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Lasouveraineté (dérivé de « souverain », dulatin médiévalsuperus, desuper, « dessus »[1]) désigne le pouvoir suprême reconnu à l'État, qui implique l'exclusivité de sa compétence sur le territoire national (souveraineté interne) et son indépendance absolue dans l'ordre international où il n'est limité que par ses propres engagements (souveraineté externe)[2]. C'est l'exclusivité de la puissance détenue par un État sur l’étendue de son territoire, et l’indépendance dont jouit cet État sur le plan international[3].
La notion de souveraineté ne doit pas être confondue avec celle desuzeraineté, même si les deux termes émergent avec lalangue française à partir duMoyen Âge sur la base d'uneracine latine commune,super, désignant« ce qui est au-dessus, au sommet ». De facto, la dignité deroi est placée au sommet de lapyramide féodale en tant quesuzerain, et aucun pouvoir, qu'il soitséculier ouecclésiastique, ne lui est supérieur, c'est-à-dire qu'aucune autre entité exerçant un pouvoir n'est susceptible d'avoir l'autorité nécessaire et reconnue pour réformer, contredire ou annuler sesdécisions, ni lui imposer le paiement d'aucuntribut.
La définition retenue aujourd'hui endroit est celle énoncée parLouis Le Fur à la fin duXIXe siècle :« La souveraineté est la qualité de l'État de n'être obligé ou déterminé que par sa propre volonté, dans les limites du principe supérieur du droit, et conformément au but collectif qu'il est appelé à réaliser »[4].
cette volonté ne peut se manifester qu'à l'intérieur des règles du droit international coutumier ou conventionnel, lequel comprend le droit produit par des organisations internationales à caractère universel (par ex., l'ONU et les institutions spécialisées) et régional (par ex., l'Union européenne).
Une définition classique de la souveraineté se trouve dans la sentence arbitrale rendue en l'affaire de l'île de Palmas (États-Unis c/Pays-Bas,) où l'arbitre unique, Max Huber, déclare :« Sovereignty in the relations between States signifies independence. Independence in regard to a portion of the globe is the right to exercise therein, to the exclusion of any other State, the functions of a State »[5].
Un politologue américain,Stephen Krasner, limite les dimensions de la souveraineté aux questions d'autorité et de contrôle. Cependant, cette position reste contestable.
La notion deterra nullius peut être utilisée pour l'acquisition de la souveraineté sur un territoire sans maître.
Article 2 : La langue de la République est le français. L'emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge. L'hymne national est « La Marseillaise ». La devise de la République est « Liberté, Égalité, Fraternité ». Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple.
Article 3 : La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice. Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret. Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques.
La souveraineté se traduit également en droit par la notion depouvoir constituant (originaire ou dérivé), qui édicte des normes juridiques : celles de laConstitution. Dans la théorie classique de lahiérarchie des normes, ces normes sont supérieures à toutes les autres. Cette hiérarchie est cependant mise à mal par les questions de la transformation de la souveraineté, notamment au vu du développement dudroit international et surtout de l'intégration européenne. Cette complexité du droit entraîne uneinsécurité juridique.
Selon la définition classique dudroit constitutionnel allemand, qui est très souvent reprise, la souveraineté est la « compétence de la compétence » (la « Kompetenz-Kompetenz » du constitutionnaliste allemandGeorg Jellinek[6]), c'est-à-dire que celui qui décide quelles sont les personnes compétentes pour telle ou telle matière est le souverain. Le souverain peut donc déléguer ou transférer des compétences, sans que cela ne touche à sa souveraineté, tant qu'il conserve la possibilité de reprendre ces compétences.
