Les Thraces sont réputés dans l'Antiquité pour être un peuple de féroces guerriers et beaucoup d'entre eux s'engagent commemercenaires dans les armées grecques puis comme auxiliaires dans leslégions romaines. Le Thrace le plus connu de l'histoire est le gladiateurSpartacus qui conduit unerévolte des esclaves auIer siècle av. J.-C. Les auteurs grecs et romains les considèrent comme desbarbares aux mœurs primitives du fait de leur mode de vie rustique, de leurs villages sans murailles et de leur culture orale. Les Thraces possèdent néanmoins des traits culturels sophistiqués : ils disposent de nécropoles richement ornementées, ils croient en l'immortalité sous la forme de l'orphisme qui se diffuse ensuite parmi les Grecs, tandis que la musique et la poésie occupent une place importante dans leur culture. En termes politiques, les Thraces souffrent de leur manque d'unité et de leur division en nombreux États. Il faut attendre leroyaume des Odryses auVe siècle av. J.-C. pour voir un État thrace se constituer. Au cours de leur histoire les Thraces ont été placés sous différentes tutelles (Perses achéménides,royaume de Macédoine,Séleucides…) Au milieu duIer siècle, laThrace devient uneprovince romaine.
L'étymologie de leurethnonyme (Θρᾷκες /Thrakes engrec ancien), qui est unexonyme grec, n'est pas clairement établie. Dans lamythologie grecque, Thrax est l'un des fils d'Arès, le dieu de la guerre. Arès s'est réfugié en Thrace pour faire oublier sa relation avecAphrodite et la région a été sa résidence préférée car les Thraces aiment la guerre.Euripide mentionne qu'un des noms d'Arès est Thrax puisqu'il est considéré comme le patron de la Thrace, sachant que son bouclier est conservé dans son temple à Bistonia en Thrace.Flavius Josèphe écrit quant à lui que le terme « Thraces » provient de leur ancêtre mythologique, un dénommé Tiras.
La première mention écrite des Thraces se trouve dans l'Iliade pour désigner les habitants de laChersonèse de Thrace, l'actuelle péninsule de Gallipoli. Ils sont décrits parHomère comme des alliés desTroyens[3]. Un jeune roi thrace,Rhésos, vient au secours dePriam durant la dernière année du siège, amenant avec lui de superbes chevaux. Mais Rhésos est tué la nuit même de son arrivée parDiomède qui le surprend dans son sommeil, tandis qu'Ulysse dérobe ses chevaux. Cet épisode servit de sujet à une tragédie grecque attribuée àEuripide : le héros meurt, mais dans les derniers vers il est dit qu'il sera ressuscité et rendu immortel après sa transformation en divinité souterraine[4]. Ce thème de l'immortalité se retrouve dans lescultes à mystère thraces, comme l'orphisme. Le terme de Thraces est définitivement adopté par les Grecs à partir duVIe siècle av. J.-C. pour désigner leurs voisins du nord occupant un territoire compris entre lesCarpates et lamer Égée, ainsi qu'une partie du nord-ouest de l'Anatolie[5]
Lalangue thrace est unelangue paléo-balkanique de la branchedaco-thrace appartenant à la famille deslangues indo-européennes[3]. Elle ne dispose pas d'un alphabet et montre des similitudes avec leslangues balto-slaves et lesindo-iraniennes, tout différant notablement dugrec et dulatin. Elle est déclinée en plusieurs dialectes sachant que la topographie de la région et les divisons entre tribus ont empêché la formation d'une unité linguistique. Seules quatre longues inscriptions en langue thrace, écrites dans l'alphabet grec, ont été retrouvées. Elles n'ont pas été déchiffrées à ce jour, ou alors leur traduction ne fait pas consensus. D'autres inscriptions, constituées de mots isolés ou de noms propres, ont été retrouvées sur divers objets.
Concernant leur aspect physique, les sources grecques affirment souvent que les Thraces ont les yeux bleus et les cheveux roux, même chose pour les œuvres d'art grecques qui représentent souvent les Thraces, femmes comprises, comme étant roux[6]. Mais ces descriptions s'avèrent fantaisistes. D'ailleurs les Grecs affirment que les Scythes et les Slaves ont eux aussi les cheveux roux. Les Thraces ont plus probablement les cheveux noirs et des traits du visage semblables aux Grecs de l'Antiquité ainsi que le montre les fresques retrouvées dans des tombeaux[6].
