Steve Reich, né le àNew York, est unmusicien etcompositeuraméricain. Il est considéré comme l'un des pionniers de lamusique minimaliste, un courant de lamusique contemporaine jouant un rôle central dans lamusique classique des États-Unis. Pour caractériser son œuvre, et spécialement ses compositions de la période 1965-1976, il préfère utiliser l'expression « musique de phases » (traduite de l'américainPhasing), qui fait référence à son invention de la technique musicale dudéphasage[1]. À partir de1976, il développe une écriture musicale basée sur le rythme et la pulsation avec l'une de ses œuvres les plus importantes,Music for 18 Musicians, qui marque le début de son large succès international[2]. Dès lors reconnu comme un compositeur contemporain essentiel, il oriente son travail de composition autour de la mise en musique du discours, notamment dans des œuvres multimédia associant la vidéo créées en collaboration avec son épouseBeryl Korot.
Bien qu'ayant joué un rôle central dans l'évolution de la musique contemporaine, et, par ses œuvres, influencé des artistes au-delà de son champ de création, comme enmusique électronique et endanse contemporaine, Steve Reich reste toutefois un compositeur peu prolifique qui n'a écrit, durant l'ensemble de sa carrière, qu'une cinquantaine de pièces distinctes. Celles-ci lui ont cependant valu de nombreux prix et distinctions internationales et font l'objet d'une très importante discographie.
Steve Reich, né dans une famille juive de la classe moyenne deNew York en 1936, est le fils de Leonard Reich, un avocat, et deJune Sillman qui se produit comme actrice, chanteuse, et compositrice de spectacles surBroadway[3],[4],[5]. Ses parents se séparent alors qu'il a un an, le conduisant à vivre jusqu'en 1942 entre New York chez son père où il est élevé par sa gouvernante, Virginia Mitchell, etLos Angeles durant les vacances avec sa mère qui s'est remariée à Sidney Carroll avec lequel elle aura trois autres enfants dont l'auteur defantasyJonathan Carroll[5],[6]. À sept ans, il prend des leçons de piano mais, d'après ses dires, s'intéressera plus dans les années suivantes à la musique populaire. Durant son adolescence, il découvre également lejazz par l'intermédiaire de ses amis et fonde avec ceux-ci, à 14 ans, un groupe dont il est le batteur. Sa passion pour le rythme le pousse à étudier sérieusement les percussions avec Roland Kohloff, timbalier duNew York Philharmonic[5].
Au début de ses études en 1953, Steve Reich suit d'abord un cursus de philosophie durant lequel il étudie notamment les essais deLudwig Wittgenstein mais aussi l'histoire de la musique avec William Austin qui aura une grande importance dans l'orientation de ses goûts musicaux[4],[7]. Il obtient son diplôme de l’université Cornell en 1957. Contrairement aux désirs de son père qui souhaite le voir mener une profession libérale[4],[8], il décide de poursuivre des études de musique à laJuilliard School of Music deNew York, où il est inscrit de 1958 à 1961 dans les classes de piano et de percussions avecWilliam Bergsma etVincent Persichetti[9], mais aussi de composition en cours privés avec le pianiste de jazzHall Overton[4]. C'est également durant cette période qu'il rencontre,Art Murphy (qui deviendra un futur membre de son groupe),Peter Schickele etPhilip Glass, lui aussi étudiant à la Juilliard mais avec lequel il déclare alors n'avoir rien en commun[4]. Sa vie personnelle est marquée à cette époque par un premier mariage en 1960 avec Joyce Barkett, dont naîtra un fils Michael en 1962, mais le couple se séparera un an plus tard. Il décide de partir pourSan Francisco à l'été 1961, où il vit une période de doutes personnels et enchaîne les petits boulots[10].
