

Letercio est l'unité administrative et tactique de l'infanterie espagnole de1534 à1704, subdivisée à l'origine en dix, puis douze compagnies composées depiquiers,escrimeurs etarquebusiers oumousquetaires. Regroupant environ trois millefantassins professionnels par unité, hautement entraînés et disciplinés, lestercios furent réputés invincibles jusqu'à labataille de Rocroi (1643).
Ces compagnies ont été déployées au combat subdivisées en sous-unités de trente soldats. Ces sous-unités pouvaient être déployées individuellement ou rassemblées pour former ce que l’on appelle parfois des « carrés espagnols ». Ces puissants carrés d'infanterie ont également été utilisés par d'autres puissances européennes, notamment l'armée duSaint-Empire romain germanique.
Le soin qui a été pris pour maintenir un nombre élevé de « vieux soldats » anciens combattants dans les unités et leur formation professionnelle, ainsi que la personnalité particulière qui leur est imprimée par les orgueilleuxhidalgos, la noblesse inférieure qui les a nourris, ont fait destercios, pendant un siècle et demi, la meilleure infanterie d'Europe. En outre, lestercios ont été les premiers à mélangerarmes d'hast etarmes à feu. Les sociétés detercios ont dominé les champs de bataille européens auXVIe siècle et dans la première moitié duXVIIe siècle et sont considérées par les historiens comme un développement majeur de laguerre moderne combinée[pas clair].
L'homologue portugais dutercio, inspiré directement de celui-ci, prend le nom deterço.
À l'issue de laReconquista, après lesguerres de Grenade achevées à la fin 1491, l'armée espagnole s'organise alors qu'elle se voit engagée enItalie et dans leRoussillon. En1495, une ordonnance royale crée les premières unités permanentes, lescapitanías d'un effectif de 100 à600 hommes. Équivalent descompagnies françaises de l'époque, celles-ci comptent en leur sein despiquiers, desarbalétriers, desrodeleros,fantassins armés d'épées, protégés par un petitbouclier rond, larodela, et par une légère armure parfois en cuir, mais aussi des arquebusiers (espingarderos), armés des premièresarquebuses.

Pendant les premièresguerres d'Italie,Gonzalve de Cordoue (qui y dirige l'armée espagnole jusqu'en 1507) augmente le nombre d'arquebusiers et la mobilité de l'armée espagnole en accordant une plus grande part à l'initiative individuelle. Des regroupements de douze à seizecapitanías sont créés sous le nom decoronelía. Par la suite, elles comptent quatre ou sixcapitanías de300 hommes. En 1525, l'infanterie espagnole en Italie compte 7 050 hommes regroupés en33capitanías. C'est là que naît le termetercio, entre1534 et1536, pour désigner les trois groupes decapitanías, Lombardie, Naples et Sicile, qui défendent les possessions espagnoles d'Italie.
Durant les premiers temps, les tercios ne sont pas nombreux, ils ne constituent pas la majorité de l'infanterie au service du royaume d'Espagne et doivent être considérés comme les unités d'élite de celle-ci. Dans lesannées 1580, ils ne constituent qu'un huitième de l'armée des Flandres, mais environ la moitié de ses forces dans la plupart des grandes batailles[1]. En temps de paix, l'entretien des tercios représentait environ un tiers du budget duroyaume de Castille. En temps de guerre, les rois d'Espagne devaient recourir aux emprunts.