Hérodote écrit que « la nation des Thraces est, après celle desIndiens, la plus importante du monde. S'ils avaient un seul roi et s'ils pouvaient s'entendre entre eux, ils seraient invincibles »[7]. Les Thraces sont en effet divisés en près de 200 royaumes, elles-mêmes parfois réunies en confédérations. Les principaux royaumes sont lesOdryses, lesBistones, lesOdomantes et lesBesses. Le cas desGètes (ouDaces), n'est pas clairement établi. Beaucoup d'historiens les voient comme des Thraces d'au-delà duDanube ayant connu une forte influence de la part desscythes. Les régions montagneuses bordant le sud de la Thrace sont aussi habitées par desillyrienns dont certaines se sont mélangent à des Thraces, d'où le fait que soit mentionné comme des thraco-illyriennes. Parmi celles-ci on retrouve lesPéoniens, dont la plus fameuse nation est celle desAgrianes qui a fourni à l'armée macédonienne des tirailleurs d'élite, ou lesBottiens, un peuple indigène deMacédoine, voire lesTriballes, une confédération de différentes tribus mal définie qui a été vaincue parAlexandre le Grand. Il existe enfin des tribus mélangeant Thraces etCeltes comme lesScordisques. Les tribus montagnardes sont réputées pour compter de féroces guerriers, tandis que les tribus thraces des plaines sont considérées comme étant plus pacifiques et plus sujettes à une forme d'hellénisation. Les Thraces ne parvinrent à former une organisation politique durable qu'après la fondation duroyaume des Odryses auVe siècle av. J.-C.
En 325,Seuthès III, le roi des Odryses, fonde une cité sur le modèle grec :Seuthopolis. Cette nouvelle capitale est construite sur l'emplacement d'une précédente implantation et garde des dimensions modestes. Il s'agit de la seule ville thrace aux dimensions significatives qui n'ait pas été construite par les Grecs.
En 513av. J.-C., lesPerses font la conquête de la Thrace après queDarius a rassemblé une grande armée qui fait marche depuis l'Anatolie. Darius cherche à créer une nouvellesatrapie dans lesBalkans et envoie au cours de sa marche des émissaires aux nombreuses tribus thraces. Ces dernières se soumettent auxAchéménides, sauf lesGètes vivant au sud duDanube. La résistance des Gètes est vaincue et ils sont contraints de fournir des soldats à l'armée perse. Une fois atteint le Danube, Darius traverse le fleuve et faitcampagne contre les Scythes, après quoi il retourne en Anatolie par la Thrace et laisse une grande armée en Europe sous le commandement de Mégabaze[8]. Suivant les ordres de créer une nouvelle satrapie, Mégabaze contraint les colonies grecques de Thrace de se soumettre à l'empire achéménide, à commencer parPérinthe. Après quoi il mène des campagnes à travers la Thrace pour imposer la domination achéménide sur toutes les tribus de la région. Avec l'aide de guides thraces, il peut conquérir laPéonie, cédant des terres appartenant aux Péoniens aux Thraces fidèles aux Perses. Ensuite Mégabaze fait la conquête de la région située entre leStrymon etAxios et à la fin de cette campagne, le roi deMacédoine,AmyntasIer, accepte de devenir vassal de l'empire achéménide. Darius accorde au tyran deMilet,Histiée, le district de Myrcinos sur la rive est du Strymon jusqu'à ce que Mégabaze le persuade de rappeler Histiée ; après quoi la tribu thrace des Édones reprend le contrôle de Myrcinos[8]. La nouvelle satrapie prend le nom de Skudra qui est dérivé de l'auto-désignation des Scythes habitant la régions nord de la satrapie. Mégabaze est remplacé par un satrape dont le nom est inconnu et Darius désigne Otanès pour superviser la division administrative de l'Hellespont. Otanès prend par la suiteByzance,Chalcédoine,Antandros, Lamponia ,Imbros etLemnos[8].
Les territoires inclus dans la satrapie de Skudra comprennent la côteégéenne de la Thrace et la côtepontique jusqu'au Danube. À l'intérieur des terres, la frontière occidentale de la satrapie est constituée de l'Axios et des chaînes de montagnesBelassitsa-Pirin-Rila. L'importance de cette satrapie réside dans le fait qu'elle comporte le fleuveHébros qui relie la colonieDoriskos à la côte égéenne, ainsi qu'aux cités portuaires d'Apollonia, Mesembria etOdessos sur les rives de la mer Noire. Des sources perses décrivent la satrapie comme étant peuplée de trois groupes : lesSaka Paradraya (« Saka au-delà de la mer », ce terme désignant les peuples scythes au nord de la mer Caspienne et de la mer Noire) ; les Skudra (très probablement les tribus thraces) et lesYauna Takabara. Ce dernier terme, qui se traduit par « Ioniens avec des chapeaux en forme de bouclier », ferait référence auxMacédoniens. Ces trois ethnies sont enrôlées dans l'armée achéménide, comme le montrent les reliefs des tombes impériales deNaqsh-e Rostam et ont participé à la deuxièmedeuxième guerre médique du côté des Perses[9].
