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Ne doit pas être confondu avecShirley Ann Jackson.
| Nom de naissance | Shirley Hardie Jackson |
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| Naissance | San Francisco,Californie, |
| Décès | (à 48 ans) North Bennington,Vermont, |
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| Activité principale | |
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| Langue d’écriture | Anglais américain |
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Œuvres principales
Shirley Jackson, née le àSan Francisco enCalifornie et morte le(à 48 ans) àNorth Bennington dans leVermont, est uneromancière,novelliste etconférencièreaméricaine, spécialiste du récitfantastique et d'horreur.
Au cours de sa carrière, longue de deux décennies, elle rédige près de sixromans, deuxessais et plus de 200nouvelles[1].
Elle se fait connaître grâce à sa nouvelleLa Loterie, publiée en 1948, puis son livreMaison hantée (1959), qui est tenu parStephen King pour l'un des meilleurs romans fantastiques duXXe siècle[2],[3].Nous avons toujours vécu au château, son dernier roman publié au début desannées 1960, la porte à l'apogée de sa notoriété et fait d'elle une pionnière dans le genre dunéo-gothique et de l'horreur moderne[4].
Ayant longtemps alterné entre une vie de famille où elle est seule à s'occuper de quatre enfants et l'écriture de nombreuses histoires publiées dans différentsmagazines, Shirley Jackson est profondément marquée par sesétats dépressifs etanxieux ainsi que par ce clivage entre gestion du foyer et vie créative. Ses personnages, pour la plupart féminins, font écho à son statut defemme au foyer dans l'Amérique de la seconde moitié duXXe siècle, et ont fait d'elle une figure importante de lascience-fiction féministe.
Dans la fin de sa vie, sa santé se détériore de façon significative, entraînant finalement sa mort en raison d'uneinsuffisance cardiaque en1965.
Shirley Jackson naît en 1916 àSan Francisco, enCalifornie, au sein d'une famille aristocratique. Son père, Leslie Jackson, est un « nouveau riche » etself-made man : originaire d'une familleanglaise, il émigre auxÉtats-Unis à l'adolescence pour refaire sa vie où son caractère travailleur et entreprenant lui permet d'acquérir un poste important au sein d'une entreprise d'imprimerie. Sa mère, Geraldine Jackson, née Bugbee, est une femme mondaine issue d'une famille fortunée : Samuel Charles Bugbee, son arrière-grand-père, était un grandarchitecte qui dirigeait la compagniefranciscanaiseS. C. Bugbee & Son durant la seconde moitié duXIXe siècle, connue pour avoir fait bâtir de nombreuxhôtels particuliers surNob Hill, notamment les demeures deLeland Stanford etCharles Crocker (la plupart ayant été par la suite détruits au cours duséisme de 1906)[5],[6]. Sa grand-mère, Mimi, était une pratiquante de laScience chrétienne : le début duXXe siècle correspondait à un intérêt grandissant pour l'occultisme et lespiritualisme, traduit chez les Bugbee par l'utilisation récurrente de planche deOuija, parfois en présence de Shirley et de son frère[7]. Shirley, sceptique de cette vision du monde portée par sa grand-mère, dira plus tard à ses enfants que Mimi, morte d'uncancer de l'estomac sans jamais avoir accepté de traitement médical, était morte par la faute de la Science chrétienne[8].
Dans son enfance, Shirley a une relation conflictuelle avec sa mère qui perdurera toute sa vie, celle-ci dénigrant souvent son apparence « négligée » et « peu féminine », son poids, son mode de vie « désordonné » ou encore les thèmes et sujets exploités dans ses romans[4].
La famille vit au sein du quartier deBurlingame, banlieue aisée de San Francisco[5]. Shirley, négligée par sa mère qui semble lui préférer son jeune frère Barry, se sent étrangère dans sa propre famille ; elle passe son temps libre à écrire des histoires qu'elle cache dans son bureau[4], mais aussi à dessiner des esquisses minimalistessatirisant sa vie et ses proches, lui arrivant même de s'envisager en futurecartooniste professionnelle[9]. Assistante éditrice de la revue de son premierétablissement d'enseignement secondaire, elle a déjà rédigé par le passé unepièce de théâtre pour sa graduation decours moyen de deuxième année, ainsi que plusieurspoèmespsalmodiques avec un caractère religieux révélant l'influence de la Science chrétienne. À neuf ans, elle est déjà capable d'écrire avec unerythmique et unemétrique régulières. Elle fait publier sa première œuvre, un poème intituléThe Pine Tree, à l'âge de douze ans, grâce à un concours organisé par leJunior Home Magazine en[10]. Parallèlement, elle entretient plusieurs journaux intimes, dont le plus vieux conservé débute en[11].

