En, lesÉtats-Unis et l'URSS annoncent, chacun de leur côté, qu'ils lanceront unsatellite artificiel dans le cadre des travaux scientifiques prévus pour l'Année géophysique internationale ( —)[1]. À l'époque, aucun enjeu autre que scientifique n'est attaché à cet objectif. Les dirigeants américains décident dans cette perspective de développer un nouveau lanceur de trois étages, la fuséeVanguard (en français l'« Avant-garde »), qui comporte un grand nombre d'innovations techniques par rapport aux fusées développées jusque-là. D'autres propositions moins radicales sont repoussées[2].
Korolev, grand admirateur du pionnier soviétique de l'astronautique,Constantin Tsiolkovski, tente en vain de persuader dès fin 1954 les dirigeants soviétiques ainsi que ses commanditaires militaires de l'intérêt d'utiliser le missile pour placer un satellite artificiel en orbite. L'objectif de Korolev est purement scientifique, mais pour obtenir un accord, il trouve des arguments susceptibles de plaire aux militaires (forte charge utile et grande portée) et aux politiques (propagande de la réussite technique soviétique face aux États-Unis), voire stratégiques (développement desatellites-espions). L'annonce faite en par leprésidentDwight D. Eisenhower du lancement par les États-Unis d'unsatellite artificiel pour l'Année géophysique internationale ( —) incite les dirigeants soviétiques à effectuer une déclaration similaire une semaine plus tard. Fin, leConseil des ministres de l'URSS donne son feu vert pour le développement d'unsatellite artificiel.
La mise au point du missile Semiorka se poursuit en parallèle. Après de nombreux échecs, dus successivement à des fuites de carburant, à des allumages tardifs ou prématurés d'un moteur, à un mauvais calcul de trajectoire ou aux vibrations de la fusée lors de son ascension, Korolev réussit un lancement le. Il en informe ses supérieurs haut placés et obtient auprès des dirigeants (politiques et militaires) du programme de missiles balistiques l'autorisation d'effectuer un autre lancement, afin de confirmer la fiabilité de la R7 et permettre la mise en orbite d'un satellite. La conception du satellite artificiel prévu pour ce premier vol est achevée en. Celui-ci, baptiséObjet D, doit emporter plusieurs instruments scientifiques permettant de collecter des données sur la composition desions présents dans l'atmosphère raréfiée de l'espace, levent solaire, lechamp magnétique terrestre et lesrayons cosmiques. Korolev, qui suit l'avancée des travaux des Américains, décide de gagner du temps. Lacharge utile initialement prévue est abandonnée (elle sera lancée dans le cadre de la missionSpoutnik 3[3]). Elle est remplacée par un petit satellite à la masse et à l'équipement scientifique minimal : un émetteur radio juste capable de lancer des signaux audibles autour de la Terre pendant quelques jours.
Le lancement deSpoutnik 1 a lieu le à 19 h 28 min 34 sGMT depuis le site deTiouratam, qui abrite une base militaire utilisée pour mettre au point le missile balistique intercontinental R-7 Semiorka. Cette base deviendra par la suite, sous l'appellationcosmodrome de Baïkonour, la plus grande base spatiale de l'Union soviétique (située, depuis l'éclatement de l'Union soviétique, auKazakhstan). Le lanceur est une version allégée (272 tonnes contre 280) du missile balistique. Le décollage se déroule sans problèmes, ainsi que le largage de l'étage central et du petit satellite. La mise en orbite fut effective à 19 h 33 min 48 s. Les Soviétiques durent attendre 92 minutes pour entendre les premiers bips : le déploiement des antennes du Spoutnik se fit alors que le satellite était déjà hors de portée des récepteurs[4]. Le satellite était désigné PS-1 (ПС-1 pourПростейший Спутник-1 ou « Satellite élémentaire 1 »[4]). Placé sur une orbite dont les altitudes initiales dupérigée et de l'apogée étaient de 225 et de 947 kilomètres,Spoutnik 1 effectuait une révolution en 96 minutes. Les appareils électriques du satellite fonctionnent durant vingt-deux jours, jusqu'à l'épuisement des batteries le[5]. La faible altitude de son périgée lui fait perdre progressivement de l'altitude. Ainsi, le, l'apogée a chuté à 600 km[6], et le, après avoir bouclé 1 400 orbites autour de la Terre et parcouru environ 70 millions de kilomètres[6],Spoutnik 1 est détruit durant sarentrée dans l'atmosphère.
