En1912, il est l'un des fondateurs de laPravda. C’est également cette année qu’il rencontre pour la première foisStaline, qu’il héberge chez lui avant une nouvelle déportation de ce dernier en Sibérie[2].
En 1917, il est, avecAlexandre Chliapnikov, le plus ancienbolchevik àPétrograd lorsque éclate larévolution de Février. Alors queLénine est encore en exil en Suisse, il se rallie à l'analyse et à la politique de Lénine, mais son rôle dans larévolution d'Octobre et dans laguerre civile russe reste obscur. Son ascension dans les hautes sphères duparti et de lanomenklatura commence en1921, année où il fut nommé membre candidat duPolitburo ; à cette époque, son ascension est contestée parLénine, qui l’accuse de« bureaucratisme scandaleux et totalement inepte », et parTrotski[3]. Tout au long de sa carrière, il manifeste ostensiblement son entière obéissance àJoseph Staline, au point que ce dernier l'autorise à manifester de temps en temps des désaccords, qui deviendront des critiques après la mort de Staline[3]. L'obéissance de Molotov se manifesta aussi sur le plan privé, lorsqu'il resta sans réaction le face à la mise en cause de son épousePolina Jemtchoujina, accusée d'avoir des« connexions avec des éléments ennemis, facilitant ainsi leurs missions d'espionnage » — Polina est alors exclue du Comité central —, et d'avoir, en,« trahi l'Union soviétique » ; elle est alors condamnée de cinq ans derelégation dans l'oblast de Koustanaï, auKazakhstan, et ne sera libérée qu'en1953 grâce àBeria[4].
Le, à la suite de manœuvres de Staline[5], il est élu« Président duSovnarkom » par leComité central, soit l’équivalent soviétique d'un Premier ministre ; il conservera ce poste jusqu’au. Il fut également secrétaire duComité central jusqu'en1935. À la fin desannées 1930, il fit partie avecLazare Kaganovitch,Nikolaï Iejov,Kliment Vorochilov et Staline du groupe restreint de cinq membres qui gouverne l'Union Soviétique.
Rôle dans la dékoulakisation et les purges (1930-1939)
À ce titre, il fut un des chefs de la« dékoulakisation » dans les campagnes (1930-1933). Il n'hésita pas à se rendre enUkraine pour conforter la politique stalinienne et« inciter les communistes défaillants à rester fermes contre les paysans révoltés » ; il se fit à ce sujet remarquer par Staline, qui lui écrivit :« Je pourrais te couvrir de baisers de gratitude pour ce que tu as fait là-bas[6]. »
Pendant lesGrandes Purges de1937-1938, Molotov fut le dirigeant soviétique le plus souvent reçu dans le bureau de Staline au Kremlin, avant même le chef suprême de lapolice politiqueNikolaï Iejov. Il ne se cacha jamais d'avoir soutenu fermement la politique de laGrande Terreur, qui aboutit à 680 000 exécutions en deux ans et à l'envoi de centaines de milliers de personnes auGoulag. Sa signature apparaît aux côtés de celle de Staline sur de très nombreuses listes de condamnations à mort collectives.
Dans des entretiens dans lesannées 1970 avec le journalisteFélix Tchouïev(ru)[7], Molotov fut sans ambiguïté : Staline était le principal responsable de la Terreur,« et nous l’encouragions, qui étions actifs, j’ai toujours été actif, toujours favorable à ce que des mesures soient prises ». Comme membre duPolitburo, il continua d'approuver fermement les exécutions en masse des« ennemis du peuple ». Molotov est ministre des Affaires étrangères de 1939 à 1949[8].
Quand Staline apprend le projet de bombe atomique américaine, c'est encore Molotov qui supervise leprojet de bombe atomique soviétique. Comme Staline ne peut se déplacer à cause de la guerre, il envoie Molotov négocier à Londres et Washington. Il accompagne aussi Stalineà Téhéran,à Yalta, età Potsdam et il représente l'URSS à la fondation de l'ONU.
