Thérèse d'Avila Sainte catholique,Docteure de l'Église
Sainte Thérèse d'Avila parRubens (v. 1615). La religieuse est représentée avec son habit de carmélite (scapulaire marron recouvert d'une cape blanche,guimpe autour du visage,voile noir) etattributs (livre et plume).
La réforme qu'elle décide dans l'Ordre du Carmel espagnol entraîne, quelques années après sa mort, la création d'une branche autonome au niveau de l'ordre : l'Ordre des Carmes déchaux. Cette nouvelle branchemonastique s'étendra rapidement dans toute l'Europe puis le monde : le nombre des carmes réformés dépassera rapidement, et dépasse toujours, celui descarmes de l'Antique observance, appelés "Grands carmes".
Elle est l'autrice de nombreux ouvrages tant biographiques que didactiques ou poétiques, régulièrement réédités dans le monde entier. Elle est encore aujourd'hui le sujet de nombreuses publications.
Après sa mort, son corpsincorrompu est exhumé plusieurs fois. Très vite, sa dépouille se trouve être unerelique disputée entre les couvents d'Ávila, son lieu de naissance, et d'Alba de Tormes, son lieu de décès. Elle repose désormais dans un tombeau de marbre placé dans l'église du couvent d'Alba de Tormes en 1760. Plusieursreliques ont été extraites de sa dépouille et sont présentes dans différentes églises d'Espagne.
Teresa Sánchez de Cepeda Dávila y Ahumada est née le àÁvila (Vieille-Castille)[1]. Son père est Alonso Sánchez de Cepeda (1471-1544). D'un premier mariage avec Catalina del Peso y Henao (issue de la petitenoblesse castillane), il a deux fils et une fille : Juan, Pedro et María[2]. Devenu veuf, il se remarie avec Beatriz Dávila y Ahumada (1495-1528) apparentée à sa première épouse. Beatriz lui donne huit fils et deux filles : Hernando, Rodrigo, Teresa, Juan (de Ahumada), Lorenzo, Pedro, Jerónimo, Antonio, Agustín et Juana ; la famille compte ainsi treize enfants au total. Teresa estbaptisée dans l’église Saint-Jean le[N 1].
L'idéal pieux et l'exemple édifiant de la vie dessaints etmartyrs sont transmis à Thérèse dès son enfance par ses parents, le chevalier Alonso Sánchez de Cepeda et Beatriz Dávila y Ahumada. Selon la description faite dans ses écrits destinés à sonconfesseur (recueillis dans l'un de ses écrits autobiographiques, laVida de Santa Teresa de Jesús[T 1]), Thérèse montre dès sa tendre enfance une nature passionnée et une imagination fertile. Son père, amateur de lecture, possédait quelquesromans, dont l'étude suscite l'éveil de la sensibilité de la petite fille de six ans[T 2].
Précocement instruite des histoires édifiantes de la vie des saints, elle souhaite vivre lemartyre en allant avec son frère Rodrigue dans les « terres des infidèles » enAfrique du Nordmusulmane[N 2].Échouant dans leur projet qui débutait par une fugue[N 3], le frère et la sœur décident de se faireermites.Thérèse écrit :« Je faisais l'aumône comme je pouvais, et je pouvais peu. J'essayais la solitude pour prier mes dévotions, qui étaient nombreuses, et particulièrement lerosaire… J'aimais beaucoup faire comme si nous étions desnonnes dans desmonastères, quand je jouais avec d'autres petites filles, et je pense que je souhaitais l'être[T 3]. »
En 1527, à l'âge de douze ans, Thérèse perd sa mère. La jeune Thérèse demande alors à laVierge Marie de lui servir de mère[6].
Adolescente passionnée de romans dechevalerie (elle en écrit en 1529), elle oublie sa dévotion religieuse et ses jeux d'enfance. Elle déclare :« J'ai commencé à porter de beaux habits, et à vouloir paraître élégante, je soignais mes mains, ma coiffure et mes parfums, et toutes les vanités de cet âge, car j'étais très curieuse… J'avais quelques cousins germains… Ils étaient à peu près de mon âge, un peu plus vieux que moi ; nous étions toujours ensemble, ils m'aimaient beaucoup et chaque fois que quelque chose les rendait heureux, nous discutions et j'écoutais leurs joies et leurs enfantillages… Tout le mal me vint d'une parente (une cousine semble-t-il) qui venait souvent chez nous. Je me trouvais fréquemment en sa compagnie pour bavarder, car elle m'aidait dans toutes les idées de passe-temps qui me venaient à l'esprit, et m'en proposait même d'autres ; elle me faisait également part de ses fréquentations et de ses futilités. Il me semble que ce fut lorsque je me mis à la fréquenter, à l'âge de quatorze ans, que le péché mortel m'éloigna deDieu[T 2]. »
Pendant trois mois, et avec la complicité des domestiques, elle succombe aux passe-temps des agréables compagnies, faisant ainsi courir un danger à elle-même et à l'honneur de son père et de ses frères. Elle prend également goût pour les parures avec le désir de plaire. Cependant elle-même déclare qu'elle« détestai[t] les choses malhonnêtes ».Son père décide alors d'envoyer Thérèse aucouvent de Santa María de Gracia àÁvila en 1531[T 2]. Thérèse supporte difficilement son manque de liberté. Elle ne veut pas devenir religieuse, et ses adorateurs lui envoient des billets, mais comme, selon ses propres mots,« il n'y avait pas place pour tout cela, la chose cessa promptement ». Thérèse y reste jusqu'à l'automne 1532, sans se décider à embrasser la vie religieuse[T 4].
Statue de sainte Thérèse dans la chapelle de la cathédrale Caxias do Sul (Brésil).
Elle tombe gravement malade, et doit rentrer chez son père. Après sa convalescence, il la confie à sa sœur Marie de Cepeda qui vit à Castellanos de la Cañada avec son mari, don Martín de Guzmán y Barrientos. Luttant contre elle-même, elle parvient à dire à son père qu'elle souhaite entrer dans les ordres, tout en sachant qu'elle ne reviendra pas sur sa décision. Son père lui répond qu'il ne l'acceptera jamais de son vivant[T 4].
Cemonastère était noncloîtré, permettant aux religieuses de sortir et de recevoir des visites.
Elle y prononce sesvœux le (selon Ribera, elle prend l'habit le et prononce ses vœux le)[7]. Thérèse passera vingt-sept ans dans cette communauté très nombreuse[N 4], de style encoremédiéval. Ces premières années auCarmel se passent sans événements notables. Mais elle est très critique vis-à-vis des pratiques religieuses de l'ordre, qu'elle réformera quelques années plus tard.
Après être entrée au couvent, sa santé se détériore. Elle souffre très probablement de crises d'épilepsie, d'évanouissements, d'unecardiomyopathie non définie et d'autres troubles ; ainsi se passe la première année. Pour la guérir, son père l'emmène en 1535 à(es)Zapardiel de la Cañada avec sa sœur[T 5]. Thérèse reste dans ce village jusqu'auprintemps 1536 (elle réussit même durant son séjour à convertir un prêtre qui y vivait enconcubinage)[T 6], puis elle part àBecedas. De retour àÁvila (ledimanche des Rameaux de l'année 1537), elle subit en juillet une rechute de quatre jours chez son père. Elle reste paralysée pendant plus de deux ans. Aussi bien avant qu'après sa rechute, elle connut de grandes souffrances physiques[T 7].
