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| Pays d'origine | |
|---|---|
| Genre musical | |
| Années actives | Depuis1974 |
| Labels |
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| Site officiel | www.thestranglers.co.uk |
| Membres | Jean-Jacques Burnel Baz Warne Jim Macaulay Toby Hounsham |
|---|---|
| Anciens membres | Hugh Cornwell Dave Greenfield (†) Hans Warmling John Ellis Paul Roberts Jet Black (†) |
The Stranglers est ungrouperockbritannique, originaire deGuildford,Surrey, enAngleterre. Difficilement réductibles à un style musical, les Stranglers ont évolué d'album en album, passant par lerock, lepost-punk, lerock électronique, lanew wave et lepop rock, avec des incursions dans lejazz, lereggae, lasoul ou encore lerhythm and blues. Leur son est caractérisé par la basse à la fois mélodique et agressive deJean-Jacques« JJ » Burnel et par les rapidesarpèges deDave Greenfield, joués indifféremment sur orgue Hammond, synthétiseur, piano ou clavecin.
Apparu un peu avant la première vague punk à laquelle il a été associé, il est formé à l'origine deJet Black (batterie),Jean-Jacques« JJ » Burnel (basse,chant),Hugh Cornwell (guitare, chant) etDave Greenfield (claviers, chant).
Le groupe a existé dans cette configuration pendant seize ans avant de connaître le départ d'un de ses membres fondateurs, Hugh Cornwell. En tant que guitariste, il a été remplacé deux fois : en 1990, parJohn Ellis et en 2000, parBaz Warne. Un chanteur,Paul Roberts, s'est ajouté à la formation entre 1990 et 2006, prenant en charge les parties vocales que se partageaient jusque-là Hugh Cornwell, Jean-Jacques Burnel et Dave Greenfield. Depuis 2006, le groupe est revenu à sa forme originelle de quatuor. Au milieu des années 2010, Jet Black a été contraint d'arrêter de tourner avec le groupe, en raison de problèmes de santé et de son âge, et il a été remplacé par Jim Macaulay.
Sur scène et en studio, les Stranglers, ou du moins leur première formation jusqu'en 1990, se sont distingués par un humour provocateur et pas toujours très bien compris. Groupe très populaire enGrande-Bretagne, ils sont parvenus à placer vingt-troissingles et dix-huitalbums dans le top 40 britannique. En France, c'est JJ Burnel, né àLondres de parents français, qui a fait et qui continue à faire le lien avec le public.
En septembre 2014, les Stranglers entrent dans leur cinquième décennie d'existence, ce qui en fait un des groupes les plus durables de la scène rock et l'un des très rares issus dumouvement punk à n'avoir jamais cessé d'exister. S'aventurant souvent en dehors des trois minutes de rigueur durant le punk, cherchant de nouvelles voies, ils ont défriché le terrain pour beaucoup d'autres groupes, de la fin desannées 1970 jusqu'à aujourd'hui.

Jet Black etHugh Cornwell sont à l'origine de la formation des Stranglers. À la fin de l'année 1973, Hugh Cornwell rentre deSuède avecJohnny Sox, le groupe qu'il a formé durant ses années d'étude sur place. Le groupe est alors composé d'un Suédois et de deux déserteurs américains[1]. Ils s'installent àLondres et commencent à tourner dans le circuit despubs. Hugh Cornwell a fait partie, durant son adolescence, d'un groupe amateur avecRichard Thompson, futurFairport Convention, qui est aussi un de ses camarades de collège[2].
De son côté, Jet Black essaie vainement de former un groupe àGuildford, la petite ville du sud de l'Angleterre où il habite. Jet est un ancien batteur de jazz qui a eu une carrière semi-professionnelle au tournant des années 1950-1960, avant de raccrocher les baguettes. Au cours de l'année 1973, il passe une petite annonce dans leMelody Maker et auditionne plusieurs musiciens dont la motivation ou le talent se révèlent défaillants[3]. Changeant de tactique, il répond alors à l'annonce que les membres deJohnny Sox, dont le batteur vient de quitter le groupe, ont passée[4]. Jet Black leur propose de venir vivre et répéter à Guildford, chez lui[3].
Quelque temps après, ce sont le bassiste et le chanteur qui décident, à leur tour, de rentrer en Suède[5]. Le bassiste est remplacé parJean-Jacques Burnel, que le groupe a rencontré quelques semaines auparavant, après que JJ eut pris le chanteur du groupe en stop. Jean-Jacques Burnel a une formation de guitariste classique, mais n'a jamais joué ni de la basse électrique ni au sein d'un groupe de rock. Il commence à répéter avec eux en avril 1974[6]. Hugh Cornwell fait alors appel à Hans Warmling, unmulti-instrumentiste et compositeur qui faisait partie deJohnny Sox en Suède. Ensemble, ils écriventStrange Little Girl. Le groupe répète et compose assidûment. Il tourne dans les clubs de la région, sous plusieurs noms, avant d'adopter celui de Guildford Stranglers, puis The Stranglers. Jet Black enregistre ce dernier nom le 11 septembre 1974, date considérée, depuis lors, comme la date de naissance du groupe[7].
Fatigué de devoir jouer une bonne part de reprises lors de leurs concerts alors qu'ils ont suffisamment de compositions originales, Hans Warmling repart au bout de six mois[8]. Il est remplacé, en juillet 1975, par le claviéristeDave Greenfield[9]. Guitariste à l'origine, Dave s'est formé tout seul aux claviers. C'est un musicien professionnel qui a joué dans plusieurs groupes et a écumé le circuit des bases militaires américaines enAllemagne. Lui aussi a répondu à une annonce passée dans leMelody Maker qui demandait un clavier pour un groupe de « soft rock »[10]. Hugh Cornwell dira plus tard que Dave a été embauché parce que le son de son orgue lui faisait penser auxDoors dont Hugh et JJ étaient fans[11]. Selon leur premier manager, c'est l'arrivée de Dave qui permet au groupe de trouver sa cohésion[12].
« Soft rock » : comme en témoignent les premières démos de 1974[13], le son du groupe est en effet beaucoup moins « dur » qu'il ne le deviendra lors de l'enregistrement de leur premier album. La démo deStrange Little Girl qui y figure se révèle assez proche de l'enregistrement qu'ils en feront en 1982. Leurs influences déclarées couvrent à la fois le style des groupes de rock mélodique desannées 1960 (Doors,Love,The Kinks,The Beach Boys)[14] ainsi que celui de groupes plus expérimentaux des années 1960 et70 (Captain Beefheart,The Velvet Underground,Pink Floyd,Can etKraftwerk)[15]. JJ Burnel apporte une tonalité plusblues, Hugh Cornwell pluspsychédélique et Dave Greenfield une touche derock progressif[16].
À la fin de l'année 1975, ils signent un contrat avec l'agence de management Albion qui contrôle virtuellement le circuitpub rock à Londres. C'est grâce à elle qu'ils peuvent débuter à Londres, enchaîner 191 concerts pour la seule année 1976, faisant d'ailleurs la première partie dePatti Smith, en mai, puis celle desRamones, le 4 juillet, lors d'un concert qui célèbre l'anniversaire de l'indépendance desÉtats-Unis[17]. C'est d'ailleurs cette première partie, combinée à l'influence deDr Feelgood, qui les incite à accélérer leur tempo[18] dans un contexte où les premiers groupes punk apparaissent dans la capitale anglaise. On croise alors, dans leurs concerts, des membres de groupes du futurmouvement punk (Joe Strummer,Steve Jones etPaul Cook,Chrissie Hynde)[19].

Après avoir été refusés par pas moins de vingt-quatre maisons de disques au cours des deux années précédentes[20], les Stranglers signent leur premier contrat avecUnited Artists le 6 décembre 1976[21]. Le groupe s'enferme dans le studio londonien TW, avecMartin Rushent (producteur) et Alan Winstanley (ingénieur du son), pour enregistrer une quinzaine de titres qui constitueront le premier single(Get A) Grip (On Yourself), le premier albumRattus Norvegicus et une bonne moitié du deuxièmeNo More Heroes, le tout sur une durée de six jours[22].Grip sort en janvier 1977 et se classe à la44e place descharts britanniques[23].Rattus Norvegicus, publié en avril, grimpe à la4e place[23].
Dans la foulée, le groupe démarre une tournée de quarante-deux dates enGrande-Bretagne (dont une partie est annulée) et commence à s'aventurer sur le continent européen (France,Pays-Bas,Allemagne,Suède)[24]. Les concerts en province dégénèrent souvent, pour eux comme pour les autres groupes punk : de nombreuses bagarres sont déclenchées par des fans d'autres styles de rock, desskinheads, des supporters de foot ou de simples habitants scandalisés par ce mouvement venu deLondres et dont le but est effectivement de choquer. Mais les Stranglers affrontent cette violence, aidés de leur « armée privée »[25] constituée de fans londoniens qui les suivent depuis la fin 1976 et surnommée lesFinchley Boys. La violence dans les concerts se prolongera durant la première partie desannées 1980, coûtant souvent beaucoup d'argent au groupe qui doit rembourser les dégâts occasionnés par son public[26].
