Taharqa est un roi deNapata en Nubie et un pharaon d'Égypte de 690 à 664 av. J.-C.[1]. Il est le fils dePiânkhy et d'Abar, et le frère deChabataka. Il est généralement représenté avec lacalotte propre aux rois koushites, sur laquelle se dressent deuxuræus, insignes de la double royauté de laNubie et de l'Égypte antique.
Taharqa, qui est encore prince sous le règne de son frère aînéChabataka et pendant l'affaire Inamani, mène une expédition en 706 av. J.-C vers leLevant, afin de contrer l'armée assyrienne deSargon II. Une fois roi, il dira qu'il était le préféré de son frère parmi les frères et les fils de ce dernier. Il s'agit peut-être d'une déclaration de propagande, à moins qu'il souhaite montrer qu'il est l'héritier désigné de son frère[2].
Dans laBible, leDeuxième Livre des Rois mentionne Taharqa (« Tirhaqa » /Tirhaka) commeroi deK(o)ush, ouÉthiopie, et comme un allié du roiÉzéchias deJuda (mort en 687 AEC) ou de son fils et successeurManassé. Cette alliance se fait contre l'avis des prophètesIsaïe etÉzéchiel, et bien sûr contre celui du roi d'AssyrieSennachérib (ouSanchérib) qu'il entreprend d'attaquer[3],[4].
Ce passage de la Bible correspond sans doute à l'affrontement(en) entre les armées deSennachérib et deChabaka vers 701 AEC[5]. Or Taharqa n'étant pas encore roi, soit il agit en tant que prince, comme il l'a fait sous le règne de son frère Chabataka, et la Bible l'aurait qualifié de roi par erreur, soit il y a dans la Bible une confusion entre deux évènements, toujours avec une qualification fautive de roi[5].
Malgré le conflit avec les Assyriens, le règne de Taharqa est une période de renaissance pour l'Égypte et pour Koush[8],[9]. Cette prospérité est due à une crue du Nil particulièrement importante, à des récoltes abondantes[8] et à des activités intellectuelles et matérielles favorisées par un gouvernement efficace[9]. Les inscriptions de Taharqa indiquent qu'il a donné beaucoup d'or au temple d'Amon à Kawa[10]. L'empire de la vallée du Nil est aussi grand que sous le Nouvel Empire[11]. La religion, les arts et l'architecture retrouvent les formes glorieuses de l'Ancien Empire, duMoyen Empire et duNouvel Empire. Sous Taharqa, la théologie thébaine fusionne avec l'idéologie impériale du Moyen et du Nouvel Empire. L'intégration culturelle de l'Égypte et de Koush est telle qu'elle ne s'effacera pas, même après la conquête assyrienne[9].
Taharqa restaure les temples existants et en construit de nouveaux. Des ajouts particulièrement importants se font dans le temple deKarnak, dans le nouveau temple de Kawa et dans les temples duGebel Barkal. Taharqa poursuit l'ambitieux programme de laXXVe dynastie qui vise à faire duGebel Barkal un « complexe monumental de sanctuaires [...] centré autour du grand temple d'Amon »[9]. La similitude entre le Gebel Barkal et Karnak « semble être au cœur des préoccupations des bâtisseurs du Gebel Barkal »[9]. Les autres travaux de Taharqa consistent à créer des « villes-temples », qui sont des « centres locaux de gouvernement, de production et de redistribution »[9].
Comme bâtisseur, Taharqa est très actif en Nubie, au point d'éclipser les réalisations de ses prédécesseursChabataka etChabaka[12]. Outre sa tombe àNouri, il intervient sur de nombreux sites. Il fait aménager un reposoir à barque dans le temple d'Amon àNapata construit essentiellement par son pèrePiânkhy. Il est également le commanditaire d'un temple du piton rocheux de Napata divinisé, ce dernier ayant la forme d'unuræus. Il fait également construire et décorer un temple hémispéos au pied de ce piton rocheux. À Napata toujours, il fait construire et décorer un temple dédié à Hathor[13].
