Ses écrits, parmi lesquels figureRights of Man (1791), ont également exercé une grande influence sur les acteurs de laRévolution française : il est élu député à la Convention en 1792. Considéré par les Montagnards comme un allié des Girondins, il est progressivement mis à l’écart, notamment parRobespierre[1]. Il est emprisonné endécembre1793 à la demande deVadier.
Après laTerreur, il est relâché et connaît un certain succès grâce à son livreLe Siècle de la raison (The Age of Reason, 1793-1794) qui analyse lechristianisme et milite en faveur dudéisme. DansAgrarian Justice (1795)[2], il analyse les origines du droit de propriété et introduit le concept derevenu de base ou universel, proche durevenu minimum.
Thomas Paine resta en France jusqu’en 1802, période pendant laquelle il critique l’ascension deNapoléon Bonaparte, qualifiant le Premier Consul de« charlatan le plus parfait qui eût jamais existé »[3]. Sur l’invitation du présidentThomas Jefferson, il revient aux États-Unis et il y meurt en 1809, à 72 ans.
Maison de Thomas Paine à Lewes.Statue de Thomas Paine àThetford (Norfolk).
Thomas Paine est né en1737 àThetford, une bourgade du Norfolk en Angleterre. Son père, Joseph Pain, estquaker et sa mère, Frances Cocke Pain,anglicane. Malgré les affirmations selon lesquelles Thomas aurait changé l'orthographe de son nom de famille lors de son émigration en Amérique en 1774, il utilisait "Paine" en 1769, alors qu'il était encore à Lewes, dans le Sussex. Il grandit dans un milieu rural modeste[4] et quitte l'école à l'âge de douze ans. Sa formation intellectuelle est donc celle d'un autodidacte. Il devient alors apprenti auprès de son père. Il travaille quelque temps comme marchand, puis ouvre une boutique decorsets àSandwich dans leKent. Il épouse Mary Lambert le et son commerce fait faillite peu de temps après. Son épouse meurt alors qu'elle est enceinte. Il exerce ensuite plusieurs métiers et déménage souvent (Thetford, Gantham, Alford, Diss, Kensington, Moorfields, Grampound).
En1767, il exerce la profession de maître d’école à Londres. En1768, il se fixe àLewes dans un hôtel duXVe siècle. Le, il épouse, à l’âge de 34 ans, Elizabeth Ollive, la fille de son propriétaire. En 1772, il publie son premier écrit politiqueThe Case of the Officers of Excise, un pamphlet de 21 pages qu’il distribue aux membres du Parlement. Endetté, séparé de son épouse, il rencontre à Londres enBenjamin Franklin qui le convainc de partir pour les Treize colonies et lui écrit une lettre de recommandation. Il quitte l’Angleterre en octobre et attrape letyphus pendant la traversée de l’Atlantique.
Grâce à la lettre de recommandation de Franklin, le libraire Robert Aitken l'engage pour collaborer au lancement duPennsylvania Magazine[5], journal dont il devient ensuite le rédacteur en chef. Le, il prend parti pour lesinsurgents américains. Son pamphletCommon Sense (publié anonymement en janvier1776) remporte un vif succès (environ 500 000 exemplaires en Amérique et en Europe[6]). Il s’agit d’un plaidoyer en faveur de la rupture avec laGrande-Bretagne et l’établissement d’une République. Il aurait inspiréGeorge Washington,Benjamin Rush etJohn Adams. Aucun autre pamphlet de cette époque ne souleva autant d’enthousiasme parmi les patriotes et d’opposition de la part des loyalistes[7], notamment par James Chalmers.Le Sens commun est souvent considéré comme l’un des déclencheurs de la révolution américaine[4]. Sa forme simple et son style concis et clair en ont fait une arme efficace depropagande[8]. Thomas Paine pense que la révolution américaine aboutira à« la naissance d’un monde nouveau[4]. » Il voit dans le gouvernement un mal nécessaire destiné à brider les vices humains. Mais pour un peuple vertueux comme est le peuple américain, des institutions peu importantes doivent suffire. Il pense que des institutions trop sophistiquées entraveraient la réalisation du bien public[9].
En, il quitte la direction du magazine pour se consacrer à répondre aux critiques contre leCommon Sense. Il envoie quatre lettres aux journaux de Philadelphie sous le pseudonyme de Le Forestier. Dans la troisième publiée par lePennsylvania Packet le, il montre aux Américains tous les avantages d'être indépendants. L'indépendance procurera le bonheur aux Américains car« c'est une feuille blanche à remplir[10]. » Les Américains sont pour lui un peuple libre et vertueux qui peut s'affranchir du passé. L'idée d'indépendance devient le moyen d'accéder à une vie fondée sur la vertu, idéal suprême de bien des patriotes[10].
