Letsarat de Russie (enrusse :Царство Русское,Tsarstvo Rousskoïe), outsarat de Moscou (Московское царство,Moskovskoïé tsarstvo), ou encoreroyaume de Russie, fut lerégime politique en vigueur enRussie de 1547 à 1721.
Ivan IV fut surnomméle Terrible : bien qu'intelligent et énergique, il souffrait de crises de paranoïa et de dépressions, et son règne fut ponctué par des actes de violence. Mais il acquit ainsi un statut international pour son État, désormais reconnu comme « Tsarat » et puissance à part entière, même si des commentateurs occidentaux le classaient encore parmi les « États grecs »[4].
Malgré les troubles intérieurs de 1530 à 1540, la Russie continua son expansion militaire. Ivan vainquit et annexa lekhanat de Kazan en 1552 et un peu plus tard, lekhanat d'Astrakhan. Ces victoires transformèrent la Russie en un État pluri-ethnique et multi-confessionnel. Le pays s'étendait alors tout le long de laVolga avec un accès facilité à laSibérie et à l'Asie centrale.
L'expansion vers lamer Baltique s'avérait beaucoup plus difficile car cette région était aux mains d'états prospères, bien armés et puissants :Union polono-lituanienne,Suède etDanemark. En 1558, Ivan envahit laLivonie par laguerre de Livonie qui dura vingt-cinq ans. En dépit de succès occasionnels, l'armée d'Ivan fut repoussée ce qui ne lui permit pas d'avoir une position stable sur la mer Baltique.
Ivan développa une hostilité à l'égard de ses conseillers, du gouvernement, et desboyards. En 1565, la Russie fut divisée en deux parties : son domaine privé (l'opritchnina) et leziemchtchina, les régions qui conservent leurs anciennes administrations. Pour son domaine privé, Ivan choisit quelques-uns des plus prospères et des importants districts de la Russie, en essayant de réduire l'influence des boyards dans ces zones. Des commerçants, et des gens communs furent exécutés ou eurent leurs terres et leurs biens confisqués. Cette décennie de terreur aboutit en 1570 aumassacre de Novgorod.
À la suite de la politique de l'opritchnina, Ivan avait brisé le pouvoir économique et politique des principales familles de boyards, ce qui avait réduit le nombre de personnes capables de gérer et d'organiser le tsarat. Le commerce déclina, et les paysans, confrontés à d'importantes taxes et à des menaces de violence, quittèrent la Russie. La mobilité des paysans fut réduite en les liant à leurs terres par le biais duservage. En 1572, Ivan abandonna finalement la politique d'opritchnina.
Ivan IV eut pour successeur son filsFédorIer, qui était mentalement déficient. Le boyardBoris Godounov dirigea le pays à sa place, il est notamment connu pour avoir supprimé la possibilité pour les serfs de changer de propriétaires et de terres, pendant deux semaines à la fin novembre. L'événement le plus important du règne de Fédor Ier fut la proclamation dupatriarcat de Moscou en 1589. La création du patriarcat marque le point culminant de l'évolution distincte et indépendante de l'Église orthodoxe russe.
En 1598, Fédor mourut sans héritier, mettant fin à la dynastie desRiourikides. Boris Godounov convoqua alors uneZemski sobor, une assemblée de boyards, de représentants de l'église et de roturiers, qui le proclamatsar. Des mauvaises récoltes à grande échelle entraînèrent unefamine entre 1601 et 1603 et créèrent un mécontentement qui favorisa l'arrivée au pouvoir de l'usurpateurDimitri II, qui prétendait être le fils d'Ivan IV, mort en 1591. Il gagna le soutien de la Pologne et marcha vers Moscou, en récupérant un certain nombre de boyards à ses côtés durant cette marche. Dimitri II fut couronné tsar en 1605, à la suite de l'assassinat du tsarFédor II, fils deBoris Godounov.
En 1609, la Pologne intervint dans les affaires de la Russie, capturaVassili IV Chouiski et occupa leKremlin de Moscou. Un groupe de boyards de Russie signèrent en 1610 un traité de paix, en reconnaissantLadislas IV Vasa, fils du roiSigismond III de Pologne, comme le tsar de Russie. En 1611, un nouvel usurpateur,Dimitri III, apparut sur le territoire russe occupé par les Suédois mais fut rapidement arrêté et exécuté. La présence polonaise conduisit à un renouveau patriotique parmi les Russes, et une armée de volontaires financée par lafamille Stroganoff fut formée àNijni Novgorod et commandée par le princeDmitri Pojarski etKouzma Minine. Cette armée chassa les Polonais hors du Kremlin, et en 1613, uneZemski sobor proclama tsar le boyardMichelIer de Russie, ce qui marqua le début de la dynastie desRomanov.
Pendant le temps des troubles, 80 % des terres autour deMoscou et deNovgorod sont désertes ou en friches. Les serviteurs de l’État profitent de ces désertions pour accroître leurs propriétés et surtout transformer le domaine viager (votchina) en fief héréditaire (pomestie), s’efforçant de faire tomber les tenanciers en servage.
La nouvelle dynastie avait pour principale préoccupation de rétablir l'ordre et la sécurité militaire du pays. Ses principaux ennemis, larépublique des Deux Nations et laSuède, étant en conflit, la Russie profita de l'occasion pour signer une paix avec la Suède en 1617. Laguerre polono-russe (1605-1618) prit fin, elle, par letraité de Deulino en 1618, qui reconnaissait à la république des Deux Nations le contrôle deSmolensk et deTchernihiv qu'avait perdu legrand-duché de Lituanie en 1509.
