Les changements territoriaux enAmérique du Nord conséquemment au traité de paix.Estampe française allégorique représentant le traité de Paris en 1763.Jean-Baptiste Deshays.- Le Prévôt des marchands et les Échevins de la Ville de Paris, allégorie au traité de Paris du 10 février 1763
Letraité de Paris de 1763 est un traité de paix signé le 10 février 1763 entre les royaumes deFrance etd’Espagne d’un côté et laGrande-Bretagne et duPortugal de l’autre. Il met fin à leur engagement dans laguerre de Sept Ans (1756-1763). Les préliminaires de ce traité furent négociés àFontainebleau et ratifiés le 3 novembre 1762.
Ce traité, conjugué à celui d'Hubertsbourg entre l'Empire autrichien et leroyaume de Prusse, met fin à ce queWinston Churchill nommera la première des guerres mondiales. Il est un des traités les plus importants de l'histoire européenne, voyant la France céder définitivement son statut de plus grande puissance mondiale, au profit de la Grande-Bretagne qui le conservera jusqu'à laSeconde Guerre mondiale. L'Empire britannique prend une position dominante enInde, ainsi qu'en Amérique du Nord avec l'annexion de laNouvelle-France tandis que le transfert de laLouisiane à l'Espagne confirme l'expulsion de la France du continent. La situation nouvelle ainsi créée jettera les fondations des révolutions américaines puis françaises.
Tout au long desXVIe,XVIIe et XVIIIe siècles, les grandes puissances européennes, principalement Espagne,Portugal,Hollande, France et Angleterre, se livrent une compétition économique, territoriale et coloniale. Les nombreuses guerres qui éclatent en Europe se transportent logiquement dans les colonies des pays engagés, pavant la voie aux nombreuses guerres intercoloniales qui ensanglanteront le reste du monde. LaGuerre de Sept Ans, le plus grand de ces conflits s’en démarque néanmoins, car elle commence dans les colonies pour s’étendre à l’Europe. Les combats éclatent en 1754 en Amérique du Nord avec l’affaire Jumonville et se prolongeront après la paix avec larébellion de Pontiac.
Si la France et ses alliés concentrent leurs efforts principalement sur le continent européen, la Grande-Bretagne se contente de soutenir son allié, la Prusse, et peut ainsi concentrer ses efforts dans les colonies. En Europe, Français, Russes et Autrichiens affrontent les Prussiens soutenus par les Britanniques auHanovre et enSilésie. Les prouesses militaires du roi de Prusse,Frédéric le Grand, évitent de justesse l'effondrement de son royaume, envahi par les forces supérieures en nombre de ses ennemis. En Amérique du Nord, Français et Britanniques se disputent la possession de la vallée de l'Ohio, de l'Acadie ainsi que duCanada. Surnommé « guerre contre les Français et les Indiens » (French and Indian War) dans l'historiographie anglophone, le conflit en Amérique septentrionale mobilise en nombre jamais vu les tribus autochtones intégrées aux systèmes d'alliance européens. Si lesIroquois et lesMohicans notamment rejoignent le camp britannique, la vaste majorité, des nations autochtones impliquées prennent les armes aux côtés des Français au nomd'Onontio. EnAmérique du Sud, l'Espagne, alliée de la France, dispute la colonie brésilienne duSacramento au Portugal, allié à l'Angleterre[1]. En Inde, France et Angleterre se font la guerre par compagnies de commerce interposéesCompagnie française des Indes orientales contreBritish East India Compagny soutenue par l'État portugais des Indes. Les mercenaires des deux organisations s'affrontent, renforcés par les contingents fournis par leurs alliés locaux. Tant en Inde qu'en Amérique, la faiblesse de la marine française empêche les généraux français d'exploiter leurs victoires sur le terrain et malgré une longue résistance, les points d'appui français tombent les uns après les autres :Québec en 1759,Montréal en 1760 etPondicherry en 1761.
Les belligérants sont entrés en guerre avec des objectifs bien précis. Or, non seulement les Britanniques et les Prussiens ont-ils atteint les leurs, soit annexer les colonies françaises et conserver la Silésie et le Hanovre, mais les Russes sont sortis de la guerre et les Franco-Autrichiens constatent que leurs objectifs (tenir les colonies, prendre le Hanovre et la Silésie) sont hors de la portée de leurs pays épuisés par des années de défaites[2]. La paix est désormais la seule option possible. II apparaît rapidement que la Grande-Bretagne devra rendre certaines de ses conquêtes afin de récupérer ses bases occupées par la France, notammentMinorque. Le choix se résumera rapidement entre le Canada et laGuadeloupe.
Prélude à l'éventuelle indépendance américaine, les colons et les métropolitains anglais ne partagent pas les mêmes points de vue sur la suite des choses. Pour les habitants de laNouvelle-Angleterre, notammentBenjamin Franklin, il est impensable que le Canada demeure français et puisse ainsi continuer à nuire au développement de leurs colonies. Vue de Londres, la crainte est plutôt que, désormais libérées de la menace française, les colonies n'en viennent à se dire qu'elles n'ont plus besoin de la protection de l'Empire britannique et ne cherchent à s'en séparer[3]. Pour ces derniers, la rentabilité du sucre de la Guadeloupe peut justifier qu'on y sacrifie le rêve d'une Amérique entièrement anglaise. D'autant plus que, privée de sa capacité de croissance et limitée à la vallée du Saint-Laurent, la colonie française du Canada serait neutralisée et appauvrie[4]. Plusieurs voient également avec envie un possible monopole britannique sur la fourrure qui permettrait bien des enrichissements personnels[5]. À Versailles,Louis XV et son ministre responsable des négociations, Choiseul, pensent déjà à la reconstruction et à la revanche et misent déjà sur une éventuelle guerre d'indépendance des colonies[3].
