Si vous disposez d'ouvrages ou d'articles de référence ou si vous connaissez des sites web de qualité traitant du thème abordé ici, merci de compléter l'article en donnant lesréférences utiles à savérifiabilité et en les liant à la section « Notes et références ».
Grève aux chantiers navals de Gdańsk en août 1980.
À l'époque de la Pologne communiste, aucun syndicat indépendant des organismes du pouvoir n'est autorisé. Soucieuse des besoins des ouvriers deschantiers navals de Gdańsk,Anna Walentynowicz crée la première association indépendante, ce qui lui vaut d'être licenciée le et de perdre ainsi son droit à la retraite à cinq mois de celle-ci.
La décision de la direction entraîne une grève qui éclate le lundi, lorsque les 17 000 ouvriers deschantiers navals Lénine cessent le travail. Le mouvement donne naissance au syndicat NSZZ Solidarność dontAnna Walentynowicz est cofondatrice avecLech Wałęsa[3],[4].
Dans les années 1980, ce syndicat réussit à rassembler un largemouvement social contre le régime communiste en place, impliquant entre autres l'Église catholique romaine. Il élabore un programme en21 points. Le syndicat est soutenu par un groupe d'intellectuels dissidents (enpolonais :Komitet Obrony Robotników (KOR))[5] et était basé sur les règles de lanon-violence. PourMoscou, Solidarność est considéré comme un organisme dangereux bénéficiant du soutien de l'OTAN. Si les communistes polonais ne réussissaient pas à faire face à cette menace, les Soviétiques s'en mêleraient.
La survie de Solidarność est un événement sans précédent, non seulement en Pologne, mais dans tous les pays dupacte de Varsovie. Cela signifie une cassure dans la ligne dure du Parti qui avait auparavant provoqué un bain de sang pour réprimer unautre mouvement de protestation : des douzaines de personnes tuées et plus d'un millier de blessés àGdynia en.
Les facteurs principaux ayant contribué aux succès initiaux du mouvement Solidarność et des autres mouvements dissidents sont d'ordre interne et externe :
la crise interne des régimes socialistes (perte de foi envers le modèle socialiste, crise économique…) ;
la longue construction d'un syndicalisme indépendant du pouvoir à travers des échecs dont l'opposition a su tirer les leçons : lesoulèvement de Poznań en 1956, la critique intellectuelle de 1968, la répression de la grève des chantiers navals deGdynia en 1970, la naissance duKOR en 1976 ;
l'élection du premierpape polonais de l'histoire, en 1978 :Jean-Paul II soulève l'enthousiasme et donne aux Polonais la certitude que leur résistance sera victorieuse ;
et enfin la succession au pouvoir enURSS deLéonid Brejnev (jusqu'en 1982) qui laissait le soin de gérer les affaires internes au bloc à ses subordonnés, généralement pluslibéraux que lui, deIouri Andropov de 1982 à 1984, soucieux de réformer le modèle soviétique, à l'origine de laperestroika et de laglasnost mises en place parGorbatchev à partir de 1985, sans oublier le court passage au pouvoir deKonstantin Tchernenko, malade, incapable d'assurer véritablement la présidence de l'Union soviétique.
Les idées du mouvement Solidarność se répandent très rapidement à travers la Pologne ; de plus en plus desyndicats sont formés et rejoignent la fédération. Son programme, bien que centré sur lesrevendications syndicales, est perçu partout comme une première étape pour provoquer le démantèlement dumonopole duParti communiste polonais.
« Solidarité rurale », un syndicat d'agriculteurs, est créé en. En 1981, leKOR se dissout volontairement, ses membres jouant alors le rôle d'experts du syndicat. Ce rôle renforcera les tendances prônant la conciliation avec le pouvoir : « Il ne doit pas y avoir derevendications qui inciteraient le gouvernement à utiliser la violence ou qui mèneraient à son effondrement. Nous devons leur laisser des portes de secours. Nous avons besoin de plus derevendications économiques et politiques négociables. » (Bogdan Borusewicz, historien et membre duKOR, àGdansk).
