait cependant certains pigments instables, entraînant une modification des couleurs sous l'effet de la lumière, dont la laque géranium qui perd sa teinte rouge avec le temps[79]. Les couleurs originelles sont donc perdues, entraînant des difficultés de restauration : ainsi, les restaurateurs ont décidé, pourLa Chambre datant de 1888, de ne pas « recoloriser » le tableau, se contentant de tenter de stopper les dégradations et de proposer un éclairage avec des filtres colorés pour restituer les teintes d'origine[80]. En 2011, des études menées à l'European Synchrotron Radiation Facility deGrenoble ont permis d'identifier une réaction chimique complexe sur lejaune de cadmium faisant perdre l'éclat de cette couleur dans certains tableaux de Van Gogh[81],[82].
Van Gogh a expérimenté plusieurs styles dans sa carrière artistique. Il a fini par créer un style qui lui est propre. Il croit que les peintures peuvent exprimer l'émotion et qu'elles ne sont pas qu'une imitation de la réalité[16].
Van Gogh découvre l'impressionnisme à Paris. Il adopte avec exaltation la peinture claire sans renoncer aux cernes de ses figures[83]. Les trois artistes isolés, Van Gogh[84],Gauguin etCézanne, tous influencés un moment par l'impressionnisme, constituent les figures majeures dupostimpressionnisme. Van Gogh a également influencé la peinture postérieure et plus moderne, en particulier les mouvements tels que l'expressionnisme et lefauvisme[85]. D'ailleurs, en Provence, il travaille dans un esprit qui annonce l'expressionnisme. Il contribue aussi à l'élaboration dusymbolisme à travers sa volonté d'exprimer une émotion grâce à son art.
L'impressionnisme est un mouvement pictural français né pendant la deuxième moitié duXIXe siècle. Les grandes batailles du passé ou les scènes de laBible, qui étaient jusque-là les sujets de prédilection des peintres, laissent leur place à des sujets de la vie quotidienne librement interprétés selon une vision personnelle. Les couleurs vives et les jeux de lumière gagnent de l'importance aux yeux des peintres de ce mouvement qui se veulent aussi réalistes. Ils s'intéressent à l'étude du plein air et font de la lumière l'élément essentiel de leurs peintures.
L'impressionnisme incarné par Monet, Manet, Renoir, Degas (plutôt connu pour ses cadrages et perspectives) est un point de départ pour le néo-impressionnisme de Seurat et Signac, maîtres dupointillisme, pour Gauguin et sonécole de Pont-Aven, pour Bernard et soncloisonnisme, pour Toulouse-Lautrec, Van Gogh ainsi que pour de nombreux « postimpressionnistes », en France et à l'étranger. La série des vergers de Van Gogh, par exemple, montre une version variée d'impressionnisme avec toutes ses caractéristiques[WM 5], c'est-à-dire la recherche de la lumière et de la couleur à travers les motifs de la nature. Ces peintres favorisent le travail à l'extérieur. Ils excluent le plus possible les gris et les noirs. Ils abandonnent le point de vue frontal et l'illusion de la profondeur. L'« impressionnisme » de Van Gogh se traduit par l'utilisation des effets de la lumière, les reflets qui expriment l'intensité lumineuse du moment[WM 6]. Chez lui, les couleurs sont perçues dans leurs contrastes de complémentaires, par exemple, le vert et le rouge créent une image « complète ». Quelques peintures de Van Gogh sont placées à l'exposition des indépendants avec celles des autres impressionnistes[Lettre 20]. L'artiste tient à ce que les tableaux de ces derniers soient connus aussi en Hollande[Lettre 21] et il est persuadé que leur valeur finira par être reconnue[Lettre 22].
Les jeunes peintres des années 1880 se trouvent face à l'impressionnisme qui marque leur époque. Ils réagissent de différentes façons. Jusqu'à la fin du siècle, différentes tendances novatrices coexistent. Le postimpressionnisme est l'ensemble de ces courants artistiques comme lenéo-impressionnisme, lesymbolisme, lemouvement nabi, etc. Dans l'histoire de l'art, le postimpressionnisme désigne donc une brève époque. Il regroupe entre autresPaul Cézanne, Vincent van Gogh,Paul Gauguin,Henri de Toulouse-Lautrec ouGeorges Seurat, qui avaient pour ambition de révolutionner la peinture. Le principal point commun de ces peintres est qu'ils refusaient lenaturalisme. Van Gogh admire la volonté de dépasser la représentation de la réalité, comme il écrit à son frère à propos de Cézanne[Note 3],[Lettre 23] :« … il faut sentir l'ensemble d'une contrée… » Ils cherchaient à transmettre davantage à leur peinture.