En juin 1977, le groupe retourne en studio pour enregistrer la seconde moitié de son deuxième album de l'annéeNo More Heroes. Celui-ci sort en septembre et se classe à la2e place descharts britanniques[23]. L'album contient deux singles dont JJ Burnel dira qu'ils étaient des réactions au punk au cours de l'été 1977 :Something Better Change etNo More Heroes[27]. Ils enchaînent avec une nouvelle tournée de quarante-sept dates en Grande-Bretagne et enIrlande.
Les deux premiers albums sont généralement bien reçus par la presse spécialisée anglaise. Toutefois, une critique mitigée deNo More Heroes, dans le magazineSounds, vaut à son auteur de recevoir une correction en public de la part de JJ Burnel[28]. Cette anecdote illustre à la perfection les relations des Stranglers avec la presse anglaise jusqu'auxannées 2000, les journalistes leur reprochant tour à tour d'être misogynes, racistes, fascistes, trop vieux, pas assez punk, trop punk[29]… et les Stranglers répondant par la violence physique ou, essentiellement, verbale. Une interview avec les Stranglers ressemble souvent à un match de ping-pong verbal, au cours duquel les interviewés (et en particulier JJ) testent leur intervieweur, mais non sans humour de part et d'autre[30].
La presse spécialisée française, quant à elle, les défend depuis le début, préférant se concentrer sur la musique.Rock & Folk évoqueNo More Heroes en disant que« leur musique est la plus troublante depuisThe End,Sympathy for the Devil,Sister Ray,Celluloid Heroes etHelter Skelter. Peut-être la plus belle. En tout cas la plus puissante »[31]. En conséquence, les relations avec les journalistes français seront toujours apaisées.

À la fin de l'année 1977, la première vague punk est morte et tout le monde cherche un second souffle musical. Les Stranglers s'enferment alors dans une maison isolée à la campagne, pour écrire les morceaux de leur album suivant[32].Black and White est enregistré dans la foulée, toujours aux studios TW, toujours avec Martin Rushent comme producteur, et sort en mai 1978. Comme le précédent, il atteint la seconde place du classement des ventes d'albums auRoyaume-Uni[23]. En 2001, Hugh Cornwell expliquera :« Je sentais que nous devions faire tomber des barrières et élargir le jugement des gens sur la musique »[33]. Cet opus, que le journaliste John Robb décrit aujourd'hui comme le premier album post-punk[34], renferme des chansons aux ambiances sonores plus sombres et plus synthétiques. Dave Greenfield troque son vieilorgue Hammond pour dessynthétiseurs sur la majorité des titres[35]. La critique de l'album, publiée dans leNew Musical Express, note :« Musicalement, ce groupe s'est aventuré sur un nouveau territoire : très noir (comme le titre l'indique), très musculeux, très impressionnant »[36].
Parallèlement à la musique, les sujets traités dans les chansons évoluent aussi : si les deux premiers albums étaient centrés sur la transposition d'expériences personnelles – amoureuses, professionnelles ou musicales –Black and White voit les Stranglers élargir leurs horizons. DeTank qui brocarde le militarisme, àHey! (Rise of the Robots) qui traite de la robotisation de la société, on retrouve beaucoup desujets communs à ceux des autres groupes de l'époque, tandis queSweden (All Quiet on the Eastern Front) qui parle de l'ennui de la vie en Suède ouDeath and Night and Blood (Yukio) qui s'inspire de la vie et de l'œuvre deYukio Mishima, touchent à des thèmes plus personnels au groupe[37].
Le lancement du disque se fait par l'intermédiaire d'un voyage de presse enIslande, au cours duquel les Stranglers règlent leurs comptes avec un certain nombre de journalistes anglais[38]. Le groupe effectue ensuite une tournée européenne pendant laquelle ils visitent de nouveaux pays (Espagne,Portugal,Yougoslavie,Belgique). En février 1979, ils se rendent pour la première fois auJapon et enAustralie. LaNouvelle-Zélande leur ferme ses portes après les incidents qu'ils ont provoqués en Australie (notamment lors d'une interview sur une chaîne de télévision australienne, où ils rejouent une variante duscandale Sex Pistols-Bill Grundy)[39].
En parallèle, le premier album solo de JJ Burnel,Euroman Cometh, enregistré en même temps queBlack and White, est publié en avril 1979. En novembre, Hugh Cornwell fait de même avecNosferatu, enregistré entre Londres etLos Angeles en compagnie de Robert Williams, le jeune batteur duMagic Band de Captain Beefheart.
En septembre sort le quatrième album studio,The Raven, que le groupe a écrit enItalie et enregistré aux studiosPathé Marconi deParis, entre deux tournées[40]. Cet album signe le divorce du groupe et de son producteur attitré, Martin Rushent, en particulier à cause de la chansonMeninblack, une version ralentie deTwo Sunspots (qui figurera sur l'album suivant), sur laquelle la voix de JJ Burnel est passée à travers unharmonizer[41]. Le résultat paraît tellement étrange et tellement anti-commercial au producteur qu'il préfère cesser sa collaboration avec le groupe. Les Stranglers finissent alors l'album avec Alan Winstanley, l'ingénieur du son qui les suit depuis leurs débuts.
En 1997, JJ Burnel reconnaîtra queThe Raven est un disque plus accessible queBlack and White[42], ce qui n'exclut pas la complexité des arrangements. Comme le souligne leur biographe,« la moitié des morceaux contient des passages instrumentaux longs et complexes, avant d'arriver au premier couplet, portant le style du groupe plus près du rock progressif que du punk »[43]. C'est aussi, sur le plan des paroles, leur album le plus cosmopolite, voyageant de laScandinavie (le titreThe Raven) à l'Iran (Shah Shah a Go Go) en passant par lesÉtats-Unis (Dead Loss Angeles) et l'Australie (Nuclear Device). Hugh Cornwell expliquera en 2001 que cet aspect cosmopolite était le reflet de leurs premières grosses tournées à l'étranger et de ce qu'ils y voyaient[40]. Les critiques deThe Raven sont globalement bonnes. Le magazineSounds écrit :« C'est le meilleur album des Stranglers et probablement (avec celui desSlits, deFall et desUndertones) un des meilleurs de l'année »[44].The Guardian parlera en 2007 de« chef-d'œuvre excentrique »[45]. Il se classe4e au classement des ventes britanniques[23].
Pour la première fois, l'album ne sort pas simultanément aux États-Unis.A&M, leur maison de disques américaine, a en effet rompu son contrat après le refus du groupe de sortir une compilation des trois premiers albums. C'est le label indépendantIRS qui sortira cinq titres deThe Raven, accompagnés des titres de trois 45 tours inédits, sous le titreIV en 1980[46]. JJ Burnel a exprimé des sentiments mitigés sur cette affaire, disant :« Nous n'aurions pas dû foutre en l'air notre relation avec notre maison de disques américaine A&M. En un sens, je suppose que cela a été une bonne et une mauvaise chose. Nous n'aurions pas duré aussi longtemps si nous avions eu du succès aux États-Unis (...) mais nous aurions eu une sécurité financière pour le restant de nos jours »[47].
La relation des Stranglers avec les États-Unis a toujours été compliquée : entre les tournées effectuées sans, parfois, une sortie américaine à défendre et le boycott de la presse de l'époque[48], ils n'atteindront jamais, au mieux, qu'un statut de groupe culte. Hugh Cornwell expliquera à ce propos en 2011 :« Les Stranglers avaient tellement de succès en Europe et au Royaume-Uni. On avait une vie facile ici, on n'a pas eu le courage. Nous avons été paresseux. Nous avons manqué d'ambition »[49]. Depuis 2006, c'est lui qui s'applique à tourner régulièrement dans le pays pour promouvoir ses disques solos et faire connaître les disques des Stranglers première mouture. Quant à JJ Burnel, il ne s'est jamais caché d'un certain anti-américanisme qui s'est adouci au fil des ans :« Je suis né juste après que la guerre eut ruiné la Grande-Bretagne et il était difficile de ne pas être attiré par le mode de vie américain – ils avaient de grosses voitures, tout était plus gros et mieux. À un moment, j'ai pensé : je ferais mieux d'être ce que je suis – un authentique Européen – plutôt qu'un Américain d'imitation »[50].
Le titreMeninblack surThe Raven annonce la couleur de l'album suivant. Composé et enregistré, dans divers studios européens, entre janvier et août 1980,The Gospel According to the Meninblack est un ambitieuxconcept-album qui traite desMen in black. Les Stranglers commencent à s'intéresser à ces voyageurs de l'espace dès 1978, à la suite de Jet Black, et décident d'y consacrer tout un disque sur lequel ils explorent le lien entre les extra-terrestres et les religions humaines[51]. L'enregistrement de cet album marque le point de départ d'une incroyable série de déboires que les Stranglers attribueront à leur tentative de parler de ce sujet délicat.