Le satellite comprend un système de communication constitué de deuxémetteurs radio de 1 W, utilisés pour transmettre aux stations terrestres la pression et la température de l'azote remplissant le satellite. L'objectif est de vérifier le bon fonctionnement du système de pressurisation et dethermorégulation. Les deux émetteurs étaient suffisamment puissants pour permettre à des radioamateurs de capter le célèbre « bip-bip » du satellite un peu partout sur la planète sur les fréquences radio de 20,005 et 40,002 MHz[7]Le signal de Spoutnikⓘ. Le lancement de Spoutnik 1 avait lieu dans le cadre de l'Année géophysique internationale de1957-1958 ; l'étude de ses signaux devait donc permettre d'étudier la propagation des ondes dans l'atmosphère, et l'étude de sa trajectoire devait fournir des informations sur ladensité de la haute atmosphère et sur la forme exacte de laTerre.
Spoutnik 1 est une petite sphère enaluminium de 58 centimètres de diamètre, pesant 83,6 kg et dotée de quatre antennes[4],[6]. La sphère est constituée de deux coques concentriques : la coque externe sert de protection thermique tandis que la seconde forme une enceinte pressurisée dans laquelle sont placés les différents équipements. L'intérieur de la sphère est rempli d'azote à une pression légèrement plus élevée que lapression atmosphérique à la surface de la Terre (1,3atmosphère). On y trouve les batteries composées de zinc et d'argent, des capteurs de pression et de température, unémetteur radio et un ventilateur refroidissant l'ensemble des équipements.
L'événement a un retentissement planétaire et constitue unchoc pour l'opinion publique américaine, démontrant de manière éclatante l'avance apparente prise par les Soviétiques dans le domaine spatial, ainsi que la vulnérabilité de leur pays à une attaque nucléaire. Peu après le lancement deSpoutnik 1, les États-Unis tentent à leur tour de placer en orbite un satellite, mais l'échec le deVanguard TV-3, qui explose de manière spectaculaire peu après le décollage, semble accréditer aux yeux de tous le retard du pays. Le, les ingénieurs américains parviennent finalement à placer en orbite leur premier satellite,Explorer 1, grâce à une fuséeJuno I. Les dirigeants américains s'attacheront à rattraper leur retard en créant uneagence spatiale dédiée au programme spatial civil (laNASA) et en la dotant d'énormes moyens financiers.
Nombre de lancements par pays sur la période 1957-1973.
Le lancement deSpoutnik 1 marque l'an 1 de l'ère spatiale. Les dirigeants soviétiques, d'abord surpris par l'écho rencontré par l'événement, feront duprogramme spatial soviétique la clé de voûte de la propagande du régime. Dès l'année suivante, 28 tentatives de lancement de satellites ont lieu, dont cinq réussies. Durant la décennie qui suit, la puissance des lanceurs et la masse des engins satellisés sont multipliées par dix ; les deux puissances spatiales mettent au point de nombreuses applications scientifiques (exploration du Système solaire, du Soleil, de la magnétosphère, de l'environnement spatial de la Terre,astronomie spatiale), pratiques (télécommunications, météorologie,géodésie, cartographie, agriculture, etc.) et militaires (reconnaissance, écoute électronique, navigation, etc.), tandis que la NASA envoie en 1969 des hommes explorer la surface de la Lune dans le cadre duprogrammeApollo.
Il existe au moins deux copies d'époque deSpoutnik 1, construites comme unités de secours. Le premier se trouve dans lemusée RKK Energia, appartenant àRKK Energuia, le descendant moderne du bureau d'études de Korolev, où il est exposé uniquement sur rendez-vous. Le second est un exemplaire de secours prêt à voler, exposé auCosmosphere àHutchinson, qui possède également un modèle d'études deSpoutnik 2[8].
LeMuseum of Flight, àSeattle, possède un modèle d'études deSpoutnik 1 dépourvu de composants internes, bien qu'il ait des boîtiers et des raccords moulés à l'intérieur, ainsi que des traces d'usure de la batterie. Authentifiée par lemusée mémorial de l'astronautique, àMoscou, l'unité a été vendue aux enchères en 2001 et achetée par un acheteur privé anonyme, qui en a fait don au musée[9].
Pierre Baland,De Spoutnik à la Lune : L'histoire secrète du programme spatial soviétique, Paris, Édition Jacqueline Chambon - Actes Sud,, 341 p.(ISBN2-742-76942-0)