Larévolte de l'Ionie qui commence en499av. J.-C. affaiblit la position des Perses en Thrace. Pour autant les Thraces n'ont pas aidé les rebelles grecs car ils considèrent la domination achéménide comme leur étant plus profitable. D'abord les Perses ont traité favorablement les Thraces en leur donnant des terres ; ensuite les Thraces considèrent l'occupation perse comme le meilleur contre l'expansion grecque et les attaques scythes. Une fois la révolte ionienne réprimée, le général achéménideMardonios traverse l'Hellespont avec une flotte et une armée importantes. Il soumet à nouveau la Thrace sans aucun effort et fait de la Macédoine une partie intégrante de la satrapie de Skudra. Mardonios est cependant attaqué de nuit par les Bryges dans la région dulac de Dojran et de l'actuelleValandovo, mais il parvient également à les vaincre. La liste d'Hérodote des tribus qui ont fourni des troupes à l'armée achéménide comprend des Thraces de la côte et de la plaine centrale de Thrace, attestant que la Mardonios a reconquit toutes les régions thraces qui ont été sous la domination achéménide avant la révolte ionienne[8].
Après que les Grecs ont vaincu les Perses en 479av. J.-C., ils ont commencé à attaquer la satrapie de Skudra. Les forces perses et les Thraces tentent d'y résister. Les Thraces continuent d'envoyer de l'approvisionnement au gouverneur d'Eion lorsque les Grecs l'ont assiégé. Quand la ville tombe aux mains des Grecs en 475,Cimon cède ses terres àAthènes pour les coloniser. Même si Athènes contrôle désormais la mer Égée et l'Hellespont, les Perses sont toujours en mesure de contrôler la côte sud de la Thrace depuis une base située en Thrace centrale avec le soutien des Thraces. Grâce à la coopération des Thraces, les Perses peuvent exercer leur domination en la Thrace centrale jusque vers 465, sachant le gouverneur Mascamès est parvenu à résister à de nombreuses attaques grecques contre Doriskos[8]. À cette époque,Térès, roi desOdryses, commence à organiser son royaume en un État puissant. Avec la fin du pouvoir achéménide dans les Balkans, le royaume des Odryses, la Macédoine et Athènes comblent le vide de pouvoir qui a suivi et forment leurs propres sphères d'influence dans la région[8].
Les Thraces sont considérés par les auteurs grecs (puis romains) comme un peuple aux mœurs violentes[10].Hérodote affirme qu'ils vendent leurs propres enfants et laissent leurs filles faire commerce de leur corps avec les hommes qu'ils ont choisi[11].Platon les compare auxScythes pour leurs mœurs extravagantes[12].Polybe écrit que le roiCotys montre un caractère aimable aux contraires de ses compatriotes.Strabon décrit comment les Thraces rompent des traités de trêve par la ruse[13]. Enfin,Diodore évoque un roi thrace,Diegylis, qui a pratiqué au milieu duIIe siècle av. J.-C. les pires tortures sur des femmes et des enfants de la cité deLysimacheia prise aux dépens desAttalides[14]. Enfin dans le cadre de leurs rites religieux, les Thraces pratiquent parfois des sacrifices humains, comme l'atteste des découvertes archéologiques[15], ce qui ne manque pas de heurter les auteurs Grecs. Ces récits peuvent refléter des préjugés culturels ; néanmoins ils constituent une source précieuse pour comprendre les relations entre Grecs et Thraces.