Le nombre d'unités d'origine espagnole ne va réellement augmenter qu'à partir de 1635, avec l'intervention française dans la Guerre de Trente Ans et la levée des tercios temporaires dans la péninsule ibérique. En 1637 apparaissent lestercios provinciaux. En 1663, ils sont réformés en tercios provinciaux fixes, qui sont les premiers portant un uniforme, dont la couleur est distinctive. En mai 1685, une nouvelle ordonnance royale réforme à nouveau les tercios qui s'éloignent encore plus du modèle massif du siècle précédent, avec douze à quinze compagnies de 66 ou72 soldats. Les piquiers, arquebusiers et mousquetaires sont en proportion d'un tiers chacun. Les compagnies pouvant, semble-t-il, se répartir en deuxbataillons. Vers 1690, l'armée espagnole forme douze compagnies degrenadiers, armées du fusil et de labaïonnette. L'adoption généralisée de cette arme en 1702 et la suppression des piquiers sonnent le glas du système traditionnel des tercios. Finalement, en1704, une ordonnance royale dePhilippe V supprime les tercios pour leur substituer desrégiments à deuxbataillons sur le modèle français.
Bien que d'autres puissances aient adopté la formation en tercio, leurs armées restaient en deçà de la réputation de l'armée espagnole, qui possédait un noyau de soldats professionnels, ce qui leur conférait un avantage par rapport aux autres pays. Cette armée était, en outre, complétée par « une armée de différentes nations », en référence au fait que la plupart des soldats étaient des mercenaires en provenance d'Allemagne (Landsknecht), des territoires italiens et des territoireswallons desPays-Bas espagnols, ce qui est caractéristique des guerres européennes, avant les prélèvements des guerres napoléoniennes. AuxXVIe et XVIIe siècles, le noyau des armées espagnoles était cependant formé principalement de sujets espagnols, qui ont souvent été salués pour leur cohésion, la supériorité de la discipline et le professionnalisme.
Un tercio était constitué par le regroupement de plusieursbanderas oucompagnies de combat, autour d'unétat-major permanent d'une trentaine d'hommes, une nouveauté pour l'époque. Cependant le nombre et la composition varia notablement au cours de la longue existence des tercios.
De1534 à1567, les premiers tercios basés surtout enItalie comportent dix banderas de300 hommes, dont deux d'arquebusiers. Les huit unités de piquiers mélangent trois types de soldats :
Les deux banderas d'arquebusiers ne comptent que despiqueros secos et desespingarderos, les premiers étant souvent remplacés par deshallebardiers, plus mobiles. En 1567, avant son départ pour lesFlandres, leduc d'Albe introduit quelquesmousquetaires, au sein des banderas, pour pouvoir percer les plus épaisses des armures.
Toutes les banderas, ont aussi un état-major de onze hommes, qui comprend le capitaine et son page, unalférez, unsergent, unabanderado ouenseigne, trois musiciens, unfourrier, unchapelain et unbarbier. Le corps de la troupe est divisé enescadres de25 soldats, que menait un vétéran, lecabo. L'escadre se divisait elle-même encamaradas de 6 à 12 hommes, conduites elles aussi par un vétéran. En théorie, un tercio de cette époque comprend donc :147officiers, 1 080 piquiers avec corselets,400 piquiers légers, 1 220 arquebusiers et190 mousquetaires. Dans la pratique, les effectifs sont plus réduits du fait desdésertions et des pertes, et il y a une tendance à augmenter le nombre de tireurs, donc la puissance de feu. Les banderas ont souvent un effectif de 150 ou même100 hommes.
En1568, une première réforme, intervient sur les unités présentes enFlandres, avec le passage à douze banderas mais seulement de250 hommes. La proportion de piquiers au sein de ces unités est beaucoup plus forte, avec 1 110 corselets et 1 080 piquiers légers, contre448 arquebusiers et230 mousquetaires. Cette augmentation du nombre de piquiers est probablement lié au coût des armes, l'arquebuse coûtant26réaux contre 7 pour une pique.
En1632, une ordonnance royale fixe l'organisation des tercios espagnols à12 compagnies de250 hommes et ceux des Flandres et d'Italie, à 15 de200 hommes. Ces nouvelles banderas, dites d'ordonnance, sont uniformes au sein d'un même tercio ; celle de250 hommes comprend onze officiers et aides,90corseletes,60 mousquetaires et89 arquebusiers, et celle de 200, onze officiers et aides,70corseletes,40 mousquetaires et79 arquebusiers.