Le, à l'issue de14 jours de grève au chantier naval Lénine de Gdansk, le vice-Premier ministreMieczysław Jagielski cosigne avec Lech Wałęsa, devant l'assemblée générale des délégués des entreprises en grève dans la région, l'« accord de Gdańsk », qui ouvre la voie à la constitution des syndicats indépendants. Le comité de grève interentreprises se transforme en direction provisoire du nouveau syndicat[6].
Cet accord est le point culminant d'une vague de grèves démarrée en juillet à la suite de l'augmentation des prix des produits alimentaires. Une rupture se produit alors dans le consensus de fait entre la bureaucratie polonaise et les travailleurs. Des grèves avec occupation se dotent, au fur et à mesure, de structures d'auto-organisation de plus en plus larges. Les négociations menées avec le pouvoir sont publiques, enregistrées par les délégués d'entreprises et permettent aux travailleurs d'affiner les mandats de leurs délégués, d'en changer si nécessaire.
Le syndicat Solidarność, issu de cette lutte qui regroupe rapidement10 millions de salariés sur les 31 que comptait alors la Pologne, se présente comme une forme avancée de l'organisation ouvrière autonome. À l'image des comités de grève d', c'est une structure démocratique, au sein de laquelle les dirigeants sont révocables. Tenu en septembre 1981, le premier congrès de Solidarność apparaît comme un véritable parlement ouvrier du pays. Ses séances, retransmises dans les grandes entreprises du pays, attestent des discussions intenses sur l'avenir et des pressions de la base sur les délégués pour que ces derniers représentent fidèlement l'élaboration de l'intelligence collective. Le fruit de cette élaboration fut le projet de république autogérée, le congrès exigeant « une réforme autogestionnaire et démocratique à tous les niveaux de gestion, un nouvel ordre social et économique, qui liera le plan, l'autogestion et le marché. » C'est un approfondissement des positions élaborées dès l'automne 1980, telles celles de la commission ouvrière inter-entreprises deSzczecin : « Nous sommes en faveur d'un socialisme progressiste, ouvrier, pour un développement harmonieux et équitable de la Pologne, déterminé collectivement par l'ensemble du monde du travail. […] Nous ne voulons pas changer de système, mais nous nous orientons vers la réalisation d'un ordre social qui serait authentiquement ouvrier et socialiste. »
Le syndicat est légalisé après l'accord de Gdansk, du. Il bénéficie tout de suite du parrainage de l’Église catholique et les adhésions affluent : le nombre total de membres atteint10 millions, soit un tiers de la population totale de la Pologne (35 millions à l'époque) ou plus de trois fois le nombre de membres du Parti communiste (PZPR) ; toute l'opposition polonaise au régime utilisera Solidarność comme structure pour faciliter son combat. Après un baroud d'honneur, le gouvernement sera obligé de légaliser Solidarité Rurale (NSZZ RI Solidarność), qui regroupait la paysannerie. Ce premier syndicat libre obtient un soutien international très puissant : AFL/CIO auxÉtats-Unis, DGB enRFA, lesTrade Unions enGrande-Bretagne apportent un soutien politique et financier ; en France,FO et surtout, laCFDT sont des soutiens importants. LaCGT, étroitement liée auParti communiste français, s'abstient par contre de tout soutien et, comme le PCF, approuvera par la suite la mise hors la loi du syndicat polonais[7].
Le premier congrès de Solidarność s'ouvre le et rassemble 912 délégués[9]. Il débute par une messe d'ouverture célébrée parJózef Glemp. Cette messe durant laquelle tous les délégués prient à genoux, est un événement international, couvert par tous les médias du monde.Lech Wałęsa est reçu officiellement en audience parJean-Paul II auVatican.
Interdiction du syndicat et État de siège en Pologne de 1981 à 1983
Dans la nuit du 13 au, laloi martiale est proclamée, Wałęsa avec toute la direction de Solidarność est arrêté par la police et le syndicat est « suspendu » par décret du généralJaruzelski[10], avant d'être interdit quelques mois plus tard. Cependant, la direction du syndicat a anticipé l'événement et la plupart des principaux militants peuvent maintenir une activité politique. Le clergé catholique continue à servir de postiers clandestins, notamment en transférant des fonds au profit des militants recherchés par la police ou de leur famille. En, Wałęsa reçoit leprix Nobel de la paix[10], ce qui contribue à le positionner comme interlocuteur indispensable du régime.