Vers le milieu de l'année 1539, Thérèse recouvre la santé, selon elle, grâce àsaint Joseph[T 7]. Avec la santé reviennent les goûts mondains, faciles à satisfaire[N 5] : Thérèse vit à nouveau au couvent et reçoit de fréquentes visites[T 8].
Si cette période est tellement difficile, Thérèse reçoit un soutien très important pour sa formation spirituelle. Avant d'arriver à Zapardiel de la Cañada, elle passe à Ortigoza, chez l'oncle Pedro de Cepeda. Homme de foi et de sciences, il octroie, à sa nièce qui ne sait pas encore comment faire oraison, un livre du traité du recueillement,Le troisième Abécédaire du frère franciscainFrancisco de Osuna. Pour la première fois, Thérèse apprend tant trois niveaux et façons d'oraison que l'étude consultant les livres. Elle développera plus tard, dansLeLivre de la vie, ses quatre niveaux d'oraison. Et dans cette autobiographe, elle exprime que, par les écritures, elle étudie intensivement les vertus de saintFrançois d'Assise (pour la preuve par ses stigmates), de saintAntoine de Padoue (l'amour pour l'Enfant-Jésus) ainsi que de saintBernard de Clairvaux et de sainteCatherine de Sienne (pour la sainte humanité)[T 9]. C'est initié dans la bibliothèque de son oncle[T 5].
Selon elle, son esprit s'alanguit, au point de lui faire abandonner la prière (1541)[T 8]. Un jour, par hasard, elle voit dans unoratoire une image deJésus-Christ souffrant qui provoque en elle une profonde émotion. Elle dira :« C’était une représentation si vive de ce que Notre-Seigneur endura pour nous, qu’en voyant le divin Maître dans cet état, je me sentis profondément bouleversée. Au souvenir de l’ingratitude dont j’avais payé tant d’amour, je fus saisie d’une si grande douleur qu’il me semblait sentir mon cœur se fendre. »[T 10]. Elle décide alors de reprendre l'oraison. La lecture desConfessions de saint Augustin l'encourage dans sa conversion[T 10].
Ressentant des grâces spirituelles dans sonoraison, Thérèse se confie à son confesseur pour savoir si elles viennent de Dieu ou dudémon. Celui-ci, après l'avoir écoutée, lui indique que c'est ledémon qui lui crée des illusions ; cette nouvelle cause beaucoup de tourments à Thérèse. Après plusieurs années où il lui tient ce même discours, l'ecclésiastique conseille finalement à Thérèse d'aller consulter des prêtres de la toute récenteCompagnie de Jésus[T 11].
C'est à ce moment, en 1555, que lesjésuitesJuan de Padranos etBalthazar Álvarez fondent un collège àÁvila. Padranos devient leconfesseur de Thérèse. L'année suivante (1556), Thérèse commence à ressentir des faveurs spirituelles intenses[T 12], et peu après en 1557, elle se voit encouragée par saintFrançois Borgia[8] qui lui confirme que les faveurs spirituelles dont elle jouit viennent bien deDieu et non dudémon. Elle raconte avoir eu sa premièrevision ainsi qu'une vue de l'enfer en 1557[T 13] ; en 1559, elle prend pour confesseur Baltasar Alvarez, qui dirige sa conscience pendant six ans, et reçoit, dit-elle, de grandes faveurs célestes, parmi lesquelles la vision deJésus ressuscité, des expériences de ravissement spirituel intenses et des épisodes delévitation dont elle supplie Dieu de la délivrer[9], ainsi qu'elle le raconte dans son autobiographie.
En 1560, elle fait levœu de toujours aspirer à la plus grande perfection ; saintPierre d'Alcántara approuve cet état d'esprit, et saintLouis Bertrand l'encourage à mettre en œuvre son projet de réforme de l'Ordre du Carmel, qu'elle a conçu aux alentours de cette date : elle veut fonder à Ávila un monastère observant strictement la règle de l'Ordre, qui inclut l'obligation de la pauvreté, de la solitude et du silence[T 13]. Son confesseur, le dominicain Pedro Ibáñez, lui ordonne d'écrire le récit de sa vie, travail qui va durer de 1561 à. Plus tard, sur les conseils de Soto, elle réécrit le récit de sa vie en 1566[10].
La transverbération de sainte Thérèse parJosefa de Óbidos (1672).
L’oraison naturelle (enespagnol :oración natural) peut être pratiquée par chacun, avec l’aide de lagrâce, essentiellement par l’ascèse et lapiété, comme sainte Thérèse le souligne dans les trois premièresDemeures duChâteau intérieur[11]. Cependant ces deux vertus ne suffisent pas, même avec l’aide de la grâce, pour conduire à l’oraison surnaturelle (enespagnol :oración sobrenatural), don gratuit de Dieu qui l’accorde même parfois à des âmes dont l’état spirituel est encore imparfait[12]. C’est seulement lorsque l’âme pénètre dans la quatrième demeure que se fait le passage du naturel au surnaturel, ainsi que Thérèse l’écrit elle-même[13],[14]. Le PèreS.J.Louis Lallemant pense, comme sainte Thérèse à laquelle il se réfère expressément, que la contemplation mystique consiste en« des dons extraordinaires que Dieu ne donne que quand et à qui il lui plaît », et qu’elle introduit l’âme dans« un monde nouveau dont la beauté la ravit, et dont l’objet sont les vérités surnaturelles que la lumière divine lui découvre »[15],[16].