À la fin de son adolescence, la famille déménage àRochester (État de New York), sur lacôte est. Elle fait sa dernière année d'enseignement secondaire au Brighton High School, où elle ne se sent pas vraiment épanouie[2]. Elle façonne à cette époque toute unemythologie centrée autour de la figure d'Arlequin, issue de lacommedia dell'arte[12]. Gourmande lectrice, elle découvre et admire des œuvres telles que lescontes des frères Grimm,Le Magicien d'Oz deL. Frank,Tarzan d'Edgar Burroughs ou encoreLe Rameau d'or deGeorge Frazer qu'une étudiante française et amie à elle, Jeanne Marie Bedel, lui fait découvrir[13]. Après avoir été renvoyée de l'Université de Rochester où elle étudie, entrainant sa premièredépression, elle entre en 1937 à l'université de Syracuse, dont elle sortira diplômée en 1940. Là-bas, elle s'intéresse notamment à lalittérature et aujournalisme. Durant ses années universitaires, Shirley Jackson se plaît aussi à « étudier » lasorcellerie et les sciencesésotériques, et collectionne plusieurs ouvrages sur le sujet. Elle rejoint l'équipe éditoriale de larevue littéraire de l'université,The Meloria, où elle rencontre son futur mari,Stanley Edgar Hyman, et fait publier ses premières histoires[14]. Stanley, qui est le premier à croire en son talent et à l'encourager dans l'écriture, partage avec elle une complicité intellectuelle et finit par la demander en mariage en 1938. Malgré cela, la période de fiançailles s'étend, Stanley étant issu d'une famillejuive malgré sonathéisme déclaré : leur relation est alors mal perçue par leurs familles respectives[4],[13].
Après avoir reçu leur diplôme de journalisme, Shirley et Stanley se marient dans la plus grande discrétion le, puis s'installent dans le quartier deGreenwich Village, àNew York. Pour gagner leur vie, tous deux contribuent dans des revues, notammentThe New Republic etThe New Yorker, Stanley en tant quecritique littéraire dans la rubrique « Talk of the Town » et Shirley en tant qu'écrivain de fiction[4],[15]. Ils donnent naissance à leur premier enfant, Laurence, en octobre 1942[16].

En 1945, ils partent vivre àNorth Bennington, dans leVermont, où Stanley est employé comme enseignant auBennington College[5]. Vivant dans une maison sur Prospect Street[17],[18], ils auront encore trois enfants : Joanne Leslie en 1945, Sarah Geraldine en 1948, et Barry Edgar en 1951. En 1949, à la suite de désagréments avec la faculté où travaille Stanley — soupçonné d'être un sympathisantcommuniste —, la famille déménage pourWestport,Connecticut, afin qu'il puisse reprendre son travail au sein duNew Yorker[15],[16]. C'est à cette époque que Shirley connaît ses premières crises d'agoraphobie et commence à prendre des médicaments, notamment desamphétamines et desbarbituriques[13].
Le couple retourne finalement à North Bennington en1953, lorsque le nouveau directeur du Bennington College invite Hyman à y reprendre son poste d'enseignant. Ils s'installent dans une maison sur Main Street où ils passeront le reste de leur vie : les murs de plusieurs pièces de cette demeure étaient recouverts debibliothèques remplies de près de 7 000 livres, et ce chiffre ne cessera de croître jusqu'à la mort de Shirley, où il avoisinera les 30 000 livres[13]. Jackson possédait aussi une grande collection de chats en céramique[18].

De nombreux amis et artistes (musiciens,peintres,sculpteurs,poètes,écrivains) séjournent chez eux, notammentDylan Thomas,Howard Nemerov,Bernard Malamud,Walter Bernstein etJ. D. Salinger, formant avec eux une sorte decercle social et intellectuel[19],[20]: il arrive que descocktails etdîners fastueux soient préparés, au cours desquels des parties depoker sont organisées avec leurs amis peintres et sculpteurs, où des séances decatch sont improvisées dans le jardin entre Hyman et Salinger… Durant ces réceptions, Jackson et leurs invités discutent dejazz, debaseball, d'art et demythologie, depolitique et dethéorie littéraire[21]. Leur plus grand ami proche,Ralph Ellison, séjourne lui aussi chez eux alors qu'il est attelé à la rédaction de son romanHomme invisible, pour qui chantes-tu ?[15],[5],[22],[23]. Au cours de ces visites, Jackson et Hyman apparaissent auprès de leurs amis comme de « joyeux excentriques » et des « grands esprits » (selon les termes deMiles Hyman)[20].