En droit constitutionnel français, leConseil constitutionnel distingue les transferts de compétences par l'État français auxCommunautés européennes des transferts de souveraineté. Les premiers sont autorisés : ils consistent en un transfert qui est réversible, tandis que les seconds sont inconstitutionnels, car définitifs. Cependant, de nombreux détracteurs de l'Union considèrent cette différence comme relevant d'un caractère uniquement sémantique, puisque même s'il est possible que la France sorte de l'Union et retrouve ses pleines compétences, c'est hautement improbable.
Mais le souverain ne délègue pas toutes ses compétences. Avec l'émergence, sous l'effet dulibéralisme politique, de la théorie d'unÉtat gendarme minimaliste, les compétences reconnues à l'État furent restreintes à ce que l'on nomme sesfonctions régaliennes, c'est-à-dire les compétences minimales de tout souverain, qui ne peuvent faire l'objet d'aucunedélégation. Cependant, par la théorie de l'État providence, développée en réaction contre l'État minimaliste, d'autres compétences, d'ordre social notamment, font partie de l'exercice de la souveraineté.
Cependant, on a pu voir dans certains pays, où le « libéralisme » est poussé à l'extrême, que certaines de ces compétences peuvent elles-mêmes être déléguées. C'est le cas notamment auxÉtats-Unis de certaines fonctions d'ordre militaire (surveillance…) qui sont transférées à des entreprises privées : legouvernement exerce une sorte de sponsorship sur desconsortiums privés (voirNetwork Centric Warfare).
Cette évolution, limitée auxÉtats-Unis, n'en exerce pas moins une influence importante dans le processus demondialisation, à travers leWeb.
À ces domaines traditionnels de compétences se sont ajoutés (liste non exhaustive) :
l'instruction ;
la santé ;
les politiques sociales :logements,sécurité sociale, cohésion sociale,emploi : prise en charge du risquechômage, des accidents de travail… (à noter qu'en France, par une particularité historique, une grande partie du risque chômage est prise en charge par les partenaires sociaux) ;
De plus, même s'il ne s'agit pas de nouvelles compétences, mais d'une nouvelle application des compétences régaliennes de l'État dans des domaines relativement nouveaux, on peut également citer :
SelonJean-Fabien Spitz dansJohn Locke et les fondements de la liberté moderne (2001), « l'introduction [du concept de souveraineté] dans la philosophie politique aux débuts de l'époque moderne semble avoir eu pour effet un déplacement définitif des questions pertinentes : il ne s'agit plus de savoir si un pouvoir est juste (ce qui revient à subordonner l'existence du pouvoir à sa moralité), mais de savoir à qui appartient le pouvoir de commander et comment ce pouvoir a été conféré ».
Cependant, cette typologie basée sur les personnes qui possèdent la souveraineté et la manière dont celle-ci leur a été conférée montre ses limites aujourd'hui, puisqu'elle entraîne des confusions. Les différentes typologies modernes se basent donc sur les formes de la souveraineté.
La plupart des régimes monarchiques sont en réalité de droit divin et les papes étaient également des monarques.On oppose plutôt pouvoir spirituel (direction des croyants) et pouvoir temporel (séculaire). Le pape possédait les deux pouvoirs, le premier sur l'Église (communauté des croyants) tandis que le second se limitait à ses terres. Le roi, lui, ne possédait que le pouvoir temporel sur ses sujets.
Lasouveraineté populaire a été défendue à l'origine par les révolutionnaires « radicaux », notamment par certains éminents philosophes desLumières avec en première placeJ.-J. Rousseau dans son ouvrageDu contrat social.
Chaquecitoyen détient une part de souveraineté et cela se traduit traditionnellement par un régime dedémocratie directe (ou pure), avecsuffrage universel, puisque nul ne peut être dépossédé de la part de souveraineté qui est conférée à chaque citoyen.