L'année 1980 commence avec l'arrestation et la condamnation de Hugh Cornwell à huit semaines de prison pour possession de drogue. Puis le groupe est arrêté en juin 1980, à la suite d'un concert qui tourne à l'émeute à l'université de Nice. Plusieurs personnes de leur entourage meurent. ÀNew York, lors de la tournée nord-américaine, le camion qui transportait tout leur équipement est volé et, pour parachever le tout, ils découvrent, un peu tard, que le matériel n'était pas assuré[52]. Leur manager, Ian Grant, qui démissionnera après l'affaire de Nice, a une vision des choses légèrement différente :« Ils prenaient de l'héroïne, ce qui les rendait impossibles à manager. (...) Toutes ces histoires de malchance et de Men in black... la malchance, c'était juste de la bêtise. Le groupe était sur le point de conquérir le monde et la raison pour laquelle ils ne l'ont pas fait est qu'ils ont tout foutu en l'air. J'étais constamment contrarié et frustré »[53].
L'enregistrement de l'album, pour lequel ils louent les studios les plus coûteux de l'époque, les conduit à utiliser des techniques avant-gardistes pour créer un son que JJ Burnel qualifiera de techno :« Dix-sept ans auparavant [l'interview date de 1997] il n'y avait pas beaucoup de technologie avec laquelle nous pouvions jouer. À la place desséquenceurs, nous faisions des boucles avec les bandes magnétiques, nous avions des crayons avec les bandes déroulées dans le studio et nous enregistrions de manière à avoir un son mécanique de batterie. On faisait sonner les caisses claires comme des boîtes à rythmes et on faisait des boucles avec tout »[54].
L'album sort au début de l'année 1981 et est mal accueilli par la critique. Même la presse française, qui les a toujours soutenus jusque-là, ne comprend pas l'album. Le magazine de rockBest écrit :« Musicalement, leur hostie poly-vinylée est hélas plus dure à avaler. La première face du LP peut remplacer au pied levé toute une pharmacie de Tranxène et autre Valium »[55]. Et pourtant, jusqu'à ce jour, les membres du groupe ont continué à défendre cet album incompris, Hugh Cornwell allant jusqu'à le désigner comme son album favori. Il le définira ainsi en 2001 :« Nous avions atteint une liberté d'expression, nous franchissions des barrières et essayions de nouvelles choses sans nous préoccuper des conséquences. C'était très excitant d'en être arrivés là »[56]. L'album se classe dans les charts anglais à la8e place, mais aucun des trois singles n'entre dans le top 40, pour la première fois depuis le début de leur carrière[23].

Financièrement et moralement essorés, les Stranglers ont besoin de tourner la page. C'est chose faite avec leur6e album, sorti à la fin de l'année 1981.La Folie amorce un virage plus léger, plus pop, à l'image du deuxième singleGolden Brown, un de leurs plus grands succès qui s'exporte bien hors deGrande-Bretagne. Il leur faut pourtant forcer la main à leur label - qui ne croit pas à cette valse - pour qu'il accepte de sortir le single[57].
La Folie est, comme le précédent, unconcept-album, construit autour du thème de l'amour sous toutes ses formes : l'amour de Dieu (Non Stop), l'amour des idoles (Everybody Loves You When You're Dead), les relations familiales (Let Me Introduce You to the Family) ou l'amour qui tourne au meurtre (La Folie). Quant àGolden Brown, les Stranglers ont longtemps été réticents à révéler de quoi parlait la chanson, JJ Burnel a même prétendu, dans un documentaire que leur a consacré laBBC, que la chanson parlait de toasts brûlés[58]. Hugh Cornwell, qui est l'auteur des paroles, a fini par expliquer qu'elle fonctionnait« sur deux niveaux. C'est sur l'héroïne et aussi sur une fille. Elle était d'origine méditerranéenne et sa peau était marron doré. Ainsi la chanson parlait de la manière dont ma petite amie et l'héroïne me procuraient des moments de plaisir »[57].
Les critiques sont, une fois de plus, mitigées enAngleterre et très bonnes enFrance. Le magazineBest écrit :« AvecLa Folie, le groupe repart sur de nouvelles bases, dévoilant une facette supplémentaire de son talent : celle desongwriters capables de tourner des mélodies d'une incroyable efficacité »[59]. Preuve de sa nouvelle popularité en France, le groupe fait son apparition dans le sondage annuel effectué auprès de ses lecteurs parBest : le groupe se classe à la16e place des meilleurs groupes, Jean-Jacques Burnel est le12e instrumentiste (tous instruments confondus), etLa Folie est classé8e meilleur album pour l'année 81-82[60].

Déçu par l'attitude de leur nouvelle compagnie de disques (EMI a racheté United Artists en 1980), les Stranglers décident de ne pas renouveler leur contrat. Le label leur réclamant un7e album, ils transigent sur un derniersingle :Strange Little Girl, qui est un succès en Grande-Bretagne. Les Stranglers ont choisi, avec une certaine perversité, d'enregistrer ce titre qui faisait partie des démos refusées par vingt-quatre maisons de disques dont EMI en 1976[61]. Ils optent ensuite pour le labelEpic qui appartient à la multinationaleCBS.
Leur premier album sur Epic sort en janvier 1983. Enregistré àBruxelles,Feline est l'album le plus européen des Stranglers (et est marqué par son premier single extrait et tubeEuropean Female[62]) : l'intention de départ était de marier des instruments qui représentaient l'Europe du Sud (les guitares acoustiques) avec des instruments illustrant l'Europe du Nord (les synthés et la batterie jouée en acoustique, mais dont les sons ont ensuite été synthétisés)[63]. Comme le souligne la critique parue dansBest,Feline« est sans doute le moins sombre de leurs disques »[64]. Ce qui faisait le son caractéristique des Stranglers jusque-là, c'est-à-dire la basse vrombissante de JJ Burnel, les arpèges et le son d'orgue de Dave Greenfield, est« remplacé par quelque chose de plus subtil et de plus raffiné »[65]. Hugh Cornwell dira en 2001 :« Je pense que nous avons réalisé surFeline que nous étions un groupe ordinaire et que nous étions sortis de notre phase expérimentale. Nous avions fait un tour complet et voulions revenir à l'écriture de chansons et à une bonne production »[66].
Les fans – surtout anglais – sont un peu perdus, tandis que l'Europe continentale (Allemagne,Belgique,Norvège,Pologne) commence à succomber. En l'absence d'un classement officiel des albums en France (letop 50 n'apparaîtra qu'en 1984 et ne concerne que les 45 tours au début), il faut se fier aux dires de JJ Burnel, pour qui c'est l'album des Stranglers qui a le mieux marché en France[67]. À l'automne 1983, le groupe embarque pour sa première vraie tournée française : quinze dates qui ont été précédées de trois concerts àLyon,Strasbourg etParis en février. C'est leur première réapparition sur le sol français depuis « l'incident » deNice et le cataclysme médiatique qui s'est ensuivi.
L'album suivant,Aural Sculpture, est de nouveau enregistré à Bruxelles mais, pour la première fois depuisBlack and White, les Stranglers font appel à un vrai producteur, Laurie Latham. L'intention des Stranglers est de produire un album orientésoul[68] et Laurie Latham vient de produire un disque de « pop soul » qui a été un énorme succès en Grande-Bretagne :No Parlez dePaul Young. Alors que les Stranglers n'ont fait appel, jusque-là, qu'à deux musiciens extérieurs au groupe, c'est lui qui introduit une section decuivres et des choristes noirs[69]. Le résultat est un croisement« entre la synth-pop et la soul tendanceStax »[70].
L'album sort en novembre 1984, les critiques sont partagées en Angleterre, mais le magazineBest le choisit comme album du mois et le résume ainsi :« Onze morceaux torrides et caustiques, souples et baraqués de nature, cocasses ou lyriques de tempérament. (...) Et une merveille torve de plus »[71]. Son premier singleSkin Deep rencontre un vrai succès en Angleterre[72] comme au niveau international[73], cependant l'album ne parvient pas à rentrer dans le top 10 national[74] mais, pour la première fois[23], il atteint le top 20 allemand et réussit également dans le reste de l'Europe[75].

Toutes les chansons étant créditées du nom du groupe, il a été difficile pendant longtemps de savoir qui faisait quoi. La sortie de leur biographie officielle, en 1997, a permis de découvrir que la majorité des chansons était issue de JJ Burnel et de Hugh Cornwell. Très proches au début du groupe, les deuxfront-men des Stranglers commencent à s'éloigner l'un de l'autre dans la deuxième moitié desannées 1980. Hugh Cornwell prend un manager pour s'occuper de sa carrière personnelle, notamment de celle d'acteur dans laquelle il veut se lancer[76]. De son côté, JJ Burnel passe de plus en plus de temps enFrance, notamment les deux mois d'été pendant lesquels tous les deux avaient l'habitude, jusque-là, de se réunir pour travailler les nouvelles chansons[77]. Mais c'est un incident survenu au cours de la tournée de 1985 enItalie, au cours duquel JJ s'en prend physiquement à Hugh, qui altère progressivement leurs relations[78].