Après la publication de son plus célèbre roman,Maison hantée, en1959, le couple se met à voyager pour assister à plusieurscongrès littéraires où Shirley apparaît enconférencière éloquente, notamment le congrès d'écriture deSuffield (Connecticut) auquel elle se rendra chaque année jusqu'en 1965[13].
Mais Stanley, au cours de ces années de mariage, ne se révèle pas être le mari parfait : inactif dans la gestion du foyer, couchant régulièrement avec ses propres élèves sans s'en cacher, peu tenu à lamonogamie, il joue un rôle de patriarche rétrograde très oppressant pour sa femme, préférant s'enfermer dans son bureau avec sa machine à écrire tandis que celle-ci doit s'occuper duménage, des courses et de l'éducation des enfants, alors même qu'elle est la principale source de revenue grâce à ses productions écrites. Leur premier enfant Laurence, alors âgé de deux ans, définit même la figure de son père comme étant celle d'un « homme lisant assis sur une chaise »[16].
Ce maintien du foyer par Shirley attise la jalousie de son mari, dont les critiques ont moins de succès que les écrits de sa femme : à ses amis et collègues, Stanley Hyman décrit Jackson comme une sorte d'« idiote douée » qui compose ses textes au cours d'épisodes de transe, en usant de l'écriture automatique. Malgré le fait que les publications de sa femme maintiennent à flot leur vie de famille, il reste le seul à s'occuper des finances[4],[5]. Ce contexte familial pousse Shirley Jackson en 1958 à écrire une lettre où elle explique à son époux vouloir ledivorce, mais elle n'osera jamais la lui donner[13]. À défaut, elle se contente de raconter sa vie de famille dans ses publications semi-autobiographiques tardives,Démons en herbe etMes sauvages chéris[2].
Depuis son enfance, Jackson est en proie à une grande vulnérabilité émotionnelle[21]. Complexée par son corps et sonsurpoids, elle subit régulièrement des remarques désobligeantes de la part de sa mère qui fragilisent son état psychologique. Pour parer à ces angoisses et vulnérabilités psychologiques, elle n'a d'autre issue que l'écriture qui, en plus d'être une passion et une profession, se révèle être pour elle le seul moyen de canaliser son anxiété. Dans l'essai « Memory and Delusion », rédigé à la fin de sa vie et paru dans le recueil posthumeLet Me Tell You en2015, elle écrit[21] :
« Tant qu'on exprime ses angoisses par l'écrit, rien ne peut nous atteindre. »
Son mari participe lui aussi à empirer son état physique, en l'encourageant à manger plus et à préparer des plats copieux. L'agent de Jackson dira même qu'il dut« le regarder [Hyman] la farcir comme une oie »[23]. En parallèle, Jackson développe de l'anxiété, desétats dépressifs et une « peur des gens ». Grandeconsommatrice d'alcool et detabac, elle contracte des problèmes d'asthme, d'étourdissement, d'épuisement et de douleurs articulaires dus à lacigarette, et son état mental la pousse à consommer en grande quantité des médicaments prescrits, parmi lesquels du dexamyl (mélange d'amphétamine et debarbiturique), de lathorazine et duvalium[23]. Un épisode dedépression nerveuse et d'agoraphobie aiguë particulièrement difficile la coupe du reste du monde pendant plusieurs mois après la publication deNous avons toujours vécu au château, en 1962[21] : handicapée par unsyndrome de la page blanche, elle se met à tenir unjournal intime et entame unecure psychanalytique. Sa santé ne va en s'améliorant qu'à partir de 1964[4], où elle parvient à rédiger trois nouvelles[13].
Shirley Jackson décède dans son sommeil l'après-midi du àNorth Bennington à l'âge de 48 ans, des suites d'uneinsuffisance cardiaque[4],[2],[20]. Elle estincinérée selon ses souhaits, et ses cendres sont conservées par ses enfants[24].
Shirley Jackson était la grand-mère de l'illustrateur franco-américainMiles Hyman[25].

Après quelques publications dans la revue littéraire de l'université de Syracuse, notamment sa premièrenouvelleJanice en 1938[4],[13], Shirley Jackson fait paraître son premier roman en1948,The Road Through the Wall, unroman d'horreur semi-autobiographique inspiré de son enfance àBurlingame, enCalifornie, et dépeignant leracisme et l'antisémitisme présent parmi son voisinage[26]. Rapidement après, le 1948, sa nouvelle la plus célèbre,La Loterie, est publiée pour la première fois dans lemagazineThe New Yorker : la parution de cette œuvre, qui deviendra par la suite l'une des nouvelles duXXe siècle les plus célèbres de lalittérature américaine, suscite de vives polémiques[19] autour de ses thèmes (le poids du conformisme et de la tradition au sein de petites communautés), ainsi qu'un torrent delettres de la part de lecteurs scandalisés par la chute de l'histoire[17]. C'est la nouvelle qui engendra le plus de courrier de toute l'histoire duNew Yorker[27].