Le souvenir de ce débat qui fut très divisé sur les deux rives de la Manche est en grande partie occulté par le rôle deVoltaire. Grand admirateur du modèle anglais et contempteur de la monarchie française, il critiqua sans cesse l'aventure coloniale de la Nouvelle-France, ce « petit terrain litigieux vers le Canada[6] ». Ses écrits immortalisèrent son mépris des terres perdues en les comparant à « quelques arpents de neige » et en affirmant que « la France peut être heureuse sans Québec[7] ».
Au Canada même, la population s'attend à se voir rendue à la France. Néanmoins, les élites sont plus circonspectes. Cet échange entreMalartic, officier français etMurray, général anglais, en fait foi[8] :
« - Croyez-vous que nous vous rendions le Canada ?
- Je ne suis pas assez versé dans la politique pour voir les choses de si loin.
- Si nous sommes sages, nous ne le garderons pas. Il faut que la Nouvelle-Angleterre ait un frein à ronger et nous lui en donnerons un qui l'occupera en ne gardant pas ce pays-ci. »
la France restitueMinorque, qu’elle avait prise le ;
elle évacue les territoires des alliés de la Grande-Bretagne enAllemagne et les territoires duHanovre, propriété personnelle du roi de Grande-Bretagne ;
la Grande-Bretagne rendBelle-Île à la France, prise en1761.
conformément à lacapitulation conditionnelle de 1760, la Grande-Bretagne garantit une liberté de religion limitée aux Canadiens ; ainsi que le droit de quitter la colonie sous 18 mois si leurs biens sont vendus à des sujets britanniques. Ces mêmes protections ne seront pas accordées aux Acadiens rescapés dunettoyage ethnique de 1755.
Le traité propulse la Grande-Bretagne au rang de première puissance mondiale, mais, paradoxalement, est vu comme un succès diplomatique français. En effet, face à une situation désespérée, Versailles parvient à négocier des conditions qui lui permettront de relever la France[11]. Les réjouissances en France démontrent d’ailleurs que le peuple en a conscience à l’époque. Néanmoins, plusieurs parlent également d’une « paix humiliante qui vient de terminer une guerre honteuse[6].
En conservant Saint-Pierre-et-Miquelon et des droits de pêche à Terre-Neuve, Choiseul sauve le principal vivier de marins français. Sans l'expérience maritime de ces pêcheurs, il deviendrait impossible pour la France de trouver suffisamment de matelots expérimentés pour servir efficacement sur ses navires en temps de guerre et espérer vaincre un jour la Grande-Bretagne[12].
En conservant des comptoirs en Inde, en Afrique et en Amérique, la France peut continuer à profiter du commerce international
La Grande-Bretagne étant désormais plus menaçante que la France, il sera plus facile à celle-ci de trouver des alliés pour reprendre un jour le combat.
La rupture entre les colonies et la métropole étant vue comme inévitable maintenant que la menace française n'existait plus, la Grande-Bretagne s'exposait à éventuellement perdre son empire et sa puissance sans que la France ait à tirer un seul coup de canon. « Nous les tenons », s'est même exclamé Choiseul.
Néanmoins, Londres fête également cette paix qui lui donne le contrôle des mers et du commerce pour deux siècles et assure de sa langue et de sa culture la domination qu'on leur connaît encore aujourd'hui.
Les conséquences du traité de Paris sont encore aujourd'hui ressenties au Québec, État successeur de la Nouvelle-France. Les Québécois sont les descendants des survivants de la Conquête de 1760 et perpétuent encore aujourd'hui leur langue et leur culture. Comme le disait l'historien Maurice Séguin, le développement normal de la société québécoise a été interrompu brutalement par l'annexion de la Nouvelle-France et les Québécois en paient encore aujourd'hui le prix[13].
Les nations amérindiennes impliquées, dont l'immense majorité combattait aux côtés de leurs alliés français et canadiens, réagirent très fortement à cette paix pour laquelle ils n'avaient pas été consultés. Le gouverneur de la Louisiane, le chevalier deKerlérec, écrira que les alliés amérindiens de la France : « qui ont sacrifié leur vie et leur tranquillité pour le service des Français… disent hautement qu'ils ne sont point encore tous morts, que le Français n'est point en droit de donner leurs terres et qu'enfin, ils savent ce qu'il leur reste à faire quand il sera question de cette cession »[14].
↑Laurent Veyssière et Bertrand Fonck (dir),La guerre de Sept ans en Nouvelle France, Paris, Presses universitaires de la Sorbonne,, 426 p.(ISBN978-2-84050-777-2),p. 79
↑Villiers du Terrage, Marc de,1867-1936.,Les dernières années de la Louisiane française : Le Chevalier de Herlérec, d'Abbadie, Aubry, Laussat.(OCLC795536708,lire en ligne),p. 149