L’Internationale situationniste (IS) est une organisation de théoriciens, stratèges et activistesrévolutionnaires opérant dans les domaines culturels, artistiques, politiques, sociaux et désireux d'en finir avec la société declasses et la « dictature de la marchandise ». Ses fondateurs se définissent eux-mêmes, dans le premier numéro de leur revue en 1958, comme ceux « qui s'emploient à construire des situations », une « situation construite » étant un « moment de la vie, concrètement et délibérément construit par l'organisation collective d'une ambiance unitaire et d'un jeu d'événements[1] ».
Elle est originellement l'expression d'une volonté de dépassement des tentatives révolutionnaires desavant-gardes artistiques de la première moitié duXXe siècle qu'ont été ledadaïsme, lesurréalisme et lelettrisme.
Formellement créée en à la conférence d'unification deCosio di Arroscia[2], l'Internationale situationniste naît du rapprochement d'un ensemble international de mouvements d'avant-garde, dont l'Internationale lettriste (elle-même issue d'une rupture avec leLettrisme d'Isidore Isou), leMouvement international pour un Bauhaus imaginiste, leComité psychogéographique de Londres et un groupe de peintresitaliens. Son document fondateur,Rapport sur la construction de situations…[3], a été rédigé parGuy Debord en1957. Dans ce texte programmatique, Debord pose l'exigence de « changer le monde » et envisage le dépassement de toutes les formes artistiques par « un emploi unitaire de tous les moyens de bouleversement de la vie quotidienne ». Le dépassement de l'art est au cœur de son projet originel.
Au début, les situationnistes font parler d'eux par leur utilisation ducalembour comme arme critique, tournant en dérision l'art contemporain pour démontrer l'inanité et le superficiel d'une culture dite bourgeoise.
Puis l'Internationale situationniste s'oriente rapidement vers une critique de ce qu'ils appellentla société du spectacle, ou société « spectaculaire-marchande », et une dénonciation du« règne de lasurvie[4] » accompagnée d'un objectif derévolution sociale. L'année1962 voit la scission entre « artistes » et « révolutionnaires » et l'exclusion des premiers.
L'un des principaux objectifs de l'Internationale situationniste est devenu« l'accomplissement des promesses contenues dans le développement de l'appareil de production contemporain et la libération des conditions historiques par une réappropriation du réel, et ce, dans tous les domaines de la vie ».
D'un point de vue organisationnel, l'Internationale situationniste conserve la position marxiste d'un parti théorique ambitionnant de représenter« le plus haut niveau de conscience révolutionnaire ». La théorisation de cette position ne se fait qu'assez tardivement, dans laDéfinition minimum des Organisations révolutionnaires (ISno 11), adoptée par la7e Conférence de l'IS en 1966 et qui sera enFrance l'une des références duconseillisme de l'aprèsmai 1968, et en1969 dans lesPréliminaires sur les conseils et l'organisation conseilliste (ISno 12).
L'Internationale situationniste s'autodissout en 1972 après la publication deLa Véritable scission dans l'Internationale - Circulaire publique de l'Internationale situationniste.