En 1949,La Loterie est publiée dans un recueil intituléLa Loterie et autres histoires (The Lottery and Other Stories). S'y déploient ainsi les qualités qui font la notoriété de leur auteure : une mise en situation ancrée dans un quotidien banal, le passé trouble des personnages, l'entretien diabolique du doute sur les événements surnaturels qui s'imposent peu à peu.
Le second roman de Jackson,Hangsaman, est publié en 1951 et en partie inspiré de la disparition dePaula Jean Welden dans letriangle de Bennington[28],[29] : le récit, très influencé et marqué par la vie de famille de Jackson, aborde les thèmes desabus sexuels, de ladépression, de la pression et de l'aliénation subie par les femmes dans les années 1950[30],[31].
Deux ans après, en 1953, elle publie son premier récit semi-autobiographique,Démons en herbe, qui connaît un grand succès[13] et qui raconte l'histoire de son mariage et l'éducation de ses quatre enfants avec un ton humoristique et léger qui se distingue de ses nouvelles à caractère plus sombre et troublant[22],[32],[33]. Cette ambivalence entre les registrescomique etdramatique de l'œuvre de Jackson est définie parMiles Hyman en ces termes :
« […] je retrouve cet esprit du paradoxe où humour et effroi coexistent de manière naturelle, presque festive. »[20]
En 1954 est publiéLe Nid, qui raconte l'histoire d'une femme auxpersonnalités multiples ayant une relation avec sonpsychiatre. En 1957 paraît son second mémoire,Mes sauvages chéris. Son roman suivant,Le Cadran solaire, publié en 1958, traite d'une famille de riches excentriques croyant avoir été élus pour survivre à la fin du monde[31]. Pour la première fois, son mari refuse de tenir le rôle de premier lecteur et de critique, tant le sujet du livre le « terrifie »[13].
Le cinquième roman de Jackson,Maison hantée (The Hauting of Hill House) paraît en 1959. L'histoire, qui suit un groupe d'individus guidés par le Dr. Montague participant à une étude duparanormal au sein d'une vieille bâtisse deNouvelle-Angleterre, est très vite devenu un classique dugenre et un exemple illustre du récit demaison hantée. Il est considéré parStephen King comme l'un des romans d'horreur les plus importants duXXe siècle[3].
Nous avons toujours vécu au château, sorte deroman gothique moderne etthriller psychologique, est le dernier roman de fiction publié par Jackson, en1962, et la porte au pinacle de sa notoriété. Ce roman a connu une adaptation pour la scène[34].
Après une période de dépression nerveuse, elle commence à s'atteler en 1964 à la rédaction deCome Along With Me, un roman « drôle et joyeux » racontant la vie d'une femme après la mort de son mari, mais n'a jamais l'occasion de l'achever[4],[22].
Plusieursnouvelles et travaux inachevés de Shirley Jackson ont été publiés à titreposthume au cours des décennies qui ont suivi sa mort. La première parution posthume est faite par son mari en1968, intituléeCome Along with Me, uneanthologie regroupant son dernier roman inachevé ainsi que 14 nouvelles jusqu'alors jamais publiées (parmi lesquellesLouisa, je t'en prie, reviens à la maison).

En1996, après la découverte dans la maison des Jackson plusieurs autres histoires non publiées, une sélection en est faite et un recueil est publié la même année, sous le titreJust an Ordinary Day, du nom de la nouvelleOne Ordinary Day, with Peanuts (Un jour comme les autres, avec des cacahuètes)[35].
La plupart des papiers et articles de Shirley Jackson sont disponibles à laBibliothèque du Congrès.The New Yorker publie le 5 août 2013 la nouvelleParanoïa, qui aurait été retrouvée à la bibliothèque[36]. En2015, une collection d'histoires et d'essais rédigés par Jackson et pour la plupart jamais encore publiés paraissent sous le titreLet Me Tell You: New Stories, Essays, and Other Writings[37].
En2016, les éditionsPenguin Books publient un recueil de d'histoires déjà publiées par le passé à travers divers magazines américains et recueils, qu'ils intitulentDark Tales[38]. La traduction française de cet ouvrage sort en2019 sous le nomLa Loterie et autres contes noirs[39].
Endécembre 2020, une nouvelle histoire,Adventure on a Bad Night, est publiée pour la première fois dans le périodique britanniqueThe Strand Magazine[40]. Enjuin 2022, ce même magazine dévoile deux nouveaux textes courts de Jackson :Charlie Roberts etOnly Stand and Wait[41].
