Lesessais et déclarations de Thomas Mann sur les questions politiques, sociales et culturelles de son époque ont reçu une large attention. Bien qu'initialement sceptique vis-à-vis de la démocratie occidentale, Mann devient au début des années 1920 un défenseur convaincu de larépublique de Weimar. Après l'arrivée au pouvoir desnazis, il émigre en 1933 en Suisse puis en 1938 aux États-Unis, pays dont il acquiert la citoyenneté en 1944. De 1952 à sa mort, il vit de nouveau en Suisse.
Thomas Mann naît le àLübeck dans une riche famille patricienne de négociants en grains. Son père, Thomas Johann Heinrich Mann, consul desPays-Bas dès1864, est élu au Sénat de la ville de Lübeck en1877 ; sa mère, née Julia da Silva-Bruhns, originaire duBrésil, est issue d'une famille de commerçantsgermano-brésilienne. En mai1890, la maison de commerce fête son centenaire, mais le le sénateur Mann décède à l'âge de51 ans, laissant un testament qui prévoit la dissolution de la maison de commerce. Les études de Thomas Mann, d'abord dans une école privée puis auKatharineum, ne sont guère brillantes. En1892, la mère de Thomas Mann s'installe àMunich, où il la rejoint en1894.
Dès 1892, il écrit quelques textes en prose et des articles pour le magazineDer Frühlingssturm (« la Tempête du printemps ») qu'il coédite. En1894, retrouvant sa mère, ses frères et ses sœurs à Munich, il travaille pour une société d'assurances. Il abandonne cette profession en1895 pour parachever sa formation intellectuelle et devenir écrivain libre. Il fait paraître l'un de ses premiers récits dans la revueDie Gesellschaft, et quelques articles dans la revueDas zwanzigste Jahrhundert dirigée par son frèreHeinrich Mann. Il se familiarise avec les pensées deSchopenhauer etNietzsche, découvre les théories freudiennes naissantes, puis étudie les œuvres littéraires deGoethe,Schiller,Lessing,Dostoïevski,Tchekhov,Fontane, ainsi que la musique deRichard Wagner. Tous sont pour lui des modèles et il leur consacre plus tard de nombreux articles ou essais. Thomas Mann a une passion pour la musique qui transparait dans plusieurs de ses œuvres (dontLa Montagne Magique ouBuddenbrooks) : il joue du violon, et il révèle à sa famille que s'il n'avait pas été écrivain, il aurait voulu être chef d'orchestre[4]. Il découvre l'Italie avec son frère Heinrich de juillet à octobre1895, puis durant l'automne1896.
L'éditeur S. Fischer lui commande en mai1897 une œuvre d'ampleur enprose : Thomas Mann commence la rédaction de son premier roman, largement inspiré de l'histoire familiale, sur la grandeur et la décadence d'une famille dans l'Allemagne au tournant duXIXe siècle :Buddenbrooks (Les Buddenbrook), qui paraît en1901. Il fréquente à cette époque le salon de l'autrice et mécèneIda Boy-Ed. En1903, il publieTonio Kröger qui conte l'amour tourmenté d'un jeune homme pour deux de ses camarades de classe, Hans Hansen et Inge Holm, dont une large part est autobiographique comme en témoigne la correspondance de l'auteur.
En1912, il publieDer Tod in Venedig (La Mort à Venise). La ville deVenise et leGrand Hôtel des Bains sur l'île duLido, où séjourne Mann en mai-juin1911, sont au cœur de cette nouvelle inspirée par la mort du compositeurGustav Mahler que Mann apprend précisément le. Mais c'est aussi à Venise que meurt en1883,Richard Wagner à qui Mann dédie un essai durant la même période. Enfin, c'est sur la plage du Lido que Mann voit se réveiller sonhomosexualité latente devant la beauté d'un jeune noble polonais de quatorze ans. Cette œuvre que Mann désigne comme « une tragédie » est une réflexion sur la mort, l'amour, le mal, l'art et la culture. Œuvre profondément personnelle en rupture avec lenaturalisme des débuts,La Mort à Venise exprime les angoisses d'un homme aux prises avec ses démons, marqué par la maladie, la mort de ses proches (sa femme souffre d'une maladie pulmonaire et sa sœur Carla s'est suicidée l'année précédente) et par la menace de guerre qu'il perçoit dans lacrise franco-allemande de 1911.