Durant la guerre, les Allemands, ayant capturé son cousin Vassili Kontouline, ne le placèrent pas encamp de prisonniers de guerre mais le gardèrent en otage jusqu'à la fin de la guerre, dans l'éventualité d'obtenir quelque avantage en échange de sa libération[9].
C'est au cours de laSeconde Guerre mondiale que par un hommage ironique des soldats finlandais, son nom est donné aucocktail Molotov, un mélange inflammable utilisé pour stopper l'avancée des chars.
Il signe lePacte germano-soviétique avec le régime hitlérien en et, le, il signe, comme tout le Politburo, l'ordre (préparé parLavrenti Beria) d'exécuter des milliers de prisonniers de guerre polonais, surtout des officiers, qui est connu comme leMassacre de Katyń.
En novembre 1940, il se rend à Berlin pour discuter des relations germano-soviétiques dans le cadre d’une adhésion éventuelle de l’Union soviétique au pacte tripartite. Mais les exigences territoriales de Staline ainsi que les demandes d’explications que Molotov présente sans circonvolutions à Hitler indisposent ce dernier. La rencontre est un échec et Hitler prend peu après la décision d’attaquer l’URSS.
Le dimanche à 4 heures du matin, lestroupes allemandes franchissent la frontière occidentale de l'URSS. À5 h 30, l'ambassadeur du Reich à Moscou,Friedrich-Werner von der Schulenburg, vient à la rencontre de Molotov et lui remet une déclaration affirmant que le gouvernement soviétique entreprend une politique de subversion en Allemagne et dans tous les pays qu'il occupe, ainsi qu'une politique étrangère dirigée contre l'Allemagne, et« concentre toutes ses troupes sur la frontière allemande en les préparant pleinement au combat ». La déclaration se clôture par ces mots :« Le Führer ordonne donc aux forces armées allemandes de faire face à cette menace avec tous les moyens à leur disposition »[10]. Peu après midi, alors que laWehrmacht s'est déjà enfoncée de plusieurs dizaines de kilomètres en territoire soviétique, c'est lui qui annonce la nouvelle de l'invasion aux citoyens de l'URSS. Son discours, diffusé à la radio, se termine par la phrase suivante restée célèbre :« Notre cause est juste(ru), l'ennemi sera vaincu, la victoire sera à nous ! ». Le lendemain, Molotov convoque lechargé d'affaires finlandaisPaavo Hynninen(en) pour lui demander de clarifier expressément la position de son pays. En effet, même si laFinlande empêche pour l'instant les unités allemandes stationnées àPetsamo etSalla de traverser lafrontière, les avions de laLuftwaffe qui participent au bombardement des villes soviétiques utilisent d'ores et déjà les aérodromes finlandais comme bases de ravitaillement. De plus, dans son discours de la veille,Hitler y est allé de sa petite phrase pour les troupes allemandes qui« en alliance avec les camarades finlandais... défendent la terre finlandaise ». Devant Molotov, Hynninen témoigne de son incompréhension[11].
Le, Molotov envoie une missive à l'ambassadeur soviétique àWashington D.C.,Konstantin Oumanski(en), dans laquelle il lui dit :« Vous devriez immédiatement vous rendre auprès deRoosevelt ouHull et demander quelle est l'attitude du gouvernement américain vis-à-vis de cette guerre et de l'URSS. Les questions sur l'aide ne devraient pas être abordées maintenant. »[12].
Le, Molotov informe son ambassadeur enTurquie,Sergueï Vinogradov, que le gouvernement soviétique reconnaîtCharles de Gaulle comme le chef des antifascistes français et est disposé à établir des relations officielles avec laFrance libre.
