Stomatopoda (lescrevettes-mantes,mantes de mer ousquilles[1]) est unordre deCrustacés, le seul ordre actuel de lasous-classe desHoplocarides (les stomatopodes se distinguent des ordres d'hoplocarides aujourd'hui disparus par le fait que leur carapace ne couvre pas entièrement leur thorax). Ce sont des prédateurs caractérisés par des pattes ravisseuses très perfectionnées et dotés d’une vision exceptionnellement élaborée. Cet ordre comprend 17familles environ, dont la famille desSquillidae(Linnaeus) et celle desLysiosquillidae(Giesbrecht, 1910), et regroupe à ce jour plus de quatre centsespèces reconnues.
Les squilles ont un corps allongé qui rappelle celui deslangoustes, avec une épaisse carapace dorsale composée de plaques métamérisées. La queue (« telson ») est composée de plusieurs articles pouvant s'ouvrir en éventail, fournissant ainsi une large nageoire pour une nage rapide. Les yeux à facettes, relativement gros, sont situés au bout de longs pédoncules pour permettre une vision à 360° ; ils sont très visibles, et de près ils montrent une structure complexe en trois parties pourvues chacune d'une pupille indépendante. Elles possèdent de grandes antennules triramées (terminées par trois « fouets »), et sous la tête un couple d'écailles antennaires larges et plates, articulées, souvent vivement colorées. Leur taille est comprise entre trois et dix-huit centimètres, la plus grande espèce étant sans douteLysiosquillina maculata.
Les squilles sont surtout reconnaissables à leurs pattes typiques, qui évoquent celles de lamante religieuse - d'où leur autre nom de « mantes de mer ». Très puissantes et très rapides, ces pattes peuvent être de deux types : massives, lestées de massues calcaires capables de briser coquilles et carapaces, ou ravisseuses, plus minces et garnies d'éperons effilés pour harponner des proies au corps mou[2].
Suivent ensuite trois paires de pattes pseudo-ravisseuses (maxillipèdes) très polyvalentes, sous le thorax trois paires de pattes locomotrices péréiopodes, et enfin sous l'abdomen cinq paires de pattes locomotrices et nageuses (pléopodes), portant les branchies.
Ce sont des animaux solitaires, qui vivent la majeure partie du temps dans un trou dans le sable ou la roche, d'où dépassent uniquement leurs yeux pour scruter l'environnement. Quand une proie passe à proximité, elles se jettent dessus brutalement, selon une méthode qui dépend de l'espèce et du type de proie. En conséquence, ce sont des animaux relativement cryptiques, et assez rarement observés (surtout les petites espèces nocturnes), même si certaines espèces tropicales spectaculaires comme laSquille multicolore (Odontodactylus scyllarus) sont mieux connues.
Quand ils se sont déplacés à la recherche de nourriture ou d'un partenaire, les stomatopodes rentrent au nid en ligne droite en s'orientant grâce à l'azimut solaire quand le soleil est visible, à lapolarisation de la lumière par temps partiellement nuageux et à des moyensidiothétiques(en) par temps couvert ; cetteintégration de chemin est le premier cas démontré chez un organisme entièrement marin[3].
La reproduction est sexuée, et les femelles incubent leurs centaines d'œufs en les tenant contre leur thorax au moyen de leurs pattes maxillipèdes et d'un mucus collant. Reproducteurs prolifiques, suivant les espèces les stomatopodes peuvent se reproduire plus d'une trentaine de fois au cours de leur vie[2]. La séduction du partenaire se fait par des comportements nuptiaux assez complexes, dépendant des espèces, débouchant sur des couples dont la durée peut varier du simple accouplement à la monogamie fidèle (comme chez le genrePullosquilla)[2].
En 2017 une étude portant sur lecerveau de200 crustacés (dont descrabes, descrevettes et deshomards) conclut que le cerveau deGonodactylus smithii(en) est plus complexe qu'on ne le pensait ; il abrite en effet des centres mémoriels et d'apprentissage (dénommésmushroom bodies) qui n'avaient jusqu'alors été repérés que chez certains insectes. Des structures similaires ont été mises en évidence par la même étude chez des espèces proches (Crevette nettoyeuse,Crevette-pistolet,Paguroidea ; toutes espèces qui chassent solitairement sur de longues distances). Cette découverte remet en cause l'idée jusqu'alors admise que ces structures cérébrales étaient apparues chez les insectes, et donc après la divergence des lignées d'insectes d'avec les lignées de crustacés, il y a environ480 millions d'années[4],[5].
Les stratégies de navigation des stomatopodes (intégration de chemin et méthodes d'orientation) ressemblent étroitement à celles des insectes navigateurs, ce qui ouvre une nouvelle voie pour la compréhension de la base neurale des comportements de navigation et de l'évolution de ces stratégies chez les arthropodes (et potentiellement chez d'autres animaux)[3].