Un séjour ensanatorium (leSchatzalp) àDavos à partir de l'année 1912, et la catastrophe de laGrande guerre dans laquelle il est impliqué (prenant un temps parti pour l'Allemagne impériale) lui fournissent le sujet de son roman le plus célèbre,Der Zauberberg (La Montagne magique), débuté en 1913 et paru en1924. Cette œuvre, conçue comme une relecture ironique duBildungsroman (« roman d'apprentissage »), constitue une étape importante dans son évolution intellectuelle en ce qu'elle marque symboliquement son ralliement aux idées libérales, après une proximité avec le courant de laRévolution conservatrice symbolisée par sesConsidérations d'un apolitique, ouvrage important publié en1918[6]. Outre les considérations politiques, sociales et économiques, la structure narrative de l'ouvrage incorpore des réflexions artistiques, esthétiques, philosophiques, historiques et spirituelles et plusieurs théories littéraires. Cette vaste parabole sur la déchéance spirituelle, l'amour et la mort, avec l'Europe d'avant laPremière Guerre mondiale pour toile de fond, lui vaut la renommée internationale. Mais lorsque l'Académie suédoise lui attribue leprix Nobel de littérature en1929, c'est principalement pourLes Buddenbrook[7] publié en 1901.
Face à la montée du totalitarisme enEurope, Mann publie, l'année suivante, la nouvelleMario et le Magicien qui évoque le danger des régimesfascistes et de la lâcheté intellectuelle.
Dès1933, il émigre enSuisse puis dans le Sud de la France où il demeure quelques semaines avec sa famille dans une villa àSanary-sur-Mer[8]. Il rejoint ensuite à nouveau la Suisse et s'installe àKüsnacht, près deZurich, afin de se tenir éloigné de la tourmente politique que connaît alors son pays. Les premiers mois du régime nazi le convainquent, après un moment d'hésitation, de ne pas retourner enAllemagne. En1936, il est déchu de la nationalité allemande. Connaissant les œuvres deSigmund Freud, il dira d'Hitler :
Plus généralement, il est passionné par la médecine, et ses ouvrages regorgent de descriptions symptomatiques précises (il dira du dernier des Buddenbrook« qu'il a les dents striées par lachlorose », par exemple, etLa Montagne magique comporte des passages sur les maladies dont ses personnages sont atteints). Renonçant à un isolement artistique déconnecté des réalités économiques et sociales, Thomas Mann multiplie les manifestations publiques en faveur de la démocratie.
À partir de1938, il vit auxÉtats-Unis, d'abord àPrinceton, puis l'année suivante àPacific Palisades enCalifornie. C'est là qu'il compose le complexe et fort sombreDoktor Faustus (Le Docteur Faustus), paru en1947, qui revisite le mythe deFaust et évoque métaphoriquement l'âme de l'Allemagne à travers le portrait d'un compositeur, inspiré d'Arnold Schoenberg. Durant ces années d'exil, il retrouve certains autres exilés allemands, tels que le dramaturge et poèteBertolt Brecht (évoquant Thomas Mann à plusieurs reprises dans son journal et sa correspondance), le réalisateurFritz Lang, ou encore le compositeurKurt Weill. Ses nombreux "lecture tours" et ses émissions radiophoniques font partie des "exigences du jour" ("Forderungen des Tages") auxquelles il s'astreint en plein accord avec son épouse Katia. L'influence de ses deux ainés, Erika et Klaus, est également significative pour comprendre son évolution à l'égard de son ancienne patrie, dont il a perdu la nationalité. Comme Katia, il ne sera naturalisé américain qu'en 1944.
Après la guerre, il retourne régulièrement dans son pays natal, notamment en1949 pour recevoir leGoethe-Preis à l'occasion du200e anniversaire de la naissance ducélèbre écrivain. À cette occasion, il visite les villes deFrancfort-sur-le-Main et deWeimar. En mai 1950, il dédicace la traduction française de sonDoktor Faustus chez son ami, le libraire et éditeur,Martin Flinker,quai des Orfèvres. Il prononce à laSorbonne son célèbre discours "Mon Temps", brillante synthèse de sa pensée dans les domaines économiques et sociaux.Gérard Valin a décrit ce séjour à Paris dans une publication de juin 2025.
Il est profondément déçu par l'évolution politique des États-Unis, sous l'influence duMaccarthysme. En1952, il retourne s'installer en Suisse et non en Allemagne, bien qu'on cite alors son nom comme possible Président de laRépublique fédérale d'Allemagne[4].