L'écriture, pour Shirley Jackson, est avant tout un travail : c'est ce qui permet à sa famille de vivre. Secondée par son mari dans sesrelectures etréécritures, la publication de ses nouvelles dans leNew Yorker ou autresmagazines féminins offrent une grande variété d'histoires. La rédaction, moins poussée, d'un récit par mois à caractère autobiographique sur sa vie de famille lui permet de gagner près de 1 000 dollars, et lui laisse ensuite du temps pour se concentrer sur des projets qu'elle considère plus « sérieux »[13].
Malgré lestâches ménagères, lacuisine et l'éducation de ses enfants, Jackson suit pendant plusieurs années une règle qu'elle s'est imposée : écrire un quota d'au moins dix pages chaque jour. Lorsqu'elle écrit, Jackson préfère s'enfermer plusieurs heures d'affilée dans son bureau, et n'en sort qu'une minute de temps à autre pour écrire des lettres ou préparer le déjeuner[16]. À l'inverse, lorsqu'elle n'a pas le temps d'écrire, elle pense constamment à ses histoires — que ce soit en cuisinant ou nettoyant — et les imagine dans leur entièreté, ce qui lui permet, une fois assise à son bureau, de les rédiger d'une traite[16];« Je ne cesse pas de me raconter des histoires. », avoue-t-elle en conférence[13].
D'après son fils Barry, il n'y avait pas un seul jour au cours duquel on entendait pas le bruit des touches d'unemachine à écrire au sein du foyer[18].
À propos de la création et de l'écriture de personnages, Jackson dit employer des images et symboles : selon elle, chaque personnage doit être constitué d'une« image basique » ou d'un« symbole fondamental » que l'auteur doit garder en tête, et qui se développe et se complexifie au fil de son accumulation d'informations et de détails — permettant ainsi le développement du personnage. Ce symbole ou cette image ont pour but de« […] saisir l'essence du personnage auquel ils appartiennent »[42],[43].

Selon son petit-filsMiles Hyman, lestyle de Shirley Jackson est grandement influencé par les « Child Ballads (en) » (ballades traditionnelles d'Angleterre, d'Écosse puis d'Amérique), que sa mère Geraldine lui a apprises dans son enfance[12] : sa plume se traduit par une économie dans le langage, où l'emploi de phrases courtes et simples participe à une musicalité particulière des mots ainsi qu'à un style tranchant et efficace[44]. PourFrançois Angelier, les mots employés ont un « caractère agencé » dénué de vide ou d'espace possible. Le style de Jackson est dense, malgré l'utilisation récurrente d'ellipses. La brièveté de ses phrases, entre autres, permet de priver le lecteur d'informations qui lui permettraient d'appréhender la suite et apporte une dimension imprévisible au texte qui peut mettre mal à l'aise (un caractère de « phrase battante », selon Angelier)[44].
D'après Hyman, Jackson était particulièrement attentive à laponctuation : lespoints et lesvirgules sont toujours utilisées au bon endroit, sans qu'il y en ai jamais une de trop[44],[21].
L'utilisation de l'humour dans ses textes sert aussi de moyen stylistique et narratif pour désamorcer la tension ou capter l'attention du lecteur, et ce à travers l'emploi provocateur d'adjectifs ou d'images servant à accentuer et souligner les propos. C'est ce que Jackson appelle elle-même de« l'ail dans la fiction »[31] : selon elle, l'écrivain a pour seule véritable menace le lecteur, qu'il doit tenter d'appâter en utilisant des« […] astuces spécifiques, indécelables ou presque » par l'intermédiaire de son talent et de son art. Cet « ail » sert à souligner et accentuer, et de ce fait préserver l'intérêt du lecteur pour le récit tout en conservant sa caractéristique principale : il doit être utilisé avec parcimonie, pour ne pas gâcher la saveur du reste du récit[42],[43].
Stephen King, à propos de l'incipit deMaison hantée, définit le style de Jackson comme une « épiphanie » des mots qui transcendent la somme de leur partie[45].
PourHélène Frappat, l'écriture de Jackson se passe d'unefigure de style essentielle dans la littérature : lamétaphore. Grâce à cela, unart poétique se dégage de ses textes, où tout est directement exprimé sans concession ni détours[44].
L'œuvre de Jackson est grandement imprégnée par ses propres peurs et soucis de santé. Les thèmes liés àl'anxiété, à ladépression ou encore à lapeur d'autrui se retrouvent souvent dans ses écrits, comme elle le dit elle-même[4]:
« J'ai écrit sur les névroses et la peur, et je pense que mes livres tous mis bout à bout constitueraient une longue documentation sur l'anxiété. »[46]
Chez beaucoup de personnages de son œuvre, le changement brutal de leur quotidien ou de leur perspective du monde entraîne de l'anxiété, de la terreur ou uneparanoïa pouvant aller jusqu'à la perte d'identité[47],[48].