Cependant en1636, le gouverneur desPays-Bas espagnols, organise les tercios espagnols et italiens de l'armée des Flandres sur un autre modèle à treize compagnies de piquiers et deux d'arquebusiers mais, du fait de la grande proportion de mousquetaires dans les banderas de piquiers, ceux ne représentent plus que le tiers de l'effectif théorique. Ces tercios sont censés avoir759 piquiers,318 arquebusiers et 1 380 mousquetaires. Les tercios provisoires levés dans la péninsule Ibérique sont beaucoup moins puissants, avec dix banderas de seulement cent hommes, ils sont aussi constitués de troupes de piètre valeur. Lestercios provinciaux qui les suivent sont plus réussis avec leurs douze compagnies de cent hommes et des troupes beaucoup plus motivées.
En1663, une réforme crée lestercios provinciaux fixes, avec16 compagnies de62 hommes, puis 20 de 50. Sur le terrain, les effectifs, là encore sont plus réduits, avec souvent une moyenne autour de500 hommes.
En1701,PhilippeV fixe l'effectif du tercio à un ou deux bataillons de650 hommes, de douze compagnies et une compagnie de grenadiers, la compagnie étant composée de 3 officiers, 2 sergents, 10 piquiers, 35 arquebusiers.

L'arme principale des piquiers est unepique, longue de 25 à27palmas de mano (largeurs de main), soit environ5,20mètres. Mais ils possèdent aussi uneépée, longue de4,5palmas, soit95centimètres et unedague de 30 à40 centimètres, pour les corps à corps. Lescorseletes ont une demi-armure ou corselet qui couvre tout le dessus du corps, ne laissant que les jambes sans réelle protection. Lespiqueros secos, moins exposés, se contentent de pièces d'armure plus simples et moins coûteuses. Lorsque le choc a lieu entre les deux phalanges de piquiers, ce qui n'a pas lieu couramment car les pertes sont alors importantes, les piquiers poussent leur pique de la main gauche par le bout, tout en dirigeant de la main droite vers le visage ou le torse de leur adversaire. Contre la cavalerie, la pique est bloquée contre le pied droit et tenue par la main gauche à environ 45° d'inclinaison, le soldat gardant sa main droite libre pour pouvoir dégainer son épée s'il a besoin de se défendre. Les troupes embarquées utilisent une pique plus courte, d'environ3,2 mètres.

Lesarquebusiers ne sont protégés que par leur casque, souvent unmorion et unbroigne en cuir, ou une casaque de tissu ou en peau de buffle ; auXVIIe siècle le casque est souvent remplacé par un simple chapeau de feutre. Ils portent unearquebuse avec douze doses de poudre préparées, surnomméesles douze apôtres, suspendues sur un baudrier et une réserve supplémentaire de poudre et de balles dans un sac. Pour servir leur arme, ils disposent aussi d'une baguette en bois pour bourrer la charge et unepoire contenant la poudre noire fine destinée à l'amorçage. Ils peuvent se défendre au corps à corps eux aussi grâce à l'épée et la dague. L'équipement du mousquetaire comprenait en plus la fourquine qui servait à appuyer sa lourde arme à feu lors du tir. D'abord dotées d'uneplatine à mèche, les deux armes adopteront progressivement laplatine à rouet au début duXVIIe siècle, puis seront tardivement remplacées par lemousquet avec uneplatine à silex, oufusil qui, pourvu d'unebaïonnette, révolutionne l'art de la guerre et provoque la disparition des tercios.
La grande innovation du tercio est de combiner au sein de la même unité des piquiers, dont l'efficacité contre la cavalerie a été prouvée par les Suisses aux batailles deGrandson et deMorat et des tireurs pour harceler l'ennemi avant le choc.