De 1962 à 1963, il étudie la composition avecDarius Milhaud et lamusique atonale avecLuciano Berio, nouvellement recruté, auMills College àOakland enCalifornie où il obtient sonMaster of Arts[10]. C'est durant cette période qu'il décide de ne pas composer dans le style alors dominant de lamusique sérielle, déclarant même, en réaction contre celui-ci :« John Cage et le sérialisme ont surtout représenté pour moi une influence à combattre[11]. »L'étude du sérialisme avec Berio a de fait poussé Steve Reich vers son attrait naturel pour lerythme et latonalité. Lors de ses essais de composition sérielle, Reich se surprit à dénaturer le système, en utilisant la répétition de la série sous la même forme, afin d'y intégrer un peu d'harmonie. Berio lui dira alors :« Si vous voulez écrire de lamusique tonale, allez-y, écrivez de la musique tonale »[12]. C'est également durant ses années d'étude au Mills College que se situe le premier contact de Steve Reich avec la musique africaine, grâce àGunther Schuller, qui lui fait découvrir le premier essai théorique sur le sujet,Studies in African Music d'Arthur Morris Jones, ouvrage qui fera dès lors partie de ses livres de référence[7],[13].
Il poursuit ensuite sa découverte dujazz modal au travers deJohn Coltrane[9] qui aura une forte influence sur son écriture, au sein d'un groupe d'improvisation dont fait partieJon Gibson, avec lequel il travaille régulièrement pendant six mois[10]. À cette époque il fréquente leSan Francisco Tape Music Center, institution reconnue pour ses travaux sur lesmusiques électroniques naissantes et lamusique concrète. Reich fréquente également la San Francisco Mime Troupe dont le directeur lui demande de composer la musique de leur mise en scène d'Ubu roi d'Alfred Jarry dont la première est donnée le[10]. Il fait alors la connaissance deRobert Nelson(en), un cinéaste expérimental pour lequel il écrit les musiques originales de deux courts-métrages,The Plastic Haircut etOh Dem Watermelons, en1964[5], qui utilisent déjà comme support lesbandes magnétiques et le principe desboucles. La même année il composeMusic for Two or More Pianos (1964) où il expérimente les prémices duphasing posant ainsi les tout premiers jalons de ses techniques futures[10]. C'est également à l'occasion des soirées musicales organisées par Reich sur Boccana Street avec cette troupe de mime qu'il fait la rencontre en deTerry Riley venu assister en voisin à l'une d'entre elles. Riley et Reich s'aperçoivent alors de leurs intérêts communs et ce dernier se propose de faire partie de l'ensemble que Riley cherche avec difficulté à constituer pour l'exécution prochaine de sa toute nouvelle pièce. Le, il participe en tant que pianiste, avecJon Gibson (au saxophone) et sa petite amie de l'époque Jeannie Brechan (au piano électrique) qu'il a recrutés, à la création deIn C, considérée comme l'œuvre fondatrice ducourant minimaliste[14],[15]. C'est Reich qui suggère à Riley d'utiliser une pulsation rythmique marquée et régulière au piano pourIn C[5],[14]. En retour l'influence de Riley sur les compositions à venir de Reich sera d'une importance majeure[10].