La souveraineté populaire repose sur lepeuple, c'est-à-dire l'ensemble des citoyens actuels d'un pays (c'est donc un ensemble réel, on prend en compte les vivants, contrairement à la souveraineté nationale). Il ne peut pas s'exprimer directement, c'est matériellement impossible. C'est pour cela que le peuple aura recours à des mandataires (des élus), qui auront un mandat impératif : ces élus seront tenus de faire exactement ce pour quoi ils ont été élus : ils devront exécuter ce que leur disent leurs électeurs, en effet, ils ont pour obligation d'agir pour le bien de leurs électeurs (et non pour l'intérêt commun comme dans le cas de la souveraineté nationale), et s'ils ne le font pas, ils pourront alors être révoqués, la volonté du peuple étant intouchable et inviolable.
Le Peuple ne pouvant prendre deslois contraires à ses intérêts, la Loi est forcément juste : c'est le principe de Primauté de la loi.
Lasouveraineté nationale est une notion développée parSieyès. Selon cette conception, la souveraineté appartient à lanation, une entité abstraite et indivisible. Cet ensemble est fictif puisqu'il ne se limite pas aux seuls citoyens présents, mais inclut lescitoyens passés et futurs ; elle est supérieure aux sommes (les individus) qui la composent.
La souveraineté nationale se traduit par unrégime représentatif, puisque la Nation ne peut gouverner directement, étant fictif : il y a donc recours à des mandataires, titulaires d'un mandat représentatif, les représentants. Ils œuvrent dans l'intérêt de la Nation et chacun la représente entièrement (et non leurs seuls électeurs). La Nation étant fictive, il ne peut y avoir de contrôle sur eux ; pour éviter qu'ils n'abusent de leur pouvoir, il faut mettre en place des contre-pouvoirs :séparation des pouvoirs au niveau horizontal (par fonctions),fédéralisme au niveau vertical (par niveaux de territoires).
La souveraineté nationale va également dans le sens d'unsuffrage censitaire, même si elle ne s'oppose pas fondamentalement à un suffrage universel. En effet, même en faisant voter l'ensemble des citoyens d'un pays, seule une infime partie de la Nation pourrait voter. On peut donc très bien limiter le suffrage à un nombre un peu plus limité de citoyens, en privilégiant ceux considérés comme les plus capables (capacité à lire et écrire, comprendre la vie politique, avoir le temps et l'indépendance nécessaire, d'où le critère de la richesse).
Il faut noter d'emblée que, même au plus fort de la séparation de ces deux notions, à l'époquerévolutionnaire, les termes de souveraineté nationale et souveraineté populaire étaient synonymes, quand bien même les deux notions étaient déjà séparées.
Selon l'article 3 de la Constitution du,« la souveraineté nationale appartient aupeuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie duréférendum ». De plus, l'article 27 dispose que« Tout mandat impératif est nul. » Ainsi, en faisant coexister un régime représentatif avec des procédures de démocratie directe, laVe République mêle donc les deux notions.
On dégage aujourd'hui le plus souvent trois dimensions de souveraineté, quoique certains auteurs, comme le politologueStephen Krasner, en présentent parfois plus.
Celle-ci se réfère à l’administration qu’un gouvernement organise à l’intérieur d’un État.Raymond Carré de Malberg définit à cet égard la souveraineté interne comme le caractère suprême du pouvoir du souverain sur ses sujets et un territoire, qui n’admet en théorie aucun autre pouvoir ni au-dessus de lui, ni en concurrence avec lui[7].
Souveraineté westphalienne ou indépendance voire interdépendance
Elle se traduit par l’exclusion des acteurs extérieurs dans le processus domestique de gouvernement, ce qui est entériné par l'article 2.7 de laCharte des Nations unies qui dispose qu'« Aucune disposition de la présente Charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un État (…) »[8]. Cette exclusion est, en principe, réciproque entre les États, même si la tendance naturelle est d'affirmer son indépendance au niveau interne tout en cherchant à influer sur l'État voisin.
Si leconcept de souveraineté westphalienne est récent, son origine, elle, est ancienne : à la suite de laguerre de Trente Ans, lapaix de Westphalie en 1648 établit la notion de souveraineté territoriale comme doctrine de non-ingérence dans les affaires d'autresnations.
