Le nom « Sturm und Drang » provient des historiens duXIXe siècle siècle ; selon legermanistePierre Grappin, la période de lalittérature allemande, qu'il désigne peut assez bien correspondre« à ce qu'a été, dans les pays anglo-saxons et en France, le momentpréromantique », sachant toutefois qu'enAllemagne,« le phénomène a eu des traits spécifiques »[2]. La« renaissance de la littérature allemande » étant encore récente, ce moment de renouveau a inspiré plusieurs grands auteurs commeGoethe etSchiller[2]. Ce faisant,« le préromantisme anglais et leSturm und Drang sont nés d'une réaction contre laphilosophie des Lumières »[2].
La première phase du mouvement commence àStrasbourg autour du groupe animé parHerder et Goethe à partir de1770 et culmine avec les articles du périodiqueFrankfurter Gelehrte Anzeigen, les essais deVon deutscher Art und Kunst (De la manière et de l'art allemands), le drame historiqueGötz von Berlichingen(de) et le romanLes Souffrances du jeune Werther. À cette phase historique et esthétique succède en 1775-1776 une phase plus sociale illustrée par les drames deLenz,Wagner etKlinger. Étant donné la brièveté de la période et le petit nombre de groupes et de protagonistes, la représentation d'un mouvement de jeunes auteurs des années 1770 à 1776 suffit peut-être pour circonscrire la phase collective duSturm und Drang. Friedrich von Schiller représenterait à lui seul une troisième phase du mouvement, mais les auteurs ont des avis divergents à ce sujet[3].
Le nom de ce mouvement vient d'une pièce de théâtre deFriedrich Maximilian Klinger dont le titre, peut-être provocateur[4], fut soufflé en1776 par leSuisseChristoph Kaufmann(de), un disciple deLavater. Une tradition historiographique nationaliste ou influencée par le nationalisme allemand a voulu faire de ce mouvement la révolte (nationale) du sentiment, de l'intériorité contre la superficialité abstraite des lumières. Depuis un texte publié en 1936 parGeorg Lukács sur le romanLes Souffrances du jeune Werther (Die Leiden des jungen Werthers), écrit dans la jeunesse de Johann Wolfgang von Goethe, l'idée d'une rationalité profonde duSturm und Drang s'est cependant imposée. Les spécialistes actuels définissent les relations de ce mouvement à l'Aufklärung comme critique et dynamisation, à l'intérieur des Lumières, en s'appuyant sur une définition du romaniste allemand Werner Krauss[5].
Laliberté est la valeur centrale. Le mouvement refuse les conventions sociales et morales qui brident l'épanouissement de la personne de même qu'un art moral qui dépeint des personnages éloignés de toute expérience concrète. LeSturm und Drang s'oppose sur le plan esthétique à la tradition littéraire et artistique dominante et à une influence française, notamment dans le genre dramatique, jugée courtisane et desséchante. Mais l'Allemagne éclatée duSaint-Empire n'est guère favorable à une action nationale ; ainsi, bien que ce mouvement se soit voulu également politique, il n'a été en pratique qu'un courant littéraire. Dans son autobiographie, Goethe a qualifié ce mouvement de« révolution littéraire », à laquelle ses participants auraient contribué de manière consciente et inconsciente[6].
Le mouvement s'inspire beaucoup deJean-Jacques Rousseau et deWilliam Shakespeare. Le mouvement naît dans uneAllemagne où règne l'absolutisme.Götz von Berlichingen(de) est la manifestation d'un patriotisme« impérial » (c'est-à-dire national) contre l'éclatement duSaint-Empire en Villes et États souverains opposés les uns aux autres. Sur le plan politique, ce patriotisme impérial critique aussi l'absolutisme des princes et le gouvernement aristocratique des villes, défendant le point de vue de catégories sociales qui ne sont pas représentées à la diète impériale (les chevaliers d'empire, la petite bourgeoisie cultivée, les étudiants, les officiers, etc.).
Cette volonté de liberté s'accompagne d'un intérêt nouveau pour la nature. Les personnages peuvent laisser s'exprimer leurs sentiments plus librement lorsqu'ils se trouvent seuls dans la nature, mais c'est sur la société qu'ils cherchent à agir et leur vision de la nature est influencée par leur rapport au monde social qui les entoure. Lanature est aussi un modèle de création, les auteurs se voudraient aussi créatifs que la nature, on recherche la spontanéité, l'intensité et l'originalité. Les auteurs se doivent d'être desgénies (leur talent n'a pas besoin de règles extérieures) plutôt que des poètes savants ayant appris leur art de l'étude.