Steve Reich rencontreTerry Riley à l'été 1964, et se voit proposer par ce dernier de participer à la création mondiale le deIn C, considérée par les musicologues comme l'une des premières compositions importantes ducourant minimaliste. Au-delà de sa participation à l'exécution, Reich apporte également sa contribution à l'écriture de cette pièce en suggérant à Riley d'utiliser unepulsation fixe[16]. Il compose ensuite ses deux premières œuvres reconnues,It's Gonna Rain (1965) etCome Out (1966). Alors considérées comme expérimentales, elles sont effectivement en partie le fruit d'un hasard technique lui faisant découvrir le principe duphasage/déphasage. Ces deux pièces sont également le reflet d'une conscience politique notamment en faveur dumouvement des droits civiques aux États-Unis et du danger de l'escalade nucléaire[16],[17]. En, il retourne à New York, s'installe dans le quartier deTriBeCa[18], et fréquente de nombreux artistes dumouvement minimaliste commeRobert Rauschenberg,Sol LeWitt, etRobert Smithson. En 1968, il écrit son essaiMusic as a Gradual Process qui paraîtra l'année suivante et sera intégré dans le catalogue d'une grande exposition minimaliste auWhitney Museum[19]. Steve Reich collabore en 1969 avecPhilip Glass[20] etMoondog dans leur démarche commune de créer un fort mouvement musical minimaliste, initié quelques années plus tôt. Il poursuit toujours son apprentissage musical, en particulier des percussions africaines, auprès de Gideon Alorworye à l'Institut d'études africaines de l'Université duGhana àAccra où il passe l'été 1970. À son retour, influencé par son expérience, il composeDrumming, pièce pour percussions qui met en application ses recherches théoriques et pour l'exécution de laquelle il fonde son propre ensemble appeléSteve Reich and Musicians. Il entreprend ensuite l'étude dugamelan indonésien, cette fois-ci à Seattle et en Californie, notamment avec Nyoman Sumandhi de 1973 à 1974[17],[5].
Parallèlement à cet apprentissage, il compose une œuvre originale basée sur la technique de la répétition et l'utilisation de bruits de la vie quotidienne. Il ne délaisse pas pour autant les instruments traditionnels pour lesquels il compose de nombreuses pièces instrumentales ou orchestrales. Son œuvre devient internationalement reconnue dès1971, avec l'enregistrement deDrumming chez laDeutsche Grammophon, faisant de lui une des figures de la musique contemporaine américaine et, particulièrement, de l'école de la musique diterépétitive, aux côtés deTerry Riley etPhilip Glass. Il obtient alors une résidence àBerlin en1974, se produit fréquemment avec son ensemble, obtient des commandes de composition, et publieWritings About Music, une somme théorique de ses techniques de composition et de leurs perspectives. Il rencontre également cette année-là la plasticienneBeryl Korot, se produisant àThe Kitchen[21], qu'il épouse le, dont il aura un fils, Ezra Reich[22], en 1978, et avec laquelle il ne cessera dès lors de collaborer[23].
S'écartant de ses recherches musicales antérieures sur la répétition pure, Reich décide à partir de1973 de s'orienter vers un travail sur le rythme, la pulsation, et la notion de « variation timbrique de surface[17] ». Il compose quelques-unes de ses œuvres les plus connues dans les années 1970-80, commeMusic for 18 Musicians (1976),Eight Lines (1979),The Desert Music (1984) ouDifferent Trains (1988). La plupart des compositions de cette période sont destinées à de grands effectifs instrumentaux. Un nouvel élément s'introduit alors dans la musique de Reich : à partir de 1976, il effectue un retour vers lejudaïsme en étudiant la musique (cantillation) et les textes bibliques (il apprend l'hébreu) dans un premier temps à New York puis en àJérusalem[5]. Cette période constitue un moment de doutes importants dans la carrière de compositeur de Steve Reich qui, aprèsMusic for 18 Musicians, éprouve le sentiment d'avoir épuisé ses sources créatrices et pense ne plus rien avoir à écrire sans se répéter, ce qu'il refuse. Il est alors sérieusement tenté d'abandonner la musique et de devenirrabbin[24]. À terme, ses études sur ses racines hébraïques aboutiront à l'écriture deTehillim, sa première œuvre empreinte deculture hébraïque, qui marquera un nouveau tournant dans son style de composition et un nouvel élan personnel.
Toute la période des années 1980 et années 1990 est en effet marquée par une implication personnelle philosophique, religieuse, historique, et politique importante dans l'écriture de ses œuvres. Reich s'écarte ainsi de la pure recherche formelle qui caractérisa ses compositions minimalistes pour y ajouter une dimension de réflexion et de questionnement intellectuels. Par ailleurs, ses créations musicales ne se limitent plus uniquement à être jouées par un simple ensemble musical mais incorporent également dès le stade de la composition l'apport des nouvelles technologies audiovisuelles, notamment la vidéo et le multimédia qu'il aborde en collaboration avec sa femme Beryl Korot. Les œuvres marquantes de cette période sont principalement des compositions pour des ensembles musicaux, les sériesCounterpoint pour différents instruments, et deux importants opéras multimédia[25],The Cave (1990) etThree Tales (2002), qui sont respectivement le fruit de ses réflexions sur l'Ancien Testament partagé par lesreligions monothéistes et sur les avancées technologiques auXXe siècle.