« Je vis un ange proche de moi du côté gauche… Il n'était pas grand mais plutôt petit, très beau, avec un visage si empourpré qu'il ressemblait à ces anges aux couleurs si vives qu'ils semblent s'enflammer … Je voyais dans ses mains une lame d'or, et au bout, il semblait y avoir une flamme. Il me semblait l'enfoncer plusieurs fois dans mon cœur et atteindre mes entrailles : lorsqu'il le retirait, il me semblait les emporter avec lui, et me laissait tout embrasée d'un grand amour de Dieu. La douleur était si grande qu'elle m'arrachait des soupirs, et la suavité que me donnait cette très grande douleur était si excessive qu'on ne pouvait que désirer qu'elle se poursuive, et que l'âme ne se contente de moins queDieu. Ce n'est pas une douleur corporelle, mais spirituelle, même si le corps y participe un peu, et même très fort. C'est un échange d'amour si suave qui se passe entre l'âme et Dieu, que moi je supplie sa bonté de le révéler à ceux qui penseraient que je mens… Les jours où je vivais cela, j'allais comme abasourdie, je souhaitais ni voir ni parler avec personne, mais m'embraser dans ma peine, qui pour moi était une des plus grandes gloires, de celles qu'ont connues ses serviteurs. »
« Dans toutes les pages [du livre de sa vie] se voient les marques d'une passion vive, d'une franchise absolue et d'un illuminisme de la foi des fidèles. Toutes ses révélations témoignent de sa croyance profonde en une union spirituelle entre elle et le Christ. Elle voyait Dieu, la Vierge, les saints et lesanges dans toute leur splendeur et elle recevait d'en-haut des inspirations mises à profit pour discipliner sa vie intérieure. Dans sa jeunesse, ses aspirations furent peu nombreuses et semblent confuses ; ce fut seulement en plein âge mûr qu'elles devinrent plus précises, plus fréquentes et aussi plus extraordinaires. Elle avait plus de quarante-trois ans quand elle vécut sa première extase. Ses visions se succédèrent sans interruption pendant deux ans et demi (1559-1561). Soit par méfiance, soit pour la mettre à l'épreuve, ses supérieurs lui interdirent de s'abandonner à cet ardent penchant pour les dévotions mystiques, qui étaient pour elle comme une seconde vie, et lui ordonnèrent de résister à ces extases, dans lesquelles se consumait sa santé. Elle obéit, mais en dépit de ses efforts, sa prière était si continue que même le sommeil ne parvenait à en arrêter le cours. Simultanément, embrasée d'un violent désir de voir Dieu, elle se sentait mourir. Cet état singulier déclencha à plusieurs reprises la vision qui serait à l'origine d'une fête particulière dans l'ordre du Carmel. »
Pour perpétuer la mémoire de cette mystérieuse blessure, le papeBenoîtXIII, à la demande des carmélites d'Espagne et d'Italie, établit en 1726 la fête de latransverbération du cœur de sainte Thérèse (le). Le biographe Boudot ajoute :« Jusqu'à son dernier soupir, Thérèse eut le privilège de converser avec les personnes divines, qui la consolaient ou lui révélaient certains secrets du ciel, celui d'être transportée en enfer ou aupurgatoire, et encore celui de prévoir l'avenir. ». De nos jours, cette fête est toujours célébrée dans l'Ordre du Carmel avec rang de mémoire facultative, et mémoire obligatoire pour les moniales[18].
Mécontente du « relâchement » des règles, qui avaient été assouplies en 1432 parEugèneIV, Thérèse décide de réformer l'ordre pour revenir à l'austérité, la pauvreté et l'isolement qui faisaient partie, pour elle, de l'esprit carmélite authentique[N 7]. Elle demande conseil àFrancisco de Borja et àPedro de Alcántara qui approuvent sa ligne de pensée et sa doctrine[T 15].
Dès 1560, Pierre d'Alcántara soutient Thérèse dans sa détermination à mettre en pratique sa foi et son appelmystique. Il devient son maître spirituel et son conseiller. Ce soutien moral lui permettra d'entreprendre la création d'une série de couvents sans le laxisme qui l'avait choquée dans de nombreux cloîtres dontcelui de l'Incarnation[Lequel ?][T 13].
Après deux années de combat, la bulle dePieIV pour la construction du couvent Saint-Joseph lui est remise par ordre de frèreGarcía de Toledo à Ávila.
Fin 1561, Thérèse reçoit une somme d'argent envoyée par l'un de ses frères depuis lePérou. Cette somme lui permet de financer son projet[T 16]. Pour ce projet de fondation du couvent Saint-Joseph, elle reçoit également l'aide de sa sœur Jeanne[T 17]. Au début de l'année 1562, Thérèse part àTolède chezDoña Luisa de la Cerda, chez qui elle reste jusqu'en juin. La même année, elle fait la connaissance du père Báñez, qui devint ensuite son principal directeur, et du frère García de Toledo, tous deuxdominicains[T 18].
Le couvent est inauguré le, celui-ci est, selon Thérèse, mieux adapté et plus fidèle à la tradition carmélitaine. Quatrenovices du nouvel ordre desCarmélites déchaussés de Saint-Joseph y emménagent[T 19]. En abandonnant leurs chaussures, les carmélites sont rebaptisés lescarmes déchaussés ou lesCarmes déchaux.
Le dépouillement absolu du couvent Saint-Joseph suscite critiques et hostilité chez les édiles de la cité et lesÁvilans de tous bords. Rapidement la nouvelle institution est menacée de fermeture. Mais l'appui de puissants prescripteurs, dont l'évêque de la ville, et les succès de subsistance[N 8] déjouent l'animosité. Peu à peu, l'expérience devient un modèle[T 19]. Thérèse passe alors cinq années dans son couvent de Saint-Joseph, qui seront, d'après ses mots,« les plus tranquilles de son existence »[T 20].
L'idée de départ de la réforme thérésienne[21] était de revenir aussi près que possible dela règle initiale desermites dumont Carmel[22]. Thérèse dit :« Mon dessein étant de vivre en ce monastère dans une très étroite clôture, dans une stricte pauvreté, et d’employer beaucoup de temps à l’oraison »[T 15]. Faisantvœu de pauvreté, les carmes (et carmélites) renoncent à tout bien de propriété en propre (les biens appartiennent à la communauté), si les carmélites ne portent pas de chaussures[N 9] (d'où le nom de « déchaussés »), elles portent des sandales et de gros bas[T 21]. Thérèse rapporte néanmoins avoir vuJean de la Croix partir prêcher dans les villages en marchant pieds nus dans la neige[T 22] (mais elle lui reprochera plusieurs fois ses « excès de zèle » dans ses pénitences).
Thérèse déclare :« Nous observons la règle de Notre-Dame du Mont Carmel sans aucune mitigation[N 10], telle qu’elle a été rédigée par frère Hugues, cardinal de Sainte-Sabine, et approuvée l’an 1248 par le papeInnocentIV[T 19]. »
Les religieuses fidèles à sa réforme dorment sur unepaillasse, portent des sandales de cuir ou de bois[T 23] ; elles consacrent huit mois par an aux rigueurs dujeûne[N 11] et s'abstiennent totalement de manger de laviande (sauf en cas de contrainte médicale)[N 12],[T 24]. Thérèse ne désire aucune distinction pour elle-même et vit de la même manière que les autres religieuses[T 19].
Un autre point important est le temps d'oraison qui devient un temps obligatoire et important de la journée carmélitaine (deux heures quotidiennes)[23], avec bien sûr, les septoffices liturgiques qui rythment la journée[24]. Cettevie contemplative n'est pas une fin en soi pour Thérèse, mais un outil pour lasainteté de l'Église : en étant « l’apôtre des apôtres », elle veut offrir sa vie entière à Dieu pour la sainteté des ministres de l'Église. Thérèse dit qu'une religieuse authentique disciple et « amie » duChrist, par sa vie offerte dans lesilence et lacontemplation, peut être d’un très grand prix pour lesalut du monde[21].
Autre changement important, laclôture du couvent est strictement respectée[N 13], les visites sont limitées en nombre et se font auparloir derrière des grilles ou en présence d'autres religieuses. Les visites extérieures ne sont pas prévues dans les constitutions[T 25],[N 14].