Inscription d'inspiration situationniste au bord du lac deNeuchâtel (juillet 2023)
La révolution de la vie quotidienne ne peut se faire que dans le cadre de l'autogestion généralisée, sur des bases égalitaires, et en supprimant les rapports marchands. Elle s'appuie sur plusieurs idées :
l'abolition du spectacle en tant que rapport social ;
la participation des individus (refus des représentations immuables) ;
la communication (refus des médiations en tant que séparées[5]) ;
la réalisation et l'épanouissement de l'individu (opposés à sonaliénation) : le libre usage de soi-même est un des aspects de cet épanouissement, mais globalement, la subjectivité radicale de chacun est censée se développer dans le refus des contraintes de la rentabilité, et ce, dans tous les domaines, tout en gardant la responsabilité de ses actes ;
l'abolition du travail en tant qu'aliénation et activité séparée de la vie qui va, résumée par un slogan, queGuy Debord s'attribue, écrit à la craie sur un mur du quai aboutissant sur la Seine de la rue de Seine en 1952 (àParis) : « Ne travaillez jamais » ;
le refus de toute activité séparée du reste de la vie quotidienne : les situationnistes luttent pour l'abolition de l'art contemplatif, des loisirs en tant que séparés de la vie de tous les jours, de l'Université et pour la réunification de toutes les activités humaines : la fin de ladivision du travail et des séparations entre les différentes sciences. Ils entendent reprendre par là le fil d'un projet issu de la pensée deMarx : l'autogestion communiste permet à l'activité de production de ne plus être un travail[6] et de fusionner avec toutes les autres activités humaines sous une formeartistique etpoétique. Ainsi, l'activité de production n'est plus séparée de la réalisation individuelle, des loisirs et de lasexualité. De manière plus générale, le projet situationniste aspire à ce que toutes les activités humaines prennent une forme poétique (dans le sens original du grec ancienποίησις,poíêsis: « action de faire, création »): celle de la libre création de situations par les individus.
Pour décrire le stade moderne du capitalisme,Guy Debord explicite et nomme le concept de « spectacle » approché par Marx. Ce concept a plusieurs significations. Le spectacle est avant tout l'appareil depropagande du pouvoir capitaliste, mais c'est aussi « un rapport social entre des personnes médiatisé par des images »[7]. Pour Debord, le spectacle est la « reconstruction matérielle de l'illusion religieuse »[8]. Dans ce sens, le spectacle ne met pas fin à la religion, mais en ancrant l'illusion religieuse sur terre au lieu de la rejeter dans le ciel, il rend la vie terrestre opaque et irrespirable.
le spectacleintégré, qui est la fusion des deux premiers dans le cours de l'histoire.
Anticipant ainsi la chute des régimes duBloc de l'Est et leur intégration dans le système capitaliste global[réf. nécessaire], il offre une première définition de la post-politique.
Alors qu'enUnion soviétique et dans les pays de l'Est le spectacle se concentre sur la personne dudictateur (Staline puisKhrouchtchev puisBrejnev), il se présente dans les sociétés libérales occidentales de manière diffuse, sous la forme de marchandises qui véhiculent une propagande d'idéologie capitaliste.Guy Debord observe que dans lesannées 1980 les deux formes de spectacle ont fusionné sous la forme du « spectaculaire intégré » : désormais, le spectacle n'est plus seulement dans la marchandise, les rapports sociaux auxquels elle prédispose ou dans la simple propagande du pouvoir, « désormais, le spectacle est présent partout. »[réf. souhaitée] Il régit tout dans les relations entre les personnes. Désormais tous lesrapports sociaux tendent partout à devenir des rapports marchands. Ils ne sont plus que des rapports de signifiants, autrement dit desimulacres. Ils sont eux-mêmes des simulacres.
De nos jours, plusieurs organisations dumouvement altermondialiste puisent une partie de leurs idées dans la philosophie situationniste. Des groupes commeAntipub ou des écrivains commeNaomi Klein affirment s'inspirer des écrivains situationnistes[9].
Couverture du premier numéro de la revueInternationale situationniste : la section française publie douze numéros, entre 1958 et 1969.
L'Internationale situationniste produit ses travaux théoriques dans sa revueInternationale situationniste et surtout dans deux livres :Traité de savoir vivre à l'usage des jeunes générations (1967), deRaoul Vaneigem, etLa société du spectacle (1967), deGuy Debord.
Tout en étant surtout un groupe de théoriciens, l'Internationale situationniste s'est illustrée de façon concrète à deux occasions :
À Strasbourg, en1967, un an avant la grève généralisée en France, en « prenant le pouvoir » dans la section locale de l'UNEF, et en utilisant celle-ci pour éditer "De la misère en milieu étudiantconsidérée sous ses aspects économique, politique, psychologique, sexuel, et notamment intellectuel et de quelques moyens pour y remédier" qui allait connaître par la suite de multiples rééditions.