À partir de 1984, les albums s'espacent de plus en plus : il s'écoule presque deux ans entreFeline etAural Sculpture et, de nouveau, deux ans entreAural Sculpture etDreamtime. De plus, quand les Stranglers rentrent en studio pour enregistrer leur9e album avec Laurie Latham, ils ne sont pas prêts. Les sessions doivent être reportées pour laisser le temps au groupe de retravailler les chansons et c'est un nouveau producteur, Mike Kemp, qui est crédité surDreamtime[79]. À l'époque, Hugh Cornwell déclare que c'est leur album le plus concerné par les problèmes sociaux :« On aurait pu l'appelerLes idéaux perdus ouLe viol de la Terre »[80].
L'album sort en octobre 1986 et le deuxième singleAlways the Sun sera leur plus gros succès en France, se classant15e des ventes[81], rencontrant aussi un certain succès international (il n'atteindra cependant que la30e place en Angleterre)[82]. Décidé à conquérir l'Amérique, le groupe s'embarque, en avril 1987, pour leur plus grosse tournéenord-américaine depuis 1983, maisDreamtime, seul disque du groupe à s'être jamais classé dans lescharts US, monte péniblement à la172e place, le 9 mai 1987[83].
Quatre ans s'écoulent de nouveau entreDreamtime et10. Entre-temps, le groupe sort un deuxième album live en 1988 et leur reprise deAll Day and All of the Night, desKinks, est un succès en Angleterre, atteignant le top 10[84]. JJ Burnel et Dave Greenfield montent un groupe de reprises, lesPurple Helmets, qui enregistre deux disques pour le label parisienNew Rose et tourne en France et en Angleterre. On les verra notamment auxrencontres Trans Musicales deRennes en décembre 1986. Et les deux auteurs-compositeurs des Stranglers publient chacun un album solo supplémentaire :Wolf pour Hugh Cornwell etUn jour parfait pour JJ Burnel. Mais Hugh est de plus en plus fatigué par l'agressivité et le besoin de controverse permanent de JJ[85]. Pour JJ, c'est exactement le contraire : c'est Hugh qui s'est trop embourgeoisé[86].

Durant l'hiver 1988/1989, le groupe enregistre les démos de10 avecOwen Morris, futur producteur d'Oasis, mais celles-ci ne satisfont pas le label. Epic les force à tout ré-enregistrer avec un producteur qu'il leur impose[87]. Hugh Cornwell explique à ce sujet que« Roy [Thomas Baker] nous a été « vendu » sur l'affirmation qu'il pouvait produire le son que les Américains voulaient. Nous sentions, en tant que groupe, que la prochaine étape devait être les États-Unis. Nous avions une réputation de groupe culte là-bas, que nous pouvions développer avec le bon disque »[87]. Le résultat n'est pas à la hauteur des espérances. Dave Greenfield juge l'album« sur-produit », Jet Black« assez sinistre », JJ Burnel« atrophié et ne menant nulle part »[88]. Quant à Hugh Cornwell, qui a quitté le groupe en disant qu'ils avaient produit avec10 leur meilleur album, il est un peu revenu sur son jugement dans le livre qu'il a écrit en 2001 :« Certaines des chansons étaient définitivement meilleures sur le premier enregistrement, particulièrement les chansons les plus sensibles »[87].
Cet album paraît au printemps 90 et même si son premier single (96 Tears, une reprise du groupe américainQuestion Mark and the Mysterians) rencontre le succès[89],10 ne reste finalement classé que quelques semaines dans les charts[90] ; et son second extrait,Sweet smell of success, est quant à lui un échec commercial.
Le groupe tourne en Angleterre et dans le reste de l'Europe une dernière fois, avec l'ex-VibratorsJohn Ellis comme second guitariste. Mais la tournée prévue auxÉtats-Unis est annulée. Le 12 août 1990, après un dernier concert à l'Alexandra Palace filmé et édité enDVD, Hugh Cornwell quitte le groupe. Il s'est exprimé à plusieurs reprises sur les raisons de son départ et son discours a évolué dans le temps :« Nous venions juste de sortir ce que je pense être un des meilleurs albums des Stranglers et le concert à l'Ally Pally était tellement bon que j'ai pensé : eh bien, si je dois m'en aller, je ferais mieux de le faire, maintenant que j'ai l'avantage » (1990)[91] ;« L'esprit du groupe n'était plus là. Nous revenions sur nos pas et l'attitude de la maison de disques envers le groupe n'était pas très bonne » (1993)[92] ;« Il m'est devenu évident que ce que je faisais n'était pas apprécié [par JJ et Dave] et c'est là que j'ai commencé à penser : si je ne suis pas apprécié, j'irai travailler ailleurs » (2001)[93] ;« Nous n'avions plus vraiment de relations. Les trois autres musiciens étaient mariés, ils avaient leur famille et on se retrouvait uniquement pour faire de la musique, ce qui me mettait mal à l'aise. C'était comme si j'allais au bureau » (2011)[94]. Depuis, Hugh Cornwell poursuit une carrière solo, enregistrant sept albums sous son nom. Une mauvaise nouvelle n'arrivant jamais seule, le groupe se fait congédier par son label[95].
Fin 1990 est publiée une compilation (Greatest Hits 1977-1990) ; celle-ci ne connaît au départ qu'un succès limité mais entre à nouveau dans les classements nationaux début 1991, peut-être aidée à ce moment-là par la réédition promotionnelle du titreAlways the Sun, dans une forme légèrement remixée, qui rencontre un certain succès[96]. Cette compilation reste alors classée en Angleterre quasiment durant toute l'année 91, y atteignant le top 5[97] et devenant l'une des meilleures ventes de la formation britannique (certifiéedisque de platine).

C'est tout naturellement que le groupe propose la place de guitariste àJohn Ellis, vieux compagnon de route de JJ Burnel qu'il a déjà accompagné sur sa tournée solo de 1979 et au sein du projet parallèle desPurple Helmets[98]. À la fin de l'année 1990, les Stranglers font une apparition à la télévision anglaise avec John Ellis à la guitare et JJ au chant, pour une version accompagnée par descuivres deSomething Better Change[99].
Mais le groupe est à la recherche d'un chanteur à temps plein, à la fois pour suppléer au départ de Hugh Cornwell et pour prendre la place de JJ Burnel, qui a perdu confiance en son chant[100]. Ils auditionnent plusieurs chanteurs connus, mais c'est un inconnu complet et fan de longue date qui obtient le poste.Paul Roberts est embauché en novembre 1990 et le nouveau groupe débute en concert le 22 février 1991[101].
Avec la nouvelle formation, ils enregistrent quatre albums, qui obtiennent notablement moins de succès que les dix précédents, et se replient sur la partie des fans qui leur est restée fidèle. Mais, pour beaucoup d'entre eux, Hugh Cornwell est et restera le guitariste et le chanteur emblématique des Stranglers[102]. De la même manière, une grande partie de la presse leur tourne le dos, considérant que sans Hugh Cornwell, les Stranglers ne valent plus rien[103].
Les Stranglers MK II sortent leur onzième albumIn the Night en septembre 1992, sur leur propre label Psycho. Les deux nouveaux membres, John Ellis et Paul Roberts, contribuent activement à l'écriture et à la composition des chansons, ce qui injecte un souffle nouveau au groupe[104]. Mais l'accueil n'est pas à la hauteur des albums précédents. Le magazineBest juge que« ne demeure que cette atroce impression de prolongation, de groupe qui joue la montre, qui fait du Stranglers en essayant de renouveler le genre »[105]. En Angleterre, il se classe seulement à la33e place[23] et le groupe se sent un peu découragé[106]. De plus, l'écart commence à se creuser entre anciens et nouveaux membres du groupe : la motivation des uns, qui ont tous plus d'une décennie de succès international derrière eux, n'est pas la même que celle des autres dont les groupes précédents n'ont jamais très bien fonctionné[107].
En 1993, sortN comme Never Again, l'album de la chanteuseDani auquel trois des Stranglers ont activement collaboré : JJ Burnel à la production et à la basse, Dave Greenfield aux claviers et John Ellis à la guitare. Mais le disque, qui devait signer le retour de Dani à la scène, passe un peu inaperçu[108]. Ce n'est pas la première fois que JJ Burnel retrouve ses racines françaises : il avait déjà participé en tant que bassiste à l'album deJacques Dutronc,CQFD…utronc, en 1987[109].