Ce n'est que dans sesNotes quotidiennes du soir à n'ouvrir que vingt ans après ma mort[10], publiées - malgré son titre - dès1955, qu'il parle ouvertement de ses attirances homosexuelles bien qu'elles soient évoquées, de manière indirecte, dansTonio Kröger etLa Mort à Venise.
Thomas Mann a tenu très tôt une position critique à l'égard du régime nazi[5]. Dans son romanLe Magicien,Colm Toibin raconte comment Thomas Mann a fréquenté la communauté juive de Munich, dont les parents de son épouse Katia, étaient d’éminents représentants.
Une réflexion de plus en plus approfondie et significative se dessine dans son évolution personnelle, intellectuelle et politique, notamment face à la virulence de l'antisémitisme dans l'Allemagne de Weimar et sous leIIIe Reich. Continûment chez lui, s'esquisse un parallèle entre le destin d'Israël et celui de l'Allemagne. Le leitmotiv se porte au cœur de l'œuvre à travers les balbutiements d'une germanité mise au sommet de ses plus nobles traditions. Le débat sur le sujet est sensible au point qu'il a longtemps été tabou outre-Rhin. La première rupture de ce silence est marquée par la publication deThomas Mann und das Deutschtum[11] et du livre de Jacques Darmaun,Thomas Mann et les Juifs[12].
Rompant peu à peu avec les formes littéraires traditionnelles, ses ouvrages comprenant romans, nouvelles et essais, font appel aux domaines des sciences humaines (histoire, philosophie, politique, analyse littéraire) pour produire une image complexe du siècle et de ses bouleversements. Son œuvre, influencée sur un plan philosophique parArthur Schopenhauer etFriedrich Nietzsche est consacrée aux rapports entre l'individu, la société et ses institutions. Elle oppose généralement la rigueur du travail intellectuel, la spiritualité et le culte de l'action.
Cependant, Mann refuse de lier son existence à la seule décadence. Il n'a de cesse de lutter, à sa manière, comme son frèreHeinrich, pour la défense des valeurs mises en péril par les différents « ismes » et les idéologies radicales. Au fil du temps, il devient une figure réellement engagée dans l'action politique et éthique. L'homme, au départ porteur de lourds préjugés venus de son pays et de son époque, sait faire face dans les moments difficiles et s'érige en représentant de la « bonne Allemagne » et de ses meilleures traditions.
Journal (1918-1921 - 1933-1939), traduit de l'allemand par Robert Simon, version française présentée et annotée par Christoph Schwerin, Gallimard,1985.
Journal (1940-1955), traduit de l'allemand par Robert Simon, texte établi par Peter de Mendelssohn et Inge Jens, Gallimard, 2000.
1957 :La Cravate, film français réalisé parAlejandro Jodorowsky, adaptation de la nouvelleLes Têtes inverties
1959 :Buddenbrooks, film allemand réalisé parAlfred Weidenmann, avecHansjörg Felmy dans le rôle de Thomas Buddenbrook,Hanns Lothar dans le rôle de Christian Buddenbrook et Liselotte Pulver dans le rôle de Tony Buddenbrook
2013 :L'Ennemi de la classe (Razredni sovražnik), film slovène réalisé par Rok Biček. Le professeur d'allemand, interprété par Igor Samobor, fait régulièrement référence à Thomas Mann.
1982 :Les Confessions du chevalier d'industrie Felix Krull (Bekenntnisse des Hochstaplers Felix Krull), mini-série allemande, avecJohn Moulder-Brown dans le rôle de Felix Krull
1990 :Der kleine Herr Friedemann, téléfilm allemand réalisé par Peter Vogel, avecUlrich Mühe
1993 :Mne skuchno, bes, téléfilm russe réalisé parYuriy Borisov, adaptation du romanDocteur Faustus
(en)Autobiographie sur le site de lafondation Nobel (le bandeau sur la page comprend plusieurs liens relatifs à la remise du prix, dont un document rédigé par la personne lauréate — leNobel Lecture — qui détaille ses apports)
↑Voir sur ce point, Charles Alunni, « Une analogique du politique. La Constellation Thomas Mann », inLe passage des frontières. Autour du travail de Jacques Derrida, Colloque de Cerisy, Galilée, 1994,p. 403-414.
↑Thèse d'état : Jacques Darmaun,« Thomas Mann et la question juive », Paris 10, 1985. Jacques Darmaun,Thomas Mann et les Juifs, éd. Peter Lang, 1995(ISBN3-906753-51-4). En allemand : Jacques Darmaun,Thomas Mann, Deutschland und die Juden, Niemeyer, Tübingen, 2003(ISBN3-484-65140-7).