En théorie, donc, endroit international, tous les États sont égaux et indépendants.
Dans les faits, la souveraineté des États n'est pas absolue. Il ne suffit pas d'afficher des principes pour que cela garantisse l'indépendance. Ils peuvent être influencés, voire contrôlés, par :
d'autres États (impérialisme,néocolonialisme) : la critique la plus nette est portée contre lesÉtats-Unis, la seule superpuissance depuis la chute de l'ex-URSS ;
Stephen Krasner sépare de la souveraineté westphalienne la souverainetéinterdépendante, qu'il définit comme la capacité des autorités de contrôler les mouvements transfrontaliers.
Cependant, on peut infirmer cette nouvelle typologie, puisque le simple contrôle des mouvements aux frontières n'est qu'une particularité du protectionnisme inclus dans la notion d'indépendance.
Celle-ci confère à un État sa reconnaissance internationale. En pratique, ce sont les autres États qui reconnaissent cette souveraineté, en reconnaissant une collectivité humaine comme État, soit par une déclaration publique unilatérale, soit en concluant un traité ou en établissant des relations diplomatiques avec cette collectivité. Il se peut que cette souveraineté soit refusée par la communauté internationale comme ce fut le cas à la Catalogne en 2017[9].
Avant l'apparition des États, auXIIIe siècle[réf. nécessaire], le pouvoir était individualisé (il appartenait à une personne, voire à un groupe de personnes). D'ailleurs, dans un premier temps, le terme de souverain, qui a remplacé celui desuzerain, ne désignait qu'une seule personne, le roi dans un système monarchique, avant d'être étendu à d'autres notions que l'État représenterait (le peuple, la Nation…).
Construction des États au Moyen Âge, qui se poursuit à la Renaissance
promulgation parCharles VII de laPragmatique Sanction, qui limitait au profit du pouvoir royal les droits du pape en matière de nomination aux évêchés et aux abbayes, de perception des revenus ecclésiastiques, d'appels, d'excommunications ou d'interdits,
l'empereur duSaint-Empire romain germanique : les juristes dégagèrent l'adage selon lequel « le roi est empereur en son royaume »,
C’est sousRichelieu, ministre de 1624 à 1642, que le mot État s’impose en France. C'est Cardin Le Bret, son conseiller juridique qui théorise pour lui les principes de l'action de l'État[10] et notamment celui de la souveraineté. Il écrit à ce propos :« m’étant proposé de représenter en cet ouvrage en quoi consiste la souveraineté du Roi : il me semble que je ne puis commencer plus à propos que par la description de la Royauté. Il serait mal aisé d’en rapporter une plus accomplie que celle que donnePhilon d'Alexandrie quand il dit qu’elle est une suprême et perpétuelle puissance déférée à un seul qui lui donne le droit de commander absolument et qui n’a pour but que le repos et l’utilité publique… Quant à moi, j’estime qu’on ne doit attribuer le nom et la qualité d’une souveraineté parfaite et accomplie qu’à celles [royautés] qui ne dépendent que de Dieu et qui ne sont sujettes qu’à ses lois »[11]. Plus loin il continue :« mais depuis que Dieu a établi les Rois sur eux, ils (les peuples) ont été privés de ce droit de Souveraineté ; et l’on a plus observé par lois que les Commandements et les édits des Princes comme le remarqueUlpien. » Cette vision des choses s’impose longtemps en France et d’une certaine façon la révolution se contente de mettre lePeuple à la place duRoi comme le souligneHannah Arendt.« Sur le plan théorique, » écrit-elle[12], la déification du peuple durant la Révolution française fut la conséquence inéluctable de faire découler de la même source la loi et le pouvoir. La prétention de la royauté absolue à reposer sur un« droit divin » avait façonné la souveraineté séculière à l’image d’un dieu à la fois tout-puissant et législateur de l’univers, c’est-à-dire à l’image du dieu dont la Volonté est loi. La« volonté générale » de Rousseau et de Robespierre est toujours cette« Volonté divine qui n’a besoin que de vouloir pour produire une loi ». Des œuvres de Cardin le Bret, deBodin ou deHobbes, il ressort que la loi vient du souverain et donc qu’elle n’est qu’un commandement du pouvoir, qu’elle n’a pas d’autorité propre. SiHannah Arendt s’intéresse tant à cette question, c’est que des juristes et des philosophes n’ont pas été sans remarquer ce que pouvait donner ce type de loi dans les Étatstotalitaires.
