
Letourisme noir, appelé aussitourisme sombre,tourisme morbide,tourisme macabre,thanatourisme ounécrotourisme, est une forme controversée de tourisme qui consiste à organiser la visite de lieux étroitement associés à la mort ou à lasouffrance.
Généralement lié à l'histoire locale du pays, il peut s'agir d'aller visiter les vestiges d'unecatastrophe naturelle (voirtourisme de catastrophe (en)), uncamp de concentration, unmémorial (voirtourisme de mémoire) ou les lieux d'un tragiquefait divers.
Le concept de « tourisme noir » est apparu en 1996, dans une revue desciences sociales, à propos de circuits touristiques associés à la vie et à la mort deJohn Fitzgerald Kennedy, dans un article intituléJFK and dark tourism : a fascination with assassination[1],[2],[3].
Dans les vingt ans qui suivent, de nombreuses publications s'emparent du sujet : la visite touristique de sites macabres ou tragiques, lieux de catastrophes ou d'atrocités. Les médias répercutent ces notions dans le grand public[1],[4], ce qui crée un phénomène demarchandisation paroffre et demande[5], et attire l'attention de lamédecine du voyage[1].
Pour désigner les dérives voyeuristes et« culturellement dissonnantes »[6] de ce tourisme (à partir de l'exemple deLa Nouvelle-Orléans ravagée par l'ouraganKatrina[7]), Julie Hernandez parle de« tourisme macabre »[8]) d'autres évoquent aussi un« tourisme-réalité » comme le tourisme des bas-quartiers et bidonvilles, ou lescrémations publiques deBali[1].
Le tourisme noir est aussi vu comme un « vieux concept dans un monde nouveau », la contemplation de la mort étant une constante dans l'histoire humaine. Le tourisme noir serait une modernisation de la forme la plus ancienne de tourisme (pèlerinage)[9]. Dès lors, le tourisme noir ne serait pas tant lié au site lui-même, mais plutôt à la perception et aux motivations du touriste (un site peut être ressenti comme plus ou moins noir selon la sensibilité et l'histoire culturelle du touriste). Il y aurait alors un continuum du tourisme noir allant du plus sombre au plus clair, selon les caractéristiques du site, et selon les motivations et les émotions des voyageurs[1].
Quant à la dimension éthique ou morale[10] s'ajoutent des risques juridiques ou sanitaires, on parle parfois de « tourisme extrême », concept qui évoque toutes les pratiques habituellement jugées antagonistes avec les motivations du tourisme classique.
Le tourisme noir est parfois distingué de l'exploration urbaine (Urbex), consistant à explorer des zones abandonnées, parfois la nuit, ou plus généralement des lieux sinistres, avec des termes associés à la peur ou à la découverte. L'Urbex est en effet plutôt enclin à la découverte de lieux insolites anciens, tandis que le tourisme noir s'exerce dans des lieux tragiques toujours actuels.
Il existe cependant des cas intermédiaires comme la visite decatacombes, decimetières, d'anciennes prisons ou de lieux hantés[5].
En 2006, une classification des différents types de tourisme noir est proposée. Cette typologie recouvre un large spectre allant du plus clair au plus sombre. Le plus sombre serait représenté par les sites de mort et de souffrances des temps modernes, de lourde signification émotionnelle, symbolique, idéologique ou politique, très présente dans la conscience collective. Le plus clair, serait les sites historiques les plus anciens qui font l'objet d'une curiosité culturelle à faible charge émotionnelle, ou les attractions de divertissement[1],[11] (par exemple, reconstitution de combats degladiateurs).

Les lieux liés à des massacres, descrimes contre l'humanité, comme lescamps de concentration et d'exterminationnazis de laSeconde Guerre mondiale[11] (par exemple celui d'Auschwitz-Birkenau en Pologne, visité tous les ans par un million de visiteurs[12], les ruines du village-martyr français d'Oradour-sur-Glane, dont la population a été assassinée par la Waffen SS le[13], et soncentre de mémoire, ou encore leMurambi Genocide Memorial Centre, relatif augénocide des Tutsi au Rwanda[1].
Les zones d'actes terroristes de grande ampleur sont d'abord l'objet d'une sorte de pèlerinage (hommage floral, bougies allumées, offrandes personnelles...) de la part de personnes n'ayant pas de liens proches avec les victimes. Avec le temps, ce pèlerinage se transforme en zone commerciale touristique telsGround zero sur lesite du World Trade Center àNew York, site desattentats du 11 septembre 2001[1],[14].
Dès 1917, leGuide Michelin proposait un « tourisme patriotique » consistant à visiter des champs de bataille de laPremière Guerre mondiale, avant même la fin totale des combats. Trente-et-un guides pratiques sont édités[15] .