Taharqa intervient également àKawa(en) où il restaure un temple construit à l'époque deToutânkhamon. Avec des ouvriers et architectes memphites, il construit un second temple dédié àAmon, àAnouket et àSatet. Une série de statues du roi, de sphinx et de criosphinx ornent ce temple. Dans un second temps, Taharqa fait ériger une petite chapelle dans lasalle hypostyle de ce second temple. L'influence de l'Ancien Empire y est manifeste, tant par les colonnes palmiformes que par les thèmes abordés, typiques des temples funéraires desVe etVIe dynasties égyptiennes[14].
ÀSanam(en), Taharqa fait décorer le temple d'Amon « taureau de Nubie » sur le modèle de celui de Kawa, ainsi qu'une chapelle ajoutée peu après dans la salle hypostyle. La situation de Sanam par rapport au Gebel Barkal suggère que ce temple a un rôle similaire à celui deMédinet Habou par rapport aux temples deThèbes : le culte des ancêtres royaux associé au culte d'Amon-Kamoutef[15].
ÀKerma, Taharqa est probablement le commanditaire de salles secondaires dans le temple principal d'Amon, et d'une chapelle latérale dans le temple oriental[16]. ÀTabo, sur l'île d'Argo, non loin de Kerma, un temple présente tant de similitudes avec ceux de Kama et de Sanam qu'il a probablement été commandé par Taharqa[16]. ÀPhilæ, Taharqa offre des reposoirs à barques à Amon de Takompso et Amon de l'Akh-Menou[17].
Enfin, les anciennes forteresses deBouhen,Semna etQasr Ibrim, ainsi que leurs temples, sont réoccupés et restaurés. Le temple de Semna est dédié àSésostris III divinisé[17].
Taharqa accorde une grande importance àThèbes, l'équivalent nordique deNapata. Il y construit quatre colonnades propylées, destinées à protéger rituellement les quatre points cardinaux des sanctuaires de Montou et d'Amon. La plus importante, dans la première cour dite bubastite, sert également de reposoir lors des sorties solennelles du dieu. Il restaure également l'enceinte d'Amon, évènement inscrit sur une stèle érigée en l'an 24, en pleine invasion assyrienne. Il fait également construire une chapelle pour Osiris Nebânkh et Osiris Paoushebiad, dans laquelle deux statues du roi ont été retrouvées (Caire JE 39403 et 39404). Un pylône et un sanctuaire du temple d'Opet sont également l'œuvre de Taharqa. Il fait également une donation en l'honneur d'Osiris Ounnéfer et d'Opet, donation enregistrée sur une stèle trouvée sur place. Taharqa est aussi le commanditaire d'un édifice proche du lac sacré, associé à unnilomètre ; cet édifice pourrait être un lieu de culte de substitution au temple de Djêmé àMédinet Habou. Taharqa fait également ériger une chapelle d'Osiris Nebdjet/Padedânkh à l'ouest de l'enceinte deMontou, et deux autres dans l'enceinte. Il ajoute à l'est de la colonnade propylée, qu'il a fait construire devant le temple de Montou, une chapelle pour le dieu-fils Horparê[18].
Montouemhat, le quatrième prophète d'Amon, fait également construire pour le compte de Taharqa une petite chapelle dans lesanctuaire de Mout à Karnak. Dans cette chapelle sont décrits des travaux entrepris par le roi : aménagement de l'enceinte de Mout, contre-temple et colonnade d'entrée. À l'est du temple de Mout est située le petit temple de Khonsou enfant, que Taharqa a refait décorer. Devant letemple de Louxor, une chapelle à chapiteaux hathoriques est construite et dédiée à Opet-Ouret, et un pendant du temple d'Opet à Karnak. La construction est enregistrée sur place sur une stèle datée de l'an 13. Sur l'autre rive, à l'ouest, Taharqa aménage la cour et le pylône du petit temple de Djêmé àMédinet Habou, un sanctuaire dédié au culte des dieux primordiaux[19].
Ailleurs en Haute-Égypte, l'activité architecturale de Taharqa est présente mais moins développée qu'à Thèbes :Esna,El Kab,Ouadi Hammamat,Coptos etHermopolis. Dans cette dernière ville, elle n'est attestée que par une stèle privée datée de l'an 7, qui permet toutefois de comprendre qu'aucun chef local ne venait interférer entre la monarchie koushite et l'administration locale. Tandis qu'à Coptos et à Esna, il s'agit de stèle relatant la crue exceptionnelle de l'an 6[20].
