En 1924,André Breton le définit dans le premierManifeste du surréalisme comme un « automatisme psychique pur, par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale […] ».
Le surréalisme repose sur la conviction qu'il existe une réalité supérieure dans certaines formes d'associations négligées jusqu'à lui, comme entre autres la toute-puissance du rêve ou le jeu désintéressé de la pensée. Il se plaît aux rapprochements inattendus entre des termes apparemment inconciliables, de façon à faire jaillir un sens neuf ou, comme le dit Breton, « une lumière particulière, lumière de l'image »[1]. Le surréalisme « tend à ruiner définitivement tous les autres mécanismes psychiques et à se substituer à eux dans la résolution des principaux problèmes de la vie »[2]. En réactualisant la dimension poétique de la peinture, le surréalisme se heurte à la question de la représentation du non figurable et de l'indicible.
Le poèteArthur Rimbaud (1854-1891) voulait être un visionnaire (ou plus exactement « voyant »), se mettre en état de percevoir la face cachée des choses, une autre réalité. C'est en poursuivant les tentatives de Rimbaud queGuillaume Apollinaire (1880-1918) part à la recherche de cette réalité invisible et mystérieuse. Le substantif « surréalisme » apparaît pour la première fois en mars1917 dans une lettre de Guillaume Apollinaire àPaul Dermée :« Tout bien examiné, je crois en effet qu'il vaut mieux adopter surréalisme que surnaturalisme que j'avais d'abord employé. Le mot “surréalisme” n'existe pas encore dans les dictionnaires, et il sera plus commode à manier que surnaturalisme déjà employé par MM. les Philosophes[10]. » C'est le poètePierre Albert-Birot qui décida Apollinaire, en mai de la même année, à sous-titrer la pièce que celui-ci était en train d'achever,Les Mamelles de Tirésias, « drame surréaliste » plutôt que « surnaturaliste »[b]. PICABIA a aussi fait référence à un "superréalisme" : dans la Revue "391" : en mai 1924.
Le concept est divulgué par la plaquette de présentation qu'Apollinaire est chargé, parSerge Diaghilev, de rédiger pour la première deParade, ballet réaliste en un tableau, le authéâtre du Châtelet, àParis. Du spectacle total conçu parJean Cocteau conjuguant« le premier orchestre d'Erik Satie, le premier décor dePablo Picasso, les premières chorégraphiescubistes deLéonide Massine, et le premier essai pour un poète de s'exprimer sans paroles », où« la collaboration a été si étroite que le rôle de chacun épouse celui de l'autre sans empiéter sur lui »[13], il explique :
« De cette alliance nouvelle, […] il est résulté dansParade, une sorte de sur-réalisme où je vois le point de départ d'une série de manifestations de cet esprit nouveau qui, trouvant aujourd'hui l'occasion de se montrer, ne manquera pas de séduire l'élite et se promet de modifier de fond en comble les arts et les mœurs dans l'allégresse universelle, car le bon sens veut qu'ils soient au moins à la hauteur des progrès scientifiques et industriels. Jean Cocteau appelle un ballet réaliste. Les décors et les costumes cubistes de Picasso témoignent du réalisme de son art. Ce réalisme, ou cecubisme, comme on voudra, est ce qui a le plus profondément agité les arts durant les dix dernières années. »
Ainsi, Apollinaire entend théoriser le sursaut poétique provoqué par laPremière Guerre mondiale[15] par lequel Jean Cocteau, comme quatre ans plus tard dans le spectacle desMariés de la Tour Eiffel, dédouble la représentation « réaliste » du quotidien bourgeois du spectateur par celle de la fantaisie inhumaine[16] et rêvée de personnages-machines. Dans ce manifeste se trouve déjà tout ce que ses détracteurs trouveront à reprocher au surréalisme : rupture avec tout traditionalisme, élitisme,modernité, c'est-à-dire progrès scientifique et, à l'instar desfuturistes, industrialisme.
Dans une chronique de consacrée au même ballet, Apollinaire, admiratif des décors créés parPicasso, revient sur le concept d'« […] une sorte de “sur-réalisme” où [il] voit le point de départ d'une série de manifestations de cet esprit nouveau qui […] se promet de modifier de fond en comble les arts et les mœurs […] Cette tâche “surréaliste” que Picasso a accomplie en peinture, […] je m'efforce de l'accomplir dans les lettres et dans les âmes […] »[17]. Dans une lettre du adressée àThéodore Fraenkel,Jacques Vaché annonce la première desMamelles de Tirésias pour le 24 :« […] et j'espère être à Paris […] pour la représentation surréaliste de Guillaume Apollinaire »[18].
