
Latoupie de Hanoucca (yiddish : דריידלdraydel,hébreu :סביבוןsevivon) est unetoupiecubique à pointe arrondie dont les faces sont frappées chacune d’unelettre hébraïque, respectivementנ (Noun),ג (Guimmel),ה (Hei) etש (Shin).
Il s’agit, à l’origine, de la variante juive dutoton, un jeu de hasard répandu à travers l’Orient et l’Europe. Particulièrement appréciée et associée à lafête juive deHanoucca, la toupie apparaît dans nombre deses chants et devient avec le temps le symbole du miracle qui a eu lieu lors de cette fête selon la tradition juive. Ses quatre lettres, qui n’étaient que la traduction enyiddish des actions possibles, sont réinterprétées comme lenotarikon deנסגדולהיהשם (NesGadolHayaSham, « un grand miracle a eu lieu là-bas » — enTerre d'Israël). Les toupies destinées à l’emploi enIsraël remplacent donc leshin par unפ (Pe), initiale dePo (« ici »).
La toupie deHanoucca est une variante dutotum, un jeu de hasard répandu depuis la haute antiquité romaine, joué avec une toupie à faces plutôt qu’un dé. EnAngleterre, ce jeu, appeléteetotum, se pratique dès1500-1520 dans une version à quatre faces et en1801, elles ont reçu leur nom définitif de T (Take all, « prends tous [les enjeux] »), H (Half, « moitié »), P (Put down, « pose ») et N (nothing, « rien [ne se passe] ») ; la version allemande de la toupie, appeléetorrel outrundl, porte les faces N (Nichts, « rien »), G (Ganz, « tout »), H (Halb, « moitié ») et S (Stell ein, « dépose »), que les Juifs retranscriventה ,ג ,נ etש respectivement[1].
La raison et le moment de l’association avec la fête deHanoucca du jeu de la toupie, appelée enyiddishdraydel (dedrayn, « tourner »),varfel (devarfn, « jeter » ou « lancer »),shtel ayn (« dépose ») ougorn (« tout »), ne sont pas connus avec exactitude. Il est possible que lesJuifs d’Allemagne aient imité les coutumes de leurs voisins chrétiens lors de leursfêtes de fin d'année[1] mais il pourrait s’agir au contraire de la réminiscence la plus vivace de laNittel nacht, une « contre-fête » de lanuit de Noël, au cours de laquelle les Juifs — qui s’abstenaient d’étudier la Torah, en partie par crainte de l’atmosphère qui pouvait facilement dégénérer enpogroms — s’occupaient de façons diverses et variées, en préparant lespapiers hygiéniques pour lechabbat ou en s’autorisant des jeux de hasard — jeux de cartes pour les adultes, jeux de toupie pour les enfants[2],[3].
Quelle qu’en soit la raison, la toupie devint indissociable de la fête. Bien qu’il s’agisse d’un jeu de hasard et d’argent habituellement réprouvé par les autorités juives (lesJuifs de Galicie avaient développé une variante du jeu, lançant, en même temps que leurs toupies, des paris sur la lettre qui apparaîtrait lorsque la toupie tomberait[4]), il était coutumier de voir dans lesshtetlach les enfants fabriquer leurs toupies en bois, en plomb ou en argile peu avant la fête, leurs proches leur offraient de la menue monnaie afin de pouvoir miser et les rabbins eux-mêmes passaient outre en ces jours sur leur réserve. Leur indulgence pourrait avoir un rapport avec une légende fréquemment répétée[5], qui fait remonter la coutume de la toupie au temps desdécrets séleucides contre l’étude de la Torah ; les enfants juifs fidèles à leur tradition auraient dissimulé aux sens propre et figuré leur sédition sous ce jeu innocent[1],[6],[7].
Pendant que les enfants jouent à la toupie, les adultes s’adonnent à des devinettes, charades et autres jeux d’esprit :Maqabi (« Le Marteau ») estréinterprété comme l’acronyme d’Exode 15:11 (MiKamo’haBaèlimYHWH « Qui t’égale parmi les forts, Éternel ? », nonobstant la substitution d’unkaf auqof) ou les dernières lettres d’Avraham, Yitzhak, Yaakov[8]. Avec le temps, des significations typiquement juives sont trouvées à ce jouet typiquement européen : les lettresnoun, guimel, hei etshin se retrouveraient sous diverses formes dans laBible,anagramme en Genèse 46:28 (« Quant à Juda, [Jacob] l’envoya devant lui, vers Joseph, afin de lui préparer l’arrivéeGoshena (à Goshen) » -Goshena s’épelleguimel-shin-noun-hei) ouacrostiche en Psaumes 74:2 (« Souviens-toi […] de ta tribu, ta propriété, que tu délivras, de cemont Sion [où tu fixas ta résidence] » —ga’altashevetna’halatekha,har-Tsion zè shakhanta bo), et leurguématrie donne 358 comme la valeur numérique de la phrase « Dieu règne, Dieu a régné, Dieu règnera à jamais »[5] ou du motMessie (Mashia’h)[1] ; les lettres de la toupie figureraient les quatre royaumes menaçant l’existence du peuple juif, symbolisés par lesquatre bêtes des rêves de Daniel[N 1], les différentes composantes de l’être qu’ils avaient voulu détruire[N 2], les quatre domaines du monde selon laKabbale[N 3] etc.
L’on disserte aussi sur les similitudes et dissimilitudes entre la toupie deHanoucca et lacrécelle dePourim, la première se tenant par le haut car Dieu a envoyé un miracle évident aux hommes — miracle de la victoire d’un petit groupe d’érudits contre l’une des armées les plus puissantes de la région oumiracle de la fiole d'huile lors de la restauration du Temple — tandis que la seconde se tient par le bas car Dieu a agi « incognito »[9]. Cette association entre la toupie et le(s) miracle(s) deHanoucca s’exprime également dans la réinterprétation la plus populaire de ces quatre lettres :Nesgadolhayasham (« Un grand miracle eut lieu là-bas »)[1].
La version juive dutotum se pratique avec une toupie et deux joueurs au moins. Chacun possède une mise de pièces de jeu ; les traditionnelles piécettes de cuivre distribuées aux enfants à titre deHanikke gelt ont été, dans la plupart des foyers, remplacées par despièces en chocolat.
Chacun joue à tour de rôle, mettant une pièce dans la « cagnotte » centrale avant de lancer la toupie (lorsque la cagnotte est vide ou ne comporte qu’une pièce, chaque joueur doit y remettre une pièce). La suite du jeu dépend du résultat du jet de la toupie :
Le jeu se poursuit jusqu’à ce que l’un des participants remporte la totalité de la mise[10], ce qui se produit statistiquement aprèsO(n2) tours, où "n" est le nombre de pièces avec lequel chaque joueur commence, la constante sous-jacente dépendant du nombre de joueurs[11].