Les Souffrances du jeune Werther (Die Leiden des jungen Werthers) est considéré comme un des romans les plus importants. Ce premier roman rendGoethe immédiatement célèbre (il a alors 24 ans). La plus grande partie de l'action est racontée sous forme de lettres que Werther écrit à son ami Wilhelm. Werther est un jeune homme qui s'installe àW (Wetzlar) pour peut-être y faire carrière. Là, il se promène dans la nature pour la dessiner car il se croit artiste. Un jour il est invité à un bal au cours duquel il rencontre une jeune femme prénommée Charlotte (Lotte), fille d'unbailli, qui depuis la mort de sa mère s'occupe de ses frères et de ses sœurs. Werther sait depuis le début que Charlotte est engagée à Albert. Cependant Werther tombe immédiatement amoureux de la jeune fille, qui partage avec lui les goûts de sa génération, en particulier pour la poésie enthousiaste et sensible deKlopstock. Werther, qui litHomère dans les débuts heureux du livre, passe à la poésie nébuleuse et mélancolique d'Ossian. Expérience humiliante, il est contraint de quitter une société quand on lui fait observer que les roturiers n'y sont pas admis. Le suicide de Werther est inspiré de celui du jeune Jerusalem à Wetzlar, fils d'un théologien luthérien célèbre, son amour malheureux de l'attraction qu'éprouva un temps le jeune Goethe pourCharlotte Buff. Dans le roman, de nombreux faits réels sont transposés, par exemple l'exemplaire de la tragédieEmilia Galotti de Lessing sur le pupitre de Werther au moment de son suicide (critique implicite du sentimentalisme un peu formel de la phase précédente des Lumières) ainsi que la dernière phrase du livre, directement prise dans la lettre écrite par Johann Christian Kestner, le modèle réel du mari de Charlotte, un homme estimable et cultivé, et qui nota à propos de l'enterrement du jeune Jerusalem :« Aucun prêtre ne l'a accompagné » (« Kein Geistlicher hat ihn begleitet »).
On trouve aussiJakob Michael Reinhold Lenz, le plus grand talent avec Goethe,Heinrich Leopold Wagner et Klinger.Johann Gottfried Herder fut l'idéologue du mouvement à ses débuts ; son maîtreJohann Georg Hamann n'y prit pas une part directe. Herder joua un rôle particulier : il mit en avant la poésie populaire et recueillit des chansons populaires de différents pays dansLes Voix des peuples dans leurs chants.
Une autre figure emblématique de ce mouvement futFriedrich Gottlieb Klopstock, qui représenta au début un modèle (vite dépassé).
LeGöttinger Hain (le « bosquet de Goettingen »), autrefois rattaché auSturm und Drang en est de nos jours distingué : l'enthousiasme national des Stolberg, de Johann Heinrich Voss et de Ludwig Hölthy diverge de la tendance sociale et critique des Lenz et Wagner, même s'il partage certains modèles, à commencer par celui de Klopstock. Cet enthousiasme national reste cependant marqué par les Lumières : peu d'auteurs duGöttinger Hain basculèrent dans le nationalisme virulent qui s'exprima durant l'ère napoléonienne.
Les fictions duSturm und Drang mettent en scène des conflits sociaux entre un individu et la société, mais aussi à l'intérieur de la société, voire de la famille. Les personnages les plus typiques duSturm und Drang sont victimes du mauvais fonctionnement de la société, de la violence sexuelle exercée par des jeunes hommes qu'on empêche de se marier ou d'avoir une vie sexuelle (les soldats, les étudiants), de ses conséquences (leviol, l'infanticide commis par les jeunes mères), de la jalousie entre frères (à cause des privilèges de l'aîné par rapport au cadet), de l'arrogance des aristocrates vis-à-vis des roturiers, de la brutalité autoritaire des pères de famille dans les classes inférieures de la société, de la puissance de préjugés de toutes sortes. Le refus des traditions et conventions littéraires liées à l'emprise (assez superficielle en Allemagne) de ladoctrine classique conduit les auteurs à l'exploration des formes théâtrales nouvelles et d'un élargissement duchamp lexical dans tous les genres, de la vulgarité à la description la plus sublime de la nature ou des sentiments.
↑François Genton, « Le drame du Sturm und Drang dans la France de l'Ancien Régime », dansLe Sturm und Drang : une rupture ?, Besançon, 1996, p. 135-168.
↑Werner Krauss, « Zur Periodisierung Aufklärung, Sturm und Drang, Weimarer Klassik »,Sinn und Form, 1,2/1961, p. 76. Le texte de Krauss est reproduit dansStudien zur deutschen und frz. Aufklärung, Berlin, Rütten und Loening, 1963, p. 376-399.
↑Goethe,Dichtung und Wahrheit, Livre XI. ‚Sämtliche Werke. (Artemis-Gedenkausgabe) Munich, dtv, 1977, t. 10, p. 536.
François Genton, « Le drame du Sturm und Drang dans la France de l'Ancien Régime », dansLe Sturm und Drang : une rupture ?, Besançon, 1996, p. 135-168.