Avant le déclenchement de la grève générale demai 1968, par leur influence directe sur les étudiants notamment à Nantes et à l'université de Nanterre, où se créent au début de le groupe « les Enragés ». Ces « Enragés » qui diffusent les textes de l'Internationale situationniste et radicalisent le mouvement par l'occupation de bâtiments administratifs se brouillent après la soirée du avecCohn-Bendit[10]. On peut considérer les Enragés et les situationnistes comme parmi les principaux déclencheurs activistes des événements de mai et juin 1968 en France.
Quelques jours après les syndicats universitaires puis ouvriers, l'Internationale situationniste lance un appel à la grève générale le 1968[11], émis depuis la Sorbonne.
Enmai 68, l'Internationale situationniste s'élargit à travers le Comité Enragés-Situationnistes et surtout ensuite dans leConseil pour le maintien des occupations (CMDO), qui donnera naissance à différents groupes « pro-situs ». Lorsque le CMDO se dissout — les usines n'étant alors plus occupées —, l'Internationale situationniste se reconstitue en tant que telle (groupe de théoriciens), avant de s'auto-dissoudre en pleine crise interne, après une série d'exclusions qui la ramenaient à sa plus simple expression. Plusieurs de ses ex-membres à commencer par Guy Debord auront un rôle majeur dans l'apparition des éditionsChamp libre.
« Considérant que le seul but d'une organisation révolutionnaire est l'abolition des classes existantes par une voie qui n'entraine pas une nouvelle division de la société, nous qualifions de révolutionnaire toute organisation qui poursuit avec conséquence la réalisation internationale du pouvoir absolu des Conseils Ouvriers tel qu'il a été esquissé par l'expérience des révolutions prolétariennes de ce siècle… Elle (l'organisation) critique radicalement toute idéologie en tant que pouvoir séparé des idées et idées du pouvoir séparé. »
— Internationale situationiste
Auto-dissoute en1972, l'Internationale situationniste reste aujourd'hui un mouvement peu ou mal étudié, notamment en regard de sa place significative dans l'histoire de la pensée de lapolitique et dans l'histoire des théories artistiques ainsi que par l'actualité de son discours critique.Les situationnistes ne reconnaissent pas non plus lapropriété intellectuelle. Selon la formule qui figure en deuxième de couverture de chaque numéro de la revue :« Tous les textes publiés dansInternationale situationniste peuvent être librement reproduits, traduits ou adaptés, même sans indication d'origine. »[12]
Dans ce sens, n'importe qui peut se dire situationniste (ou du moins, s'approprier et user théoriquement et pratiquement, ou idéologiquement, des idées situationnistes), à la condition paradoxale de critiquer l'Internationale situationniste. En effet, un situationniste qui ne critique pas les situationnistes n'en est pas un : là réside la différence entre les situationnistes et ceux qu'ils dénonçaient eux-mêmes sous le terme de « pro-situs » (les adeptes de l'idéologie figés dans le « situationnisme »). En effet, le concept de « situationnisme » a toujours été dénoncé par les situationnistes, en tant qu'il sous-entendrait l'existence d'uneidéologie situationniste avec sesdogmes et sadoctrine. La théorie situationniste repose au contraire sur la critique permanente et le dépassement. En1972, l'Internationale situationniste est devenue une forme d'organisation dépassée, mais surtoutà dépasser, car selon elle, elle avait achevé son rôle historique. Les membres de l'Internationale situationniste ont donc décidé de dissoudre leur organisation cette année-là. En1974 et ensuite, des anciens membres exclus de l'Internationale situationniste ont alors créé l'Antinationale situationniste, lesnexialistes, etc.
Tracts diffusés par le comité d'occupation de la Sorbonne et le CMDO en mai-juin 1968
Selon la synthèse de différentes analyses effectuée par le chercheur Jean-Christophe Angaut[15], la pensée situationniste en 1968 ne se caractérise plus simplement comme en 1965-1966 par le« rejet des bureaucraties syndicales » et de« la myriade de groupuscules gauchistes » qui doublonnent avec elles, mais aussi par l'accent mis sur des« revendications en faveur de l’autogestion et de la démocratie directe ».
