Lathèse gazie (Ghazi-These en allemand) est une théorie historique obsolète concernant la nature de l'Empire ottoman à ses débuts. Elle a été développée par l'historienorientaliste autrichienPaul Wittek en 1938 dans son ouvrageRise of the Ottoman Empire.
Elle défend que l'Empire ottoman est à l'origine un regroupement deghazis, des guerriers saints de l'islam, qui se sont associés pour mener uneguerre sainte (ġazā) contre leschrétiens et élargir leDar al-Islam (en arabe : دار الإسلام).
C'est une thèse majeure dans l'historiographie de l'Empire ottoman et elle a été majoritaire jusqu'auxannées 1980 avant d'être révisée et réfutée[1].
Une des sources principales de Paul Wittek pour sa théorie a été le poème épiqueİskendernâme du poèteTacüddin İbrahim bin Hidr (connu sous sanisba Ahmedi) publié au début duXVe siècle. Plus précisément les 334 couplets duDestân-i Tevârîh-i Mülûk-i âl-i 'Osmân (La Chronique épique des souverains ottomans). Ce poème s'inscrit dans la tradition poétique ottomane desTevârîh-i âl-i 'Osmân, les poèmes anonymes racontant les exploits des Ottomans que les soldats récitent autour du feu de camp[2].
La seconde grande source de cette théorie est une inscription retrouvée àBursa (ville du Nord-Ouest de l'Anatolie, enTurquie actuelle) datée de 1337.
« ...al-amīr al-kabīr al-mu'azzam al mujāhid (fi sabêl Allāh)
sultân al ghuzāt, ghāzi ibn al-ghāzi, shujā' al-dawla wa'l-dīn wa-l āfāk
pahlavān al-zamān [?] Urkhān bin 'Uthmān »
Paul Wittek récupère la vision très ethnique et essentialisante de l'historienMehmet Fuat Köprülü qui définit la nature de l'État ottoman par ses caractéristiquesturco-mongoles. Cependant, il considère laġazā comme la caractéristique dominante de cet État. Selon lui, l'unification des différentsbeylicats turcs d'Anatolie a été possible grâce à la réunion desghazis partageant une volonté commune de combattre lesinfidèles (kuffār, كفار) pour étendre leDar al-Islam notamment vers lesBalkans et la ville deConstantinople dont la conquête par les musulmans aurait été prophétisée dans lehadith (tradition du prophèteMahomet) de la collection (musnad) deAhmad Ibn Hanbal (m.855)[3],[4].
L'importance de cette thèse dans l'historiographie fait que de nombreux historiens ont tenté de la valider, de la réviser ou de la contester au cours duXXe siècle.
La critique la plus conséquente et ayant eu le plus d'impact sur la discipline est celle deCemal Kafadar dans son ouvrageBetween Two Worlds: The Construction of the Ottoman State en 1995.
L'historien turc admet alors que laġazā est une caractéristique de l'État ottoman à ses débuts mais que ce n'est pas la plus importante. Il met notamment en avant le fait que l'Empire ottoman comprenait de nombreuxchrétiens dans son peuple et dans son armée et qu'on ne retrouve aucune trace de politique de conversions forcées alors que cela fait partie de laġazā telle que décrite par Ahmedi.
Pour lui, l'État ottoman à ses débuts est une fédération de peuples d'ethnies et de religions différentes[5].
Plus récemment,Heath W. Lowry, dansThe Nature of the Early Ottoman State (2003), attaque l'analyse parPaul Wittek de ses sources. D'abord, il trouve que l'historien autrichien ne se focalise que sur deux sources qui ne sont pas suffisantes à elles seules pour ériger laġazā en caractéristique fondatrice de l'Empire ottoman.
Sur l'İskendernâme de Ahmedi, Lowry reproche à Wittek de ne s'être concentré que sur certains passages du poème qui ne représentent qu'une partie infime de l'œuvre dans son ensemble. Pour Lowry, le poème ne décrit pas l'État ottoman mais invite les sultansBayezid etSuleyman à porter leurs efforts de guerre contre leschrétiens plutôt que contre les autresmusulmans.
Sur l'inscription deBursa, Lowry reproche à Wittek une mauvaise traduction et une mise en avant des éléments qui vont dans le sens de sa thèse[1].