De nombreux personnages de ses histoires sont aussi présentés commecasaniers, aimant rester enfermés dans leurs maisons enermite du fait de craindre le monde extérieur : c'est le cas de Constance Blackwood dansNous avons toujours vécu au château ou d'Eleanor dansMaison hantée. Même si la menace provient très souvent de l'intérieur de la maison, celle-ci est mise en opposition avec la menace extérieure qui paraît plus terrible encore : c'est le cas dansLe Cadran solaire où la famille reste ensemble face à un monde fragmenté, ou bien encore dansMaison hantée où Eleanor, malgré les manifestations surnaturelles de Hill House, préfère y rester plutôt que d'avoir à affronter le monde extérieur et retrouver la vie morose qu'elle avait[5]. Ce thème de lamaison aux propriétés paradoxales permet à Jackson d'enfermer le lecteur dans un environnement restreint, et d'exploiter ainsi un récit qui devient petit à petit anxiogène. Ainsi, la maison va jusqu'à devenir un miroir de l'état des personnages et une métaphore des relations humaines tortueuses[21].
Chez Jackson, la figure récurrente de la maison est à la fois source de préservation et de protection, et source de malheur et d'aliénation[1],[32],[21],[49].
Dans cette continuité, le schéma d'une femme cherchant à fuir une famille dysfonctionnelle ou une communautéclaustrophobique la menant à la perte d'elle-même est récurrent. Cette fuite entraine alors l'apparition d'une figure romantique ou d'un refuge qui se révèle toujours éphémère et illusoire[4] : dansHangsaman, l'université où se rend Natalie Waite apparaît comme la clé truquée de son émancipation, et dansLouis, je t'en prie, reviens à la maison, la fuite de Louisa Tether signe sa mort aux yeux de sa famille.
Hélène Frappat voit en la maison, au-delà de l'histoire des femmes, un lieu de clivage entre la vie quotidienne, domestique, et la vie imaginaire et créative. Ce clivage est symbolisé en le lieu de vie principal de lafemme au foyeraméricaine type : la maison. Très récurrente dans l'œuvre de Jackson, cette ambivalence est représentée par un équilibre entre folie et réalité, ou bien encore enfance et âge adulte, et témoigne de la vie de l'autrice qui a toujours dû alterner entre ses devoirs domestiques (ménage, préparation des repas, éducation des enfants) et l'écriture[44],[32].
Les personnages dans ses romans sont pour la plupart des jeunes filles ou jeunes femmes, qui forment un couple : Merricat et Constance dansNous avons toujours vécu au château, Theodora et Eleanor dansMaison hantée, Natalie et son amie Tony dansHangsaman… Ces couples féminins servent de représentation de deux moitiés contradictoires, mais qui pourtant se complètent : la femme puissante et en colère, et la femme intimidée et piégée dans ses propres mécanismes (sociétaux, familiaux, mentaux…)[4]. Cette dualité incarne pour les personnages de Jackson une forme de déchirement entre la conformité de l'époque — femme au foyer cuisinière et aimante — et le véritable caractère inhibé de leur personnalité — personnage misanthrope et sauvage, avec un humour tranchant ou une façon d'agir contraire à la bienséance et la morale[50].
PourJean-Daniel Brèque, l'« héroïne jacksonienne » est toujours victime de double contraintes : attachement à son foyer mais désir de liberté, recherche de la sécurité mais étouffement lié à ses limitations, désir d'être soi-même mais peur du jugement des autres[13]…
Une dualité entrecitadins etruraux se retrouve aussi dans plusieurs de ses histoires, où figure souvent un personnage venant de la ville ayant du mal à s'adapter dans un environnement rural, et où l'assimilation à la vie locale passe forcément par une sorte de « pacte implicite » : l'insertion d'un personnage dans un environnement qui n'est pas le sien passe forcément par une sorte de rituel secret où il se voit capable (ou non) de comprendre et partager un non-dit, de voir et d'accepter une limite bien définie, de se rendre utile à la communauté ou bien d'assimiler une histoire ou un passé commun qui lui permettra d'être accepté (À la maison,La Loterie). La dualité entre ville et campagne se traduit aussi dans les comportements des personnages, où la politesse hypocrite puis l'hostilité déclarée des ruraux s'oppose bien souvent à une forme de prétention et d'orgueil citadin (Les Vacanciers)[21],[51],[52]. De cette façon, et pour exprimer cette dualité, certains de ses écrits jouent avec les codes dufolk horror.