Steve Reich (à droite) interprétantClapping Music avec un partenaire en 2006.
Steve Reich a reçu de nombreux prix prestigieux. En1994, il devient membre de l'American Academy of Arts and Letters. Parmi les récompenses internationales, il reçoit en2006, lePraemium Imperiale de musique[32]. En2007, il est récompensé par le prestigieuxprix Polar Music (corécipiendaire avecSonny Rollins) pour« son unique capacité à utiliser les répétitions, les techniques de canon, et les variations minimales de motifs pour développer un univers entier de musique évocative. Inspiré par différentes traditions musicales, [il] a transféré les questions de foi, de société, et de philosophie dans une musique hypnotique qui a inspiré des musiciens et compositeurs de divers horizons »[33]. Enfin, après avoir été trois fois successivement finaliste de 2003 à 2005[34], il reçoit leprix Pulitzer2009 pour la musique le[35],[36] pourDouble Sextet, œuvre créée en2008.
Comme beaucoup decompositeurs américains duXXe siècle, Steve Reich déclare que ses influences musicales fondamentales sont les œuvres deBach,Debussy,Satie,Ravel,Bartók (dontMikrokosmos),Kurt Weill,Igor Stravinsky et le jazz avec en particulier lebebop et les compositions deJohn Coltrane (dontAfrica/Brass)[11],[37],[29] ; il reste cependant très distant envers lerock and roll naissant qui ne l'intéresse pas[29]. L'influence de lamusique impressionniste française s'est selon lui inconsciemment manifestée dans l'écriture des harmonies, avec une ligne basse « colorée » et le registre intermédiaire soutenant la « structure[11] ». Steve Reich reconnaît également que l'autre grande influence sur sa musique vient ducantus firmus, mélodie desorganums dePérotin, compositeur de l'École de Notre-Dame de Paris auXIIe siècle[38]. Cela se caractérise dans ses compositions par l'utilisation ducanon « s'appliquant à n'importe quel son » et à l'utilisation des techniques d'augmentation vers les extrêmes par des incréments différents des multiples de deux[11]. C'est toutefois de Bartók, et plus particulièrement deMikrokosmos, que Reich tire l'idée de l'utilisation du canon. La structure de l'œuvre en forme d'arche, les mouvements parallèles dequartes et dequintes, ainsi que l'utilisation desmodes viennent aussi de l'étude de ce compositeur[39].
Les compositions de jeunesse de Steve Reich sont écrites dans le style dodécaphonique qu'il étudie alors au Mills College avec Berio, mais dans lesquelles il introduit déjà le principe de la répétition, comme pourMusic for String Orchestra, pour recréer une harmonie statique[10]. Pour l'obtention de son diplôme de fin d'études, il composeFour Pieces en 1963 pour trompette, saxophone, piano, contrebasse, et percussions[40] qui est marqué par une écriture sérielle mais faisant un clair retour à la modalité et de nombreux emprunts au jazz[10]. Cette dernière pièce de ses années d'études est importante dans le sens où elle a fait réaliser à Steve Reich que, malgré ses limites en tant que musicien exécutant, il devait être capable de jouer toutes ses compositions arrivant à la conclusion que pour lui :« Une situation musicale saine résulte seulement de l'union des fonctions de compositeur et de musicien en une même personne[10]. »
Peter Aidu jouantPiano Phase seul sur deux pianos simultanément.