AuXVIIe siècle au niveau de la conception de l'État et de la loi qui lui est sous-jacente, laFrance et l'Angleterre évoluent dans des directions opposées. Alors que la France se dirige vers l'absolutisme, l'Angleterre commence sa marche vers ladémocratie. Quelque temps avant queRichelieu n’arrive au pouvoir en France, le roiJacquesIer d'Angleterre, qui veut imposer lamonarchie absolue dans son pays, s’oppose fortement auParlement anglais et au grand juristeLord Coke. Pour le roi, anticipant la position de Cardin le Bret, la loi est « l'émanation de la volonté du souverain »[13]. En face, Lord Coke réplique que le roi « est soumis à Dieu et à la loi ». En effet dans cette tradition juridique, la loi n’est pas un commandement comme le noteHannah Arendt[14], mais ce qui relie (le motlex signifiant « liaison étroite »). De ce fait, il n’y a ni « besoin d’une source absolue d’autorité » ni surtout que la loi suprême vienne du pouvoir puisqu’au contraire elle vient le limiter. Dans ces conditions, un systèmefédéral est possible et deux niveaux de souveraineté peuvent coexister puisque la souveraineté est d’emblée comprise comme limitée. LesÉtats-Unis, fortement influencés par la tradition de Lord Coke, ont un système fédéral dans lequel, outre l’État fédéral (Washington DC), desÉtats locaux possèdent des organes législatifs, exécutifs et judiciaires propres qui exercent, selon la division des pouvoirs prévue dans la Constitution des États-Unis, un droit souverain dans leurs champs de compétence.
La centralisation, accompagnée de l'absolutisme du pouvoir, est une particularité française qui tient à la construction de l'État français qui s'est faite par la lutte contre les pouvoirs féodaux locaux. Dans tous les autres États occidentaux qui se sont construits à la même époque (l'empire deCharles Quint, l'empire de la Couronne d'Angleterre…), les tentatives de centralisation et d'absolutisme ont échoué. Dans les autres, la construction de l'État a été empêchée par ces pouvoirs locaux (Italie,Allemagne).
De nouvelles théories politiques ont émergé ausiècle des Lumières, pour lutter contre le pouvoir royal souverain (France,Royaume-Uni). Les philosophes duLumières introduisirent ainsi les concepts de :
C'estJean-Jacques Rousseau qui a le plus inspiré la conception moderne de la souveraineté en France, avecDu Contrat social (1762), la considérant comme « inaltérable » et « indivisible », et émanant de lavolonté générale exprimée par le peuple[15].
PourEmmanuel-Joseph Sieyès, la souveraineté appartient à la Nation constituée par le Tiers-État, représenté par des parlementaires réunis en Assemblée nationale. Sieyès théorise le premier la souveraineté nationale dansQu'est-ce que le Tiers-État ? (1788).
La construction de l'État fédéral s'est faite par l'opposition à la Couronne d'Angleterre. Cette opposition s'est particulièrement manifestée avec les questions dedroit de propriété, dans ladéclaration d'indépendance, dontThomas Jefferson fut l'un des protagonistes. Ceci explique l'importance de l'économie et de lapropriété intellectuelle dans la conception de la souveraineté que se font les Américains aujourd'hui.