Les éléments surnaturels utilisés par Jackson, selon l'écrivaineRuth Franklin (en), ne servent pas à provoquer des sensations fortes, mais au contraire à sonder les soubassements de la condition humaine et les dommages psychologiques auxquels l'humain et plus particulièrement les femmes sont exposées[21], dans la lignée d'Edgar Allan Poe ou d'Henry James[4]. Ce qui définit donc l'œuvre jacksonienne, c'est l'utilisation d'un contexte en apparence banal, simple et connu mais qui, au fil du récit, tergiverse jusqu'à créer une cassure et un décalage troublant voir inquiétant, avec pour seul but d'écrire à propos des différents enjeux et contraintes qui imbibent lesrelations sociales[1]. Dans cette continuité, son fils Barry Hyman décrit ses textes comme oscillant constamment à la frontière entre letrouble psychique et lesurnaturel[18]. Dans l'œuvre jacksonienne, l'enfer ne provient pas du surnaturel mais bien du réel : la vie quotidienne et bien rangée, les apparences conformistes et morales des gens et de la famille dissimulent une perfidie, une barbarie et une inhumanité latente, prête à surgir à n'importe quel moment sans aucune raison apparente[21]. L'horreur de ses récits est donc avant tout une horreur domestique[49].
L'œuvre de Shirley Jackson place les préoccupations des femmes desannées 1950 au premier plan, raison pour laquelle elle est reconnue comme une figure importante de lascience-fiction féministe. Souvent, ces préoccupations sont le moteur même de l'horreur psychologique mise en évidence à travers certaines situations, et abordent des sujets intimement liés à la femme américaine duXXe siècle[49] : le mariage (Paranoïa,La Lune de miel de Mrs Smith…), la relation de couple (La Souris,La Bonne Épouse…) ou encore la vie de famille et ses attentes (Louisa, je t'en prie, reviens à la maison…).
Lasorcellerie en tant que symbole canalisateur de la puissance féminine est une autre thématique forte chez Jackson, où la plupart desprotagonistes sont des femmes : les différentes formes de sorcellerie définissent des femmes hors des normes sociales qui parviennent toujours à obtenir ce qu'elles souhaitent[5].Mary Katherine Blackwood et son obsession pour lestalismans, ou encore Natalie Waite et son jeu deTarot en sont des illustrations typiques.
Les personnages masculins de ses textes, eux, sont souvent représentés de façon péjorative : absents, menaçants, vils, railleurs, naïfs, insignifiants ou encore impuissants, ils vont même jusqu'à devenir, avecMes sauvages chéris etDémons en herbe, unecaricature de son propre mari — des êtres risibles pas même capables d'accomplir une tâche domestique[13].
L'acte d'écriture est lui aussi un thème récurrent chez l'autrice : se manifestant dans l'omniprésence delettres, delivres ou debibliothèques au sein du récit, il témoigne de l'importance presque obsessive de la création artistique et littéraire pour Jackson, et met en avant les capacités de l'écriture à« instruire, nourrir et nuire ». Ainsi, certains de ses récits montrent le pouvoir manipulateur et pervers que peut engendrer l'écriture, avec notamment l'utilisation delettres anonymes (La Possibilité du Mal,La Bonne Épouse…)[21].

En apparence, Shirley Jackson puise surtout son inspiration dans ses propres expériences, ses états dépressifs et anxieux, sa vie de famille, la relation conflictuelle qu'elle a avec sa mère et la déception de son mariage. Son expérience vis-à-vis des habitants deNorth Bennington lui inspireLa Loterie, et le passé d'architecte de la famille de sa mère (les Bugbee) lui inspire toutes les bâtisses notables de son œuvre : Hill House, la maison des Blackwood… Elle aurait notamment récupéré de vieilles photographies des édifices construits par Samuel Bugbee avant leur destruction dans leséisme de 1906 pour s'en servir d'exemple pour les plans des maisons de ses propres histoires[5],[33]. D'après son fils Barry, les murs du bureau où elle a écritMaison hantée,Nous avons toujours vécu au château etLe Cadran solaire (situé dans leur seconde maison de North Bennington) étaient recouverts de photographies de vieilles maisons, ainsi que d'un papier épinglé près de samachine à écrire sur lequel étaient écrits les mots :« From death to life to birth »[18].
Ses propres enfants sont pour elle une grande source d'inspiration, notamment pour les essais àregistre plutôtcomique qu'elle fait publier dans desmagazines féminins. Jackson se plaît à observer ses enfants, à les voir évoluer et encourager leur imagination et créativité[13],[16]. Selon la critique littéraireRuth Franklin (en), sa carrière n'a pris de l'ampleur qu'après être devenue mère, et que sans ses enfants elle n'aurait très certainement pas été l'écrivaine qu'elle fut[16].