Pour Gérard Durozoi, le mot surréalisme est« désormais […] victime de sa fausse popularité : on n'hésite pas à qualifier desurréaliste le premier fait un peu bizarre ou inhabituel, sans davantage se soucier de rigueur. Le surréalisme […] est pourtant exemplaire par sa cohérence et la constance de ses exigences[19] ». Cependant, Alain et Odette Virmaux pensent que cette« évolution sémantique n'est pas du tout déviante » et qu'elle« reste en accord avec le mot […], les surréalistes ayant “une prédilection pour l'humour noir et le nonsense” »[20].
Cette aventure (« une attitude inexorable de sédition et de défi ») passe en effet par l'appropriation de la pensée du poète Arthur Rimbaud (« changer la vie »), de celle du philosopheKarl Marx (« transformer le monde ») et des recherches deSigmund Freud[21] : Breton s'est passionné pour les idées de Freud[22] qu'il a découvertes dans les ouvrages des Français Emmanuel Régis et Angelo Hesnard, en 1917[23]. Il en a retiré la conviction du lien profond unissant le monde réel et le monde sensible des rêves, et d'une forme de continuité entre l'état de veille et l'état de sommeil (voir en particulier l'écriture automatique). Dans l'esprit de Breton, l'analogie entre le rêveur et le poète, présente chez Baudelaire, est dépassée. Il considère le surréalisme comme une recherche de l'union du réel et l'imaginaire :« Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue. »
Freud lui-même ressentit la plus grande méfiance envers les représentants du mouvement jusqu’à sa rencontre avecSalvador Dalí le. Dans une lettre àStefan Zweig datée du lendemain, Freud avoue : « J’étais jusque-là enclin à considérer les surréalistes, qui semblent m’avoir choisi pour saint patron, comme des fous absolus (disons à 95% […]). » Mais il avait changé d’avis devant l’incroyable technique du peintre et l’intérêt analytique de l’œuvre qui lui avait été présentée[24].
Le rapport du surréalisme à l’histoire est ambivalent. André Breton condamne la partialité du savoir historique et le culte du passé, et interroge le concept du temps. Et pourtant, les surréalistes ont cherché à fonder historiquement le mouvement, ils en sont même devenus les premiers historiographes en consignant toutes les dates et évènements marquants[25].
À partir de 1917, et du balletParade,Cocteau etApollinaire réfléchissent sur ce qu'ils ressentent être unesprit nouveau. Apollinaire reprendLes Mamelles de Tirésias, qu'il avait rédigé en 1903, pour y ajouter des éléments qui lui semblent découler tout naturellement des sensibilités de l'époque : tout un peuple représenté par une seule personne, un kiosque à journaux parlant, ou diverses provocations. Ce courant, se nourrissant de la périodedada, trouve une nouvelle concrétisation avec la pièceLes Mariés de la tour Eiffel, en 1921. Pour cette pièce, Cocteau, à unemusique bruitiste, préfère un amalgame de music-hall et d'absurde, poussant autant que possible lapataphysique de Jarry. À partir de là, débordant le mouvement dada, mais nourris par lui, les artistes recherchent des idées nouvelles[26].
Après avoir été séduits par ledadaïsme, les surréalistes s'inscrivent en rupture par rapport à ce mouvement : ils considéraient que le surréalisme susciterait l'arrivée de nouvelles valeurs, ce que n'acceptaient pas les dadaïstes[27]. Le dada, absolu dans sa dénonciation, ne survit pas à une querelle relative à l'engagement, suscitée par laRévolution soviétique et le risque d'une nouvelle guerre. En1924 naît le surréalisme avec la publication du premierManifeste du surréalisme d'André Breton, soucieux d'agir sur la société, sinon sur l'individu, sans tomber dans l'embrigadement. Dalí affirme d'ailleurs être sûr que le surréalisme « changerait le monde ». Étant lui-même un adepte opportuniste de ce mouvement, il sera une des incarnations des ambiguïtés de ce changement quand celui-ci prétend rester circonscrit au terrain culturel.