Les relations commerciales jouent un rôle crucial dans l'interaction entre les Grecs et les Thraces et favorisent une forme de coexistence pacifique. Très tôt, les Grecs sont attirés par les richesses de la Thrace et établissent des routes commerciales le long de lamer Noire, facilitant les contacts avec les communautés thraces. Ils échangent des biens tels que le vin, l'huile d'olive et la céramique contre des ressources telles que l'or, l'argent et les esclaves. AuVIIe siècle av. J.-C., ils fondent des colonies côtières sur la mer Noire. À partir duVIe siècle av. J.-C., l'aristocratie thrace des tribusbesse etodryse établissent des échanges durables avec les Grecs et utilisent même l'alphabet grec pour leurs écrits en langue thrace. Ces inscriptions restent néanmoins non déchiffrées à ce jour[16]. À cette époque, les mercenaires thraces commencent à être recrutés en masse par les États Grecs. Après le retrait des Perses à la suite de ladeuxième guerre médique, la Thrace est divisée en trois régions. La Thrace du Sud est placée sous la domination économique d'Athènes[3]. Les Athéniens fondent sur les rives égéennes de la Thrace la cité d'Amphipolis, qui est intégrée auroyaume de Macédoine parPhilippe II en 356. Malgré des relations commerciales intenses, les Grecs sont parfois perçus comme des intrus, tandis que les Thraces cherchent à résister à l'influence grecque, défendant avec ardeur leur territoire et leur mode de vie.
Sur le plan culturel, les Thraces connaissent une influence significative de la part des Grecs. Les échanges culturels ont été facilités par des mariages mixtes, des festivals religieux communs et des échanges commerciaux. Certains éléments de la culture grecque sont repris à leur compte par les Thraces, tandis que les Grecs ont adopté de leur côté des éléments de la culture thrace. Les tribus thraces réagissent de manière différente à l'influence grecque. Les Odryses possèdent une culture en partie influencée par les Grecs comme le montrent les riches ornementations de leurs tombeaux. Les élites odryses sont parfois hellénophones comme en témoigne le fait que leur roiSeuthès, évoqué dans l'Anabase deXénopohon, comprenne de mieux en mieux le grec[17]. Letrésor de Panagyurishté(en) découvert enBulgarie en 1949 témoigne de la maîtrise technique des artisans thraces mais aussi de la pénétration en Thrace de la culture grecque. Ce trésor se compose de neuf récipients en or richement décorés de scènes de mythes ou liés aux coutumes thraces. Daté duIVe siècle av. J.-C. ; il aurait été utilisé comme décor pour des cérémonies royales. La grande amphore possède des anses en forme decentaures et est ornée d'une scène montrantHéraclès combattant un serpent. Trois des septrhytons (un vase à boire en forme de corne) sont décorés d'Amazones et portent des scènes de lamythologie grecque.
Au début duVe siècle av. J.-C., la dynastietéréïde de la tribu desOdryses cherche à unifier la Thrace à son profit. À partir de la Thrace centrale, elle parvint à réunir une vingtaine de tribus pour constituer un royaume prospère sur les bords de lamer Noire qui perdure jusqu'au début de l'Empire romain.Sitalcès, le roi des Odryses, est l'allié des Athéniens durant laguerre du Péloponnèse et leur fournit de nombreux mercenaires[3]. En 429av. J.-C., il organise une vaste offensive contre lesMacédoniens, mais confronté à un hiver rude et manquant de ravitaillement, il doit renoncer. Son successeur,SeuthèsIer conquiert presque toute la Thrace, marquant l'apogée du royaume odryse. Après sa mort, la Thrace est divisée en trois royaumes qui finissent par être réunis parCotysIer, allié un temps aux Athéniens avant qu'ils ne cherchent à le renverser.
Le royaume des Odryses est ensuite vassalisé parPhilippe II et annexé à laMacédoine en 342, ce qui représente une menace directe pour les intérêts commerciaux des Athéniens. Après la mort de Philippe, les tribus de Thrace se révoltent contre son filsAlexandre. Celui-ci mène une campagne éclair et défait lesTriballes et lesGètes. Toutes les tribus Thraces se soumettent alors. Motivés par l'appât du gain, de nombreux Thraces s'engagent dans l'armée macédonienne pour participer à l'expédition en Asie. À la mort d'Alexandre, la Thrace passe sous le contrôle deLysimaque. Celui-ci fonde en 309 la cité deLysimacheia enChersonèse de Thrace et épouse une princesse odryse[3].Seuthès III, le roi des Odryses, s'est déjà révolté contre les Macédoniens à la fin du règne d'Alexandre après que le gouverneur macédonien trouve la mort contre les Gètes. Il est battu parAntipater, le régent de Macédoine, et se révolte à nouveau après la mort d'Alexandre. Seuthès III est contraint de reconnaître l'autorité de Lysimaque et en 320 il déplace le royaume des Odryses au centre du territoire thrace, retrouvant une forme d'indépendance. Il en profite pour faire construire une nouvelle capitale,Seuthopolis, sur le modèle grec. En 313, il soutientAntigone le Borgne contre Lysimaque, mais il est une nouvelle fois battu. Lysimaque trouve finalement la mort en 281 face à Séleucos. Un éphémèreroyaume celte est formé en Thrace sur les côtes de la mer Noire dans le contexte de laGrande expédition des Celtes, avec Tylis pour capitale de 279 à 213. Au cours desIIIe et IIe sièclesav. J.-C., la Thrace connait diverses puissances tutélaires : lesLagides, lesSéleucides et lesAntigonides. À cette époque les Thraces sont dirigés par des petites dynasties locales[18]. La Thrace revient dans le giron macédonien sous le règne dePhilippe V qui est vaincu par les Romains en 197.