DansThe American Crisis (1776-1783), une série de pamphlets dans le prolongement duSens commun, Thomas Paine encourageait les Américains à résister et à continuer la guerre contre la monarchie anglaise. Le commandant de l’Armée continentale, George Washington, ordonna la lecture de ces pamphlets aux soldats pour leur donner du courage[11]. Thomas Paine assura quelque temps la charge de Secrétaire de la Commission des Affaires étrangères aux États-Unis[4] ; il fut démis de cette fonction parce qu’il avait évoqué les négociations secrètes avec la France dans l’un de ses pamphlets. Cependant, il accompagnaJohn Laurens pendant sa mission en France en1780. En récompense de ses services, l’État de New York donna à Thomas Paine un domaine àNew Rochelle, New York. Il fut également rétribué par la Pennsylvanie et le Congrès américain.
Revenu en Grande-Bretagne en1787, il salue avec enthousiasme laRévolution française et, en réplique aux attaques d’Edmund Burke contre celle-ci dansRéflexions sur la Révolution de France, il achèveRights of Man le (publié en 1791-1792), dans lequel il critique la monarchie britannique et propose une réforme de l’impôt. Il est condamné en 1792 et contraint de s’exiler en France[4].
En septembre 1792, Thomas Paine, qui a été admis à citoyenneté française pardécret du 26 août, est élu député à laConvention nationale par quatre départements :
Il siège sur les bancs de laGironde. Lors duprocès de Louis XVI, il prononce son opinion le 7 janvier 1793. Il rejette la condamnation à mort notamment au titre que la France a soutenu l'indépendance américaine et plaide pour que le roi soit emprisonné la durée de la guerre et banni aux États-Unis une fois la paix revenue[12] :
C'est à la France entière, je le sais, que les États-Unis d'Amérique doivent les secours au moyen desquels ils ont secoué, par la force des armes, la domination injuste et tyrannique deGeorge III. [...] Que les États-Unis de l'Amérique soient donc la sauvegarde et l'asile de Louis Capet. Là, désormais, à l'abri des misères et des crimes de la vie royale, il apprendra par l'aspect continuel de la prospérité, que le véritable système de gouvernement, ce n'est pas les rois, mais la représentation. [...] On a proposé d'abolir la peine de mort. C'est avec beaucoup de plaisir que je rappelle l'excellent discours prononcé parRobespierre sur ce sujet dans l'Assemblée constituante. [...] Comme la France a été, de toutes les nations de l'Europe, la première à détruire la royauté, qu'elle soit aussi la première à détruire la peine de mort, et à y subsister une autre peine.
Considéré comme un allié desGirondins, il est vu avec de plus en plus de méfiance par lesMontagnards, qui sont désormais au pouvoir. Thomas Paine est également sous surveillance par les autorités parce qu'il est un adversaire personnel deGouverneur Morris, l'ambassadeur américain en France[13]. Le gouvernement révolutionnaire, à la fois leComité de salut public et leComité de sûreté générale, cherche à obtenir les faveurs de l'ambassadeur américain, ne voulant pas compromettre l'alliance avec les États-Unis ; ils sont donc plus enclins à se concentrer sur Thomas Paine[13],[14].
Il est finalement incarcéré comme prisonnier politique[15] le[4] parVadier[14],[16]. Vadier défend ensuite son incarcération par le fait qu'il ne serait pas américain mais anglais car né auRoyaume-Uni[14],[17].
Durant son séjour en prison, il achève la rédaction duSiècle de la raison, livre dans lequel il exprime sa profession de foidéiste. Il se défend d’être Anglais et en appelle à l’ambassadeur américainGouverneur Morris, qui ne fait cependant rien pour le faire libérer. Par la suite, Thomas Paine reprochera aussi à George Washington de ne pas être intervenu en sa faveur. Il échappe malgré tout à l'échafaud et n'est libéré par les nouvelles autorités qu'en, près de trois mois après la chute de Robespierre.
En, Thomas Paine est réadmis à la Convention et participe donc aux débats sur lanouvelle Constitution, à l'origine du Directoire ; il est le seul député à s'élever, en vain, contre le conservatisme du texte « rétrograde »[18] porté par Boissy d'Anglas, notamment sur la question de la création d'une citoyenneté (droit de vote) très restrictive[19] et réservée aux plus riches, qui nie le peuple (« c'est une chose aisée [...] sur le papier d'ôter les droits de citoyen à la moitié du peuple[18] ») et risque d'éteindre le feu sacré révolutionnaire en refusant la quête d'un véritable bonheur commun au profit du bonheur des seuls riches.
Lors de l'arrivée au pouvoir deNapoléon Bonaparte en 1799, il espère que celui-ci va diffuser les idéaux révolutionnaires en Europe, notamment dans son pays natal[4]. Mais il déchante en constatant que lePremier consul établit un régime autoritaire.