Enfin, pour limiter des problèmes et dérives que Thérèse a elle-même expérimentés dans soncouvent de l'Incarnation(es)[21], elle limite le nombre de religieuses par couvent[N 15]. Ainsi, elle peut garantir le silence et le recueillement dans le couvent, et protéger la vie de prière des religieuses[21].
Un siècle avant Thérèse,Jean Soreth (1394-1471), un carme français, avait déjà essayé de mettre en place, dans les couvents des carmes deFrance, une réforme identique. Le père Soreth avait soutenu un mouvement de réforme analogue enItalie mené par la congrégation deMantoue, mouvement appelé la « réforme de Mantoue », du nom d'un des couvents, tête de file du mouvement. Ce dernier existait toujours du temps de Thérèse.
Un peu après Thérèse,Jean de Saint-Samson (1571-1636), un autre carme français, va susciter enFrance, parmi lesGrands Carmes non réformés par Thérèse, un nouveau mouvement de réforme, proche du mouvement thérésien : laRéforme de Touraine.
Ces deux mouvements de réforme au sein des carmes chaussés se sont heurtés à de très vives résistances, et n'ont pas eu l'extension obtenue parles déchaux.
Thérèse va fonder au total dix-sept couvents dans toutes lesprovinces d'Espagne[25], ce qui l'amènera à être régulièrement sur les routes, par tous les temps, aussi bien pour fonder de nouveaux monastères, que pour visiter les couvents déjà existants. Les premières fondations sont financées par Guimara de Ullon, une riche donatrice et amie de la sainte.
Le père Rossi, supérieur général du Carmel, visite en 1567 le couvent de San José, et donne à Thérèse la permission de fonder d'autres couvents de femmes et deux couvents d'hommes[T 26]. Le principal des carmes, Rubeo de Ravenna, lui fournit la lettre patente l'autorisant à la création d'autant de couvents qu'elle le souhaite[21]. Elle se rend àMadrid etAlcalá de Henares, fondé par son amieMarie de Jésus le[T 15], pour réformer de nouveaux couvents. Un nouveau monastère est fondé àMalagón[T 27]. Elle y rencontreJean de la Croix qui vient la rejoindre et la soutenir dans sa réforme. Thérèse se rend ensuite àTolède, où elle tombe malade, et passe parEscalona. Elle revient à Ávila, avant de repartir pourValladolid où elle fonde un nouveau couvent[T 28].
Le premier couvent de frères carmes réformés est fondé àDuruelo le avec le frère Jean de Saint-Matthias qui prend son nom deJean de la Croix. Thérèse espérait cette fondation depuis longtemps afin de pouvoir disposer pour ses carmélites de confesseurs et d'accompagnateurs spirituels ayant également une vie d'oraison et pouvant donc les guider et les accompagner dans leur cheminement spirituel (et éventuellement les grâcesmystiques)[21]. Cette fondation se fait très pauvrement, aux dires mêmes de Thérèse, dans une simple maison, avec deux moines : Jean de la Croix etAntoine de Heredia[T 30].
En 1571, Thérèse est nommée, contre sa volonté,prieure ducouvent de l'Incarnation(es), son ancien couvent. Elle décide de le réformer en douceur et fait nommer l'année suivante Jean de la Croix comme confesseur officiel des religieuses. Cette opération sera d'un grand succès, mais les carmes chaussés, supplantés dans leur tâche de direction spirituelle du couvent, et jaloux de l'admiration des carmélites pour le jeune Jean de la Croix, lanceront une grande offensive contre Thérèse et sa réforme en 1577[21].
Alors qu'elle est toujours supérieure du couvent, Thérèse se rend àAlba en 1574 avant d'aller, malgré son état de santé, àMedina del Campo,Ávila etSégovie où elle crée un nouveau couvent[T 31]. Ce dernier sera le lieu de refuge des religieuses dePastrana.
En effet, la princesse d'Eboli,Ana de Mendoza de la Cerda, avait décidé de fonder le couvent de Pastrana puis, après la mort de son époux (le), elle décide d'y entrer comme carmélite[T 32]. Mais son attitude autoritaire face à la supérieure du couvent et aux autres religieuses entraîne des conflits incessants. À la demande des religieuses[26], Thérèse décide donc d'abandonner cette fondation, de faire évacuer le couvent, et de rapatrier les carmélites dans le couvent deSégovie[T 31],[N 16].
Sainte Thérèse d'Avila, vitrail du couvent de Sainte-Thérèse.
Toujours en 1574, l'autobiographie de Thérèse est soumise à l'Inquisition[N 17]. Thérèse, après avoir terminé son mandat comme prieure au couvent de l'Incarnation le, retourne à son couvent de Saint-Joseph.Puis, en fin d'année, elle se rend àValladolid.
Après la fondation du dixième carmel à Veas le, et celui d'Almodóvar del Campo, elle reprend la route le, malade et éprouvée par le voyage, versSéville. Elle y subit de nombreuses contradictions, mais parvient à ouvrir un couvent dans cette ville : ce sera son dernier[T 33].
En 1576, une série de persécutions est lancée par l'ordre du carmel (les moines de l'ancienne observance) contre les réformateurs[N 18], Thérèse et ses disciples[3].En suivant des décrets adoptés lors de la réunion générale du chapitre àPlaisance, les « définisseurs » de l'ordre mettent un terme à toute nouvelle ouverture de couvent.Thérèse est assignée à rester dans l'un de ses couvents. Elle obéit et choisit Saint-Joseph àTolède[T 34]. Ses amis et disciples sont soumis à des décisions encore plus sévères[N 19].
Pour soutenir Thérèse, les religieuses ducouvent de l'Incarnation(es) àÁvila décident de la réélireprieure (bien que la règle n'autorise pas une nouvelle réélection). Mais le père Valdemoro, venu superviser lechapitre (), interdit formellement aux carmélites de voter pour Thérèse sous peine d'excommunication[3] — néanmoins, certaines carmélites passeront outre.
Lenonce Hormanet décède et le nouveau nonce est instruit à charge, par les carmes chaussés, contre Thérèse. Il arrive donc avec des idées très arrêtées sur la réforme thérésienne. Le père Gratien, protecteur de Thérèse, est démis de ses fonctions et le père Ange Salazar est nommé à sa place. Beaucoup de médisances et decalomnies circulent par écrit à son sujet, mais Thérèse reste dans son couvent, très calme, poursuivant sa correspondance. C'est à cette période qu'elle rédige son ouvrage majeurLe Château intérieur[28].
Après un certain temps, Thérèse tente d'écrire auroi d'Espagne pour lui demander sa protection, mais celui-ci, même avec le soutien desévêques, ne réussit pas à convaincre le nonce duVatican. Finalement, des carmes déchaussés se rendent à Rome pour demander la séparation en provinces carmélitaines autonomes[N 20] des couvents réformés des autres couvents non réformés. Cette solution technique va résoudre les quatre années de blocages et d'oppositions : Thérèse peut reprendre ses fondations[28].
Sceau du tribunal du Saint-Office de l'Inquisition espagnole.