Plusieurs œuvres majeures du surréalisme sont publiées ou écrites dans la foulée de la publication duManifeste d'André Breton.Louis Aragon publieLe Libertinage puisLe Paysan de Paris (1926), Antonin Artaud publieL'Ombilic des limbes, André BretonLes Pas perdus etPoisson soluble, Paul EluardMourir de ne pas mourir,Benjamin PéretImmortelle maladie[28].
Le premier des peintres surréalistes estMax Ernst, qui appartenait déjà au mouvementdada. Il pratique notamment la technique ducollage. Dès 1924,Joan Miro entre dans le groupe.André Masson en fait également partie, de même qu'Yves Tanguy. Tous ces peintres, bien que réunis par le souci de créer des formes nouvelles, notamment en mobilisant le thème du rêve, ont des pratiques très diverses[29].
Laphotographie surréaliste est représentée d'abord parMan Ray, qui participait déjà au groupe dada à Paris.Brassaï intègre le groupe en 1924[30]. Les photographesÉli Lotar et sa compagneGermaine Krull arrivent à Paris en 1924 et participent au groupe surréaliste, sans en être néanmoins des membres centraux. Germaine Krull obtient du succès dès 1925 avec son portfolioMetal, montrant des fragments deponts transbordeurs ou de machineries de latour Eiffel, aux cadrages audacieux, souvent encontre-plongée, déconnectées d’une vision réaliste[31].
En 1925, les membres se réunissent tantôt chezAndré Breton, tantôt rue du Château,dans le quatorzième arrondissement de Paris, derrière Montparnasse, où cohabitentMarcel Duhamel,Jacques Prévert etYves Tanguy, qui viennent de rejoindre le mouvement. C'est lors d'une de ces réunions de la rue du Château qu'est inventée la pratique ducadavre exquis[32].
La fin des années 1920 voit les premières tensions entre les membres, notamment autour de l'adhésion ou non au Parti Communiste Français. Des membres jugés« bourgeois » sont exclus en 1929, dont certains fondentLe Grand Jeu :René Daumal,Roger Gilbert-Lecomte notamment[33]. Les exclus répondent avec le pamphletUn Cadavre (reprenant le titre du pamphlet surréaliste de 1924 contreAnatole France), qui accuse violemment André Breton de dérive sectaire et autoritaire[34]. André Breton publie en 1929 leSecond manifeste du surréalisme, dans le but de réaffirmer les principes initiaux et de réunir les membres, mais la désunion se poursuit, avec de nombreux pamphlets interposés.Robert Desnos est lui aussi exclu.
Cependant, ces mêmes années voient l'émergence ducinéma surréaliste.Antonin Artaud écrit le scénario du premier film surréaliste,La Coquille et le Clergyman deGermaine Dulac (1927), mais estime ne pas reconnaître son travail dans cette œuvre, si bien que les surréalistes chahutent la présentation du film au studio des Ursulines. En 1929,Luis Buñuel etSalvador Dalí réalisentUn Chien andalou, qui est salué par le groupe surréaliste. L'année suivante, la censure du film de BuñuelL'Âge d'or entraîne la constitution d'un fort bloc surréaliste derrière elle. C'est sans doute le seul film qui ait fait l'unanimité dans le groupe[35].
Après son entrée dans le groupe surréaliste par le cinéma,Salvador Dali devient surtout célèbre comme peintre. Il s'inscrit nettement dans la pratique surréaliste avec sa toileLe Grand Masturbateur, peinte en 1929. Il développe ensuite sa méthode« paranoïaque-critique », qui suscite l'admiration d'André Breton et le voit produire ses tableaux les plus célèbres. Il est régulièrement mis en marge du mouvement, notamment lorsqu'il fait part de son admiration pour Adolf Hitler, mais continue de participer aux revues surréalistes[36].
Au début des années 1930 naît véritablement un courant desculpture surréaliste, à partir du ralliement d'Alberto Giacometti au groupe et à son œuvreBoule suspendue, qui impressionne fortementAndré Breton etSalvador Dali[37]. Tout un numéro de la revueLe Surréalisme au service de la révolution est consacré au thème de l'objet, qui devient central dans le groupe, après une réflexion des années 1920 plus centrée sur le thème de l'image. Salvador Dali, s'inspirant de l'œuvre de Giacometti, lance le concept d'« objets à fonctionnement symbolique »[38], avec notamment l'œuvreObjet scatologique à fonctionnement symbolique. Après cela , plusieurs surréalistes pratiquent l’assemblage d’objets par associations libres et sous le règne de l’ambiguïté : Breton, Dalí, mais aussi Gala et Valentine Hugo[39].Alberto Giacometti préfère quant à lui l'expression« objets muets et mobiles » ou« objets désagréables, à jeter » pour qualifier ses propres productions, tels queFemme égorgée[40].