Ses premières réelles œuvres datant du milieu desannées 1960 sont construites sur le principe du décalage graduel de l'exécution des motifs musicaux, créant parphasage/déphasage, des sonorités nouvelles. À la suite d'un hasard technique survenu à ses magnétophones tombés en panne de synchronisation alors qu'il enregistre le discours d'un prédicateur àSan Francisco[41], il a l'idée de faire passer en continu deuxboucles du même son, jouées simultanément au départ, puis de les accélérer progressivement l'une par rapport à l'autre. Ce procédé a pour effet de faire émerger de nouvelles figures sonores à partir du même matériau musical. Il est utilisé pour la première fois dans le morceau fondateurIt's Gonna Rain en1965, puis dansCome Out etMelodica en1966 puis adapté à un premier instrument, lesaxophone, dans la pièceReed Phase en1967. Deux ans plus tard, ce procédé est aussi appliqué aux instruments seuls et joués en direct se passant ainsi potentiellement des bandes magnétiques et de toute aide mécanique pour l'exécution dePiano Phase etViolin Phase composés à la fin de l'année 1967.
L'utilisation dudéphasage met l'accent sur la structure des pièces. Reich dit explicitement dans son essai de 1967Music as a Gradual Process qu'il souhaite faire entendre à l'auditeur le déroulement du processus musical et ceci de façon graduelle[42]. La structure des pièces est clairement exposée, avec un matériel musical extrêmement simple, de façon que l'auditeur puisse percevoir les petites variations introduites progressivement[43].
Reich entrevoit cependant assez rapidement les limites de la technique de déphasage et commence dèsViolin Phase (1967) à ne plus se focaliser exclusivement sur le résultat brut du processus. Le compositeur intègre alors des « motifs résultants » qui consistent en la superposition des différentes voix créant, de manière spécifique et différente pour chaque auditeur, des illusions psycho-acoustiques de perception de sons supplémentaires[44]. Il décide aussi explicitement du nombre detemps de déphasage et de l'ajout de voix supplémentaires[45]. L'introduction de choix esthétiques de la part du compositeur éloigne ces pièces d'un pur statut de pièces expérimentales, n'étant plus le simple résultat d'un processus de déphasage[45],[43].Violin Phase (1967) est encore aujourd'hui considéré comme un aboutissement des techniques dephasing et de « motifs résultants ». Toutefois, Reich voit ses œuvres de la période 1965-1971 comme étant des pièces radicales, des études rigoureuses d'une technique, qu'il étudiait obstinément[43].
Une exécution deDrumming à Stockholm en 2007, pièce la plus complexe du « minimalisme de phase ».
AvecDrumming (1971), Steve Reich étend ses techniques musicales et produit ses derniers raffinements dans l'utilisation du déphasage, tout en allant vers une musique plus texturée et ressemblant plus à une structure de type mélodie et accompagnement[43]. Si l'intérêt pour la structure et le rythme reste présent,Drumming est beaucoup plus concerné par le son et l'harmonie[46]. Le compositeur intègre également pour la première fois desvoix. Il combine des instruments de différentstimbres et s'intéresse au changement graduel de timbre, tout en gardant le rythme et les hauteurs constants[46]. Reich délaisse le déphasage pur en 1972, mais il y reviendra ponctuellement dans quelques œuvres ultérieures commeNagoya Marimbas datant de 1994.
L'aboutissement de dix ans de travail de Reich sur le minimalisme voit son apogée et une évolution stylistique cruciale avec son ambitieuse pièce,Music for 18 Musicians dont la composition a pris deux années entre et. Cette pièce en effet propose, non plus un minimalisme ascétique et théorique basé sur un processus mathématique strict de décalage de phase, mais développe toute une gamme de recherches sur l'harmonie, la mélodie, le rythme, et surtout la pulsation, qui constitueront dès lors les fondamentaux de l'écriture de Steve Reich[2] basée sur la « notion de variation timbrique de surface[17] ». La pièce est écrite pour se libérer des structures strictes que Reich avait utilisées jusque-là, et ne cherche plus à faire entendre les processus de construction musicaux[45]. De plus, l'introduction d'éléments plus riches rend à la fois le suivi du processus plus difficile, et sans objet[45].Music for 18 Musicians marque l'intérêt du compositeur vers des textures de plus en plus riches, et le travail avec de grandes variétés d'instruments[45]. Reich confirme en déclarant en 1976 ne plus être intéressé par lamusique minimaliste au sens strict[45].