Les autorités cléricales de l'institution se méfient du protestantisme naissant. Selon Hélène Trépanier,« l'Espagne de laContre-Réforme est un milieu particulièrement dangereux pour les mystiques et, plus encore, pour les « femmes » mystiques. La mort du CardinalJimenez Cisneros en 1517 qui avait soutenu le mouvement de démocratisation évangélique, la montée duluthéranisme, la suspicion à l'égard de l'anti-cléricalismeérasmien, l'intensification d'un racisme anti-conversos (descendants chrétiens des juifs séfarades) provoque la répression inquisitoriale[29]. » L'Inquisition espagnole va donc faire plusieurs enquêtes sur Thérèse, qui est une femme, et qui plus est, uneconversa, enseignant une spiritualité intérieure et vivant des expériences mystiques ; l’Inquisition va bloquer un temps ses actions.
Thérèse avait rédigé un ouvrage autobiographique (Le Livre de la Vie) sur demande de son confesseur. Cet ouvrage contenant des enseignements sur la vie de prière et l'oraison mentale, Thérèse le diffuse dans ses couvents pour instruire ses carmélites. À la suite de la publication et de la diffusion de cet ouvrage à la cour même du roi d'Espagne[N 21], l'Inquisition fait effectuer une première étude de l'ouvrage[30] en par le pèreDomingo Báñez qui donne un avis favorable.
Mais une seconde dénonciation en par une jeune fille, accueillie commenovice dans un couvent par Thérèse, puis finalement expulsée pour indiscipline, entraîne la saisie par l'Inquisition de tous les livres (l'original et toutes les copies) et Thérèse est assignée à résidence dans un couvent deCastille en 1576[31]. Les principaux chefs d'accusation de l'Inquisition concernent sa pratique de l'oraison mentale (et non vocale) propice aux effusions mystiques, telles laglossolalie, lesstigmates ou lalévitation qui lui sont accordées et sont dénoncées comme des signes depossession démoniaque par le manuel des dominicainsMalleus Maleficarum[32].
Compte tenu des accusations portées contre Thérèse par cette personne, l'Inquisition mène une enquête sur Thérèse même ; en 1580, son confesseur lui ordonne de brûler lesPensées sur l’amour de Dieu, méditations sur leCantique des Cantiques ; en 1589, sept ans après sa mort, les théologiens de l’Inquisition demandent que son œuvre soit détruite[33]. Finalement Thérèse est totalement innocentée[34]. Cependant, son autobiographie restera sous séquestre, entre les mains des Inquisiteurs, pendant treize ans, jusqu'à la mort de Thérèse, à son grand désespoir[35]. Après sa mort, la prieure du couvent de Madrid demande aucardinal Quiroga, membre du conseil suprême, qu’on lui restitue l'ouvrage. Celui-ci accepte, et va même jusqu'à obtenir du conseil de l'Inquisition une subvention pour le faire publier[36].
Bien qu'étant presque toujours malade, elle se rend àMedina del Campo en 1582,Valladolid,Palencia etBurgos[T 35] où elle fonde son dernier couvent.Elle apprend qu'un seizième couvent carmélite a été créé àGrenade et qu'un nouveau couvent dedéchaussées est fondé àLisbonne. Le dix-septième carmel est créé àBurgos. En quittant Burgos, elle poursuit sa route en passant par Palencia, Valladolid, Medina del Campo etPeñaranda.
À son arrivée àAlba de Tormes le 1582, son état empire. La veille de lasaint François, elle dit à ses carmélites rassemblées autour d'elle :« Mes filles et mesdames, je vous prie, pour l'amour de Dieu, que les règles et les constitutions soient exactement observées, et que vous ne vous arrêtiez pas aux exemples de cette indigne pécheresse qui va mourir ; pensez plutôt à lui pardonner. » À ces paroles, les religieuses fondent en larmes[37].
SœurAnne de Saint-Barthélemy la tient dans ses bras durant ses dernières heures. C'est ainsi qu'elle meurt durant la nuit du au vendredi[38]. En effet, cette nuit-là, l'Espagne et l'Italie passent ducalendrier julien aucalendrier grégorien par décision du papeGrégoireXIII[39], d'où l'expression de« la nuit du 4 au 15 ». La réformatrice du Carmel décède donc durant« la plus longue nuit qu'ait connue l'Espagne ». Depuis, elle est fêtée le[40],[N 22].
Ses dernières paroles sont :« À la fin, je meurs en fille de l’Église » ; et :« L'heure est à présent venue, mon Époux, que nous nous voyions »[6]. La cause de la mort est unemétrorragie peut-être consécutive à uncancer de l'utérus[41].
Thérèse est inhumée sansembaumement. Sa dépouille est enterrée dans le chœur de la chapelle du couvent de l'Annonciation de la ville d'Alba de Tormes[42].
Reliquaire contenant le cœur de sainte Thérèse àAlba de Tormes.
Avant de remettre le corps dans le même tombeau, le pèreGratien,provincial des Carmes, sectionne la main droite de Thérèse qui sera placée dans unreliquaire remis aux religieuses du couvent Saint-Joseph d'Avila. À cette occasion il en prélève l'auriculaire qu'il conserve pour lui[N 24]. La dépouille est ensuite ensevelie dans un cercueil neuf[44].
En 1585, unchapitre de l'ordre des Carmes déchaux dePastrane décide de transférer la dépouille de Thérèse au couvent Saint-Joseph d'Avila. Le, le corps est donc exhumé une seconde fois. Les religieuses d'Alba demandent à conserver un bras comme relique dans leur couvent, ce qui leur est accordé. Le reste du corps est envoyé à Avila en secret pour éviter l'entrave du transfert par les autorités et les habitants de la ville d'Alba. Quandle duc d'Alba découvre le déplacement dissimulé, il écrit[N 25] aupape pour se plaindre de cet enlèvement réalisé à son insu et demander le retour de la précieuse relique. Le pape soutient sa demande et exige la restitution du corps[45]. La dépouille de Thérèse revient donc au couvent d'Alba de Tormes le, toujours transférée dans la discrétion, cette fois pour ne pas choquer les Avilans[46].
À chaque fois (1592, 1604, 1616, 1750, 1760) que la dépouille fut exhumée, à l’occasion d’un examen canonique ou pour satisfaire ladévotion de dignitaires religieux ou de monarques espagnols, des reliques furent prélevées.
Le sépulcre de Thérèse d'Avila au niveau duretable du couvent carmélite d'Alba de Tormes.
En 1598, un sépulcre est édifié. On y transfère les restes de son corps, toujours incorrompu, dans une nouvelle chapelle en 1616. Puis en 1670, on le transfère à nouveau pour l'installer dans unechâsse d'argent. La dernière translation de ses restes a eu lieu le dans un tombeau en marbre sculpté parJacques Marquet et placé au-dessus dumaître-autel de l'église de l'Annonciation d'Alba de Tormes[47].
plusieurs doigts et d'autres restes de la sainte sont dispersés dans toute l'Espagne et toute la chrétienté ;
le reste du corps (incorrompu) est déposé sur l'autel principal de l'église de l'Annonciation (Alba de Tormes) dans un tombeau demarbre gardé par deux anges.