Après une tentative infructueuse pour reprendreSmolensk à la Pologne en 1632, la Russie fit la paix avec celle-ci en 1634. Le roi de PologneLadislas IV Vasa, dont le père et le prédécesseurSigismond III de Pologne avait été élutsar par les boyards, durant leTemps des troubles, renonça par ce traité à toute prétention sur ce titre.
AuXVIIe siècle, la bureaucratie moscovite s'élargit considérablement. Le nombre deministères passa de vingt-deux en 1613 à quatre-vingts au milieu du siècle. Bien que les ministères avaient souvent des chevauchements de compétence, le gouvernement central, à travers lesgouverneurs de province, fut en mesure de contrôler et de réglementer tous les groupes sociaux, ainsi que le commerce, l'artisanat, et même de l'Église orthodoxe.
LeSobornoye Ulozheniye, un code juridique détaillé mis en place en 1649, illustrait l'ampleur du contrôle de l'État sur la société russe. À cette époque, les boyards s'étaient largement transformés enofficiers de l'État, pour former une nouvelle noblesse, ladvoryanstvo. Depuis plus d'un siècle, l'État avait progressivement réduit les droits des paysans qui leur permettaient de changer de propriétaire, et leSobornoye Ulozheniye officialisa ce statut deserf pour toute une partie de la paysannerie.
De nouvelles lois sanctionnèrent les serfs qui fuyaient leurboyard, qui avait un pouvoir absolu sur ses paysans. Ceux qui vivaient sur les terres de l'État ou des monastères n'étaient cependant pas considérés comme des serfs : ils étaientorganisés en communes, qui étaient responsables des impôts et d'autres obligations. Comme des serfs, cependant, les paysans d'État étaient attachés à la terre qu'ils cultivaient. Les petitscommerçants et lesartisans avaient aussi une interdiction de changer de résidence. Tous les segments de la société étaient aussi soumis à des cotisations militaires et à des impôts à merci. En obligeant une grande partie de la population russe à ne pas changer de domicile, le code légal de 1649 restreignit leur mobilité pour les obliger à se soumettre à l'autorité de l'État.
Une ambassade russe à Londres, 1662.
Ce code par l'augmentation des impôts de l'État et ces obligations exacerba le mécontentement qui couvait depuis leTemps des troubles. Dans les années 1650 et 1660, le nombre d'évasions de paysans augmenta de façon spectaculaire, notamment vers leDon où étaient situés lescosaques du Don. Un soulèvement se produisit dans la région de laVolga en 1670 et en 1671.Stenka Razine, un cosaque qui était originaire de la région du Don, mena une révolte aidé de Cosaques et de serfs échappés. Le soulèvement toucha la vallée de laVolga et menaça mêmeMoscou. Les troupes tsaristes finirent par défaire la rébellion.
La Russie continua son expansion territoriale auXVIIe siècle, notamment dans l'est de l'Ukraine (terme signifiant « marche frontalière »), auparavant contrôlé par larépublique des Deux Nations. LesZaporogues, des cosaques organisés en formations militaires, vivaient dans cette zone frontière entre laPologne, lekhanat de Crimée et la Russie. Bien qu'ils aient servi dans l'armée polonaise en tant que mercenaires, ces Cosaques zaporogues étaient restés autonomes et s'étaient rebellés un certain nombre de fois contre lanoblesse polonaise. En 1648, des paysans d'Ukraine rejoignirent les Cosaques durant lesoulèvement de Khmelnitski, essentiellement à cause de l'oppression sociale et religieuse polonaise. LesUkrainiens s'étaient alliés auxTatars de Crimée pour les aider contre la république des Deux Nations, cependant les Polonais réussirent à convaincre les Tatars de se joindre à eux, ce qui poussa les cosaques ukrainiens à demander une aide extérieure.
L'expansion vers le sud-ouest de la Russie, en particulier avec l'incorporation de l'Est de l'Ukraine, avait eu pour conséquences l'introduction de courants intellectuelshumanistes. Grâce à l'Académie de Kiev, la Russie fut influencée par la Pologne et influença à son tour le reste du monde orthodoxe. Cela stimula la créativité dans de nombreux domaines, tout en transformant les pratiques religieuses traditionnelles de Russie, ainsi que sa culture. L'Église orthodoxe russe découvrit que son éloignement par rapport àConstantinople avait entraîné des variations entre leurs pratiques religieuses.
Le patriarche orthodoxe russe,Nikôn de Moscou était déterminé à mettre les textes et les pratiques russes en conformité avec les textes et pratiques grecs, mais aussi avec les sciences, notamment dans le domaine ducalendrier. Cependant, Nikôn se heurta à une ferme opposition religieuse et sociale qui prit ces corrections pour une entorse inadmissible aux traditions et à la foi orthodoxe russe. En1667, quand les réformes de Nikon furent promulguées, unschisme se produisit : ceux qui n'acceptaient pas ces réformes furent désignés comme « vieux croyants ». Les autorités ecclésiastiques déclarèrent ce courant « hérétique » : il fut violemment persécuté par l'Église et l'État, en commençant par son porte-parole, l'archiprêtreAvvakoum qui fut mis au bûcher en1682. Mais le schisme perdura, les vieux-croyants persécutés étant, en outre, adeptes de la simplicité, de la modestie et de la sobriété (православна вера,pravoslavna véra), et accordant lessacrements gratuitement, contrairement auxpopes réguliers[5].
La conquête de la Sibérie par Yermak, parVassili Sourikov (1895).
L'expansion de la Russie vers l'est rencontra une résistance relativement faible. En 1581, la famille de marchandsStroganov s'intéressa au commerce desfourrures et embaucha uncosaque,Ermak Timofeïévitch, pour mener une expédition dans laSibérie occidentale. Ermak défit lekhanat de Sibir et réclama les territoires à l'ouest des rivièresOb etIrtych pour la Russie.