En 1981 avec la pièceTehillim puis en 1984 avecThe Desert Music, Steve Reich décide de ne plus utiliser les voix comme des instruments, mais commence à écrire pour les chanteurs de véritables textes à interpréter. Il en résulte une nécessité pour le compositeur d'effectuer des changements constants de mesures afin de les adapter aux accents toniques des syllabes et d'un point de vue harmonique d'utiliser des accords chromatiquement altérés pour s'adapter à la diction de l'hébreu[11].Tehillim est aussi la première composition qui n'utilise pas la répétition de courts motifs musicaux, même si la répétition est toujours une composante importante de l'œuvre[47]. Les motifs et leurs répétitions sont dictés par le texte despsaumes, dont Steve Reich souhaitait préserver le sens[47]. Le regain d'intérêt de Steve Reich pour sa culture juive et la religion l'ont amené à s'intéresser à lacantillation, dont l'étude influence en partie sa manière de composer, en particulier dansOctet, mais il décide sciemment d'ignorer la tradition pour la composition deTehillim[47].
À cette époque, la musique de Reich procède également souvent par récupération de très nombreuses sonorités quotidiennes, comme des annonces et des bruits de trains dansDifferent Trains (1988) ou des sirènes de voitures de secours et des alarmes de voitures dansCity Life (1995). Reich ajoute alors à sa composition des entretiens de personnes réalisés pour l'occasion sur lesquels il double chaque discours par un instrument de référence comme l'alto pour les voix de femme et levioloncelle pour celles des hommes dansDifferent Trains. La« mélodie du discours » devient alors le matériau musical[11]. Le discours articulé occupe également une place importante, souvent sous une forme répétée comme pourThe Cave (1990),Three Tales (2002), ou plus récemment avecWTC 9/11 (2011) utilisant des enregistrements sonores et témoignages en relation avec lesattentats du 11 septembre 2001[31]. Une forme de chant discontinu constitue ainsi une partie importante de son œuvre.
En 2008, il s'essaie avec2×5 à l'utilisation formelle d'un ensemble musical issu de la scène pop-rock (guitares, basse, batterie), démarche qu'il poursuit en 2012 avecRadio Rewrite, cette fois-ci dans l'écriture musicale inspirée des lignes mélodiques empruntant à deux chansons du groupe de pop anglaiseRadiohead[48],[29].
À partir de 2015, il décide de revenir à l'écriture pour de plus grands ensembles, ce qui donne lieu à la création de deux pièces –Runner (2016) etMusic for Ensemble and Orchestra (2018) – marquant un retour à la composition pour orchestre. Ce processus se poursuit par la collaboration artistique avec le peintre et plasticien allemandGerhard Richter pour la création d'une œuvre multimédia (peintures de Richter, film de Corinna Belz et musique de Reich) intituléeReich/Richter (2019)[49],[50].
Dans les années 1960, les premières œuvres de Steve Reich sont jouées dans des galeries d'art, des musées, ou dans des universités. Reich ne se sent ni à l'aise avec lessérialistes, ni avec les suiveurs deJohn Cage, mais trouve par contre une oreille attentive dans le milieu de l'art contemporain et desplasticiens qu'il fréquente[51]. La première exécution publique dans une salle de concert classique est organisée grâce au soutien deMichael Tilson Thomas et duBoston Symphony Orchestra, le àBoston, où Reich, Tilson Thomas, et deux membres du Boston Orchestra interprètentFour Organs[51]. Le concert suivant, en 1973, dans la célèbre salle duCarnegie Hall àNew York, déclenche un scandale, les spectateurs et les critiques étant franchement hostiles au caractère hypnotique et répétitif de la pièce[51],[52].