Ce souci s'est exprimé peu avantMai 68, dans un texte rédigé lors de la« liquidation de l’autogestion » par le colonelHouari Boumédiène en Algérie, près d'un an après soncoup d’État du 19 juin 1965, violemment dénoncé par la gauche militante en France[16], au cours duquelune cinquantaine de français et des responsables du FLN-Jeunes sont arrêtés[16]. L'analyse situationniste se positionne alors« contre ceux, notamment les groupuscules gauchistes, qui estiment qu’il est prématuré de dire certaines choses aux masses, car elles ne sont pas prêtes à les entendre ». Le texte « Les luttes de classes en Algérie », détournement du titre de l’essai de Marx sur ces mêmes luttes de classes en France en 1848-1850 aux débuts de le deuxième république, publié dans la revue IS de mars 1966, souligne notamment qu'il « faut dire aux masses ce qu’elles font ». Grâce à l'action du syndicaliste tunisienMustapha Khayati[17], à quiGuy Debord écrit très souvent[18], en privilégiant une forme de clandestinité[18], l'IS est devenue alors« très en pointe sur le front algérien »[17]. Selon le leader trotskisteDaniel Bensaïd,Guy Debord, signataire duManifeste des 121 contre laGuerre d'Algérie dès 1960[19], analyse ce coup d’État comme le signe d'une« bureaucratie en formation comme classe dominante algérienne »[19], et au même moment dénonce une nouvelle bureaucratie en Chine[19] qui s'approprie pour elle-même un « capitalisme d’État »[19].
Dans la même logique anti-bureaucratique, les situationnistes défendront selon cette même synthèse de Jean-Christophe Angaut[15]« une thèse à contre-courant » voulant que les étudiants, comme couche sociale en crise,« n’ont été rien d’autre, en mai 1968, que l’arrière-garde de tout le mouvement » et« soulignent avec constance » que vient de se dérouler la plus grande grève générale d’un pays industriel avancé, qui plus est via« un mouvement d’occupations basé sur la démocratie directe », en se moquant de« l'aveuglement des différents groupes gauchistes », qui pensent revivre laRévolution russe de 1917 et crient, tout à la fin deMai 68 à la trahison sans voir qu'alors les« syndicats et partis remplissent leur fonction » démocratique de base. Dans un tract du CMDO du 22 mai 1968 qui liste par ordre décroissant de probabilités les scénarios possibles dont celui, probable, de concessions importantes et négociées du gouvernement pour obtenir la démobilisation sociale, et qui s'est concrétisé quelques jours après par lesaccords de Grenelle,Guy Debord dénonce en particulier « la déficience presque générale » de la fraction des étudiants révolutionnaires dans le temps libre consacré à l’élucidation des problèmes de la révolution, moins excusable mais moins décisive, que celle des ouvriers[15].
Conclusion des situationnistes, toujours selon Angaut, même si des étudiants ont« participé à des choses intéressantes » enMai 1968, cette participation est restée dérisoire et en ligne globalement avec leur destin social de constituer à l'avenir l’encadrement de la société industrielle moderne, avec« moins d’indépendance encore que la petite bourgeoisie, mais davantage d’illusions sur cette prétendue indépendance »[15].
Les situationnistes, pour qui « vivre sans temps mort, jouir sans entraves », avec ses déclinaisons, fut le principal slogan, n'ont cependant occupé, durant le mois deMai 68 qu’un rôle mineur, car« tout au long du mois fatidique, Debord et ses siens se trouvent marginalisés et relégués aux coulisses », rappelleChristophe Bourseiller[20]. Très attentive à la forme de ses messages, en raison du rôle des artistes dans son émergence, l' Internationale situationniste avait cependant été fragilisée par l'exclusion des artistes à partir de 1960 ce qui explique son audience et ses effectifs modestes dans les années précédent 1968[21]. Présents à« la Sorbonne seulement du 14 au 17 mai 1968, soit juste trois jours », les situationnistes furent ensuite, paradoxalement, expulsés de cette chaudière de l'action étudiante alors qu'ils« ne se désignent ainsi que parce qu’ils veulent construire des situations » favorables, ajouteChristophe Bourseiller[20].