Au milieu duIIe siècle av. J.-C., leroyaume des Odryses devient un État client de la République romaine, tandis que les autres tribus thraces sont soumises par les Romains. À cette époque, lesOdryses prennentLysimacheia alors sous tutelle desAttalides dePergame et commettent de terribles exactions contre la population sous la direction du roiDiegylis[14]. FinalementAttale II parvient à rétablir sa domination sur la Thrace.
Les Romains entrent en conflit avec lesDaces en 76 et entreprennent une campagne enMésie, une région de Thrace qui borde la rive sud duDanube. Les habitants de la Mésie sont progressivement romanisés tandis que le royaume des Odryses reste fidèle à Rome, sûrement en raison de la menace des Daces. Dans les régions méridionales de Thrace, l'influence grecque est encore présente et la culture thrace se maintient encore un temps. Certains Thraces s'opposent à la domination romaine et de nombre d'entre eux sont pris comme esclaves. Leur caractère rebelle et combattif les destine à la carrière deGladiateurs. Le gladiateur dit « thrace » porte un casque, un petit bouclier rectangulaire, deux jambières et une dague courbe, lasica. Le plus fameux de ces gladiateurs estSpartacus qui mène la révolte des esclaves entre 73 et 71av. J.-C. Spartacus est la forme latinisée d'un nom thrace connu sous plusieurs formes : Spartokos ou Spardokos. Il est probablement un membre de l'aristocratie odryse capturé par les Romains[19].
Après les passages desHuns et desAvars auVe siècle, l'affrontement desBulgares et desByzantins s'achève par uneslavisation de plus en plus marquée des pays jadis thraces. La Thrace n'est alors plus qu'une région géographique. L'empereurJustinien, né en Thrace, est peut-être d'origine thraco-romaine (ou illyrienne)[20]. Il ordonne des déploiements militaires pour défendre la frontière de la thrace et repousser les incursions des Bulgares et des Slaves.
LesTurcs annexent toute la Thrace en 1389, puis encerclent et prennent Constantinople en 1453. Leur domination dure jusqu'en 1878. Se crée alors en Thrace septentrionale la province autonome deRoumélie orientale réunie à laBulgarie en 1885. Durant lapremière guerre balkanique (1912) la Thrace est prise par les Bulgares, disputée entre Bulgares et Grecs, en partie rendue aux Turcs par le traité de Constantinople du. Les frontières et occupations ont changé plusieurs fois mais finalement la Thrace reste partagée entre ces trois pays.
Les Thraces sont réputés pour être un peuple guerrier et pour avoir le potentiel de rassembler un grand nombre de troupes[10]. SelonHérodote, les Thraces méprisent les occupations autres que militaires[10]. Ils ne sont pas réputés pour exceller en bataille rangée et pratiquent plutôt la guerre de harcèlement et les attaques surprises. En premier lieu, ils possèdent une cavalerie légère nombreuse et redoutable, en s'inspirant desScythes pour l'équipement et certaines tactiques de leur cavalerie. Équipés ou non d'une armure de cuir et parfois d'un bouclier, les cavaliers sont armés de javelots, d'un arc ou d'une lance. Lors des batailles, le roi mène lui même à la charge de sa cavalerie formée de l'aristocratie[21]. Ces cavaliers attachés à l'escadron royal portent une armure en métal[22]. Des boucliers sont par la suite utilisés, même par la cavalerie lourde. Leur tactique a inspiréPhilippe II de Macédoine qui adopte la formation en forme de coin pour les manœuvres de la cavalerie desCompagnons, sachant que cette technique a été empruntée par les Thraces aux Scythes. L'infanterie thrace est quant à elle essentiellement formaient d'épéistes et depeltastes dont l'usage se répand dans laGrèce classique. Les peltastes portent un petit bouclier en osier en forme de croissant de lune, lapelta, d'où provient leur nom. Ils sont armés de javelots et d'une épée courte. Ils portent des vêtements aux motifs colorés et géométriques et desbonnets phrygiens. Ils font preuve de leur efficacité dans les rangs athéniens durant laguerre du Péloponnèse et leur usage se répand dans l'armée macédonienne et dans les arméeshellénistiques. Les armes de jets sont privilégiées par les Thraces mais ils portent aussi des armes pour le combat rapproché, comme la redoutable rhomphaia, une sorte de grande épée doté d'une lame à un seul tranchant droite ou légèrement incurvée qui ressemble aufalx des guerriersdaces[10]. Ils peuvent aussi être équipés de massues, de haches, de lances ou d'une épée courte typique, lasica, probablement d'originecelte et qui donne le terme desicaire. Les Thraces adoptent d'autres armes celtes comme les épées longues. Certains historiens considèrent que lasarisse adoptée par Philippe II de Macédoine est inspirée des longues lances des guerrierstriballes[23].