Ce sont les enregistrements discographiques qui aident Steve Reich à développer sa réputation, en particulier un disque produit par le label français Shandar comportantFour Organs etPhase Patterns[51]. La tournée de son ensemble en Europe est aussi l'occasion de certaines critiques positives, comme celle deDaniel Caux à Paris en 1971[51]. Les concerts en Allemagne reçoivent cependant moins de succès, voire sont accueillis avec une certaine hostilité[51]. Les critiques auxÉtats-Unis sont mitigées, parfois hostiles, comme celles de Donald Henahan duNew York Times, ou plus favorables, comme celles de Tom Johnson pourVillage Voice[51], un journal influent de la création alternative new-yorkaise.
La reconnaissance discographique viendra de l'Allemagne avec en 1974 l'enregistrement sur le prestigieuxlabel de musique classiqueDeutsche Grammophon des piècesDrumming,Six Pianos, etMusic for Mallet Instruments, Voices, and Organ. En 1978, c'est l'enregistrement deMusic for 18 Musicians qui fait véritablement connaître la musique de Steve Reich internationalement et à une large audience. C'est le label allemandEdition of Contemporary Music, consacré aujazz et auxmusiques improvisées, qui produit le disque permettant la diffusion et la découverte d'une de ses œuvres fondamentales auprès d'un public beaucoup plus large que celui de l'avant-garde[43]. À ce jour, Reich a une discographie individuelle de plus de 70 disques distincts et d'environ une trentaine d'enregistrements en collaboration avec principalement d'autres artistes du courant minimaliste, ce qui est assez remarquable pour un compositeur vivant. Par ailleurs, ces dernières années, les concerts affichant ses œuvres au programme sont relativement importants avec une moyenne d'environ 250-300 dates par an dans le monde[53] démontrant l'intérêt et la large diffusion de son œuvre auprès du public[30].
Le compositeur anglaisMichael Nyman fortement influencé par Reich.
Steve Reich est reconnu par de nombreux journaux internationaux comme« l'un des plus importants compositeurs duXXe siècle » (The New York Times) ou« l'un des seuls compositeurs vivants qui peut légitimement prétendre avoir infléchi le cours de l'histoire de la musique » (The Guardian)[57],[28]. Plus prosaïquement, l'importance de Steve Reich dans la musique de la fin duXXe siècle peut être évaluée à son impact sur ses contemporains. Steve Reich a fait la connaissance dePhilip Glass lors de leurs études à laJuilliard School. Alors qu'ils sont considérés comme les deux figures majeures de la musique minimaliste, il est difficile de noter une influence majeure de l'un sur l'écriture de l'autre, si ce n'est par leur volonté commune et contemporaine au début de la création du mouvement d'utiliser le principe de la répétition, de la variation subtile d'un motif, et de pratiquer un retour à l'harmonie. En 1968, Philip Glass forme son propre ensemble musical peu de temps après Steve Reich (qui le fonde en 1966) mais participera cependant en tant qu'instrumentiste à la création des piècesFour Log Drums (1969) etFour Organs (1970) de son ami avant qu'ils ne prennent leurs distances. En revanche, les techniques musicales de Reich, notamment l'utilisation à partir de1981 du langage parlé comme support de composition, influenceront directement le travail deScott Johnson qui utilisera les mêmes techniques et deJohn Adams pour ses compositions plus proches de la tradition occidentale de l'opéra[58]. Il est également reconnu que Reich a joué un important rôle dans le développement de la musique minimaliste anglaise en raison de son amitié avecMichael Nyman et de l'impact de ses processus rigoureux dephasing pour les compositeurs de musique expérimentale tels queChristopher Hobbs,Dave Smith etJohn White[58]. Reich est aussi régulièrement cité par des musiciens de jazz comme une source d'influence ou d'intérêt, comme pourNik Bärtsch[59].