About Time, le deuxième album des Stranglers MK II et le douzième du groupe, est publié en avril 1995 sur unlabel indépendant. Produit par Alan Winstansley, l'ingénieur du son des premiers temps, il marque un retour vers un son plus brut[110] mais rencontre à peine plus de succès que le précédent avec une31e place auRoyaume-Uni[23]. Les critiques sont toutefois un peu meilleures, lemagazineQ notant :« les Stranglers sont revenus en forme après un long passage à vide depuis le départ de Hugh Cornwell.About Time ramène à la vie leur son de 77 »[111].
Written in Red, sorti en janvier 1997, est écrit principalement par Paul Roberts et John Ellis[112] et produit parAndy Gill, ex-Gang of Four, qui introduit de nouvelles techniques d'enregistrement pas toujours au goût du groupe[113]. Les critiques sont franchement mauvaises, le magazineQ jugeant cette fois que« MM. Burnel, Greenfield et Black, assistés par les vocaux pince-sans-rire de Paul Roberts et les guitares discrètes de John Ellis, se battent pour donner un sens à ce ramassis anonyme de chansons délivrées sans conviction »[114]. L'album se classe seulement à la52e place des charts britanniques[23].
JJ Burnel commence à se désintéresser des Stranglers. Il raconte ses difficultés à se mettre au travail pour l'écriture de cet album au magazineBest :« Un jour (...), j'ai pris ma moto et au lieu de me rendre à une répétition, je me suis retrouvé à Douvres et, comme j'avais mon passeport sur moi, j'ai filé jusqu'à Amsterdam, juste pour disparaître quelque temps. C'était une façon plutôt radicale de fuir les problèmes et surtout de ne pas me confronter à ce disque »[115]. Dave Greenfield se sent mis de côté :« John et Paul arrivent maintenant avec des chansons finies et veulent qu'elles soient enregistrées telles quelles. Autrefois, les chansons étaient des catalyseurs »[113]. John Ellis se défend en arguant :« J'ai l'impression que JJ et Dave ne sont pas aussi engagés qu'ils pourraient l'être et je l'entends personnellement sur les morceaux »[116].

Après la sortie de cet album, les Stranglers signent avec le label Eagle Records qui est alors dans le giron deBMG. Cela signifie pour le groupe une meilleure visibilité[117]. En juin de la même année, ils donnent un concert exceptionnel auRoyal Albert Hall de Londres, une salle habituellement consacrée à la musique classique. Ils sont accompagnés pour l'occasion par un orchestre à cordes entièrement féminin, les Electra Strings. Le concert est filmé et enregistré et sort, en CD et en DVD, sur le nouveau label.
L'album studio suivant,Coup de Grace, qui représente un apport créatif plus important de JJ Burnel, est publié en octobre 1998. Il est encore plus mal reçu que les trois précédents, en n'atteignant qu'une171e place dans le classement des ventes britanniques[23]. LeNew Musical Express lui octroie la note de 2 sur 10 et écrit :« Coup de Grace est un absolu, total non-sens du premier au dernier moment ; une molle sélection de chansons salies par des synthés dégoulinants et privées de l'esprit et du venin d'autrefois »[118].
En mars 2000, John Ellis quitte le groupe. JJ expliquera en 2005 que« John était certainement en train d'essayer de créer un nouveau groupe et j'ai autorisé ça pendant un certain temps. Même Dave ne voulait pas s'en mêler. Pour différentes raisons, il pensait que le processus d'enregistrement n'était pas de son ressort. J'en ai eu assez. John m'a trahi et j'ai perdu le plaisir »[119].
Durant toutes lesannées 1990, les presses anglaise et française se désintéressent globalement d'eux : les critiques sont au mieux mitigées quand on ne parle pas d'eux dans la rubrique « que sont-ils devenus ? »[120]. Les ventes des nouveaux albums sont en net recul, même si les nombreuses compilations et rééditions couvrant la période 1977-1990 se vendent bien.

Pour remplacer John Ellis, le groupe fait appel, en avril 2000, àBaz Warne, ex-guitariste de Smalltown Heroes, que les Stranglers connaissent car ce groupe a fait leur première partie dans lesannées 1990[121]. Plus jeune de douze ans que son prédécesseur, Baz apporte à l'ensemble un son plus contemporain et une nouvelle dynamique[122]. De plus, c'est un adepte de laFender Telecaster, la guitare qu'avait l'habitude d'utiliser Hugh Cornwell.
JJ et Baz se mettent rapidement à travailler ensemble sur ce qui deviendra l'albumNorfolk Coast. En 1999, JJ Burnel s'était déjà isolé pendant cinq mois sur cette côte duNorfolk pour commencer à écrire de nouvelles chansons. Il raconte que l'inspiration lui est revenue subitement quand un site archéologique préhistorique est découvert à proximité de la maison qu'il a louée. Il écrit alors le titreNorfolk Coast qui donnera son nom et son orientation musicale à l'album[123].
Celui-ci est enregistré entre 2002 et 2003 et produit par Mark Wallis. Il sort en février 2004 chezEMI, qui a été suffisamment impressionné par l'écoute du disque pour faire une offre au groupe[124]. C'est la première fois depuis 14 ans qu'un album des Stranglers profite d'une promotion et d'une distribution adéquates. La sortie d'un single (Big Thing Coming) accompagné d'une vidéo est même programmée[67]. Là encore, ça ne s'était pas produit depuis 1997 etIn Heaven She Walks.
Norfolk Coast signe le retour du son Stranglers : la basse est de nouveau mise très en avant et les claviers sont de retour.Bass Guitar Magazine souligne en particulier que le nouvel opus« rassemble des éléments de la plupart des albums enregistrés par les Stranglers depuis 30 ans »[125]. C'est un succès : en Angleterre,Big Thing Coming rentre dans le top 40 pour la première fois depuis leremix d'Always the Sun en 1991[23]. En France, l'album se classe dans les charts à une modeste142e place, mais c'est la première fois depuisDreamtime que le groupe y refait son entrée[126]. Et les critiques suivent.Rock & Folk lui décerne quatre étoiles (sur cinq) etGuitarist écrit :« Oui les Hommes en noir sont enfin de retour et avec un album impressionnant »[127].
Le groupe tourne intensément pour promouvoir l'album :Royaume-Uni,Allemagne,Pays-Bas,Belgique,Grèce,Australie,Nouvelle-Zélande,Canada et un long passage enFrance. Cela fait plus de vingt ans que le groupe n'a pas donné autant de concerts en une année[124]. Baz Warne et JJ Burnel se remettent aussitôt au travail pour le disque suivant et, moins de deux ans après la sortie du quinzième album, le groupe entre de nouveau en studio. Mais Paul Roberts décide de le quitter au milieu de l'enregistrement deSuite XVI : frustré artistiquement que ses chansons n'aient pas été retenues, il préfère désormais se consacrer à son groupe Soulsec[128]. Il avait déjà exprimé en 2003 ses difficultés à trouver sa place, d'une formule laconique :« Il serait plus facile de remplacer Mick Jagger que Hugh Cornwell »[129].
Dans l'urgence, l'album est terminé avec les voix de JJ (sur 5 titres) et de Baz (sur 6 titres). Il est publié en septembre 2006, toujours chez EMI.Rock & Folk lui octroie de nouveau quatre étoiles et l'édition française du magazineRolling Stone trois et demi, se justifiant ainsi :« Si ce seizième album n'est pas leur meilleur, il offre encore de beaux restes de pop agressive dont un hit, le burnéThe Spectre of Love et des ballades assez bizarroïdes et insolentes pour séduire (la valse contrariée deBless You) »[130]. L'album ne rentre, cependant, ni dans les charts britanniques ni dans les charts français[23],[131].

Plutôt que de ré-embaucher un chanteur, les Stranglers décident de revenir à la formule des débuts, le quatuor, ce qui implique que JJ Burnel recommence à chanter ses chansons et que Baz Warne prenne celles écrites par Hugh Cornwell et Paul Roberts.
Le long intervalle de six ans séparant le seizième du dix-septième album est mis à profit par le groupe pour tourner. Mais les problèmes de santé de Jet Black s'aggravent, le forçant à limiter ses apparitions, notamment à l'étranger. Il est alors généralement remplacé par son technicien Ian Barnard[132]. Ce n'est pas la première fois que le batteur historique du groupe ne peut plus monter sur scène (les premiers ennuis remontent à 1987 lors d'une tournée aux États-Unis où Robert Williams doit le remplacer[133]) mais jusqu'à présent, il est toujours revenu. En 2008, il fête son soixante-dixième anniversaire et JJ Burnel commence à évoquer la fin du groupe[134] :« Je ne sais pas si les gens accepteraient un autre batteur », répond-il quand on lui parle de remplacement définitif[135].