Du au, se tient àMoscou uneconférence à laquelle participent l’Union soviétique, lesÉtats-Unis et leRoyaume-Uni. Au cours de la conférence, les questions delivraison de biens militaires à l'URSS sont tranchées. S'exprimant lors de la séance de clôture, Molotov déclare qu’un« puissant front de peuples épris de liberté a été créé sous la direction de l’Union soviétique, de l’Angleterre et des États-Unis d’Amérique ». En, le Commissariat du Peuple aux Affaires étrangères de l'URSS, ainsi que le corps diplomatique, sont évacués versKouïbychev, mais Molotov, comme Staline, décide de rester à Moscou pour labataille décisive. Dans la capitale menacée, Molotov s'intéresse aux livraisons d'armes britanniques et américaines ainsi qu'à l'ouverture d'un second front à l'Ouest, réclamée par Staline[13].
Ardent partisan de la fondation de l'État d'Israël à une époque où même lesÉtats-Unis et leRoyaume-Uni étaient sceptiques quant à cette dernière, Molotov se retrouve logiquement en ligne de mire lors du revirementantisioniste de la politique soviétique qui s'opère au cours de l'hiver 1948-1949. Durant cette période, Molotov est démis de ses fonctions de ministre des Affaires étrangères (Vychinski le remplace) et sa femme est exclue duPCUS etarrêtée par leNKVD. L'historien et dissidentJaurès Medvedev note :« La conspiration contre Molotov a été planifiée de manière très habile, mais aussi très cruelle. Elle incluait le meurtre deMikhoels, l'arrestation et l'exécution de membres duCAJ, dontLosovski, et l'arrestation dePolina Jemtchoujina. La conspiration contre le parti et le groupe étatique deLéningrad était moins subtile, mais non moins brutale. Fin 1949,Malenkov etBeria avaient presque entièrement tracé leur route vers le pouvoir. ».
Molotov continue néanmoins de siéger auPolitburo, renommé Présidium du Comité central à l'occasion duXIXème congrès du PCUS(en). Le surlendemain de sa clôture (soit le),Staline fustige Molotov lors d'un plénum du Comité central[15]. Parallèlement à ça, la propagande d'État soviétique continue de le présenter comme le numéro 2 du régime (après Staline).
Soutien puis opposition à Khrouchtchev (1953-1957)
En1957, Molotov prend la direction du« groupe anti-parti » qui s'oppose à la politique khrouchtchévienne. Lors d'une réunion duPrésidium du Comité central, il critique ouvertement le travail de Khrouchtchev à la tête du Comité central (violations des règles de la« direction collective » par ce dernier, problèmes économiques, errements sur la scène internationale etc.) et reçoit le soutien des membres les plus influents du parti (le chef de l'ÉtatVorochilov, le chef du gouvernementBoulganine et ses adjointsMikhail Pervoukhine etSabourov(en) ainsi que le chef de la diplomatieChepilov) qui parviennent à la conclusion suivante : Khrouchtchev doit être nommé ministre de l'Agriculture et son poste de Premier secrétaire transféré à Molotov ou aboli définitivement. Khrouchtchev parvient cependant à renverser la situation de manière inattendue en convoquant un plénum du Comité central au cours duquel le« groupe anti-parti » est mis en minorité et vaincu. En conséquence de cela, Pervoukhine, Sabourov, Chepilov, Malenkov etKaganovitch sont démis de leurs fonctions. Il en va de même pour Molotov et les trois villes de laRSFS de Russie qui portent son nom sont renomméesPerm,Severodvinsk etNolinsk.
Fonctions mineures, exclusion du PCUS et retraite (1957-1963)
En, Khrouchtchev profite duXXIIème congrès du PCUS(en) pour dénoncer ouvertement le rôle de Molotov dans les purges staliniennes. Le mois suivant, il est exclu duPCUS[note 3] et démis de ses fonctions à l'AIEA.
En dépit de son grand âge et de sa retraite politique, Molotov poursuit sa vie active en travaillant dans sadatcha ou à la bibliothèque municipale. N'écrivant pas de mémoires, il développe cependant souvent son point de vue au travers de notes envoyées auComité central du PCUS ou d'entretiens avec le journalisteFélix Tchouev(ru).