Les Thraces évitent traditionnellement les armures et les jambières pour conserver leur mobilité ; mais des armures en métal commencent à apparaître auIVe siècle av. J.-C. parmi la noblesse[24]. Des armures en écailles de type scythe sont également parfois utilisées. Lecasque thrace, appelé aussi phrygien du fait de sa forme ressemblant à une bonnet, est adopté par lesphalangites macédoniens. Durant l'époque hellénistique, les guerriers thraces adoptent le bouclier long, lethuréos[25], inspiré des Celtes et qui se répand ensuite à leur contact dans les arméeslagides etséleucides. Enfin, les Thraces utilisent des équipements grecs de différentes périodes et portent parfois des armures qui ont cessé d'être utilisées ailleurs[26]. Plus tard, ils adoptent les armements romains[27]. Les guerriers thraces décorent leur corps de tatouages comme lesIllyriens et lesGètes.
Les Thraces sont très recherchés comme mercenaires en raison de leur férocité au combat ; mais ils sont célèbres pour leur propension au pillage[10]. Les mercenaires thraces issus de certaines tribus, notamment lesOdomantes sont particulièrement coûteux[28]. Ils jouent un rôle important dans les affaires entre Athéniens et Spartiates et sont aussi embauchés de manière occasionnelle par les Perses[29].Crésus, le roi deLydie, engagea de nombreux thraces[29]. Du temps de Philippe et d'Alexandre, les Thraces servent en nombre dans l'armée macédonienne comme cavaliers et fantassins légers, pas forcément comme mercenaires car ils font alors partie des levées régionales. Les mercenaires thraces rejoignent par la suite certaines armées hellénistiques, notamment celles desSéleucides et desAntigonides. Ils servent enfin dans les armées duPont sousMithridate VI puis dans les armées romaines, formant l'un des nationalités les plus importantes au sein des unités auxiliaires, à hauteur maximale de 20 000 soldats au début de l'Empire. Enfin, les Thraces ne disposent pas d'une marine à part entière ; mais des cités grecques peuvent fournir des navires en tribut permettant aux Thraces de se livrer à la piraterie. La réputation des guerriers thraces se perpétue jusqu'à l'époque romaine où le termeThrace désignait un type degladiateurs.
Bendis assise sur lion et tenant un arc et des flèches.
La religion des Thraces est caractérisée par une très grande diversité de divinités associées à la nature, aux forces cosmiques et aux aspects de la vie quotidienne. Elle repose sur un substratproto-indo-européen[30]. Mais les sources écrites sur la religion thrace sont rares, et la plupart de nos connaissances proviennent de témoignages grecs et romains voire de quelques découvertes archéologiques.
Les Thraces accordent une importance particulière à la déesse de la nature associée à la chasse, à la lune, et à la fertilité. Le culte des ancêtres occupe une place importante dans leur religion. Les rituels religieux thraces impliquent souvent des danses, des chants, des offrandes, et parfois même des rituels orgiaques et des sacrifices humains. Les prêtres jouent un rôle central dans la médiation entre les divinités et les membres de la communauté. Les Thraces croient en l'existence d'un monde souterrain où les âmes des défunts continuent à vivre. Les tombes thraces, riches en offrandes funéraires, témoignent de cette croyance en une vie après la mort. Cette croyance très ancienne, probablement d'originepélasge et donc pré-indo-européenne, est à l'origine du mythe d'Orphée qui devient très populaire enGrèce antique.