Le dix-septième opus,Giants sort en mars 2012, cette fois-ci sous le propre label des Stranglers, Coursegood. Il est enregistré dans les studios du groupe avec le producteur maison Louie Nicastro. JJ Burnel le décrit comme le plus éclectique enregistré à ce jour. Il répond également à une volonté de simplicité dans la production, de manière à pouvoir être joué tel quel sur scène[136]. La sortie deGiants confirme le retour en grâce des Stranglers aux yeux du public et des médias.Rock & Folk lui décerne quatre étoiles et conclut sa critique par :« Tout simplement un album géant qui dépote bien ses géraniums » tout en soulignant le côté non conventionnel du groupe :« À une époque où le copier-coller remplace bien souvent l'inspiration, il est plaisant de constater que certains groupes n'en font encore qu'à leur tête »[137]. Par rapport au précédent album classé dans les charts britannique et français (Norfolk Coast),Giants fait même un peu mieux en grimpant à la48e place en Angleterre[23] et à la82e place en France[138].
Pour promouvoir le disque, les Stranglers se lancent dans une longue tournée européenne au printemps 2012. Lors de la balance du concert d'Oxford, Jet Black est victime d'un malaise et doit être hospitalisé en urgence, relançant les spéculations sur l'avenir des Stranglers[139]. L'année 2012 voit également la sortie de l'albumAcoustic in Brugge, sur lequel le groupe revisite son répertoire de manière semi-acoustique, accompagné de Neil Sparkes (ex-Transglobal Underground) auxpercussions. Cela fait dix ans que les Stranglers alternent entre les deux formules, depuis l'albumLaid Black, enregistrement studiounplugged en 2002 jusqu'à la tournée de 2011 auxPays-Bas et enBelgique[140].
Preuve de la confiance renouvelée dans le groupe, on les voit à nouveau, depuis quelques années, sur les scènes des grands festivals d'été :Glastonbury Festival (pour la première fois de leur carrière) etT in the Park en 2010,Benicàssim en 2011,Rock am Ring etîle de Wight en 2012, où ils ont l'occasion de toucher un public plus jeune[141].
L'année 2013 s'ouvre avec la traditionnelle tournée anglaise de printemps sur laquelle la présence de Jet Black a fait l'objet d'un aménagement : la moitié du set est jouée par le batteur recruté dorénavant pour les tournées à l'étranger, Jim Macaulay, et l'autre moitié par un Jet Black remis de ses soucis de santé mais toujours fragile. En août, le groupe est invité à participer au principal festival de musique classique britannique, lesProms. Si l'on excepte la participation deJeff Beck à un concert deNigel Kennedy en 2008, c'est la première fois qu'un groupe de rock y est invité depuisSoft Machine en 1970. Ils jouent quatre morceaux de leur répertoire dont deux (Golden Brown etNo More Heroes) font l'objet d'une orchestration par la compositriceAnna Meredith et sont interprétés avec leLondon Sinfonietta[142].
L’année 2014 les voit fêter leur quarantième anniversaire à l’occasion d’une tournée britannique baptiséeRuby Tour. Le spectacle qui dure deux heures, reprend des titres de chacun de leurs 17 albums studio, y compris des titres rares (Coup de Grace de l’album éponyme,Still Life tiré d’About Time ouWas it you ? deDreamtime). Jet Black est toujours présent mais il ne joue plus que deux ou trois titres et encore, pas tous les soirs. Cet anniversaire est également l’occasion de diverses rééditions : le labelParlophone, émanation de Warner Records qui a racheté à EMI les droits de la plupart des albums des Stranglers l’année précédente, sort un coffret de 11 CD intituléGiants and Gems. Le label Eagle re-édite en coffret trois albums de la période MKII et les Stranglers eux-mêmes, à travers leur label Coursegood, sortent une compilation de faces B de la période Epic intituléeHere & There[143].
Interrogé sur les chances de survie du groupe en cas de retraite de Jet Black, JJ Burnel répond à l’époque :« Je ne sais pas ce qui se passerait si Jet ne faisait plus partie de l’aventure. Sur le plan émotionnel, il représente toujours 25% du groupe et sur le plan du jeu, sa touche légère et jazzy est difficile à imiter. Il a apporté une culture différente au groupe que plus personne n’a[144]. » Dans la même interview, Jet Black pousse le groupe à continuer :« Quand je serai mort, si le groupe peut continuer et évoluer, ça sera une bonne chose. Je serais très heureux dans ma tombe de savoir que ça se passe ainsi. Mais quand je m’arrêterai, ça sera très dur pour moi parce que ça voudra dire que je ne pourrai plus faire ce que j’aime le mieux. »
La tournée anglaise du printemps 2015 est la dernière occasion de voir sur scène le batteur historique des Stranglers[145], mais seulement les soirs où la scène est suffisamment grande pour accueillir deux kits. Jim Macaulay joue l’essentiel du concert et Jet Black, deux ou trois morceaux au tempo plus lent ou moins énergique. Finalement, après la retraite du batteur-fondateur, Macaulay reprend définitivement la suite. En 2017, il apparaît même pour la première fois sur les affiches du groupe (tournéeClassic Collection).
Bien qu’il soit bien accepté par la plupart des fans, celui-ci fait très attention à ne pas donner l’impression qu’il a pris la place de son emblématique prédécesseur ; dans une de ses premières interviews, il déclare ainsi :« En fin de compte, Jet a toujours une forte présence dans les Stranglers et je ne voudrais pas empiéter là dessus. »[146] Jet, quant à lui, garde un œil sur son jeune successeur[146] et JJ Burnel annonce, dès 2015, qu’il le consultera sur la production future du groupe[147].
En préambule à la sortie du 18ème album, le groupe commence à jouer un nouveau titre intituléWater sur la tournée britannique 2018. Trois autres apparaîtront ponctuellement par la suite :This Song Will Get me Over you,Payday etThe Last Men on the Moon[148]. L’enregistrement des cinq premiers titres se fait au cours du mois d’avril 2019, dans un studio loué à Oxford mais l’agenda chargé du groupe laisse peu de place à la continuation de l’enregistrement[149]. Celui-ci reprend au début de l’année 2020, dans le studio du manager du groupe, mais est interrompu par l’épidémie deCOVID 19 puis par la mort de Dave Greenfield en mai. Le groupe décide malgré tout de terminer l’album sans lui, en travaillant à distance et en ajoutant deux titres hommages au claviériste disparu[150].
C’est l’un de ces deux titres,And if you Should See Dave, qui sort en préambule à l’album, le 14 mai 2021. L’albumDark Matters est publié, quant à lui, le 10 septembre 2021. Il est produit par l'ingénieur du son des Stranglers, Louie Nicastro, et Dave Greenfield est présent sur huit des onze morceaux que contient le disque[148].
Un débat est toujours en cours pour savoir si les Stranglers ont appartenu au premiermouvement punk, celui qui a frappé l'Angleterre entre 1976 et 1977. À l'époque, la plupart des critiques musicaux les avaient accusés d'avoir pris le train en marche, profitant de l'effervescence qu'il y avait autour de la scène punk pour signer leur premier contrat avec une maison de disques[151]. La majorité de ces journalistes contemporains du punk, qui avaient défendu le mouvement au moment où il est apparu et qui ont écrit des livres sur le sujet par la suite, n'ont pas modifié leur opinion (voir par exempleJon Savage[152] ou Julie Burchill et Tony Parsons). Mais la génération suivante de critiques musicaux (John Robb, Alex Ogg[153]) qui ont vécu le punk en tant que spectateurs, a généralement un point de vue diamétralement opposé.
Les membres du groupe eux-mêmes reflètent des opinions contrastées. Hugh Cornwell voit le groupe comme étant à la marge :« Je ne nous vois pas comme des punks. Nous étions plus commeThe Police etThe Jam. Nous avions le côté énergique du punk, mais c'était trop malin, trop accompli pour être seulement ça. Nous étions à la marge du punk et c'est pourquoi nous avons pu survivre »[154]. Tandis que JJ Burnel considère le groupe comme faisant partie du mouvement punk :« Je me voyais comme faisant partie de ça à ce moment-là, car nous fréquentions la même flore et la même faune. (...) J'aimerais penser que nous étions au minimum punks et même davantage »[155]. Quant à Dave Greenfield, il venait de l'univers du rock progressif, c'est-à-dire exactement de ce que les punks abhorraient.
S'il est vrai que le son des Stranglers était différent de celui des autres groupes de l'époque (ils savaient jouer, ils avaient un orgue, ils s'aventuraient déjà en dehors du format des 3 minutes « couplet-refrain-couplet »), ils jouaient dans les mêmes clubs londoniens et partageaient souvent les mêmes scènes[156]. Leur biographe, David Buckley, a écrit qu'ils étaient« le lien entre le pub rock et le punk rock »[157]. Laissons le dernier mot àCaptain Sensible desDamned :« Nous et les Stranglers, on était toujours mis à l'écart du groupe des punks à la mode. Je les admirais parce qu'ils n'en avaient rien à foutre. Il faut être honnête avec soi-même. Il y avait très peu de camaraderie entre groupes punks »[158].