Plusieurs surréalistes se réunissent àNew York, où ils bénéficient de l'aide dePeggy Guggenheim, qui a épouséMax Ernst en 1941. En 1942 a ainsi lieu l'expositionArt Of This Century auMusée Guggenheim, où sont exposés de nombreux surréalistes, et pour laquelle André Breton aide Peggy Guggenheim à établir le catalogue, qui sera préfacé parHans Arp etPiet Mondrian[42].
Salvador Dali se rend auxÉtats-Unis au début du conflit mondial. Il y entre en quête de notoriété, se convertit au catholicisme, et abandonne le groupe surréaliste[36].
Dans les années 1940, de nombreux surréalistes étant présents auxÉtats-Unis, des activités surréalistes y ont lieu, en particulier autour de la revueVVV, fondée parAndré Breton avecMarcel Duchamp etMax Ernst[43].
Des revues continuent d'être créés pour maintenir le groupe :Néon (1948-1949),Médium (1952-1953), ou encoreLa Brèche (1961-1965). Cependant, plus aucun texte majeur n'est publié, et l'influence du surréalisme devient plus diffuse[47]. Des ralliements continuent d'arriver, comme en 1950 celui du poète mexicainOctavio Paz, futur prix Nobel de littérature. Peu à peu, la littérature strictement issue du groupe surréaliste se fait moins importante, mais commence la diffusion d'une influence non négligeable. Ainsi,Boris Vian n'a jamais été membre du surréalisme, mais une œuvre commeL'Écume des jours est fortement imprégnée de surréalisme[48]. Certains surréalistes naissent par ailleurs posthumes, commeColette Peignot, qui était en marge du surréalisme et mourut en 1938, et dont l'œuvre est essentiellement découverte durant les années 1970[49].
En France, en 1966, la mort du poète André Breton, chef de file du groupe, va entraîner de grands soubresauts dans le surréalisme. Trois ans plus tard,Jean Schuster signa officiellement, dans le quotidienLe Monde, l’acte de décès du mouvement dans un article intitulé « Le Quatrième Chant »[50], mais la majorité des membres du groupe refuse cette décision brutale. Pour la plupart des surréalistes stupéfaits par la décision de Jean Schuster, celle-ci est fondée sur une manipulation politique dont l’origine se trouve dans l’engagement pro-cubain de Jean Schuster[51].Jean-Louis Bédouin écrit un virulent article de protestation publié dansLe Monde du[52],Vincent Bounoure lance au sein du groupe l’enquêteRien ou quoi ? qui mettra en évidence l’écartèlement du groupe sur la question de la dissolution.
En plus de Jean-Louis Bédouin et Vincent Bounoure,Robert Benayoun,Jorge Camacho,Gherasim Luca,Marianne van Hirtum,Jacques Abeille,Ludwig Zeller(en) et d'autres vont refuser cette décision brutale et vont poursuivre l’aventure surréaliste. Dans leBulletin de liaison surréaliste (10 numéros parus entre 1970 et 1976), dirigé par Jean-Louis Bédouin[53], puis dans les deux numéros deSurréalisme (janvier 1977, juin 1977)[54], on retrouve, entre autres, aux côtés de Vincent Bounoure, les noms deMichel Zimbacca,Joyce Mansour, Jorge Camacho,Michaël Löwy,Yves Elléouët. Après la mort de Vincent Bounoure en 1996, le Groupe surréaliste de Paris, réuni autour de Michel Zimbacca, se dote jusqu’en 2005 de la revueS.U.R.R.[55]. L’activité du groupe parisien se poursuit aujourd’hui, notamment à travers des expositions collectives et une nouvelle revue,Alcheringa, animée parSylwia Chrostowska,Joël Gayraud et Guy Girard, dont quatre numéros ont paru depuis 2019.