Paine demeure en France jusqu'à la signature avec l’Angleterre de lapaix d'Amiens (), ce qui lui permet de quitter la France pour rejoindre les États-Unis, à l’invitation deThomas Jefferson.
En 1802, Thomas Paine débarque dans un pays agité par les conflits politiques entre fédéralistes et républicains, et dans un contexte de Grand Réveil religieux (Second Great Awakening). Il est attaqué par les fédéralistes qui lui reprochent sa participation à la Révolution française et son amitié avec Thomas Jefferson. Les religieux condamnent les thèses qu’il a développées dans leSiècle de la Raison. En 1804, il collabore à un journal déiste publié à New York[4]. Progressivement isolé, accusé d’athéisme et de radicalisme, Thomas Paine meurt seul dans la pauvreté[4], à l’âge de 72 ans, le àGreenwich Village (New York). Le bâtiment n’existe plus, mais une plaque rappelle que Thomas Paine est mort au 59 Grove Street. Seules six personnes assistèrent à ses funérailles, dont deux Noirs affranchis. Quelques années plus tard,William Cobbett déterra ses restes et les envoya en Angleterre. Mais ils ne trouvèrent jamais desépulture et restèrent en possession de Cobbett pendant une vingtaine d’années. On ne sait pas exactement où se trouve sa dépouille aujourd’hui.
Une chanson écrite par Bob Dylan en 1967, intituléeAs I Went Out One Morning et parue dans l'albumJohn Wesley Harding, fait référence à « Tom » Paine.
Bien que non franc-maçon, il est aussi connu pour ses travaux relatifs à lafranc-maçonnerie[20] et sa correspondance (lettres à Jefferson dont il était l’ami[4], lettre à George Washington).
La pensée de Thomas Paine a peut-être été influencée par lequakerisme de son père[21]. Thomas Paine a participé à la promotion desdroits de l'homme à travers l'organisation de gouvernements nouveaux, ce qui le situe dans la philosophie desLumières[4],[22]. Favorable à la République, au suffrage universel et au droit de vote, il réfléchit également à la rénovation de la religion et de la société. Il proposa des réformes considérées comme radicales à l’époque comme unrevenu minimum et un système d’éducation gratuit. Il était contre latraite des Noirs et l’esclavage, mais n’a pas critiqué les lacunes de la Constitution américaine sur ce thème[4]. Il a écrit un article intitulé « African Slavery in America » publié le dans lePostscript to the Pennsylvania Journal and Weekly Advertiser[23].
Thomas Paine est aujourd’hui considéré comme l'un des pères fondateurs desÉtats-Unis.Abraham Lincoln a lu avec intérêt ses écrits.Thomas Edison rappela son rôle d'inventeur essentiel. Le philosopheBertrand Russell lui rend un hommage appuyé dans son livreWhy I am not a Christian en consacrant tout un chapitre (8. The Fate of Thomas Paine) au destin de celui-ci, et aux risques encourus à manifester trop d'indépendance d'esprit.
Il existe un musée consacré à Thomas Paine àNew Rochelle et sa maison (Thomas Paine Cottage) a été classéeNational Historic Landmark. Une statue a été érigée sur King Street, àThetford, son village natal. Elle le représente avec une plume d’oie à la main et son ouvrageRights of Man. L’université de New York possède également un buste de lui. D’autres statues se trouvent àMorristown,Bordentown, Paris, etc. Une petite rue de Diss porte son nom. Tous les ans, entre le 4 et le, le conseil municipal deLewes organise un festival en l’honneur de Thomas Paine. À Paris,rue de l'Odéon, une plaque marque l’emplacement où il vécut entre 1797 et 1802.
Le poète françaisManuel Joseph fait référence à Thomas Paine dans son livreHeroes are heroes are heroes (1994) en ces termes :« Thomas Paine a écrit il y a bien des années il y a des / moments des moments / qui mettent à l'épreuve l'âme des hommes ces mots bien connus sont tellement / vrais ».
↑Michel Biard, Pierre Serna, Bernard Gainot et Paul Pasteur,« Extrême » ? Identités partisanes et stigmatisation des gauches en Europe (XVIIIe-XXe siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes,, 372 p.(ISBN978-2-7535-6875-4,lire en ligne), P. 245-256
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↑John Keane,Tom Paine: A Political Life, Londres, Bloomsbury, 1995, p. 128.
↑Pour l'historienHoward Zinn,« il s'agissait de la première défense vigoureuse de l'idée d'indépendance en des termes qui pouvaient être compris par n'importe quel individu sachant lire » dansUne histoire populaire des États-Unis. De 1492 à nos jours, Agone, 2002, p. 85.
↑a etbPhilippeSagnac, « Moncure Daniel Conway, Thomas Paine (1737-1809) et la Révolution dans les deux mondes, Paris, 1900 »,Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine,vol. 2,no 4,,p. 429–436(lire en ligne, consulté le)
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