La mante de mer est dotée d’une des meilleures visions connues[6], grâce à un système visuel des plus sophistiqués, si ce n'est le plus sophistiqué de tout le règne animal[7].
Les yeux bougent en pivotant indépendamment l'un de l'autre sur une amplitude offrant une vision à 360°.
Chaque œil est composé de trois sections, qui ont chacune une pseudo-pupille indépendante. Leurs fonctions étant similaires à celles despupilles humaines, elles permettent à l’animal de réaliser une triangulation de l'objet visualisé, et de connaître avec précision sa distance et sa profondeur, en n'utilisant qu'un seul œil : une cornée en trois bandes donne à chaque œil une visiontridimensionnelle, en relief.
Les yeux sont également particulièrement développés pour voir lalumière polarisée circulairement, en la convertissant en polarisation linéaire[2],[8]. Cela permet notamment aux squilles de communiquer avec leurs congénères en produisant elles-mêmes de la lumière polarisée. Certaines espèces très territoriales peuvent ainsi indiquer à leurs semblables que leur cachette est occupée, ce qui permet d'éviter une confrontation[9].
La capacité des squilles à voir les couleurs est tout à fait exceptionnelle :
chacun de ces photopigments analyse les couleurs dans une gamme différente de longueurs d'onde[2], y compris la lumièreultraviolette jusqu'à une longueur d'onde de 300 nm (en revanche ils ne semblent pas sensibles auxinfrarouges).
Enfin, cet animal peut facilement détecter la lumière fluorescente[11].
L'information visuelle provenant de la rétine semble être transformée en nombreux trains de signaux parallèles menant dans le système nerveux central, réduisant considérablement la complexité de l'analyse des signaux[10].
Les espèces « frappeuses » comptent parmi les animaux les plus rapides du règne animal : leursappendices ravisseurs atteignent la vitesse de31m/s (112km/h)[12]. Leur frappe délivre une force résultante à près de 1 000 newtons en deux millièmes de seconde sur une surface très réduite, ce qui équivaut à une accélération proche de celle d'une balle de pistolet (10 400 g soit 104 000 m/s2)[2],[10]. Ces coups sont tellement rapides qu'ils provoquent des bulles de vapeur explosive (phénomène decavitation), dont l'implosion provoque une seconde onde de choc, capable à elle seule d'assommer une proie qui aurait échappé au coup[13]. Cette force de frappe permet aux mantes de mer de briser facilement les coquilles les plus dures et d'atteindre ainsi leur nourriture (bivalves,gastéropodes,arthropodes, etc.), mais aussi de se défendre contre d'éventuelles menaces[10]. Il a été rapporté que ces animaux sont capables de briser des vitres d'aquarium ou des caissons d'appareil photo sous-marin[2].
Fréquentes dans l'Indo-Pacifique, les squilles font les délices des peuplesaustronésiens, qui prennent quelques risques pour la capturer ;les bouts des doigts amputés ou blessés sont fréquents[réf. nécessaire]. Un genre de la familleSquillidae (notamment l'espèce-typeSquilla mantisLinnaeus, 1758) vit le long des côtes deMéditerranée et est consommé, notamment, dans l'Adriatique. Elle y est appelée « cigale de mer » (cicala di mare), mais les vraiescigales de mer sont en fait un groupe très différent. AuJapon, appeléeshako (蝦蛄), la mante de mer est consommée crue ensashimi[16] ou encore ensushi.
La squille multicoloreOdontodactylus scyllarus est une espèce tropicale particulièrement célèbre, et très prisée des photographes comme des aquariophiles.
Dans le roman descience-fictionFragment(en) de Warren Fahy, les squilles et leurs descendants sont des animaux terrestres qui dominent une île, dernier reste du continentPannotia.
Dans le filmOcéans, une séquence met en scène le combat entre uneSquilla mantis et un crabe (à partir de 35 min 26).
Dans le manga seinenTerra Formars et le dessin animé qui en est dérivé, un des personnages, Keiji Onizuka, boxeur à la vue très développée, a reçu de l'ADN de squille pour améliorer ses capacités avant son départ pour la planète Mars.
Dans le mangaDandadan, un extraterrestre, M. Crevette-Mante, est une sorte de squille géante ayant les mêmes capacités de frappe que lasquille multicolore.
↑Parfois aussi « sauterelles de mer » ou « cigales de mer » (dictionnaire en ligne Le Robert, « squille »), bien que les cigales de mer à proprement parler soient une autre famille de crustacés, lesScyllaridae.
↑ Gabriella Hannah, Wolff Hanne, Halkinrud Thoen, Justin Marshall, Marcel E Sayre & Nicholas James Strausfeld (2017)An insect-like mushroom body in a crustacean brain | Research Article | 26 septembre 2017 | DOI:10.7554/eLife.29889