Thérèse d'Avila par frèreJean de la Misère (Carmel deSéville. Tableau probablement le plus réaliste de Thérèse car il a été peint en sa présence, le peintre ayant ainsi Thérèse sous ses yeux, durant ses travaux. Thérèse avait alors 61 ans.
Francisco de Ribera, le confesseur de la sainte, la décrivait physiquement ainsi :« Elle était de bonne stature, et au temps de sa jeunesse, belle, et encore au temps de sa vieillesse, elle supportait bien sa fatigue, le corps épais et très blanc, le visage rond et plein, de bonne taille et proportion ; le teint de couleur blanche et incarné, et lorsqu'elle était en prière, il s'enflammait et elle devenait très belle, tout ce teint clair et paisible ; la chevelure, noire et crépue, le front large, égal et beau ; les sourcils de couleur claire et tirant un peu sur le noir, grands et un peu épais, non en arc, mais un peu plats[49] ».
Au plan intellectuel et théologique, sainte Thérèse ne cesse de souligner dans ses écrits son humilité, sa dévotion et son obéissance envers son confesseur, allant même jusqu’à avouer son ignorance doctrinale et son infériorité intellectuelle en tant que femme :« Une créature aussi misérable que moi, écrit-elle, peut trembler de parler d'une chose que je suis loin de mériter de comprendre[50]. » Ces aveux d’incompétence avaient sans aucun doute pour but de la prémunir contre une possible condamnation de la part des juges de l’Inquisition ; en réalité, Thérèse d’Avila veut faire entendre son enseignement aux moniales de son ordre pour les encourager à suivre le chemin de la mystique, indiquant clairement qu’elle dit la vérité :« Je sais que ce que je dis est vrai […] Mon âme sent que telle est la vérité. […] Vous voyez cette âme que Dieu a rendue toute bête pour mieux graver en elle la vraie science », écrit-elle dansLe château intérieur[51]. Au-delà des mots et de la raison discursive, Thérèse présente donc son expérience mystique comme constitutive de son enseignement spirituel ; son expérience personnelle, intuitive et affective, s’oppose ainsi à toute lascolastique érudite et aux savantes exégèses de l’institution de son époque. Cette théologie mystique annonce la mystique française duXVIIe siècle[52].
Thérèse d'Avila estbéatifiée en 1614 par le papePaulV. Lors de sa béatification, trentecourses de taureaux sont organisées, au cours desquelles100 taureaux sont combattus et mis à mort[53].
Lamystique de sainte Thérèse d’Avila a influencé durablement les théologiens des siècles suivants, notamment saintFrançois de Sales. Déçu par la dégradation de l’Église catholique, il dénonce le langage savant et intellectuel de« plusieurs gens de lettres qui, après un grand tracas d’étude, se voient honteux de n’entendre pas ce qu’elle écrit si heureusement de la pratique du saint amour », écrit-il dans sonTraité de l'amour de Dieu ; adhérant à une religion du cœur, il recommande la lecture des écrits de sainte Thérèse d’Avila avant même qu’elle n’ait été béatifiée[59]. Même siFénelon et lesjansénistes dePort-Royal se sont inspirés de ses écrits, et ont été condamnés par l'Église, le Vatican a reconnu la validité de ses enseignements[60] en canonisant Thérèse (1622), puis en la déclarantDocteur de l'Église (1970).Déjà le papePie X avait déclaré à son sujet :« Cette femme était si grande et si utile à l'éducation saine des chrétiens, qu'il semble qu'elle ne soit pas beaucoup, ou pas du tout, inférieure à ces grands Pères et Docteurs de l'Église, dont nous nous sommes souvenus commeGrégoire le Grand,Jean Chrysostome,Anselme de Canterbury ».Il a même ajouté, dans la lettre apostoliqueEx quo Nostrae du :« C'est pour cela que l'Église, à juste titre, a attribué à cette vierge, les honneurs habituels accordés aux Docteurs[56]. »
En 2011, le papeBenoîtXVI déclare :« sainte Thérèse de Jésus est une véritable maîtresse de vie chrétienne pour les fidèles de chaque temps. Dans notre société, souvent en manque de valeurs spirituelles, sainte Thérèse nous enseigne à être des témoins inlassables de Dieu, de sa présence et de son action, elle nous enseigne à ressentir réellement cette soif de Dieu qui existe dans la profondeur de notre cœur, ce désir de voir Dieu, de chercher Dieu, d’être en conversation avec Lui et d’être ses amis. Telle est l’amitié qui est nécessaire pour nous tous et que nous devons rechercher, jour après jour, à nouveau. ». Il ajoute :« Que l’exemple de cette sainte, profondément contemplative et efficacement active, nous pousse nous aussi à consacrer chaque jour le juste temps à la prière, à cette ouverture vers Dieu, à ce chemin pour chercher Dieu, pour le voir, pour trouver son amitié et trouver ainsi la vraie vie »[6].
Dans l'Ordre des Carmes déchaux Thérèse est une référence spirituelle dont les textes sont régulièrement étudiés. Même les carmes n'ayant pas suivi la réforme thérésienne (lesGrands carmes), lisent, étudient et publient des ouvrages rédigés par Thérèse d'Avila, se nourrissant de ses expériences et enseignements[61].
Thérèse d'Avila a profondément inspiréPaul Verlaine dans son travail deconversion, et notamment pour le recueilSagesse (« Ô mon Dieu vous m'avez blessé d'amour »). Elle était pour lui l'exemple même de « la femme de génie » (Voyage en France par un Français).
En 1951,Salvador Dalí peint sonAllégorie de l'âme, dont le titre complet est« Alegorie de l'ame d'apres Santa Teresa de Avila - le ver surrealiste se metamorphose dans le papillon mistique »[71].
Elle a laissé plusieurs écrits traitant de spiritualité, en particulier :
Camino de perfección [« Le Chemin de perfection »] rédigé entre 1569 et 1576. Livre écrit à la demande des religieuses carmélites pour leur enseigner la vie de prière et l'oraison. Thérèse en profite pour les instruire également sur la conduite à tenir pour progresser dans leur cheminement spirituel[T 36].
Castillo interior ouLas moradas [« Le Château intérieur » ou « Les Demeures »] (1577). Livre rédigé à la demande duPère Gratien (pour les carmélites), elle y compare le cheminement spirituel à un château contenant de nombreuses demeures (d'où les différents titres : Le château intérieur ou Les demeures). Ces demeures, au nombre de 7, composent les étapes du cheminement spirituel du chrétien jusqu'à l'union mystique (les épousailles). Il s'agit de l'ouvrage majeur de Thérèse décrivant de bout en bout, le chemin de l'âme grâce à l'oraison[T 37].
Conceptos del amor de Dios [« Pensées sur l'amour de Dieu »]. Rédigée entre 1566 et 1574, cette réflexion de Thérèse sur leCantique des Cantiques l'amène à parler de« la paix que Dieu donne aux âmes dans l'oraison, à l'oraison de quiétude et l'oraison d'union »[T 38].