À travers ses tableaux, Van Gogh rêve d'exprimer plus qu'une image : ses sentiments. À Auvers-sur-Oise, il écrit à son frère Theo et à sa belle-sœur[Note 3],[Lettre 24] :« … et je ne me suis pas gêné pour chercher à exprimer de la tristesse, de la solitude extrême. […] Je croirais presque que ces toiles vous diront ce que je ne sais dire en paroles, ce que je vois de sain et de fortifiant dans la campagne. »
Les prémices de l'expressionnisme apparaissent dans les deux dernières décennies duXIXe siècle, avec pour précurseurs Van Gogh[86] à partir de la fin 1887, ainsi queEdvard Munch (notammentLe Cri), etJames Ensor[87]. Cependant, la dénomination « expressionnisme » a été utilisée pour la première fois par le critique d'artWilhelm Worringer en août 1911[M 5]. Van Gogh accentue ce mouvement après son arrivée àArles en 1888, où le choc de la lumière méridionale le pousse à la conquête de la couleur :La Nuit étoilée ou lesOliviers. Par la dramatisation des scènes, la simplification, voire la caricature, qui caractérisent son œuvre des débuts à la fin, il annonce l'expressionnisme, où les peintres exposent sans pudeur la misère physique et morale[88].
Les expressionnistes commeErnst Ludwig Kirchner,Erich Heckel etOskar Kokoschka s'inspirent de la technique de Van Gogh, le coup de pinceau brutal laisse des traces empâtées et granuleuses[85]. SelonOctave Mirbeau, un des tout premiers admirateurs de van Gogh,« ces formes se multiplient, s'échevèlent, se tordent, et jusque dans la folie admirable de ces ciels […], jusque dans les surgissements de ces fantastiques fleurs […] semblables à des oiseaux déments, Van Gogh garde toujours ses admirables qualités de peintre[89] ».
De même, Van Gogh s'autorise toute liberté de modifier les couleurs naturelles pour favoriser l'expression de ces sujets.« Je voudrais faire le portrait d'un ami artiste qui rêve de grands rêves. […] Pour le finir, je vais maintenant être coloriste arbitraire. J'exagère le blond de la chevelure, J'arrive aux tons orange, aux chromes, au citron pâle. Derrière la tête, au lieu de peindre le mur banal du mesquin appartement, je fais un fond simple, du bleu le plus riche, […] la tête blonde éclairée sur ce fond bleu riche obtient un effet mystérieux, comme l'étoile dans l'azur profond[90]. »
Lefauvisme est un mouvement pictural français qui s'affirme notamment entre 1905 et 1907[85]. Les peintres désirent séparer la couleur et l'objet, donnant la priorité à l'expression des couleurs. Van Gogh en est un des précurseurs[Z 6]. Il a une influence sur lespeintres fauves, en montrant une palette de couleurs remarquable, notamment dans sa période arlésienne[Z 7]. Durant cette période, Van Gogh n'hésite plus à employer des couleurs vives et des juxtapositions de tons non conventionnelles avec, en particulier, l'usage des teintes complémentaires. Par cette utilisation de couleurs flamboyantes, Van Gogh est l'une des sources d'inspiration de plusieurs peintres fauves, tels queVlaminck ouDerain. Ainsi, dans les œuvres fauves, on retrouve les mêmes dispositions de couleurs que chez Van Gogh. Par exemple, dans laPartie de campagne ouLa Seine à Chatou de Vlaminck, la proximité du rouge et du vert s'accentue comme dans le tableauLe Café de nuit de Van Gogh[91].
Lesymbolisme est un mouvement artistique qui s'exprime entre 1886 et 1900 dans plusieurs domaines.Gustave Moreau,Eugène Carrière,Edward Burne-Jones etMartiros Sergueïevitch Sarian sont parmi les peintres influençant ce mouvement. Le symbolisme est une réaction au naturalisme. Il s'agit de« vêtir l'idée d'une forme sensible ». Les symbolistes ne peignent pas fidèlement l'objet, contrairement aux naturalistes, mais recherchent une impression, une sensation, qui évoque un monde idéal ; ils privilégient l'expression des états d'âme. Les symboles permettent d'atteindre la« réalité supérieure » de la sensibilité.