C'est un journaliste du magazineSounds, Chas de Whalley, un de leurs premiers supporters, qui les a surnommés les Punk Floyd pour exprimer la dualité des Stranglers de l'époque qui avaient à la fois l'énergie et la rage des groupes de la « nouvelle vague » et la complexité et l'ambition des groupes derock progressif[159].
Une des caractéristiques musicales des Stranglers est d'avoir quatre instruments qui jouent« en lead »[160]. Parmi ces quatre instruments, on a beaucoup parlé du son debasse à la fois très mélodique et très agressif de JJ Burnel (par exemple surPeaches), son qui a établi le standard pour toute une génération de bassistes après lui[161]. Mais ce sont le plus souvent lesclaviers de Dave Greenfield qui jouent la mélodie principale. Si celui-ci a souvent été comparé àRay Manzarek, il s'en est beaucoup distingué, notamment après sa conversion auxsynthés, par une recherche permanente sur le son de ses claviers (deNice 'n' Sleazy àUnbroken).
Jet Black, qui n'a pas oublié qu'il avait été unbatteur dejazz, a un style dépouillé qui peut parfois devenir rythmiquement compliqué (par exemple surGenetix)[50]. Il s'est mis, au fil des ans, à avoir une touche plus légère qu'un batteur de rock et joue parfois avec des balais[162]. Quant auguitariste des débuts, Hugh Cornwell, son jeu sensible et original fait d'interventions ponctuelles qui viennent en contrepoint de la basse ou des claviers (le titreLa Folie) plus que de vraissoli au sens où le rock l'entend habituellement, doit beaucoup àRobby Krieger[163]. John Ellis et Baz Warne sont des guitaristes plus conventionnels.
La structure des morceaux s'éloigne souvent du traditionnel couplet-refrain-couplet avec l'introduction de longs passages instrumentaux en intro (le titreThe Raven) ou en coda (Four Horsemen)[164]. Le groupe écrit également beaucoup d'instrumentaux (Another Camdem Afternoon), une tradition qui doit plus au rock progressif qu'au punk. Les Stranglers Mark I avaient l'habitude de terminer leurs albums par des morceaux qualifiés d'« épiques », une habitude empruntée auxDoors[165]. L'exemple le plus parlant est représenté parDown in the Sewer à la fin deRattus Norvegicus, un morceau qui fait près de huit minutes (une provocation en plein mouvement punk) et qui est découpé en quatre mouvements aux thèmes différents, comme une mini-symphonie.
Une autre de leurs particularités musicales est d'avoir utilisé lecontrepoint dans la construction de leurs titres particulièrement sur les albumsLa Folie etThe Raven[166]. Les Stranglers se sont également amusés avec les structures rythmiques. La faussevalse que constitueGolden Brown en est un excellent exemple : au début, la chanson alterne entre troismesures en 3/4 et une mesure en 4/4, contrairement à la valse classique qui est en 3/4[167].
Enfin, le groupe s'aventure fréquemment dans d'autres styles musicaux que le rock : lereggae (Peaches), leblues (Princess of the Streets), lerhythm and blues (Old Codger), laballade (Don't Bring Harry), lavalse (Waltzinblack), lejazz manouche (Cruel Garden), lasoul (Laughing) ou lamusique country (I Hate You).
Les Stranglers se font un point d'honneur de changer de style à chaque album. JJ Burnel expliquait ainsi au moment de la sortie de l'albumAural Sculpture :« Nous prenons toujours le contre-pied de ce que l'on attend de nous. C'est notre politique. Commercialement, nous faisons toujours tout de travers mais c'est bon pour notre intégrité. (...) Je trouve que c'est vraiment malsain que certains groupes aient à jamais leur propre son. Quand tu entendsAural Sculpture pour la première fois, tu reconnais les Stranglers mais ce n'est pas le même son queFeline ouLa Folie »[168].
Toutes les chansons sont toujours créditées du nom du groupe, quel que soit l'apport de chaque musicien. En ce qui concerne les Stranglers Mark I et Mark IV, les paroles sont écrites par JJ Burnel, Baz Warne ou Hugh Cornwell et la musique initiée par l'un des trois et souvent retravaillée avec l'autre partenaire d'écriture. Puis« une fois que l'on a le squelette du morceau, on l'apporte à Jet et Dave qui mettent « la viande » dessus »[169]. Ce choix revendiqué dès le départ est, selon JJ Burnel, une des explications de la longévité du groupe[170].
Les Stranglers Mark I ont utilisé deux chanteurs principaux (Hugh Cornwell et JJ Burnel) et un accessoire (Dave Greenfield). Le choix d'avoir deux voix différentes remonte aux débuts du groupe quand Hugh Cornwell, à la recherche d'un bassiste qui soit aussi chanteur, avait en tête l'exemple desBeatles[46]. Généralement, chacun des deux auteurs (JJ et Hugh) chantait ses textes, Dave Greenfield étant utilisé en appoint, sur des titres sur lesquels les deux autres instrumentistes avaient du mal à assurer en même temps chant et jeu[171]. Mais il est arrivé que les deux auteurs des débuts s'échangent leurs textes pour des raisons pratiques ou parce que la voix de l'un convenait mieux à la chanson[172]. Après le départ de Hugh, les Stranglers Mark II et III utilisent les services de Paul Roberts, chanteur à plein temps, qui chante alors ses textes ainsi que ceux écrits par JJ Burnel, Hugh Cornwell et John Ellis. Le retour à la forme quatuor voit Baz Warne reprendre les chansons et les parties de guitare de Hugh Cornwell, en plus de chanter ses propres textes. JJ Burnel et Dave Greenfield se remettent donc à chanter les titres qui leur étaient dévolus du temps du groupe originel.
Les Stranglers sont avant tout des observateurs, de la vie quotidienne (voir par exempleEverybody Loves You When You're Dead) comme de leur propre vie (Grip). Hugh Cornwell se décrit d'ailleurs dans son livre comme un« observateur des gens »[173], tandis que JJ Burnel qualifie leurs chansons de« journalistiques »[174]. Même leurs chansons plus politiques (Too Precious) témoignent d'un état de fait plus qu'elles ne sont desprotest songs. Cette situation a un peu changé à partir desannées 1990, sous l'influence de John Ellis et Paul Roberts, et à partir desannées 2000, de JJ Burnel lui-même (Giants)[175]. Cette absence de parti pris politique leur a été souvent reprochée, notamment à leurs débuts[176], quand des groupes comme lesSex Pistols faisaient scandale avecAnarchy in the U.K. ou que lesClash appelaient à uneWhite Riot.
Une partie des textes, essentiellement sur les premiers albums du groupe, est aussi traitée de façon métaphorique, avec par exempleDown in the Sewer, qui traite de la vie du groupe au moment de leurs premiers concerts londoniens et compareLondres à un égout[177].
Parmi leurs thèmes récurrents, on en trouve qui sont communs à beaucoup d'autres groupes contemporains ou plus anciens[178] : les Stranglers ont décrit, à plusieurs reprises, la vie d'un groupe de rock dans toutes ses dimensions (fans, autres groupes, vie en tournée). Le thème rebattu - chez les groupes desannées 1960-1970 - de la drogue, est abordée sur une demi-douzaine de chansons (Don't Bring Harry), tandis que la vision angoissée du futur, dans le contexte de la guerre froide ou en lien avec les avancées de la science, a donné lieu à plusieurs titres (Curfew). On retrouve également chez eux des préoccupations écologiques (Dreamtime) ou sociales. La guerre, notamment les deux guerres mondiales (Northwinds), mais aussi les guerres contemporaines (I Don't Agree), sont à l'origine de divers textes. Mais le thème qui les a le plus inspirés, c'est de loin les femmes (The Man They Love to Hate).
D'autres thèmes sont plus originaux ou sont traités de manière non conventionnelle. Ainsi, beaucoup de leurs chansons ont trait à l'occulte, notamment aux écrits deNostradamus (Goodbye Toulouse). LesMen in black ont fait l'objet d'un album entier (The Gospel According to the Meninblack) et de quelques chansons à part (Big Thing Coming). La religion fournit soit le thème principal de la chanson (Second Coming), soit un thème accessoire. Il y a également beaucoup de références bibliques un peu partout dans l'œuvre des Stranglers. La vie dans l'ex-Union soviétique a été le sujet d'une « saga » assez obscure, puisqu'elle figure essentiellement sur desfaces-B de 45 tours : les chroniques de Vladimir qui comprennent six épisodes (le premier a été enregistré en 1982, le dernier en 1992). Et quand ils consacrent un album à l'amour (La Folie), c'est pour en évoquer toutes les facettes et en souligner les difficultés (il n'y a aucune chanson d'amour à proprement parler sur cet album).