Avis [« Avisos »] (lire en ligne). Ces textes (68 phrases courtes), attribués dans un premier temps à Thérèse, sont en réalité un ensemble de conseils spirituels provenant de maîtres des novicesjésuites offerts à Thérèse[T 39].
Défi spirituel [« Desafío espiritual »]. Il s'agit d'un court texte (4 pages) d'une réponse faite à une question (un défi) dont le texte est perdu. Ce texte est la réponse faite par les carmélites ducouvent de l'Incarnation(es), alors que Thérèse en est la prieure[T 40].
Exclamations de l'âme à son Dieu [« Exclamaciones del alma a su Dios »]. Probablement rédigé autour de 1559, cet ouvrage est composé de 17 textes courts (1 à 2 pages) s'apparentant auxSoliloques deSaint Augustin[T 41].
Les Constitutions [« Libro de las constituciones »] (1563). Texte des constitutions pour les couvents réformés de carmélites et de carmes qu'elle a établis. Ce texte est approuvé par le général de l'ordre en 1567[T 42].
Les Fondations [« Libro de las fundaciones »] (1573-1582). Récit biographique de Thérèse sur les fondations des couvents de carmélites, depuis celui de Saint-Joseph à Avila, jusqu'à celui de Burgos en 1582. Elle y intègre quelques chapitres sur le rôle de la supérieure (d'un couvent) dans l'accompagnement spirituel des carmélites, ainsi que des enseignements sur la vie de prière et d'oraison pour les religieuses.
Les Relations ou « Relations spirituelles » [« Libro de las relaciones » ]. Cet ouvrage est constitué de la compilation d'une série de lettres (6 lettres) rédigées par Thérèse à l'intention de ses confesseurs, ainsi que d'une série de notes (une soixantaine), plus courtes rédigées en différents lieux et dates. Tous ses textes nous renseignent sur sa vie mystique et certaines de ses expériences spirituelles qui ne sont connues que dans ces textes[T 43].
Manière de visiter les couvents de religieuses [« Modo de visitar los conventos de religiosas »] (lire en ligne). Écrit en 1576 à la demande du père Jérôme Gratien. Ce texte rassemble une série de conseils et recommandations concrètes sur la conduite à tenir lors de la visite (par un père carme) d'un couvent de carmélites[T 44].
Ordonnances d'une confrérie [« Ordenanzas de una cofradía »]
Humiliation [« Vejamen »]. Court texte de 4 pages en réponse à une réflexion sur la phrase« Cherche-toi en moi. ». Plusieurs personnes ayant donné une réponse personnelle, Thérèse leur répond, avec humour[T 45].
LeLivre de la vie [« Vida de Santa Teresa de Jesús »] (Le Livre de la Vie) rédigé entre 1562 et 1565. Autobiographie dont le manuscrit original se trouve aumonastère Saint-Laurent de l'Escorial. Ce texte se termine à la fondation du premier couvent d'Avila. Le livre desFondations constituant la suite de la biographie.
Visite de déchaussées [« Visita de descalzas »]
Annotations [« Apuntaciones »]
Méditations sur les cantiques [« Meditaciones sobre los cantares »]
Thérèse écrivit aussi de nombreuxpoèmes et entretint une importante correspondance, dont plus de400 lettres ont été conservées[N 28]. Ses écrits ont fait l'objet de traductions dans de nombreuses langues.
Le nom de Thérèse d'Avila figure parmi le Catalogue des autorités de la langue (espagnole) publié par laReal Academia Española.
Si les différents ouvrages thérésiens sont rapidement diffusés après leur rédaction, cette diffusion reste confidentielle car limitée à quelques couvents de la réforme et les copies se font manuellement. La publication officielle de ses écrits et auprès du grand public ne se fait qu'après sa mort, mais dans un délai relativement court[74] :
en 1601, traduction et publication en trois volumes de l'édition de« de princeps » à Paris ; ces ouvrages avaient déjà été traduits et publiés enitalien ;
d'autres traductions et publications ont lieu en 1630, 1644 et 1670.
Aujourd'hui, les œuvres complètes de Thérèse d'Avila sont disponibles enfrançais dans trois traductions[74] :
José Luis Serna Romera a également raconté sa vie et ses pérégrinations durant les fondations sous le titre(es)Teresa de Jesús (2014)[79].
En musique :
Marc-Antoine Charpentier a composé deuxmotets pour la fête de Sainte Thérèse,Flores, flores o Gallia à 2 voix et 2 flûtes H 374, vers 1680 et le second pour 2 hauts-dessus, un dessus et basse continue H 342 en 1686.
Plusieurs poèmes de Thérèse d'Avila ont été mis en musique et interprétés parPierre Éliane dansTeresa de Jesus (poésies de Thérèse d'Avila) (2002 et 2006)[80].
LeLivre de la vie :Thérèsed'Avila,Le livre de la Vie, Guillaume Foquel, (1reéd. 1588Salamanque)(lire en ligne).. Ouvrage biographique réédité et traduit de nombreuses fois, seul ou dans des compilations. Quelques éditions récentes :
Le chemin de perfection :Thérèsed'Avila,Le Chemin de perfection,(lire en ligne) (puis réédité dans les "Princeps" en 1588, traduit en français en 1601). Quelques éditions récentes :
Le Château intérieur :Thérèsed'Avila,Le Château intérieur(lire en ligne) (terminé en 1582, édité en 1588 ?). Ouvrage de spiritualité publié sous différents titres :Le château intérieur ouLes demeures)[81]. Cet ouvrage fut publié après sa mort, puis édité et traduit de nombreuses fois. Quelques éditions récentes :
Thérèsed'Avila,le Château Intérieur, CreateSpace Independent Publishing Platform,, 278 p.(ISBN978-1492203971).
Les Relations :Thérèsed'Avila,Les Relations(lire en ligne). Série de lettres et de correspondances de Thérèse très vite rassemblées après sa mort dans un ouvrage publié sous le titreLes relations. Ce livre est publié dans différents ouvrages cités plus haut.
Je vis sans vivre en moi-même (Vivo sin vivir en mi) recueil de poèmes, éd. bilingue franco-espagnole, trad.Line Amselem,Allia, Paris, 2008,(ISBN978-2-84485-272-4).
Autres recueils complets des œuvres thérésiennes :
Ainsi parlait Thérèse d'Avila (édition bilingue), dits et maximes de vie choisis et traduits du castillan parBernard Sesé, collection "Ainsi parlait",Éditions Arfuyen, Paris-Orbey, 2015.
Lizzie Boubli, « Vision et image dans le processus mystique : Thérèse d'Avila et Jean de la Croix »,Archives de sciences sociales des religions,vol. 61e année,no 173,,p. 219-244(lire en ligne)
Louis Lavelle,Quatre Saints, Puyméras, Éditions localement transcendantes, (1reéd. 1951)(ISBN978-2-3836-6012-5), « Sainte Thérèse ou l’union de la contemplation et de l’action ».