À côté de ce courant qui continue d’affirmer la présence surréaliste au-delà même de la dissolution officielle du mouvement, les anciens membres ayant accepté cette dissolution, autour deGérard Legrand,José Pierre etJean Schuster, publieront au début des années 1970 la revueCoupure. Mais certains des auteurs deCoupure s’opposeront à leur tour à Jean Schuster et José Pierre pour se retrouver autour deRadovan Ivšić et du jeune poète libertairePierre Peuchmaurd. Les rejoindront, entre autres,Jean Benoit,Georges Goldfayn,Gérard Legrand,Toyen etAnnie Le Brun. Plus tard encore, un autre des derniers compagnons d’André Breton,Sarane Alexandrian, tout en considérant acquise la mort du surréalisme historique, constatant que rien n’est venu le remplacer, crée et anime la revueSupérieur inconnu (1996-2011), tentant lui aussi de fédérer les forces surréalistes en France (avec entre autresAlain Jouffroy,Jean-Dominique Rey,Christophe Dauphin,Basarab Nicolescu,Virgile Novarina ouVirginia Tentindo, laquelle a rejoint en 2013 le Groupe surréaliste de Paris).
Parallèlement, dès les années 1970, paraissent des revues émanant de collectifs se situant ouvertement dans la lignée du surréalisme (Le Melog,La Crécelle noire,Camouflage) que fondent ou viennent rejoindre de plus jeunes recrues (Pierre Peuchmaurd,Alice Massénat ouPeter Wood). Le poète surréaliste irakienAbdul-Kader El Janabi anime divers groupes, et les éditionsArabie-sur-Seine qui publient des textes de Pierre Peuchmaurd,Jean-Pierre Le Goff,Karl Kraus,Theodor W. Adorno.
Dans les principaux autres pays marqués par le surréalisme (Royaume-Uni,États-Unis,Tchécoslovaquie notamment), les groupes surréalistes existants n’ont guère été touchés par la décision de Jean Schuster de 1969 et que des groupes surréalistes y ont continué leurs activités de façon ininterrompue, y compris, pour le cas de la Tchécoslovaquie (avec entre autresVratislav Effenberger,Martin Stejskal,Jan Švankmajer,Eva Švankmajerová,Pavel Řezníček(en)), le groupe réapparu après lePrintemps de Prague dans les conditions hostiles d'un pouvoir totalitaire censurant la vie intellectuelle[56].
Le surréalisme connaît une fortune particulière dans la littérature francophonebelge.Paul Nougé, dont la poésie présente un aspect ludique très marqué, fonde en 1924 un centre surréaliste àBruxelles avec entre autres les poètesCamille Goemans etMarcel Lecomte. Un autre groupe important,Rupture, se crée en1932, àLa Louvière, autour de la personnalité d'Achille Chavée.
Le surréalisme exercera une action stimulante sur le développement de la poésie espagnole, mais à la fin desannées 1920 seulement, et en dépit de la méfiance suscitée par l'irrationalisme inhérent à la notion d'écriture automatique.Ramón Gómez de la Serna définit ses rapprochements insolites,greguerias, comme « humour + métaphore ». Le courant « ultraïste » déterminera un changement de ton chez les poètes de la « Génération de 27 »,Federico García Lorca,Rafael Alberti,Vicente Aleixandre etLuis Cernuda. Les principes surréalistes se retrouvent enScandinavie et enURSS. Le « poétisme »tchèque peut être considéré comme une première phase du surréalisme. Il s'affirme dès1924 avec un manifeste publié parKarel Teige, qui conçoit la poésie comme une création intégrale, donnant libre cours à l'imagination et au sens ludique. Ses représentants les plus éminents furentJaroslav Seifert et surtoutVítězslav Nezval, dont Soupault souligna l'audace des images et symboles. Le mouvement surréaliste yougoslave entretient d'étroits contacts avec le courant français grâce àMarko Ristić(en).
En dépit d'une perte de prestige à partir de1940, le surréalisme a existé comme groupe jusqu'auxannées 1960, en se renouvelant au fur et à mesure des départs et des exclusions. Le surréalisme fut également revendiqué comme source d'inspiration par l'Alternative orange, un groupe artistique d'opposition polonais, dont le fondateur, le Major (Commandant)Waldemar Fydrych, avait proclaméLe Manifeste du surréalisme socialiste. Ce groupe, qui organisait deshappenings, peignait desgraffiti absurdes en forme de lutins sur les murs des villes et était un des éléments les plus pittoresques de l’opposition polonaise au communisme, utilisait largement l’esthétique surréaliste dans sa terminologie et dans la place donnée à l’acte spontané.