Dans le nord de l'Égypte, Taharqa est le mieux attesté des rois koushites. Toutefois, son pouvoir s'étant fortement affaibli dans cette région vers 680 AEC, il est probable que toutes ces attestations soient antérieures à 680 AEC, et donc qu'elles datent de la première décennie de son règne[21]. Une stèle provenant du dromos sud dutemple de Ptah àMemphis indique que Taharqa a fait une importante fondation envers un sanctuaire d'« Amon-qui-préside-aux-temples », et d'importants travaux de restauration dans ce temple. Une stèle trouvée à Tanis relate à nouveau la crue exceptionnelle de l'an 6, mais aussi les retrouvailles de Taharqa avec sa mèreAbar. ÀAthribis, il est attesté par des éléments architecturaux qui seront plus tard usurpés parPsammétique II. Au nord-ouest du Delta, le roi n'est attesté que par un poids sur lequel est inscrit « Taharqa, l'aimé d'Osiris qui réside à Saïs »[21].
Une stèle trouvée àDahchour commémore les activités de son armée dans la région, notamment les entraînements, propices à mettre en valeur la faveur divine dont bénéficie le souverain[21].
LaStèle de la victoire d'Assarhaddon a été taillée après la victoire assyrienne sur l'Égypte. Elle représente Assarhaddon dans une position majestueuse, une massue à la main et des captifs agenouillés devant lui. L'un est Oushankhourou, fils de Taharqa, enchaîné avec une corde autour du cou, mais coiffé de la couronne koushite. L'autre est peut-êtreAbdi-Milkutti(en), roi deSidon.
Taharqa fait alliance avec des rois dePhénicie et dePhilistie désireux d'être indépendants de l'Assyrie. L'armée de Taharqa entreprend des campagnes militaires avec succès, comme l'atteste la liste des principautés asiatiques conquises dutemple de Mout àKarnak et les « peuples et pays conquis » (Libyens, nomades Shasou, Phéniciens ?...) des inscriptions du temple de Sanam[9]. Le déroulement précis des opérations n'est pas connu[22].
En représailles à ces opérations et au soutien des Koushites envers les dirigeants du Levant, le roi assyrienAssarhaddon lance une campagne en 679 AEC, pendant laquelle il prendEl-Arich, dans le nord-est du Delta. Une deuxième campagne, en 674 AEC, est un échec auquel Taharqa etNékao Ier ne sont pas étrangers[23]. Ces raids militaires assyriens ne visaient pas à créer une nouvelle province de leur empire, qui aurait été trop éloignée, mais à « rendre les royaumes égyptiens impuissants »[24].
Assarhaddon lance une nouvelle campagne en 672 AEC, cette fois mieux documentée. L'affrontement entre Taharqa et les Assyriens a lieu en trois points, dont les deux premiers ne sont pas clairement situés : Magdala, Ishupri etMemphis. Selon les sources assyriennes, l'armée assyrienne aurait pillé et ramené un butin incroyable : 50 000 chevaux, 120 diadèmes d'or et des statues divines.Assarhaddon, qui veut éradiquer la présence koushite en Égypte, se proclame alors « roi puissant, roi du monde, roi d'Assyrie, roi de Sumer et d'Akkad, roi des rois de Basse-Égypte, de Haute-Égypte et de Koush ». Il déclare également avoir nommé de nouveaux gouverneurs et rois (une vingtaine). Mais la liste fournie au début du règne de son successeurAssurbanipal indique plutôt qu'il a laissé en place des dirigeants locaux.Nékao Ier en fait partie et figure en premier sur la liste, en tant que roi de Memphis et de Saïs[25].