Du fait de son parcours littéraire et journalistique, Jackson a aussi été influencée par d'autres écrivains, notammentNathaniel Hawthorne qu'elle disait admirer[5].
De son vivant, Shirley Jackson a longtemps été rejetée en tant que talentueuse conteuse d'histoires d'horreur. Certains critiques allaient même jusqu'à la discréditer en clamant qu'elle écrivait« non pas avec un stylo, mais avec unbalai », la qualifiant de« femme plutôt hantée »[53] ou encore de « Virginia Werewoolf » (VirginiaLoup-garou, en référence àVirginia Woolf)[4],[22],[23]. L'image générale que la critique et le public avait d'elle, la voyant comme sorte de véritablesorcière amatrice pratiquante — fable qu'elle n'a jamais nié, et qu'elle s'amusait même à nourrir[44],[33] —, lui faisait défaut et a longtemps infirmé le sérieux de sa figure d'écrivain[4].
Betty Friedan, dans son livreLa Femme mystifiée (1963), prend Jackson à parti et la définit comme une des« écrivains-ménagères », des femmes privilégiées jouant les fausses ménagères et qui écrivent à propos d'elles-mêmes comme si elles étaient de simplesfemmes au foyer[13],[16].
SelonJacques Finné, le peu de reconnaissance accordé à l'œuvre de Jackson tient du fait qu'elle n'a jamais vraiment trouvé sa place, ni parmi unelittérature académique, ni parmi une littérature pleinementpopulaire :« Toute sa vie, et son après-vie, elle s'est retrouvée assise entre deux chaises : elle passait pour trop excentrique chez les puristes-académiciens, et trop sage, trop sophistiquée pour les amateurs de fantastique hideux, gluant,fort, à la sauceKing-Koontz. »[13],[54]

Shirley Jackson a laissé une marque importante dans lalittérature américaine d'horreur et defantastique, et continue d'influencer de nombreux auteurs[55]. LePrix Shirley-Jackson, fondé en2008, rend hommage à l'héritage qu'elle a laissé en honorant des romans dethriller psychologique, d'horreur et de fantastique[56],[55].
L'œuvre de Shirley Jackson est souvent cité comme une influence majeure pour divers artistes et auteurs, notammentNeil Gaiman,Sarah Waters,Nigel Kneale,Joanne Harris,Richard Matheson,Jonathan Lethem,Victor LaValle etStephen King[35],[45],[57] qui lui dédicace son romanCharlie (1980) :
« À la mémoire de Shirley Jackson, qui n'a jamais eu à hausser la voix. »[58]
Susan Scarf Merrell (en) a consacré en2014 un roman,Shirley, a Novel, au personnage de Shirley Jackson et à celui de son mari, Stanley Edgar Hyman.Josephine Decker en a réalisé une adaptation,Shirley, en 2020. Le rôle de Shirley Jackson y est tenu parElisabeth Moss et celui de Stanley Edgar Hyman parMichael Stuhlbarg. L'autrice y est« présentée d'une manière qui imite l'écriture d'horreur du célèbre auteur de fiction »[59]. L'épisode relaté par le roman et le film est largement fictif, et se veut représentatif des thématiques de dualité abordés dans l'œuvre de Jackson[50].
Chaque année depuis2015, la ville deNorth Bennington organise leShirley Jackson Day (« Jour Shirley Jackson ») le, pour honorer et célébrer l'héritage laissé par la romancière. Ce jour de célébration correspond à celui durant lequel prend place l'histoire de lanouvelleLa Loterie[60].
Sa nouvellePossibilité du Mal ((en) The Possibilty of Evil) remporte en1966 leprix Edgar-Allan-Poe dans la catégorie « meilleur nouvelle (best short story) »[61].
La Loterie ((en) The Lottery) fait partie des nouvelles publiée dans leO. Henry Prize Stories de1949[62].
Plusieurs de ses nouvelles ont été incluses dans l'anthologie des « Meilleures Nouvelles Américaines » (Best American Short Stories), notammentVenez en Irelande danser avec moi ((en) Come Dance With Me in Ireland) en 1944,Les Vacanciers ((en) The Summer People) en 1951[63],One Ordinary Day, With Peanuts en 1956 etBirthday Party en 1964.
Sa nouvelleLouise, je t'en prie, reviens à la maison ((en) Louisa, Please, Come Home) est nommée en1961 dans la catégorie « meilleur nouvelle (best short story) » du prix Edgar-Allan-Poe[61].
Maison hantée fait partie des finalistes nommés dans la catégorie « Fiction » duNational Book Award de1960[64].
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