La Véritable Scission dans l'Internationale, publiée en 1972, marque la fin de l'IS.
Dès le début desannées 1950, les situationnistes ont entrepris la critique de la société marchande dans sa modernité même. Contrairement à certains penseurs tiers-mondistes de cette époque, ils plaçaient la lutte de classes au centre d'un mouvement subversif dont l'épicentre se situait dans les pays développés. En élaborant le programme d'une insurrection qui cherche ses causes et son point d'application au cœur même de la vie vécue par leurs contemporains, ils se proposaient d'actualiser le programme énoncé par leManifeste du parti communiste (1848) deKarl Marx etFriedrich Engels, compris comme l'effacement du travail au profit d'un nouveau type d'activité libre, la fin dumalheur historique[pas clair], l'autogestion généralisée, l'avènement de la société des maîtres sans esclaves, la réalisation de l'art.
L'Internationale Situationniste se proclamait anti-hiérarchique et se présentait comme un exemple de communauté critique dont les membres étaient censés s'approprier égalitairement la critique unitaire de tous les aspects de la vie. En posant cette exigence de cohérence entre la vie réellement vécue et les idées proclamées, elle prétendait ramener le dessein subversif des artistes novateurs au cœur du projet révolutionnaire.
Critiquant la nouvelle pauvreté dissimulée sous l'abondance de marchandises, elle prônait la décolonisation de la vie quotidienne dont elle pensait avoir identifié la misère présente comme le principal résultat du pauvre emploi des moyens techniques accumulés par le capitalisme moderne:« la société technicienne avec l'imagination de ce qu'on peut en faire »[réf. nécessaire].
S'attaquant également à l'idéologie, à la politique spécialisée et aux spécialistes en général, dénonçant le militantisme comme activité aliénée, se réjouissant de la dislocation des familles et de « la disparition du minimum de conventions communes entre les gens, et à plus forte raison entre les générations », s'identifiant « au désir le plus profond qui existe chez tous, en lui donnant toute licence (…) le seul désir de briser toutes les entraves de la vie », soucieux enfin de « fair(e) passer l'agressivité des blousons noirs sur le plan des idées », les situationnistes prétendaient inaugurer un style de vie, condition de participation à l'avant-garde.
En développant leur programme de repassionnement de la vie, ils avaient conscience d'avancer sur le terrain de leurs ennemis, gestionnaires, modernisateurs et publicitaires de la société marchande. Mais ils espéraient les prendre de vitesse et voir venir à eux les forces pratiques de la nouvelle insurrection.
Pour l'Internationale situationniste, qui avait prévu le retour de la subversion dans les métropoles du capitalisme développé et annonçait en 1966 le déclin et la chute de l'économie spectaculaire-marchande, le mouvement deMai 68 était le prélude à l'assaut décisif du prolétariat. Ne prétendant rien de moins qu'à représenter l'expression théorique générale d'un mouvement historique, mais visant explicitement dans sa victoire sa propre fin en tant qu'organisation séparée, elle s'est finalement dissoute au moment même où ses idées rencontraient le plus de succès.
Partisane radicale contre le travail aliéné (et aliénant) et le spectacle en tant que rapport social médiatisé par des images, l’IS se refusa à toute aliénation de l’individu et était un groupe prônant la libération de celui-ci. Ses membres se refusèrent à toutes propositions formelles pouvant la diriger, ce qui fut vivement critiqué par d’autres mouvements comme lemaoïsme.