Taharqa, dont le fils et prince héritier Oushankhourou (Nesinheret) et les épouses ont été capturés et déportés à Ninive, se refugie à Napata. Il y prépare une contre-attaque, et reprend rapidement la région thébaine, au moins dès 670 AEC (une stèle le montre avec ladivine adoratrice d'AmonChepenoupet II). Il reprend Memphis dont il chasse les fonctionnaires assyriens dès 669 AEC.Assarhaddon prévoit de chasser une nouvelle fois les Koushites du nord de l'Égypte. Il prépare une nouvelle campagne et lance son armée en 669 AEC, mais meurt inopinément. Son successeurAssurbanipal relance cette campagne avortée vers la fin de 667 AEC. Le nord de l'Égypte est à nouveau soumis. Une partie des roitelets et chefs du Delta, dont Nékao, se joignent même àAssurbanipal pour aller reconquérir le Sud et prennent à nouveau Thèbes. Sur le linteau d'une chapelle thébaine d'Osiris sont figurées la divine adoratrice d'AmonChepenoupet II et une princesse nommée Méresamon, dont le père semble être Nékao, ce qui montrerait l'influence et le prestige de ce dernier sur l'Égypte à cette époque[26].
Les Assyriens victorieux quittent l'Égypte après cette campagne en 666 AEC. Aussitôt les roitelets et chefs du nord, soutenus par Taharqa, se révoltent et chassent les fonctionnaires assyriens mis en place parAssurbanipal. Mais les Assyriens reviennent et répriment sévèrement ces troubles. Plusieurs de ces chefs et roitelets rebelles sont déportés à Ninive. Assurbanipal choisit Nékao, malgré sa participation aux troubles, comme représentant des roitelets et des chefs du Delta, espérant mieux contrôler cette région par l'intermédiaire d'un interlocuteur unique. De plus, son fils, le futur roiPsammétique Ier, est installé comme prince à Athribis, après que son prédécesseur a été déporté en Assyrie[27].
En 664, Taharqa meurt à Napata où il s'était réfugié. Son cousinTanoutamon lui succède, et dès l'année de son accession au trône, il reprend la conquête du nord de l'Égypte[28].
Ouchebti du roi Taharqa, en ankérite, issu de la pyramide N1 de Nouri.Les ruines de la pyramide de Taharqa àNouri ; c'est la plus ancienne et la plus grande pyramide du site.
Taharqa a construit la plus grande pyramide (environ 52 mètres carrés à la base) de la région nubienne, àNouri, en face duGebel Barkal, près d'El-Kourrou, et la plus élaborée des tombes koushites taillées dans le roc[29]. Il inaugure ainsi une nouvelle nécropole, où la plupart des rois deNapata se feront inhumer. Taharqa est enterré avec « plus de 1070 ouchebtis de différentes tailles, faits de granit, d'ankérite verte et d'albâtre »[30].
Une autre tombe surmontée d'unepyramide associée à des blocs au nom de Taharqa a été découverte dans les années 1960 à Sedeinga. On a longtemps pensé que le roi s'y était fait enterrer. Mais ces blocs étaient en fait des remplois tardifs pris sur le temple voisin dédié à la reineTiyi (l'épouse d'Amenhotep III), où Taharqa avait durant son règne ajouté une colonnade. Au début duXXe siècle, la fouille de lapyramide N1 deNouri permit la découverte d'ossements et d'ouchebtis à son nom, confirmant que le roi y avait bien été enterré.
↑2R 18,21 sqq. Ce point de vuehébreu utilise le terme plus générique dePharaon. Il peut donc désigner tout aussi bien l'un des prédécesseurs de Taharqa sur le trône, que la fonctiongénérique depharaon. Le roi conquérantSennachérib d'Assyrie, d'abord par médiateurs interposés dont son « échanson », incite son homologue deJuda (dontJérusalem),Ézéchias, à se méfier de l'Égypte. Selon eux, les Égyptiens sont des alliés peu fiables, sinon dangereux, car trop puissants envers leurs « protégés »... Mais il semblerait au moins initialement queles Hébreux aient fait surtout part aux Assyriens d'une « alliance » éventuelle avec les Égyptiens, de Taharqa ou d'un autrepharaon, pour détourner leur attention et leurs forces vers cet autre adversaire (a priori plus puissant), et les dissuader de faire trop longtemps le siège de Juda, et de vouloir le conquérir. Même les prophètesjudéens Isaïe et Ézéchiel condamnèrent toute alliance avec l'Égypte (cf.Es 30-31, &Ez 29-32).