En, l'adhésion de Molotov auPCUS est rétablie sous la pression deRichard Kosolapov(ru), le rédacteur en chef du magazineKommunist(en). Le dirigeant soviétiqueTchernenko, qui ne cache pas ses sympathies pour lestalinisme, lui remet personnellement une carte du parti. Mais cette réadmission n'est que symbolique, selon Molotov,« l'URSS était perdue depuis le coup d'État khrouchtchévien ».
En, il est admis à l'hôpital Kountsevo deMoscou, où il meurt le à12 h 55, à l'âge de 96 ans. Lapopulation soviétique apprend sa mort quelques jours plus tard dans les colonnes de l'Izvestia. À la suite de cette dernière, undeuil national est décrété enAlbanie par le présidentRamiz Alia.
Simon Sebag Montefiore le qualifie de terne et de puritain, et le décrit comme« [p]etit, trapu, le front bombé, desyeux marron [sic] au regard glacial clignant derrière des lunettes rondes, bégayant quand il était en colère ou parlait à Staline »[3]. Comme de nombreux dirigeants bolcheviques, il se mettait facilement en colère contre ses collaborateurs, et se montrait cruel et rancunier ; il était connu des autres potentats sous le surnom de« cul d’acier » à cause de ses capacités de travail très élevées, et aimait à dire queLénine lui-même le nommait« Cul-de-fer »[3]. Il détestait particulièrementMaxime Litvinov, son prédécesseur au ministère des Affaires étrangères, dont la femme était anglaise et qui était partisan d'une alliance avec le Royaume-Uni et la France contre Hitler ; il déclara à son sujet, après la mort de Staline : "c'est par pur hasard qu'il est resté en vie ! ". Il contrastait avec les autres dirigeants par son dogmatisme[3], et son snobisme, n’invitant jamais ses gardes du corps à sa table[16].
Époux dePolina Jemtchoujina, communiste d'origine juive, il était très épris d’elle, échangeant avec elle de chaleureuses lettres ; lorsque Polina fut condamnée à l’exil intérieur, il continua à dîner face à l’assiette vide de sa femme, pour ne pas l’oublier. Ils eurent ensemble une fille unique, Svetlana (1929-1989) qui fit des études d'histoire et épousa un universitaire. Elle est la mère du députéViatcheslav Nikonov, né en 1956, auteur de biographies sur son grand-père.
Lecocktail Molotov lui doit son nom. Bien que l'utilisation de ce dispositif incendiaire soit antérieure à laguerre d'Hiver, ce sont bien les soldats de l'armée de terre finlandaise mobilisés durant cette dernière qui l'ont appelé ainsi par dérision[17]. Les Finlandais ont également surnommé la bombe à fragmentation soviétiqueRRAB-3« panier à pain de Molotov » pour se moquer des propos du président du Sovnarkom qui niait lebombardement de Helsinki, affirmant que lesforces aériennes soviétiques ne faisaient que ravitailler les civils affamés en nourriture.
« Molotof » désigne aussi un dessert portugais, peut-être nommé ainsi par ironie et d'après le fameux cocktail.
Les camionsGAZ-51, vendus à l'étranger, étaient surnommés « Molotovka ».
Le rappeur françaisSefyu utilise fréquemment l'alias Molotov qui a d'ailleurs donné son nom à sa premièremixtape : « Molotov 4 ».
Une chanson finlandaise de laguerre d'Hiver raille Molotov et les difficultés de l'armée soviétique en Finlande :Niet Molotoff.
La ville dePerm, au pied de l'Oural, s'est appelée Molotov de 1940 à 1957, en son honneur. Si la plupart des lieux nommés d'après lui ont été débaptisés lors de ladéstalinisation, un glacier de l'île Komsomolets porte toujours son nom.
Le Cercle du Kremlin. Staline et le Bureau politique dans les années 1930 : les jeux du pouvoir (traduit par Pierre Forgues etNicolas Werth), Paris, Seuil, coll. « Archives du communisme », 1998, 332p.