Dans une de ses lettres, Van Gogh exprime ce qu'il pense du symbolisme[Note 3],[Lettre 26] :« … toute réalité est en même temps symbole. » Il mentionne également les artistesMillet etLhermitte en relation avec le symbolisme. Ceci indique son approche positive pour le symbolisme et éclaircit ses propres intentions et inspirations. Il est dévoué à la réalité, pas à une réalité comme dans les photographies, mais à une réalitésymbolique[92].
Lesymbolisme recherchait dans le pouvoir du verbe[93]« l'essence de la poésie c'est-à-dire la poésie pure, celle qui dira comment sont faits l'esprit et le monde en lui révélant la structure idéale de l'univers. […] le Symbolisme invite la poésie à rejoindre la mystique ». La quête de Van Gogh est identique, comme il l'écrit à son frèreTheo[Note 3],[Lettre 27] :« Et dans un tableau je voudrais dire quelque chose de consolant comme une musique. Je voudrais peindre des hommes ou des femmes avec ce je ne sais quoi d'éternel dont autrefois lenimbe était le symbole et que nous cherchons par le rayonnement même, par la vibration de nos colorations. » Van Gogh emprunte et prépare ainsi les sentiers de la peinture moderne, de l'impressionnisme à l'expressionnisme.
On connaît environ un millier de feuilles de l'artiste[98]. Les techniques utilisées sont le crayon, la plume, l'encre, la craie, parfois mis en couleur à l'aquarelle. À partir de 1888, il emploie préférentiellement la plume de roseau (calame)[98]. Plusieurs de ses lettres comportent des croquis, reprenant certains tableaux[99].
Le, le fac-similé d'un carnet contenant 65 dessins qui auraient été réalisés entre et est publié parBogomila Welsh-Ovcharov, commissaire de deux expositions du peintre[100]. Un autre spécialiste de l'artiste, Ronald Pickvance, appuie la thèse de l’authenticité de la découverte[101].
Lemusée Van Gogh d'Amsterdam, par la voix de son conservateur en chef Louis Van Tilborgh, considère ce corpus comme une imitation postérieure aux années 1970[102]. Les experts ont conclu après examen des dessins et comparaison avec la collection que le musée possède, que ceux-ci contiennent des erreurs topographiques, et que l'encre utilisée, de couleur brunâtre, n'a jamais été utilisée par Van Gogh dans ses dessins[103].
La veuve deThéo,Johanna Bonger, détient le rôle principal dans le processus de la valorisation de l'œuvre de Van Gogh. L'héritage de ce dernier lui est confié en 1891, après le décès de sonépoux[VK 1]. Cependant, il ne faut pas oublier que Van Gogh était connu et apprécié de son vivant[27]. Il est connu que Van Gogh a vendu une toile, mais rien ne prouve qu'il n'en ait pas vendu d'autres. D'ailleurs, il confie cette charge à son frère, marchand d'art reconnu de l'époque et il échange plusieurs tableaux avec ses amis[VK 3]. Théo, qui n'a survécu que peu de temps à Vincent, organise une exposition de ses toiles dans son appartement, annoncée dans leMercure de France en[VK 4]. Par la suite, Johanna réussit à transformer cette collection d'art méconnue en une collection de grande valeur.
Pour surmonter ces moments difficiles,Johanna déménage en Hollande où elle retrouve le soutien de sa famille. Dès, elle fait venir chez elle une grande partie des tableaux restants de Van Gogh depuis Paris. Elle fait assurer les 200 tableaux et les dessins pour une valeur de 2 600 florins. Elle commence ainsi à montrer et à placer des tableaux auxPays-Bas, puis à lire et à classer les lettres de Vincent. Elle récupère aussi les lettres qu'Albert Aurier possédait. En effet, Theo lui avait envoyé quelques lettres afin d'en faire publier des extraits. Cette même année,Émile Bernard publie dans leMercure de France les lettres que Vincent lui a envoyées. En 1914, Johanna parvient à publier les lettres de Van Gogh après avoir rédigé une introduction[VK 5].