Après-guerre et difficulté du développement des relations internationales
À cet égard, la Charte de l'Organisation des Nations unies en 1948, qui reconnaît le principe de souveraineté, corollaire duprincipe de non-ingérence, autorise toutefois d'y apporter des limitations, mais en définit strictement les conditions. Les sanctions décidées à l'encontre d'unÉtat qui mettrait en péril la paix internationale ne peuvent être que multilatérales. Elles sont le plus souvent d'ordre économique (blocus…). Le droit d'ingérence (et non pas ledevoir d'ingérence, malgré les propositions des doctrines favorables à une intervention humanitaire), est encore plus strictement encadré et ne peut être mis en œuvre que si toutes les autres solutions ont échoué.
Dans le même ordre d'idées, la théorie de lasouveraineté limitée fut énoncée en 1968 par l'URSS pour justifier son intervention dans les paysfrères pour la défense des intérêts socialistes ; elle était mal acceptée par les pays frères devant subir la souveraineté, même si en théorie elle étaitlimitée.
Des formes indirectes d'influence culturelle commencent à apparaître, avec l'exigence des États-Unis d'autoriser la projection de films hollywoodiens dans les salles de cinéma françaises avec lesaccords Blum-Byrnes (1946).
Impossibilité pratique de mettre en œuvre cette limitation avant la fin de la Guerre froide
En pratique, on a d'abord essayé de limiter les souverainetés étatiques en partant du domaine politique, ce qui s'est soldé, à différents degrés, par des échecs plus ou moins avérés, en partie parce que les égoïsmes nationaux prévalaient sur toute nécessité de coopération. Ainsi, l'action de l'ONU fut incapacitée jusqu'en 1989 (fin de laGuerre froide), à quelques exceptions près (guerres duVietnam et de laCorée du Nord).
Par les coopérations économiques, de plus en plus poussées, se sont opérés les véritables transferts de souveraineté (même s'ils demeurent encore partiels). Les intérêts nationaux sont là convergents, puisque la coopération entraîne de réels gains économiques. La coopération se faisant de plus en plus poussée et devenant même intégration dans certains cas (le plus probant reste l'Union européenne), elle rejaillit alors en partie sur le domaine politique.
D'abord conçus comme des coopérations internationales économiques renforcées pour éviter de nouvellesguerres (moteur franco-allemand de l'Union européenne…), peu à peu, les systèmes ainsi mis en place prennent de l'ampleur et s'approprient une partie de la souveraineté desÉtats. Cela est dû en partie au fait que les États sont dès lors dans la quasi incapacité pratique de concevoir leurs politiques économiques en dehors desrelations internationales (toutepolitique économique interne est vouée à l'échec si l'on ne prend pas en compte laconcurrence extérieure).
Depuis la fin de laGuerre froide en 1989, lamondialisation, surtout en matière économique, transforme la notion de souveraineté en ne la faisant plus dépendre exclusivement des États. La souveraineté, par le biais de transferts de compétences, est de plus en plus attaquée, à la fois au niveau international, mais aussi au niveau national et régional.
Institutions internationales et souveraineté des États
Les organisations internationales et intergouvernementales ont développé leurs propres compétences en se dégageant de la volonté propre de leurs composantes, lesÉtats-membres. Au-delà de la simple concertation intergouvernementale, elles se sont arrogé des pouvoirssupranationaux, reconnus notamment par des traités, qui s'imposent aux institutions des pays membres de ces organisations.