Par ailleurs, Steve Reich a eu une influence considérable dans le monde de lapop. Le cas le plus célèbre est celui deBrian Eno qui découvrit sa musique au milieu desannées 1970 lors d'un concert en Angleterre en 1974[60] et qui reconnaît queMusic for Airports est un « produit de la musique de Reich[58] ». En raison du lien entre Eno etDavid Bowie qu'il emmena à un concert en 1976[60], ce dernier fut aussi influencé par l'aspect électronique et les techniques de Reich qu'il considère être des « pistes des tonalités du futur ». Enfin, les principes desampling énoncés par Reich dès ses premières œuvres de la période 1965-1968 furent repris par les artistes desmusiques électroniques commeJeremy Peyton Jones,Andrew Poppy, ou le groupe anglaisThe Orb, aboutissant à certains développements de latechno desannées 1990 comme l'a prouvé l'hommage rendu à Reich par des artistes commeChris Hughes avec son album de reprises des compositions minimalistesShift (1994) ouColdcut,Ken Ishii etDJ Spooky dans leur album collégialReich Remixed datant de1999[58].
Certains artistes derock ont également été influencés par Steve Reich.Lee Ranaldo, guitariste deSonic Youth déclare avoir été autant marqué par la musique de Reich dans les années 1970, que par l'ensemble de ce qui se faisait dans le rock à la même époque. Il reconnaît y trouver admiration et inspiration jusqu'à aujourd'hui[56]. Enfin, plus récemment la critique deRolling Stone a trouvé une forte influence deMusic for 18 Musicians dans l'album conceptIllinois (2005) deSufjan Stevens[61].
Au-delà de la musique, les compositions de Steve Reich ont influencé fortement le travail de l'une des plus importantes chorégraphes dedanse contemporaine, la BelgeAnne Teresa De Keersmaeker. Le début de sa carrière sera marqué par sa découverte de la musique du compositeur new-yorkais lors de ses études à laTisch School of the Arts durant lesquelles elle écrit sa pièce fondatriceFase (1980-1982) déclinant avec la danse - sur les œuvresPiano Phase,Violin Phase,Come Out, etClapping Music - le principe dudéphasage/phasage du compositeur[62],[63]. Durant plus de vingt-cinq ans, De Keersmaeker utilisera les compositions de Reich qui deviendra dès lors « le compagnon de route et le point d'ancrage » pour ses spectacles parmi les plus importants :Fase (1982),Drumming (1998),Rain (2001)[64]. Reich, très impressionné par le travail de De Keersmaeker grâce auquel il déclare avoir découvert de « nouveaux plans émotionnels et psychologiques à son travail[65] », lui composera spécialement en retour la pièceDance Patterns en 2002 qu'elle utilisera pour écrireCounter Phrases en 2003. En 2007, elle crée une soirée hommage intituléeSteve Reich Evening reprenant l'ensemble de ses travaux chorégraphiques sur 25 ans autour de la musique de Reich en mettant en lumière son importance dans ses créations[65].
Ce chapitre n'a pas pour vocation à être exhaustif des quelque 140 disques publiés des œuvres de Reich mais à recenser les enregistrements essentiels de la discographie du compositeur :
↑Cette décision entraînera une rupture dans ses relations avec son père jusqu'en 1972, date de la parution d'un article consacré à Steve Reich dansThe New York Times. Son père reconnaissant le succès de son fils reprendra contact avec lui.
↑Reich a repris contact avec Philip Glass en 1967, travaillant un temps dans la petite compagnie de déménagement,Chelsea Light Moving, créée par ce dernier (Potter (2000),p. 171)
↑Cette pièce ne sera jouée qu'une seule fois, au Mills College, par Reich au piano,Einer Anderson à la trompette,Paul Breslin à la contrebasse,John Chowning aux percussions, etJon Gibson au saxophone.
↑« There’s just a handful of living composers who can legitimately claim to have altered the direction of musical history, and Steve Reich is one of them. » dansThe Guardian