À la fin de l'année 1977, les Stranglers adoptent leur image définitive, celle qui consiste à s'habiller tout en noir et qui leur vaudra le surnom deMenInBlack. C'est à la fois un moyen de se détacher du reste du mouvement punk[32] et de cesser de se faire attaquer par la presse sur leur look[179]. Leurs fans suivent rapidement ce code vestimentaire et se donnent des surnoms sur le mode : (prénom)inblack.
Les Stranglers ont développé une relation particulière avec leurs fans : desFinchley Boys qui se battaient pour eux aux auteurs du webzineThe Burning up Times qui décortiquent leurs œuvres depuis 2005, la relation a toujours été très proche tout en restant critique[180]. Dans une interview de 2011, JJ Burnel décrit les fans des Stranglers comme étant des libre-penseurs et ajoute que« parfois, ils en ont ras le bol de nous et ils nous le disent clairement, ce qui est sain »[181]. À l'inverse, les Stranglers n'ont jamais cherché à aller dans la direction qu'on attendait d'eux. JJ Burnel expliquait ainsi en 1985 à propos de l'introduction decuivres sur la tournée anglaise :« On tenait aux cuivres, ne serait-ce que parce qu'on savait que ça ennuierait beaucoup de puristes des Stranglers. Pas question de les caresser dans le sens du poil, par honnêteté envers nous-mêmes et donc par rapport à eux »[182].
Dès 1977, les Stranglers établissent un « service d'information » (ils récusent le terme de fan-club) : le Stranglers Information Service ou SIS, qui existera jusqu'en 1997[183] et engendrera le SFS (Stranglers France Service)[184]. Le SIS éditeStrangled, unfanzine puis un magazine consacré au groupe, qui est issu de la transformation du fanzine punkSideburns fondé en 1976[185]. Le magazine, auquel les membres du groupe contribuent activement à travers la rédaction d'articles ou l'interview d'autres artistes, cessera de paraître en 1995. Depuis 2010, les Stranglers animent un blogue où ils donnent un éclairage de l'intérieur sur la vie du groupe et, dans la tradition deStrangled, s'intéressent aussi à d'autres sujets[186].
Entre 1976 et 1990, les Stranglers ont soulevé un certain nombre de polémiques dont certaines ne sont toujours pas éteintes : la première des accusations a été d'avoir fait preuve d'opportunisme au moment de l'apparition dumouvement punk[151], accusation qui, des années après, est devenue un peu obsolète. De même que le reproche de ne pas s'être engagé politiquement, contrairement à un groupe commeThe Clash[176].
L'agitation qui régnait dans leurs concerts et qui faisait parfois fuir le public, a fini par se calmer dans lesannées 1990. Ils en avaient été bien souvent les otages consentants, en réagissant aux provocations et à la violence du public et en provoquant en retour plus de violence et de provocations[187]. Mais parfois aussi, comme dans l'affaire deNice en 1980, les Stranglers se sont retrouvés embarqués dans des histoires qui les ont dépassés : à la suite de l'annulation d'un concert àCannes, ils avaient dû se rabattre sur l'université de Nice et avaient découvert sur place que les conditions matérielles ne leur permettaient pas de jouer. Le cocktail de propos énervés du groupe et d'un public frustré avait mis le feu aux poudres[188].
Leur très mauvaise relation avec la presse rock anglaise desannées 1970-1980 est plus ambiguë qu'il n'y paraît, les Stranglers s'étant servis de leur mauvaise réputation comme d'une forme de publicité[189]. Cela fait d'ailleurs dire à leur biographe que« leur talent pour manipuler les médias faisait paraître [le manager des Sex Pistols]Malcolm McLaren relativement convenable »[190]. Cette publicité a fini par se retourner contre eux, ce que les deux ex-porte-parole du groupe ont reconnu par la suite. Hugh Cornwell explique :« Ça en était arrivé à un stade où les journalistes étaient plus intéressés pour parler de tel ou tel incident, et j'avais envie de leur dire : si on causait musique ? »[191]. JJ Burnel constate :« Finalement, je pense que tous les scandales ont affecté notre succès. Nous serions devenus énormes si nous avions étouffé tout ça ou si nous ne l'avions pas fait. Mais alors, nous n'aurions pas été le groupe que nous étions et sommes encore »[192].
Finalement, la dernière polémique qui subsiste encore aujourd'hui concerne leur traitement des femmes[193]. Le groupe a été précédé, pendant toute sa carrière, d'une réputation d'affreux misogynes, notamment à cause de certains titres des deux premiers albums (Peaches,London Lady,Sometimes) ou de l'habitude qu'ils avaient, au tournant des années 1980, de faire monter des strip-teaseuses sur scène[194]. Le groupe s'en est défendu, plus ou moins mollement au début, avant de mettre les choses au point à partir desannées 1990 parce qu'on leur posait encore la question. Ils ont rappelé la part d'humour qu'il y avait dans leur démarche[195] et leur statut d'observateurs de la vie quotidienne[196].
On ne peut pas aborder ces controverses sans rappeler que les Stranglers avaient délibérément choisi la provocation pour faire passer leurs messages, dans la droite ligne de l'idéologie punk. JJ Burnel appelle cela« la vérité à travers la provocation »[197]. D'autre part, ils ont fait usage d'un sens de l'humour particulier – parfois noir et sarcastique, parfois absurde et burlesque – dans les paroles de leurs chansons, leurs interviews et leurs concerts. Beaucoup de gens, journalistes ou spectateurs, ont été déroutés par cela, ne sachant trop quoi penser de ce qu'ils voyaient et entendaient[198].
Les concerts étaient, en particulier du temps des Stranglers Mark I, un moment où cet humour provocateur était particulièrement mis en valeur. Les premières parties étaient souvent inattendues au regard des autres concerts de rock[199], Hugh Cornwell lançait des vannes au public entre deux chansons[200] et le groupe faisait des blagues sur scène[201]. Avec le temps et l'apport de nouveaux membres, le déroulement des concerts est devenu plus classique.
Groupe éclectique et inclassable, les Stranglers ont logiquement influencé une multitude de groupes ou d'artistes dans des genres aussi variés que lepost-punk et lanew wave (The Cure[202],U2[203],Joy Division/New Order[204]), lerock gothique (Southern Death Cult/The Cult[205]), labritpop (Oasis[206],Elastica[207],Supergrass[208]), le mouvementmadchester (Inspiral Carpets[209]), le post punk revival (Kaiser Chiefs[210],Maxïmo Park[211],Libertines[212]) et même leheavy metal (Therapy?[213]) ou lamusique électronique (The Prodigy[214]).Golden Brown est également souvent repris par des artistes dejazz. En France, des groupes commeMarquis de Sade[215],Baroque Bordello[216] ouLittle Nemo[217] se sont réclamés de leur influence dans les années 1980, et la nouvelle génération n'est pas en reste (la trilogieAS Dragon/The Film/Oh la la[218],Zenzile[219]). A noter également que le nom du groupe new wave anglaisA Flock of Seagulls est issu des paroles du titreA Toiler on the Sea[220].
Leurs compositions ont été plusieurs fois réutilisées ou reprises : en 1999, par les groupesTherapy? (Nice 'n' Sleazy) etViolent Femmes (No More Heroes pour la bande originale du filmMystery Men) ; en 2001, par la chanteuseTori Amos (Strange Little Girl) ; en 2004, par le groupeTarmac sur son album live (Cruel Garden) ; en 2009, parNouvelle Vague,Prong etSimple Minds (les trois pour une version de(Get A) Grip (On Yourself)). Plusieurs titres se retrouvent sur des bandes originales : en 2000, dans les films britanniquesSnatch : Tu braques ou tu raques (Golden Brown) etSexy Beast (Peaches) ; en 2008, dans la saison 2 de la série téléviséeClara Sheller (Golden Brown) ; en 2009, une version chantée par les acteurs deNo More Heroes a été incluse dans la pièceUn cabaret Hamlet mise en scène parMatthias Langhoff d'aprèsShakespeare. En 2007, le jeu pour console WiiNo More Heroes tire également son nom de l'album des Stranglers.

La discographie des Stranglers comprend 18 albums studio, 15 albums live, de nombreuses compilations, 44 singles et EP (dont 8 sont des inédits ou figurent seulement sur des compilations) et 10 vidéos.
« Elvis Costello was an influence as well. I've never really talked about this in any interview, actually. But he had quite a big influence on me during the early days of the Cure. So did the Stranglers. They both had really good songs, and I suppose that's what appealed to me. I mean, I really liked the Sex Pistols. They were brilliant at parties. And the Clash were awesome live. But the Stranglers were my favorite punk band, even though you knew they were old and just pretending a lot of the time. But then, so were a lot of other people. They just did it better. »
« J.J. Burnel of the Stranglers, he was definitely a big influence. My whole bass line on "A Forest" [1980'sSeventeen Seconds] was meant to sound like Stranglers bass playing (...) Before bands like the Stranglers came around, there wasn't much music with such an in-your-face sound and attitude. For me, he rewrote the way bass players sould be. He's fantastic. »
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