SelonHérodote, les Thraces n'adorent que trois dieux, qu'il identifie àArès,Dionysos etArtémis. Cette triade reflète la division tripartite des sociétésindo-européennes en catégories militaires, sacerdotales et économiques. Cependant cette supposée triade divine peut être vue comme une construction artificielle pour rendre les divinités thraces plus compréhensibles au public grec. Plusieurs divinités majeures sont attestées dans le panthéon thrace. En premier lieu,Sabazios, connu aussi sous le nom de « cavalier thrace ». Il est le dieu du ciel et les Grecs l'identifient àZeus. Ensuite, il y a Bendis, la déesse de la chasse associée à la lune qui possède des caractéristiques similaires à Artémis. Son culte est introduit à Athènes à la fin duVe siècle av. J.-C. et se perpétue au moins jusqu'auIIe siècle av. J.-C. Il y a égalementCotys la déesse de la terre et des moissons. Son culte passe lui aussi en Grèce. Elle est honorée par un temple à Athènes et des cérémonies sont célébrées en son honneur, accompagnées de débauches. Enfin la figure de Dionysos occupe une place à part. Les Thraces sont en effet considérés comme les premiers à avoir adorer le dieu du vin, de la végétation et de l'extase sous le nom deZagreus, sachant que des historiens considèrent la Thrace comme la terre d'origine de la culture du vin. Les travaux d'Homère, d'Hérodote et d'autres auteurs de la Grèce antique font d'ailleurs référence à la passion des Thraces pour le vin. Ce culte atteint ensuite la Grèce. Dionysos est né des amours de Zeus et de Sémélé, un avatar d'une divinité phrygienne de la terre. Il est soustrait à la colère d'Héra et confié aux nymphes d'un mont de Thrace, lemont Nysa, un lieu mystérieux, sachant qu'une étymologie possible de son nom ferait de lui le « Zeus de Nysa ». Il convient par ailleurs de constater que Dionysos revêt une importante crucial au sein de l'orphisme. Dans la version orphique du mythe, Dionysos est le fils de Zeus et dePerséphone, fille deDéméter. Dans la religion orphique, Dionysos possède un avatar mystique appelé Zagreus qui est sa réincarnation. Ce mythe thrace, central de l'orphisme semble inspiré de la légende égyptienne d'Osiris. Il pourrait également être d'origine crétoise ou égéenne.
Mosaïque d'époque romaine montrantOrphée portant une tenue thrace.
Les Thraces sont réputés pour leurscultes à mystères liés à desdivinités chtoniennes[31], c'est-à-dire au monde souterrain et infernal. Citons en premier lieuZalmoxis, à la fois divinité et personnage légendaire dont le nom apparaît pour la première fois chez Hérodote[32]. Il écrit qu'il est un esclave affranchi dePythagore et qu'il retourne dans le pays desGètes où il y enseigne sa croyance. Historiquement parlant, il s'agit d'un culte à mystères d'inspiration pythagoricienne qui est adopté par l'aristocratie thrace et géto-dace. Ce culte postule l'existence d'un dieu suprême, appeléGebeleizis, et l'immortalité de l'âme des guerriers morts au combat et de quiconque sacrifie sa vie pour celle de ses semblables. Le fait que les Thraces et les Géto-Daces puissent avoir une religion monothéiste est encore fortement débattu dans la communauté anthropologique.
Le mythe d'Orphée occupe une place centrale dans la culture et la religion des Thraces. Il est le fils d'un roi de Thrace et de la museCalliope et est un musicien et poète réputé pour sa musique enchanteresse. Il descend aux Enfers à la recherche de son épouseEurydice mais ne parvient pas à la sauver. Désespéré par la perte de son épouse, il se retire dans la solitude pour se consacrer à la musique et au chant. Sa fin est tragique : dans une frénésie orgiaque, des adoratrices de Dionysos, lesMénades, le déchirèrent en morceaux et ses restes sont jetés dans un fleuve, et sa tête, toujours chantante, continue de dériver jusqu'à ce qu'elle soit récupérée par lesMuses. Les dieux, émus par le sort d'Orphée, placent sa lyre dans le ciel sous la forme d'uneconstellation. Ce mythe donna naissance à une théologie initiatique fondée sur une doctrine du Salut marquée par une souillure originelle : l'âme est condamnée à un cycle de réincarnations dont seule l'initiation pourra la faire sortir, pour la conduire vers une survie bienheureuse où l'humain rejoint le divin. Finalement de nombreux aspects de la religion et de la culture thrace restent mystérieux. Mais les quelques indices dont nous disposons montrent la richesse de la spiritualité des Thraces ainsi que les influences réciproques avec les Grecs.