Les critiques situationnistes, tant sur cette société que sur certains de ceux qui disent la combattre, furent cinglantes et « avant-gardistes », poussant au radicalisme la critique et l’action.Aujourd’hui certaines personnes venant de tous milieux récupèrent Debord, mettant en avant sa personnalité et son style d’écriture, et annihilent sa pensée. On a ainsi vu des expositions et des ouvrages littéraires dans certains lieux comme leCentre Pompidou (type d’institution très critiqué par les situationnistes).De plus, desconseillistes continuent à se dire situationnistes. Certains pensent cependant qu'il est abusif de se déclarer comme tel aujourd'hui et que cela revient à une récupération du mouvement, dénoncée dès l'origine (l’IS voulait un dépassement de leur pensée et non la dogmatiser).
Le nom dusinologueSimon Leys est souvent associé au mouvement situationniste, deux de ses livres étant venus confirmer l'analyse de ce mouvement envers le système politique chinois :Les Habits neufs du président Mao etOmbres chinoises. Le style même de ces titres est d'ailleurs en droite ligne emprunt de l'esprit de ce mouvement.
En province, plusieurs groupes organisés, mais souvent clandestins, et ne signant jamais de leurs noms " groupes autonomes libertaires " ou " groupes autonomes d'action ", existaient dès avant 1968[22], en liaisons plus ou moins directes avec les très peu nombreux membres encartés de l'I.S vivant surtout à Paris et ses environs, se définissaient comme clairement situationnistes, et ont eu une certaine importance, anonyme, dans de multiples actions d'occupations de locaux divers, de plasticage de bâtiments administratifs, radicalisant tous les mouvements dans lesquels ils s'engagèrent, collectivement ou individuellement, dont la plupart desNouveaux mouvements sociaux.
Après l'autodissolution de l'I.S, un certain nombre d'individus, de groupes et de publications « post-situationnistes » ont vu le jour. Leur rapport avec l'I.S est parfois assez clair ou au contraire plus lointain. En voici quelques-uns (liste non-exhaustive) :
Les Fossoyeurs du Vieux Monde (1970-1985) : groupe fondé parDan Azoulay, artiste « psychogéographe » du mouvement nicois[23]. Les Fossoyeurs sont un groupe « teppiste » (de l'italienteppisti : « voyous, vandales »), c'est-à-dire qui se réfère à ladélinquance révolutionnaire. Les Fossoyeurs s'inspirent desThèses sur le crime formulées en Italie par l'Organizzazione Consigliare (1969-1971) et reprises ensuite par le groupe Comontismo[24]. En 1982, les Fossoyeurs ouvrent à Paris lesquat de la rue de l'Est et participent aux émeutes deChooz, dans les Ardennes. Ils s'exilent en Angleterre en 1984[25].
Os Cangaceiros (1985-1992) : groupe clandestin succédant aux Fossoyeurs du Vieux Monde. Les Cangaceiros organisent plusieurs actions desabotage contre les prisons[30].
Les Archives de l'Avenir (1987-1992) : maison d'édition proche du journalMordicus[31].
L'Observatoire de Téléologie (1990-2003) : groupe insurrectionnaliste publiant La Bibliothèque des Émeutes aux éditions Belles Émotions. Autour de Christophe Charrière (sous le pseudonyme de Chrétien Franque), l'Observatoire de Téléologie entend dépasser la pensée de Jean-Pierre Voyer pour rechercher la finalité de l'action révolutionnaire à travers le concept de téléologie[28].
The Workshop for Non-Linear Architecture : quatre numéros de la revueViscocity (1992-1996) basée à Glasgow et à Londres.
L'Insomniaque (1992-2017) : Maison d'édition succédant aux Archives de l'Avenir[33].
L'Internationale Salopard (1994-1998) : dix cahiers nantais et européens animés par David Morin Ulmann[34] et Manuel Colom[réf. souhaitée].
L'Achèvement (1996-2000) : cette revue prend pour modèle l'insurrection albanaise de1997[35].
Le Jeu Révolutionnaire (1997) : ce groupe analyse la vague d'attentats survenue à Paris en reprenant les théories du complot élaborées parGianfranco Sanguinetti[36].
L'Assemblée Générale des chômeurs de Jussieu (1998)[37].
Le Bureau pour la Fondation du Monde (2001-2002) : comité issu de l'Internationale Salopard[39].