C'est notamment le cas de :
l'Organisation des Nations unies, qui depuis la fin de laGuerre froide, mène une véritable politique de contrôle des États, allant parfois jusqu'à l'ingérence armée, sans toutefois jamais exercer aucun contrôle sur les cinq Grands (les cinq membres permanents duConseil de sécurité).
l'Organisation mondiale du commerce, qui dès sa création en 1994, n'a eu aucun mal à asseoir ses compétences en matière decommerce international à l'encontre des États, en particulier à l'encontre des États occidentaux qui se sont vus obligés d'appliquer les règles de commerce libéralisé (suppression du protectionnisme sous toutes ses formes). En réaction contre ce phénomène, les États mettent souvent en place des systèmes de protection qui s'avèrent plus ou moins efficaces. Cependant, de tels systèmes sont condamnés par l'Organisation mondiale du commerce, qui vise à mettre en place un commerce libéralisé, la libre concurrence étant représentée, dans l'économie libérale, comme ce qui permet d'apporter le plus de bénéfices économiques à tout le monde. En outre, la clause contraignante établie par l'article XVI-4 (dite « clause de conformité ») de l'accord instituant l'OMC, qui précise quechaque membre assurera la conformité de ses lois, réglementations et procédures administratives avec ses obligations telles qu’elles sont énoncées dans les accords figurant en annexe, entraîne une véritable perte de souveraineté étatique, puisqu'elle contraint les États à légiférer, et ce de manière conforme aux règles de l'OMC, les traités ne pouvant qu'interdire de légiférer dans un sens contraire aux obligations définies. Pour contrer les effets délétères de ce système au plan de la justice sociale et climatique, l'économisteThomas Piketty propose une réécriture des accords de libre-échange de façon à préserver« le souverainisme social et écologique » des États[16].
l'Union européenne, qui, notamment par le vote à la majorité qualifiée pour certaines décisions plutôt qu'à l'unanimité, peut contraindre les États-membres. De plus, letraité de Maastricht (1992) a introduit le concept de « citoyenneté européenne », qui s'ajoute aux citoyennetés nationales, ce qui permet notamment aux citoyens européens de voter aux élections européennes et municipales du pays européen où ils résident sans forcément en avoir la nationalité.
Rôle d'influence des organisations non gouvernementales
Certainesorganisations non gouvernementales internationales jouent un rôle de plus en plus important dans certains domaines auparavant réservés aux États, tels que l'alimentaire (souveraineté alimentaire), l'écologie, la défense des droits de l'homme.
Néanmoins, même si leur pouvoir réel varie d'une organisation à l'autre, on ne peut parler véritablement de souveraineté supra-étatique des ONG, puisque leurs pouvoirs sont surtout des pouvoirs d'influence, et non pas de contrainte. D'ailleurs, certains États (dont les États-Unis) et des grandes entreprises s'appuient sur les réseaux des ONG pour développer leur influence, à travers des organismes comme leWBCSD, laChambre de commerce internationale ou le BASD.
On peut se demander[évasif] quelle est la réalité de la souveraineté des États lorsque certains groupes d'entreprises ont plus de moyens financiers et d'influence sur le plan politique, au travers de leurslobbies, que des États. En effet, contrairement aux États, ils ne sont pas soumis aux obligations les plus basiques endroit international et sont amenés à faire leur loi, en matière dedroit du travail surtout. De plus, même si ces entreprises ne sont toujours pas représentées sur la scène internationale, certains États (États-Unis…) portent leurs intérêts privés sur la scène internationale.
La sécurité intérieure aujourd'hui a tendance à prendre le pas sur les questions de défense contre les attaques extérieures, puisque les citoyens doivent être protégés de l'intérieur contre le terrorisme, comme l'ont montré lesattentats du 11 septembre auxÉtats-Unis, considérés comme une atteinte à leur souveraineté[17].
Leprincipe de non-ingérence, qui est énoncé dans la charte de l'ONU notamment, est alors limité par l'autorisation d'intervenir dans un pays lorsque l'on considère que les droits humains ne sont pas respectés, limitation très polémique donnant lieu à d'intenses débats dans les milieux intellectuels mondiaux, d'où proviennent certaines critiques quant à l'usage unilatéral et abusif de « l'intervention humanitaire » ou autrement réaliste, ce que l'intellectuel allemandUlrich Beck appel « le nouvel humanisme militaire », par certains États puissants au profit d'intérêts géopolitiques ou d'alliances régionales.