À partir du milieu des années 1980, Solidarność n'a subsisté que comme mouvement clandestin, soutenu par l'Église catholique romaine (voirJerzy Popieluszko). L'influence de Lech Wałęsa contribuera à lui donner un rôle de « pompier social » : « L'Église nous conseille d'être toujours modérés, d'être conscients, de trouver un compromis… C'est nous qui modérons les gens. C'est grâce à nous qu'on ne tire pas sur le pouvoir, si le pouvoir n'a pas encore été rejeté… Sans nous il y aurait déjà la révolte populaire. Et c'est d'ailleurs un pouvoir conscient des dimensions de la crise économique qui a permis peut-être la création de Solidarność en sachant que nous jouerions un rôle d'amortisseur raisonnable qui protégera même le pouvoir et le Parti contre la colère populaire » (Lech Wałęsa lors d'une réunion de Solidarność).
Le triomphe des candidats du syndicat (formellement présentés par le « Comité civique auprès du président de Solidarność Lech Wałęsa ») à ces élections, qui constituent les groupes parlementairesObywatelski Klub Parlamentarny à ladiète et ausénat nouvellement rétabli, prélude à lachute des régimes communistes en Europe. « Si Solidarność avait inscrit un âne sur ses listes électorales, il aurait été élu, et si le Parti avait proposé Dieu lui-même comme candidat, Dieu aurait perdu », écrit l'historien britannique Timothy Garton Ash. Dès la fin du mois d'août, un gouvernement de coalition mené par Solidarność est formé.
En décembre 1990, Lech Wałęsa quitte son poste à la tête de Solidarność et est éluprésident de la République contre le premier chef de gouvernement non-communisteTadeusz Mazowiecki, marquant la fin définitive de l'unité du camp des opposants au système soviétique.
Dès lors, l'organisation devient un syndicat plus classique.
Après l'implosion duKomitet Obywatelski Solidarność, le syndicat présente des listes lors desélections parlementaires de 1991 etde 1993. En 1996, une nouvelle branche politique, l'Alliance électorale Solidarité (en polonais :Akcja wyborcza SolidarnośćAWS), formée de l'Accord du centre et de la liste Solidarność, transformée en parti l'année suivante, participe au gouvernement de 1997 à 2001 avant de disparaître définitivement après la défaite électorale de2001. Les responsabilités syndicales et politiques deviennent totalement distinctes. Le syndicat compte environ1,5 million de membres.
En 2005, le syndicat compte 500 000 membres. À l'occasion de son25e anniversaire[11], le jour de sa fondation, le31 août, est devenu un jour férié enPologne.
Le, son fondateur symbolique Lech Wałęsa annonce sa démission du syndicat[12], dont il dénonce le soutien trop manifeste à la droite dure, et notamment le soutien public lors des électionslégislatives etprésidentielle de l'automne 2005, au partiDroit et justice (PiS)[13] des jumeaux Kaczyński.
Graphiquement, le logo créé parJerzy Janiszewski (ci-dessus) est formé des11 lettres de « Solidarność » soudées entre elles et serrées les unes contre les autres, comme des participants au premier rang d'une manifestation : l'impression recherchée est le sentiment de solidarité, de front commun et de peuple faisant bloc contre le pouvoir. L'une des lettres-manifestants brandit le drapeau polonais.
Mury est l'hymne de Solidarność. Créé en 1978 par le poète polonaisJacek Kaczmarski, il s'inspire de l'Estaca, hymnelibertairecatalan écrit par le poète et chanteurLluís Llach. Ce chant devint un symbole de la lutte contre l'oppression du régime soviétique. Malgré la volonté marquée par l'auteur de faire de ce chant une critique de certains aspects des mouvements sociaux, il en devint un symbole.
↑Mark Kesselman et Guy Groux (dir.),1968-1982 : le mouvement ouvrier français. Crise économique et changement politique, Éditions de l'Atelier / Édition Ouvrières, 1989, page 85.
↑Patrick Edery, « Pologne : pendant le feuilleton politique, les affaires continuent »,La Tribune,(lire en ligne).
↑« Cinq syndicats français critiquent Solidarnosc pour sa complaisance à l’égard de Marine Le Pen et d’Eric Zemmour »,Le Monde,(lire en ligne, consulté le).