La Guerre de la Liberté (1999-2009) : critique deTiqqun et de l'EDN[40].
Les Enragés de Nanterre (2002-2004) : ce groupe proche deTiqqun élabore une critique en acte de l'architecture universitaire[41].
L'Observatoire situationniste (depuis le printemps 2021). Reprise et actualisation de l'outillage théorique situationniste.Revue internationale bilingue. Janvier 2023 : "Généalogie du dieu argent", éditions Contrelitterature. Novembre 2024 : Remède à tout, édition Quiero.
Réfutation de tous les jugements, tant élogieux qu'hostiles, qui ont été jusqu'ici portés sur le film « La Société du spectacle », par Guy Debord (1975)
Plusieurs de ces films sont disponibles désormais en DVD, notammentLa Société du spectacle, ainsi qu'un coffret diffusé par MK2 vidéos.Les films de Debord sont visiblesen ligne sur Ubuweb etsur youtube.
Le recueil des douze numéros de la revueInternationale situationniste a été publié chez Van Gennep, Amsterdam, en 1970 puis en 1975 chezChamp libre. En 1997, Arthème Fayard a réédité le même recueil[42].
Guy Debord,Rapport sur la construction des situations, Internationale lettriste, 1957 ; Mille et une Nuits, 1999. Également édité dansDocuments relatifs à la fondation de l'Internationale situationniste (1948-1957), Allia, 1985.
Asger Jorn,Pour la forme, préface de Guy Debord, Internationale situationniste, 1957 (rééd. Allia 2001).
La véritable scission dans l'Internationale, circulaire publique de l’Internationale Situationniste,Champ Libre, 1972 (réed. Fayard 1998)
Internazionale Situazionista, Écrits complets de la Section italienne de l'internationale situationniste, traduits de l'italien par Joël Gayraud et Luc Mercier, Contre-Moule, Paris, 1988.
Section américaine de l'Internationale situationniste,Écrits, Éditions CMDE, 2012.
Bruce Bégout,Dériville, les situationnistes et la question urbaine, Éditions Inculte, 2017.
Laurence Bernier-Renaud,Scènes situationnistes deMai 68 : Enquête sur une influence présumée, s/d Jean-Pierre Couture, Thèse présentée à l’École d’études politiques, Université d’Ottawa, 2012,lire en ligne[PDF].
André Bertrand, André Schneider,Le scandale de Strasbourg mis à nu par ses célibataires, même, L'insomniaque, 2018.
Julien Bielka, La valeur d’usage de « Guy Debord, son art et son temps ». UnPdf, édité par l'Observatoire situationniste.
Christophe Bourseiller, par ailleurs auteur de la première biographie de Guy Debord parue en 1999 chez Plon, a été rédacteur en chef de la revueArchives et documents situationnistes publiée par leséditions Denoël de2000 à l'automne2005 (5 numéros parus).
Éliane Brau,Le Situationnisme ou la nouvelle Internationale, Éditions Debresse, 1968.
T. J. Clark et Donald Nicholson-Smith,Pourquoi l'art ne peut pas tuer l'Internationale situationniste, Egrégores éditions, 2006.
Collectif,Retour au futur ? : des situationnistes - trad. de l’italien Claude Galli - Marseille, Via Valeriano, 1990. Textes deGiorgio Agamben,Paolo Virno, Luisa Passerini, Mirella Bandini, Filippo Scarpelli, Enrico Ghazzi, Franco Poli et Alberto Piccinini.
Fabien Danesi,Le mythe brisé de l'Internationale situationniste. L'aventure d'une avant-garde au cœur de la culture de masse (1945-2008),Les Presses du réel, 2008.
Patrick Marcolini,Le Mouvement situationniste. Une histoire intellectuelle,L'Échappée, 2012.
Patrick Marcolini,Le style de la négation : Guy Debord, les situationnistes et la littérature,Études françaises, vol. 54, n° 1, 2018, p. 59-76 (lire en ligne).