Les contacts que Johanna tisse avec des personnes influentes de son époque l'aident à s'imposer et à mieux faire connaître son beau-frère.Paul Cassirer est le premier à exposer et à vendre les œuvres de Van Gogh. Il en vend au moins 55, entre 1902 et 1911, d'une valeur totale de 50 000 florins.Ambroise Vollard organise aussi deux expositions dans sa galerie en 1895 et en 1896.Julien Leclercq rassemble 65 tableaux et 6 dessins pour une exposition en 1901 à lagalerie Bernheim-Jeune[VK 7]. La valeur des œuvres de Van Gogh commence à augmenter considérablement. Johanna Bonger arrive à placer plus de 70 tableaux et une trentaine de dessins auStedelijk Museum Amsterdam. En même temps, elle reçoit les amateurs chez elle pour leur montrer les tableaux qu'elle possède. L'énergie mise pour la reconnaissance de ces œuvres est finalement récompensée par une grande valeur marchande. La reconnaissance du travail effectué par Van Gogh se concrétise par l'acquisition d'une nature morte de tournesols, en 1924, par laNational Gallery de Londres, au prix de 15 000 florins[VK 8]. La femme de Theo est la principale ambassadrice de ce phénomène jusqu'à sa mort en 1925. À partir de cette date, la valeur de ses œuvres ne cesse d'augmenter. Par exemple en 1930, l'exposition duMuseum of Modern Art de New York reçoit 120 000 personnes[52].
En Allemagne, entre 1927 et 1931,Otto Wacker a vendu plusieurs dizaines de faux tableaux de Van Gogh, au moment où le peintre commençait d'être connu[106].
Les réflexions sur Van Gogh divergent selon le point de vue choisi. Par exemple,Salvador Dalí s'exprime ainsi en 1972 sur ce peintre qu'il n'aime pas[107] :« Van Gogh est la honte de la peinture française et de la peinture universelle… » Pour certains, sa vie, digne d’un héros romantique, en fait un mythe, celui du peintre incompris ou de l'artiste maudit[65]. Il est pauvre, dépressif, asocial, au tempérament de feu, etc. Pour d'autres, Van Gogh est un artiste complexe, intelligent et cultivé. Sa peinture est le« fruit d'un travail long, méticuleux, acharné et référencé[VK 9] ». Quel que soit le point de vue choisi, Van Gogh est un peintre reconnu et admiré. Dans sa dernière lettre, trouvée dans sa poche le jour de son suicide, il écrit[Note 3],[Lettre 28] :« Eh bien vraiment nous ne pouvons faire parler que nos tableaux. »
Pour les historiens de l’art, Van Gogh est un précurseur qui a ouvert à la peinture de nouvelles voies. Par exemple,Derain etVlaminck sont directement rattachés à l'art de Van Gogh,« par l'emploi de couleurs pures en larges touches[108] ». Pour les amateurs d'art, il reste un maître à l’égal deLéonard de Vinci ou deRembrandt avec une production très importante et une trajectoire artistique fulgurante en durée et par ses styles. Pour le grand public, son œuvre est aujourd'hui accessible dans les plus grands musées[Note 14].
2019 :Van Gogh caché de Régis Moulu, recueil de 93 poèmes avec 9 illustrations choisies où l'écrivain utilise l'énergie qui transpire de ses peintures afin de « ressusciter son âme », édition Unicité[110]
Gloria Coates,Symphonyno 9 (The Quinces Quandary),Homage to Van Gogh (1992-1993)
Abel Ehrlich,Portrait of Vincent van Gogh at the Age of 27, pour violon et quatuor à cordes (2003)
Henri Dutilleux,Timbres, espace, mouvement pour orchestre (1978), sous-titréLa Nuit étoilée
Henri Dutilleux,Correspondances pour soprano et orchestre (2002-2004) : I.Danse cosmique (P. Mukherjee) ; II.À Slava et Galina… (A. Solschenizyn) ; III.Gong (R. M. Rilke) ; IV.Gong II (R. M. Rilke) ; V.De Vincent à Théo… (V. Van Gogh)
Fré Focke(de),Tombeau de Vincent van Gogh,20 pièces pour piano seul (1951)
↑Plusieurs membres de la famille Van Gogh ont le même prénom (exemple, « Theodorus » pour le père et le frère de Vincent) ou des prénoms semblables (exemple, « Vincent Willem » et « Cornelius Vincent »). Cette situation se retrouve également parmi les frères et les sœurs du père de Vincent (exemple, « Hendrik Vincent van Gogh » et « Vincent van Gogh » pour deux oncles de Vincent). Pour diminuer les risques de confusion, l'article a recours à desdiminutifs.
↑abcdefghijkl etmLes citations sont données telles qu'elles étaient écrites par Van Gogh avec les éventuelles fautes d'orthographe, telles que citées dansLes Lettres.