Les lieux liés à la guerre : parmi les plus connus, le site deVerdun et deGuadalcanal, les sites d'Hiroshima et Nagasaki. Les batailles de laguerre de Sécession et celles desguerres napoléoniennes peuvent faire l'objet de reconstitutions (divertissement-spectacle)[1]. Lechamp de bataille de Waterloo est le plus visité en Europe[16].
Les zones dangereuses peuvent attirer des touristes (conflits armés en cours), comme lefavela tourism ou tourisme desbidonvilles au Brésil[1].
Les lieux associés à des catastrophes industrielles et technologiques, notamment liées à l'industrie nucléaire, comme la ville dePrypiat, enUkraine, abandonnée après lacatastrophe de Tchernobyl[17].
Les lieux particulièrement touchés par des catastrophes naturelles spectaculaires, ayant engendré de lourdes pertes humaines, comme enIndonésie, les flancs duMerapi après sonéruption de 2010[18] et levolcan de boue de Sidoarjo[19]. L'exemple classique le plus célèbre est ladestruction de Pompéi[1].
Les lieux liés aucommerce triangulaire : musées des anciens ports négriers (comme leMusée international de l'esclavage àLiverpool), sites d'incarcération ou d'embarquement (comme l'île de Gorée auSénégal), lieux de destination (sites d'anciennes plantations américaines)[1].
Les lieux où se sont déroulés des épisodes historiques souvent vecteurs de remords, voire de honte dans l'histoire du pays, comme le lieu historique national duCanada de laGrosse Île, lieu d'internement et de quarantaine de migrants, irlandais notamment, ou des épisodes évocateurs d'échecs et de désillusions, comme les villes fantômes abandonnées après une déconvenue minière[20].

Les cimetières, pour leurs morts célèbres, leur valeur artistique (mausolées, sculptures) ou symbolique, leur atmosphère paisible ou méditative. Les plus célèbres dans le monde sont lecimetière du Père Lachaise et lecimetière d'Arlington. Il en est de même pour les anciennes prisons historiques, commeAlcatraz et leChateau d'If[1].
Les lieux où se sont déroulés des faits divers médiatisés, atypiques pour des raisons diverses. Il peut s'agir de lieux de naufrages, comme avec l'épave duCosta Concordia[21], de lieux d'accidents (mort deJames Dean, de laprincesse Diana), de meurtres (« maison du crime » ou « maison du criminel »). Aux États-Unis, ces maisons sont souvent détruites pour éviter d'attirer les masses de curieux[1].
La mort de célébrités en chambre d'hôtel peut constituer une attraction recherchée, avec surfacturation pour l'occuper, comme la chambre 16 del'Hôtel d'Alsace (mort d'Oscar Wilde). Inversement, pourWhitney Houston, la chambre 434 duBeverley Hilton n'est pas en location, pour éviter précisément d'en faire une attraction[1].
Tout nouvel évènement tragique, en tout point du monde, du fait de son retentissement par les médias modernes, peut devenir destination potentielle. L'expressionDark tourism s'est étendue à des destinations de voyages toujours plus nombreuses. Aussi letourisme noir ou sombre a été critiqué comme mal conceptualisé, vaguement défini, et théoriquement fragile :« il simplifie à l’excès un phénomène complexe aux multiples facettes multidimensionnelles »[1],[11].
Le tourisme noir serait devenu une étiquette superficielle, plus gênante qu'utile pour des analyses approfondies. Il existe aussi un risque permanent de confusion avec le tourisme patrimonial (tourisme culturel,tourisme de mémoire…) où les gens peuvent visiter pour des raisons culturelles ou personnelles et non pour legore : comme visiter lespyramides d'Égypte, participer auJour des morts (Mexique), ou se rendre sur la tombe de ses parents dans une autre ville[1].
Le tourisme sombre contraste avec les vacances légères (plage, soleil et plaisir) : l'attirance pour des actes sombres (atrocités, meurtres) conduirait à des résultats sombres (émotions et expériences négatives). Mais s'il existe bien une association métaphorique entre la lumière et le bien, entre l'obscurité et le mal, le concept d'obscurité est ici socialement construit et eurocentrique. L'expressionDark tourism, est d'autant moins pertinente et difficile à traduire que l'on s'éloigne d'une culture anglophone, jusqu'à être totalement incompréhensible dans une culture asiatique[1].
Le 20 juillet 2018,Netflix diffuse la série "Dark Tourist", présentée par le journaliste David Ferrier, qui se rend dans des lieux associés à des catastrophes, la mort ou de la souffrance. La série compte une saison de 8 épisodes d'environ 40 minutes[22].