Des découvertes archéologiques, parfois récentes, ont permis de faire évoluer la connaissance de l'histoire des Thraces. L'archéologue bulgareGeorgi Kitov emploie l'expression de « vallée des rois thraces(en) » (appelée traditionnellementvallée des Roses) pour décrire la concentration et la variété élevées de monuments de la culture thrace dans la région deKazanlak, au centre de laBulgarie. On estime qu'il existe plus de 1 500tumulus (oukourganes) dans la région, dont seulement 300 ont fait l'objet de recherches à l'heure actuelle (2023)[33]. Parmi les sites principaux, letombeau de Kazanlak a été découvert en 1944. La décoration peinte de ce tombeau est le vestige le mieux préservé de la période hellénistique en Bulgarie. Entre 1948 et 1954, l'ancienne ville deSeuthopolis a été étudiée avant que le site ne soit recouvert par un lac de barrage. Entre les années 1960 et 1980, des recherches ont été menées dans une nécropole. D'autres tombes ont été découvertes dans les années 1960, dont certaines datent de l'époque romaine. La période entre 1992 et 2006 a vu l'étude de plus de 200 tumulus dans la vallée de Kazanlak qui montrent les pratiques funéraires des Thraces de l'âge du fer jusqu'à l'époque romaine. Dans les années 2010-2020, les fouilles archéologiques se sont poursuivies avec succès. En 2003, letombeau de Seuthès III(en) a été mis au jour. L'inventaire, exceptionnellement riche, présente des objets personnels et funéraires en or, argent, bronze, albâtre, verre, argile et cuir. Parmi les découvertes, trois sujets présentent un intérêt particulier : un casque en bronze, une cruche en argent et une coupe en argent, sur laquelle on peut lire le nom de Seuthès en grec (ΣΕΥΘΟΥ). La pièce principale retrouvée dans le tombeau est une tête en bronze représentant très probablementSeuthès III. La similitude du visage est frappante avec l'effigie illustrant les trois pièces de monnaie en bronze découvertes dans le tombeau.
Principales tribus deThrace, avec des appartenances contestées.
Près de 130 tribus thraces sont recensées[5], bien que leur appartenance ethnique ne soit pas toujours bien établie. Parmi les principales on peut citer :
lesBesses, l'une des principales tribus habitant le versant septentrional desRhodopes dans la vallée d'Évros (Maritsa) ;
lesBistones, habitant sur les côtes de la mer Égée, tribu d'origine deDiomède ;
lesPéoniens, probablement d'origine thraco-illyrienne, mentionnés parHomère etHérodote et réunis en plusieurs tribus dont lesAgrianes et peut-être lesOdomantes ;
lesSerdes ou Serdi, des Celtes ou des Thraco-Celtes qui ont fondéSardica (actuelleSofia).
Enfin, le cas desGètes et desDaces est discuté par les historiens, antiques comme modernes. Une première tradition, issue d'Hérodote, prétend que Thraces / Gètes / Daces désigne un même peuple[36]. Les Gètes (ou Daces pour les Romains) seraient les Thraces vivant au nord du Danube. Une deuxième tradition issue dePline l'Ancien prétend qu'il s'agirait de trois peuples distincts[37]. Mais le consensus moderne veut que les Géto-Daces appartiennent bien à la famille thrace[2], les Gètes vivant à l'est desCarpates, les Daces au nord-ouest des Carpates et les Thraces entre le sud duGrand Balkan et lamer Égée. Ils parlent des langues différentes mais qui appartiennent à la même branchedaco-thrace de la famille deslangues paléo-balkaniques ; ils partagent par ailleurs des coutumes et des croyances communes. Finalement selon ces historiens, les Géto-Daces sont des Thraces qui ont connu l'influence desScythes à partir duVIIe siècle av. J.-C. et desCeltes à partir duIVe siècle av. J.-C.[2].
↑Milenka Tonkova, « On human sacrifice in Thrace (on archaeological evidence) »,Tracii şi vecinii lor în antichitate, Istros a Muzeului Brăilei,p. 503–514.
Jean-Luc Martinezet al.,L'épopée des rois thraces : des guerres médiques aux invasions celtes 479-278 av. J.-C. : Découvertes archéologiques en Bulgarie, Musée du Louvre, Paris, Somogy éditions d’arts,.