Le surréalisme japonais est représenté parJunzaburō Nishiwaki (1894-1982),Shūzō Takiguchi (1903-1979),Katsue Kitazono (1902-1978). Parmi les peintres :Harue Koga (1895-1933),Ichirô Fukuzawa(de) (1898-1992),Noboru Kitawaki (1901-1951), ou encore le photographe et poèteKansuke Yamamoto (1914-1987). Quant aux romanciers, les œuvres les plus marquantes nous ont été laissées parKōbō Abe (1924-1993). Concernant lesmangas, une brèche fut ouverte à la possibilité d'emploi de tournures surréalistes avec l'œuvre Nejishiki (ねじ式) deYoshiharu Tsuge (publiée dans le numéro de juin du magazineGaro, en 1968), puis le secteur put obtenir un appui écrasant de la génération du Zenkyōtō (équivalent de Mai 68), sous l'influence considérable d'artistes et de nombreux intellectuels non initiés à ce type d'œuvre. Le surréalisme japonais ne s'inscrit pas dans la continuité du dadaïsme. Au Japon, la quasi-totalité des écrivains appartenant au mouvement dadaïste (groupe d'écrivains faisant partie du MAVO) ne sont pas devenus surréalistes, et inversement, la plupart des surréalistes japonais n'œuvrent pas en tant que dadaïstes.
L'écriture automatique est un mode d'écriture cherchant à échapper aux contraintes de la logique, elle laisse s'exprimer la voix intérieure inconsciente, dévie l'inconscient de la pensée. Il s'agit d'écrire ce qui vient à l'esprit, sans se préoccuper du sens.
"Surréalisme, n. m. Automatisme psychique pur par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale."
André Breton, (1896 / 1966), extrait duManifeste du Surréalisme (page 328 du tome 1 des œuvres complètes de l'édition deLa Pléiade), en 1924.
« Secrets de l'Art magique surréaliste. Composition surréaliste écrite, ou premier et dernier jet.Faites-vous apporter de quoi écrire, après vous être établi en un lieu aussi favorable que possible à la concentration de votre esprit sur lui-même. Placez-vous dans l'état le plus passif, ou réceptif, que vous pourrez. Faites abstraction de votre génie, de vos talents et de ceux de tous les autres. Dites-vous bien que la littérature est un des plus tristes chemins qui mènent à tout. Ecrivez-vite sans sujet préconçu, assez vite pour ne pas vous retenir et ne pas être tenté de vous relire. La première phrase viendra toute seule, tant il est vrai qu'à chaque seconde il est une phrase, étrangère à notre pensée consciente, qui ne demande qu'à s'extérioriser ..."
André Breton, (1896 / 1966), extrait duManifeste du Surréalisme (pages 331-332 du tome 1 des œuvres complètes de l'éditionLa Pléiade), en 1924.
Par l'écriture automatique, les surréalistes ont voulu donner une voix aux désirs profonds, refoulés par la société. L'objet surréaliste ainsi obtenu a d'abord pour effet de déconcerter l'esprit, donc de « le mettre en son tort ». Peut se produire alors la résurgence des forces profondes : l'esprit « revit avec exaltation la meilleure part de son enfance ». On saisit de tout son être la liaison qui unit les objets les plus opposés, l'image surréaliste authentiquement est unsymbole. Approfondissant la pensée de Baudelaire, André Breton compare, dansArcane 17, la démarche du surréalisme et celle de l'ésotérisme : elle offre« l'immense intérêt de maintenir à l'état dynamique le système de comparaison, ce champ illimité, dont dispose l'homme, qui lui livre les rapports susceptibles de relier les objets en apparence les plus éloignés et lui découvre partiellement le symbolisme universel ».
L'écriture sexualisée : d'après certains surréalistes comme André Breton, le moment de l'acte sexuel correspond à un moment où nos pulsions nous dominent. Dès lors, nos désirs profonds se révèlent, et ces instants peuvent être combinés à une pratique artistique désinhibée. Breton écrivait alors qu'il faisait l'amour et pensait que ses meilleures œuvres étaient le fruit de ces moments.
Les récits et les analyses de rêves consistent à décrire ses rêves et à trouver le « fil conducteur » qui les relie à la réalité. Des jeux d'écriture collectifs faisant intervenir le hasard sont également pratiqués ; lecadavre exquis en est un. Dans ce jeu, tous les participants écrivent tour à tour une partie de phrase sur une feuille sans connaître ce que les personnes précédentes ont marqué. L'ordre syntaxique nom-adjectif-verbe-COD-adjectif doit être respecté : on obtient ainsi une phrase grammaticalement correcte. Le nom de « cadavre exquis » vient de la première phrase obtenue de cette manière : « Le cadavre — exquis — boira — le vin — nouveau ». Enfin, pendant les séances de sommeil hypnotique, les participants notent leurs délires et hallucinations parfois provoqués par prise de drogues ou d'alcool.