GianfrancoMarelli,L'amère victoire du situationnisme : Pour une histoire critique de l'Internationale situationniste : 1957-1972, Éditions Sulliver,, 427 p.(ISBN978-2-911199-24-0,lire en ligne)
Antoine Sausverd,Trop feignants pour faire des dessins ? Le détournement de bande dessinée par les situationnistes, inL'Éprouvetteno 3,L'Association, 2007,p. 128-179.
Florent Schoumacher,La notion de spectacle, in revue Hermaphrodite, Nancy, 2000.
Florent Schoumacher,Eidolon : simulacre et hypermodernité, Paris, Balland Éditions, 2014(ISBN978-2-940719-65-5)
Barthélémy Schwartz,Guy Debord aux Galeries Lafayette, publié dans La Comète d’Ab irato, n°4, avril 1994, repris dans La République des Lettres, 1er mai 1994.
Jean-Louis Violeau,Situations construites : « était situationniste celui qui s'employait à construire des situations » : 1952-1968, Sens & Tonka, 1998.
Jean-Pierre Voyer,Rapport sur l'état des illusions dans notre parti,lire en ligne.
↑Rapport sur la construction de situations et sur les conditions de l'organisation et de l'action de la tendance situationniste internationale. Publié en annexe , pages 689 à 701, de la réédition des 12 numéros de la revue "Internationale situationniste" par la librairie Arthème Fayard en 1997.
↑cf. Raoul Vaneigem,Banalités de base,Internationale situationniste numéros 7 et 8, avril 1962-janvier 1963 etTraité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations, Paris,Nrf Gallimard, 1967
↑Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation. Thèse une de laSociété du spectacle.
↑Cf. Karl Marx et Friedrich Engels,L'Idéologie allemande (1845) : « En effet, dès l'instant où le travail commence à être réparti, chacun a une sphère d'activité exclusive et déterminée qui lui est imposée et dont il ne peut sortir ; il est chasseur, pêcheur ou berger ou critique critique, et il doit le demeurer s'il ne veut pas perdre ses moyens d'existence; tandis que dans la société communiste, où chacun n'a pas une sphère d'activité exclusive, mais peut se perfectionner dans la branche qui lui plaît, la société réglemente la production générale ce qui crée pour moi la possibilité de faire aujourd'hui telle chose, demain telle autre, de chasser le matin, de pêcher l'après-midi, de pratiquer l'élevage le soir, de faire de la critique après le repas, selon mon bon plaisir, sans jamais devenir chasseur, pêcheur ou critique. ».
↑Cette brouille est mise en scène dansCoup double sur Mai 68, roman dePatrick Haas aux Éditions L'Harmattan publié en mars 2008
↑« CAMARADES, L’usine Sud-Aviation de Nantes étant occupée depuis deux jours par les ouvriers et les étudiants de cette ville, le mouvement s’étendant aujourd’hui à plusieurs usines (N.M.P.P.-Paris, Renault-Cléon et autres),LE COMITÉ D’OCCUPATION DE LA SORBONNEappelle à l’occupation immédiate de toutes les usines en France et à la formation de Conseils ouvriers.Camarades, diffusez et reproduisez au plus vite cet appel.Sorbonne,16 mai [1968],15 heures 30 ».
↑abc etd"La fin des avant-gardes : les situationnistes et mai 1968" par Jean-Christophe Angaut, dans la revueActuel Marx n° 45 (2009/I) p. 149 à 161.[1]
↑a etbLe Festival mondial de la jeunesse aura-t-il lieu à Alger ? parFrédéric Gaussen, dansLe Monde[2]
↑"Forger l’identité situationniste" par Anna Trespeuch-Berthelot, chapitre 3 de son livre "L'Internationale situationniste. De l'histoire au mythe (1948-2013)" publié en 2015 aux Presses Universitaires de France
↑Guy Debord, « La question de l'organisation pour l'I.S. »,Internationale situationniste, N° 12, septembre 1969, mais article écrit en avril 1968 avec diffusion interne et confidentielle.,p. 112 et 113(lire en ligne)