La puissance économique d'un État fait aujourd'hui partie intégrante du mécanisme qui lui permet d'asseoir sa souveraineté au niveau international.
Même dans l'économie de l'immatériel, caractérisée par lesdélocalisations, on retrouve la notion de territoire, qui, pour beaucoup d'experts, reste un élément constitutif de la souveraineté :
Il y a donc ici un glissementsémantique de la souveraineté entendue au sens politique vers une souveraineté dans un sens plus large, concernant l'économie de l'immatériel (sans exclure le politique).
Il s'avère que lesÉtats-Unis disposent actuellement d'un pouvoir d'influence considérable, grâce à leurlangue et aux moyens de diffusion de l'information qu'offrent le Web et les réseauxinternet, dans la plupart des domaines déjà décrits : économique, financier, social (environnement et droits de l'Homme), et même culturel.
L'une des caractéristiques contemporaines de la souveraineté est ainsi la tenue, au niveau de plusieurs gouvernements, deregistres de métadonnées, basés sur le référentielDublin Core, qui permet de contrôler les informations circulant en source ouverte, au niveau des données de description desressources informatiques (métadonnées). LesÉtats-Unis tiennent des registres pour la défense, la justice, et d'autres domaines stratégiques.
Sur le Web, le développement des pratiques departage de signets, à des fins sociales ou professionnelles, peut poser dans certains cas des questions sur la souveraineté.
L’Union européenne (UE) est uneorganisation supranationale. Elle n’est pas un État alors que les pays membres de l'Union le sont tous. De ce fait, l’UE avec sonparlement, saCour de justice des Communautés européennes et ses autres organes se trouve posséder seulement une partie des attributs d'un État. Par ailleurs, la transposition dans les ordres juridiques nationaux dudroit dérivé qu'elle produit nécessitant à de nombreux égards l'intervention des États,Alain Supiot a pu comparer le pouvoir de l’Union européenne à celui d’un suzerain ayant uniquement un pouvoir sur ses vassaux : elle« n’exerce sur les peuples qu’un pouvoir indirect, qui requiert la médiation des États »[18].
La politique de l'Union européenne se décomposait auparavant en trois « piliers » : lesCommunautés européennes, le pilier de l'intégration ; laPolitique étrangère et de sécurité commune (PESC) ; la coopération policière et judiciaire en matière pénale. Cette structure confuse et aujourd'hui disparue avait pour but de ménager la souveraineté des États en l'équilibrant avec les pouvoirs communs des organes de l'UE.
LeConseil constitutionnel français réaffirme que la France est pleinement souveraine, distinguant transferts de compétences et transferts de souveraineté (voirsupra, définition).
« Cette personne publique qui se forme ainsi par l'union de toutes les autres […] est appelé État quand il est passif, et Souverain quand il est actif. »
↑Fabrizio Frigerio, "Souverain (chez Rousseau)", in:Dictionnaire international du Fédéralisme, sous la dir. deDenis de Rougemont, éd. François Saint-Ouen, Bruxelles, Bruylant, 1994, p. 272-274.
↑Thomas Piketty, « Pour reconstruire l’internationalisme, il faut tourner le dos à l’idéologie du libre-échange absolu »,Le Monde,(lire en ligne)
Jacques Maritain,L'Homme et L’État, Presses Universitaires de France, 1953.
Fabrizio Frigerio, "Souverain (chez Rousseau)", in: 'Dictionnaire international du Fédéralisme, sous la direction deDenis de Rougemont, édité par François Saint-Ouen, Bruylant éditeur, Bruxelles, 1994, p. 272-274.
Bertrand Badie,Un Monde sans souveraineté : Les États entre ruse et responsabilité, Fayard, 1999