À l'opposé des techniques automatiques, se trouve laméthode paranoïaque-critique,« une méthode spontanée de connaissance irrationnelle, basée sur l’objectivation critique et systématique des associations et interprétations délirantes ». Patrice Schmitt[61], à propos d'une rencontre entre Dalí etLacan, nota que« la paranoïa selon Dalí est aux antipodes de l'hallucination par son caractère actif[61] ». Elle est à la fois méthodique et critique[61]. Elle a un sens précis et une dimension phénoménologique et s'oppose à l'automatique, dont l'exemple le plus connu est le cadavre exquis[61]. Faisant le parallèle avec les théories de Lacan, il conclut que le phénomène paranoïaque est de type pseudo-hallucinatoire[62]. Les techniques d'images doubles sur lesquelles Dalí travaillait depuis Cadaqués (L'Homme invisible, 1929) étaient particulièrement propres à révéler le fait paranoïaque[62].
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Jean-Claude Michel,Les écrivains noirs et le surréalisme, Sherbrooke (Canada), Naaman, 1982.
Jacques Michon, « Surréalisme et modernité »,Études françaises, volume 11, numéro 2, mai 1975, p. 121-129
↑À l’entrée « Allemagne », dans sonDictionnaire du surréalisme,Jean-Paul Clébert écrit :« On peut dire que, si le surréalisme est officiellement né en France et que ce soient surtout des Français qui l'aient rendu « manifeste », c'est en Allemagne qu'il a été conçu. […] C'est l'Allemagne qui a nourri le surréalisme de son romantisme littéraire et pictural. Les Allemands sont légion parmi ses précurseurs :Novalis,Hölderlin,Arnim...[3] »
↑Pierre Albert-Birot donne deux fois le récit de ce moment : « Peut-être convient-il que je touche ici la question du mot surréaliste. Apollinaire, depuis plusieurs mois hésitait entre “surnaturaliste” et “surréaliste”, il employait tantôt l'un tantôt l'autre, mais avec une préférence pour “surnaturaliste”. Or Marcel Adéma dans son histoire d'Apollinaire cite une lettre du poète adressée en mars 1917 àDermée dans laquelle une fois de plus il dit : oui je crois qu'il vaut mieux employer “surréaliste”. Mais son hésitation n'a pas cessé puisqu'en mai, quand je prépare l'impression du programme pour la représentation et que je lui dis “que mettons-nous sous le titre ?”, il me répond d'abord “drame”, mais lui objectant que la pièce demanderait à être nettement caractérisée, il me dit “mettons drame surnaturaliste”, et comme je lui fais remarquer que d'une part le mot est impropre car nous ne faisons aucunement appel au surnaturel, et d'autre part qu'il se rapproche un peu fâcheusement du “naturalisme” qui n'est pas si loin, “c'est vrai”, me dit-il, “vous avez raison, alors imprimezdrame surréaliste” C'est donc bien au cours de cette conversation qu'il a définitivement choisi, le mot allait être imprimé sur le programme et ensuite sur le livre, il n'y avait plus à y revenir[11].» « Au moment de donner le texte à l'imprimeur j'ai dit à Apollinaire : “Donnez-moi le titre complet,Les Mamelles de Tirésias, oui, mais que mettons-nous dessous ? — Eh bien, drame. — Drame tout seul, ne pensez-vous pas qu'il vaudrait mieux que vous le caractérisiez vous-même, ce drame, sans quoi on va dire qu'il est cubiste. — C'est vrai, mettonsdrame surnaturaliste”. Je rechignais parce que je voyais là, soit un possible rattachement à l'école naturaliste, ce qui était fâcheux, soit une évocation du surnaturel, ce qui était faux. Apollinaire réfléchit deux secondes : “Alors mettonssurréaliste”. Cette fois,ça y était et nous étions d'accord et contents tous les deux[12]»
↑Alain Joubert,Le Mouvement des surréalistes ou le fin mot de l’histoire. Mort d’un groupe – naissance d’un mythe, Paris, Éditions Maurice Nadeau,(ISBN2-86231-173-1)