↑Déjà en 1884 alors qu'il est encore à Nuenen, il travaille sur une série de peintures destinées à décorer la salle à manger d'un de ses amis vivant àEindhoven.
↑Sur le livre d'admission, Peyron note le :« admis le », que Vincent van Gogh souffre« d'hallucinations auditives et visuelles ». Il y ajoute en sortie le :« pendant son séjour le patient était calme la plupart du temps », pendant les crises« il est sujet à des attaques de terreurs »,« a tenté de s'empoisonner en avalant de la peinture », et boit l'huile des lampes. Entre ces crises, le patient est calme et lucide et se dévoue passionnément à la peinture (voirLe grand registre de l’asile de Saint-Rémy-de-Provence)
↑Vendu 82,5 millions d'USD en 1990, ce tableau fut pendant un temps le plus cher du monde.
↑Selon l'historien local Alain Rohan (Vincent van Gogh. Aurait-on retrouvé l'arme du suicide ?, éditions Argeau, 2011,(ISBN978-2-7466-4251-5), un cultivateur, en labourant son champ en 1965, a retrouvé un revolver à broche, calibre 7 mm, systèmeLefaucheux, similaire à celui d'Arthur Ravoux qu'aurait emprunté le peintre.
↑MarcTralbaut,Vincent van Gogh, le mal-aimé, Lausanne & Macmillan (1969), Macmillan (1974), Alpine Fine Art Collections (1981),(ISBN0-933516-31-2),p. 39.
↑PatrickDelaunay,Le Roman de Vincent van Gogh, Carrère/Kian,,p. 57.
↑Extrait d'une lettre adressée à Frederik van Eeden lorsqu'il préparait un article sur Van Gogh ; cité dansW. H.Auden,Van Gogh, un art de l'auto-portrait. Lettres révélant sa vie de peintre, Greenwich, Société graphique de New York,p. 37-39.
↑WouterVan der Veen et PeterKnapp,Vincent van Gogh à Auvers, France, Chêne,, 304 p.(ISBN978-2-81230-059-2).
↑Alain Mothe,Vincent van Gogh à Auvers-sur-Oise, Valhermeil,,p. 193.
↑Dominique Camus,Le guide des maisons d'artistes et d'écrivains en région parisienne, La Manufacture,,p. 90.
↑Manon Botticelli, « "Racines", l'ultime toile inachevée de Vincent van Gogh, lève le mystère des dernières heures du peintre »,France Info,(lire en ligne).
↑AdèleSmith, « Vincent van Gogh ne se serait pas suicidé : Une nouvelle biographie du peintre remettant en cause la thèse du suicide laisse entrevoir la possibilité d'un assassinat ou d'un accident. »,Le Figaro,(lire en ligne, consulté le).
↑AFP, « Le "revolver de Van Gogh" aux enchères à Paris »,europe1.fr,(lire en ligne, consulté le).
↑Julien Béal,Le Japon dans la collection photographique du peintre Louis-Jules Dumoulin (1860-1924). 2017. Page 7.hal-01517490v3 (consulté le 25/05/2017)
↑Jacob Baartde la Faille,L'Œuvre de Vincent van Gogh : Catalogue raisonné, ouvrage accompagné de la reproduction de plus de 1 600 tableaux, dessins, aquarelles et gravures du Maître, Paris et Bruxelles, Les Éditions G. van Oest,, 6 volumes.
Van Gogh à Auvers-sur-Oise : Les derniers mois [exposition, Amsterdam, Van Gogh museum, 12 mai-3 septembre 2023, Paris, Musée d'Orsay, 3 octobre 2023-4 février 2024] / [catalogue] sous la dir. de Nienke Bakker et al., Paris, Hazan, Musée d'Orsay ; Amsterdam, (Pays-Bas) : Van Gogh Museum,, 252 p.(ISBN978-2754113410).
2014 :Le Choix de peindre, Vincent van Gogh, documentaire d'Henri de Gerlache, Belgique.
Van Gogh, l'énigme de l'oreille coupée [The Mystery of Van Gogh's Ear ], de Jack MacInnes, sur un scénario de Bernadette Murphy, de Lion Television & ARTE, 2016[présentation en ligne].
La version du 3 mars 2011 de cet article a été reconnue comme « article de qualité », c'est-à-dire qu'elle répond à des critères de qualité concernant le style, la clarté, la pertinence, la citation des sources et l'illustration.