Au combat, le tercio forme, selon son effectif, un ou plusieurs escadrons de bataille, nommés aussiCuadro de Terreno (carré de terrain). Cette formation combine les armes pour les rendre efficaces contre les diverses unités ennemies. Les piquiers forment un carré, qui constitue le point de résistance de l'unité. Ils sont déployés de façon serrée, occupant chacun un rectangle de 0,64 mètre de large et 1,92 de profondeur. Les corseletes tiennent les extérieurs du carré, alors que les piqueros secos se regroupent au centre.

Autour de ce carré, se disposent les porteurs d'armes à feu :
En cas d'attaque, les arquebusiers et les mousquetaires se réfugiaient derrière le rempart des piquiers.
Il existait au moins trois variantes du carré, qui tenait un front de plus en plus étendu :
Les mangas d'arquebusiers, grâce à leur plus grande mobilité, étaient très couramment détachés, en avant-garde ou sur les flancs pour harceler l'ennemi, un peu à la manière des tirailleurs des armées postérieures. La présence de piquiers ou de hallebardiers en leur sein leur permettant de ne pas être balayés par une charge de cavalerie, lorsqu'ils étaient trop éloignés du carré du tercio. Leur utilisation du tir tient compte des limitations des armes de l'époque, les mangas détachés s'approchaient de l'ennemi, mais à bonne distance. une section était alors sortie de l'unité pour tirer. Déployée sur trois rangs, qui ouvraient le feu successivement, elle manœuvrait jusqu'à ce que chaque soldat ait tiré quatre coups, ce qui correspondait à la limite avant que l'arme s'échauffe, puis retournait au sein du manga, et une autre section était envoyée vers l'ennemi.
Vers la fin duXVIe siècle, on eut tendance à constituer de plus petits escadrons avec 800 à 1500 hommes, au lieu des 3000 des premières formations.
Le tercio lorsqu'il marche est déployé encolonne. Les deux compagnies d'arquebusiers sont utilisées, une en avant-garde, l'autre en arrière-garde. Les compagnies de piquiers ne marchent pas groupées, les mousquetaires détachés suivent l'avant-garde, suivi à leur tour par la moitié des arquebusiers, puis des piquiers. Au centre venaient ensuite les bannières et l'état-major, qui précédaient le reste des piquiers, puis des arquebusiers. Derrière eux et avant l'arrière-garde, les bagages, en terrain non hostile, on plaçait ceux-ci en tête de la colonne principale pour éviter qu'ils prennent du retard. Des éclaireurs étaient déployés sur l'avant et les flancs pour éclairer la marche.
Une des forces des tercios était de créer des détachements provisoires regroupant plusieurs banderas dans unetropas, d'importance variable. Ces unités temporaires servaient principalement lors de l'acheminement de réserves, mais étaient parfois utilisées comme détachement de combat, améliorant encore la flexibilité du tercio, en fonction des circonstances.
Nombre de tercios :
Les tercios espagnols se répartissent en septviejos (« vieux »), 7 ou 9 auxiliaires viejos, 14 ou 15 tercios provinciaux fixes, dont 5 viejos et 9 ou 10 nuevos.
tercios de l'Armada (2 ou 3 en 1701)
tercios italiens (11 à 14 en 1701)
tercios irlandais (1 en 1701 ?)
tercios allemands (6 à 9 en 1701)tercios des Grisons (suisses, 2 en 1701)
tercios wallons (8 en 1701)
Le terme de « tercios » a été utilisé pendant laguerre civile espagnole (1936-1939) pour désigner les unités de lalégion espagnole, l'équivalent espagnol de laLégion étrangère (tercios de Extranjeros), ainsi que pour les unités derequetés (milicescarlistes), les deux troupes combattant du côté nationaliste.
Malgré sa suppression en1704, le terme de tercio existe encore dans l'infanterie espagnole actuelle, il désigne les bataillons de lalégion espagnole (lestercios de Extranjeros) et le corps des fusiliers marins.