Didier-MarieGolay,Atlas Thérèse d'Avila,« Aventurer sa vie » : Une sainte dans l'histoire et dans le monde,Éditions du Cerf,, 328 p.(ISBN978-2204-102667).
de Villefore,Vie de sainte Thérèse d'Avila, Paris,, 220 p.(lire en ligne)..
Joseph Bernard du Serre-Figon,Panégyrique de Sainte Thérese, Réformatrice du Carmel, Prononcé dans l'église des Carmélites de Saint-Denis le. Dédié à Madame Louise de France.Par M. L'Abbé du Serre-Figon, Paris, 1785.[lire en ligne]
Jad Hatem,L’Âme et l’Abîme dans la mystique féminine carmélitaine : Thérèse d’Avila, Thérèse de l’Enfant-Jésus, Élisabeth de la Trinité, Gertrude von Lefort, Édith Stein, Paris, L'Harmattan,coll. « Théologie plurielle »,(ISBN978-2296554283).
↑D’après une inscription, placée au bas d’une peinture murale de l’église Saint-Jean, Thérèse aurait été baptisée le et non le, comme l’affirment la plupart de ses historiens. Voir la noteno 1 duLe Livre de la Vie, chapitre 11.
↑C'est-à-dire les terres d'Afrique du Nord, peuplées et contrôlées par les musulmans. Dans leur projet (d'enfant), ils voulaient se rendre sur place, proclamer ouvertement leur foi catholique, et se faire exécuter par les autorités locales pourapostasie (de lafoi musulmane).
↑Ils vont fuguer ensemble mais sont interceptés par un oncle à quelques kilomètres de la maison familiale (en un lieu aujourd'hui marqué par un monument,Los Cuatro Postes), et ramenés à leur domicile.
↑À son arrivée, le couvent compte60 religieuses, une vingtaine d'années plus tard elles étaient presque 180.
↑La vie cloîtrée ne fut imposée à toutes les religieuses, dans le couvent, qu'en 1563.
↑Le biographe écrit qu'il a vu, touché et examiné la blessure dans le cœur et décrit la plaie de cette façon :« Les lèvres de la plaie sont dures et poêlées, tout comme c'est le cas lorsque le cautère est utilisé, pour nous rappeler, nul doute que celle-ci a été faite avec une flèche enflammée. ».
↑Les premiers Carmes sur leMont Carmel étaient desermites et vivaient dans des grottes.
↑La population estimait qu'il était impossible de faire vivre un couvent entier uniquement sur la charité publique. Le couvent devait être (selon eux, et l'usage en cette période) doté de rente garantissant ses revenus tout au long de l'année.
↑Les différenciant des « carmes chaussés » qui eux sont autorisés à porter des chaussures.
↑Le dimanche est un jour de fête, et donc de rupture de jeûne, ainsi que certains jours de fêtes religieuses.
↑La règle des premiers ermites du Mont Carmel prévoyait déjà cette abstinence de viande (voir§ 17). De même, le jeûne pouvait (devait) être suspendu pour raison de maladie ou de faiblesse (§ 16).
↑Dans les couvents de carmélites de l'époque les religieuses pouvaient recevoir des visites régulières à l'intérieur du couvent, et aller vivre une partie de l'année dans leur famille, à l'extérieur du couvent.
↑De nos jours les carmélites peuvent sortir du couvent sous certaines conditions (suivant la règle carmélitaine).
↑Dans un premier temps elle limite le nombre de carmélites à douze plus la prieure. Plus tard, face aux difficultés rencontrées par certains couvents dans des zones trop pauvres, elle porte ce nombre à vingt afin de simplifier le travail en commun et la rentabilité de leur activité économique destinée à financer la vie du couvent.À ce jour[Quand ?], la limite est toujours de vingt religieuses par couvent, sauf situation et dérogation exceptionnelle.
↑À noter pour l'anecdote, que le départ des carmélites du couvent se fit de nuit, dans le plus grand secret, pour éviter que la princesse n'entrave leur départ. La princesse se retrouva, au petit matin, dans un couvent vidé de ses religieuses. Par la suite, elle décida de rentrer dans un autre ordre.
↑Il s'agit duLivre de la Vie. L'inquisition gardera ce livre et empêchera sa diffusion durant toute la vie de Thérèse, à son grand désespoir car elle souhaitait le faire lire à ses carmélites des différents couvents réformés.
↑Les anciens carmes, non réformés par Thérèse, voyaient d'un mauvais œil les succès et louanges proférés aux couvents de carmélites et carmes réformés. Ils redoutaient que les supérieurs de l'Ordre ne finissent par leur imposer à eux aussi la réforme menée par Thérèse et Jean de la Croix, et donc de perdre tous leurs privilèges. Ils ont donc tenté de faire échouer cette réforme.
↑Jean de la Croix est enlevé de son couvent, condamné au cachot et maltraité durant des mois. Il finit par s'évader de sa "prison". VoirPrisonnier à Tolède.
↑C'est-à-dire que les différents couvents sont regroupés sous des autorités monastiques différentes en fonction de leur appartenance à la réforme ou non, et non plus sur des critères purement géographiques.
↑La princesse d'Eboly, vers 1574, fait effectuer des copies en secret de l'ouvrage et le diffuse aux membres de la cour où l'ouvrage est l'objet de nombreuses moqueries, cette diffusion ayant eu lieu à l'insu de Thérèse, et contre ses recommandations expresses.
↑En 2015, lors d'une exposition de reliques de Thérèse, la relique montrait un aspect noirci et « durci » des tissus toujours complets.
↑Le pèreGratien conservera cette relique toujours avec lui. Lorsqu'il est capturé par les pirates turcs il l'a encore en sa possession. À sa libération, il réussit à récupérer la précieuse relique en échange d'une bague et de 20réals.
↑En fait c'est dom Ferdinand de Tolède, oncle du duc d'Albe et régisseur durant son absence qui a mené les démarches pour son neveu.
↑Il s'agit de la fameuse main queFrancisco Franco conserva jusqu'à sa mort, après que les troupes franquistes eurent repris la relique des mains des républicains durant laguerre civile espagnole.
↑Pierre Boudot est l'auteur de deux ouvrages :PierreBoudot,La jouissance de Dieu ou le roman courtois de Thérèse d'Avila, Éditions Libres / Hallier,, 210 p.(ISBN978-2862970196) etPierreBoudot,La Transverbération de Thérèse d'Avila : Oratorio, Oswald,, 96 p.(ISBN978-2730400084).
↑Traduction des leçons des saints nouveaux et de ceux du propre, pour servir de supplément au bréviaire latin-français : à l'usage des religieuses de l'Ordre de N.-D. du Mont-Carmel, selon la réforme de Sainte Thérèse, Tours, Ad. Mame et Cie,, 160 p.(lire en ligne),p. 99-100.
↑AndréRayez etLouis-Marie, « Dominique de Jésus-Marie »,Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique, Paris, Beauchesne,t. III,,p. 1533(lire en ligne).
La version du 21 février 2015 de cet article a été reconnue comme « bon article », c'est-à-dire qu'elle répond à des critères de qualité concernant le style, la clarté, la pertinence, la citation des sources et l'illustration.