Lesecond voyage du HMSBeagle, du au[1], est le deuxième des troisvoyages d'exploration scientifique duHMS Beagle, dirigé par le capitaineRobert FitzRoy qui avait déjà pris le commandement du navire lors de son premier voyage, après le suicide de son capitaine. FitzRoy, craignant le même destin, cherche pour cette deuxième expédition un compagnon de voyage d’un niveau intellectuel suffisant avec lequel il puisse discuter. Averti par son professeur en sciences naturellesJohn Stevens Henslow, le jeune étudiant en théologieCharles Darwin embarque sur le navire. Il n'a été invité à prendre part au voyage que pour tenir compagnie au capitaine, Robert Fitzroy. Darwin a pris sur lui d'endosser le rôle de naturaliste et s'est lui-même perçu ainsi.
Le but initial de l'expédition est de réaliser lacartographie de la côte de l’Amérique du Sud en deux ans. En définitive, leBeagle traverse l'océan Atlantique, parcourt les côtes de l'Amérique du Sud, puis retourne vers l'Angleterre sans revenir vers l'est, mais en continuant sa route vers l'ouest,viaTahiti et l'Australie, pour faire finalement unecircumnavigation de la Terre. Au bout du compte, le voyage d'une durée initialement prévue de deux ans en aura duré presque cinq.
Darwin consacre la plupart de son temps à explorer les terres. Ainsi, sur l'ensemble du voyage, il passe 3 ans et 3 mois à terre pour seulement 18 mois en mer. Avant lesîles Galápagos, il explore lapampaargentine, le nord de laPatagonie, ledésert d'Atacama ainsi que lacordillère des Andes. Il profite de ce voyage pour établir sa réputation denaturaliste en décrivant avec détails les plantes, animaux, fossiles et régions rencontrés, publie le récit de son voyage en 1838 avecLe Voyage du Beagle (traduit en français sous le titreVoyage d'un naturaliste autour du monde) et devient célèbre avec sathéorie de l'évolution par lasélection naturelle et son livre de 1859,L'Origine des espèces, directement inspirés de son expérience à bord duBeagle.

Le but principal de l'expédition était une explorationhydrographique des côtes de la partie Sud de l'Amérique du Sud, afin de compléter le travail réalisé lors du premier voyage duBeagle. Il s'agissait notamment de créer des cartes pour la guerre et le commerce naval, et de dessiner les reliefs vus de la mer, tout en mesurant leur hauteur. Ainsi, lalongitude deRio de Janeiro, qui était une étape clé de ces explorations, restait inconnue du fait des écarts entre les mesures réalisées. Une longitude exacte restait à trouver, grâce à des chronomètres calibrés et des vérifications répétées grâce à des observations astronomiques. On devait aussi effectuer le relevé des marées et des conditions météorologiques.
Une attention moindre était prévue pour l'exploration des ports desîles Malouines et, si la saison le permettait, desîles Galápagos. Puis leBeagle approcha deTahiti et duPort Jackson enAustralie, qui étaient des endroits réputés pour la vérification des chronomètres. Une autre mission était l'exploration géologique d'unatoll corallien circulaire dans l'océan Pacifique[2].

L'expédition précédente d'étude de l'Amérique du Sud avait impliqué l'HMS Adventure et l'HMSBeagle sous le commandement général de l'AustralienPhilip Parker King. Durant l'expédition, le capitaine duBeagle,Pringle Stokes, se suicida et il fut remplacé par un jeune aristocrateRobert FitzRoy. À leur retour le14 octobre 1830, le capitaine P. P. King se retira et le25 juin 1831 FitzRoy, âgé de 26 ans, fut nommé commandant de la seconde expédition duBeagle.
Il était à l'origine prévu que ce fut leHMS Chanticleer qui fît ce second voyage d'étude de l'Amérique du Sud, mais à cause de son mauvais état il fut remplacé par leBeagle. FitzRoy avait réfléchi à la manière de ramener les Fuégiens qui avaient été formés comme missionnaires, et le il fut rappelé en tant que commandant. LeBeagle fut réquisitionné le sous le commandement du capitaine Robert FitzRoy, avec les LieutenantsJohn Clements Wickham et Bartholomew James Sullivan.
FitzRoy demanda aussitôt une révision importante duBeagle qui fut immédiatement amené aux docks pour être inspecté et réparé. Comme le navire demandait un nouveau pont, FitzRoy fit élever le pont supérieur, de 20 cm à l'avant et de 30 cm à l'arrière. Les navires de la classeCherokee avaient la réputation d'être des « cercueils ambulants », qui se dirigeaient difficilement et étaient prompts à couler. En permettant auxponts d'évacuer l'eau plus rapidement et en empêchant celle-ci de trop s'accumuler dans les plats-bords, la surélévation donna auBeagle une meilleure tenue et le rendit moins pesant et moins exposé au chavirage.
Un cerclage supplémentaire de la coque ajouta 4 tonnes à sa structure. FitzRoy installa à bord 22chronomètres de marine et 5 exemplaires dusympiésomètre, une sorte debaromètre sans mercure inventé parAlexander Adie en 1818 et défendu par FitzRoy comme donnant des résultats d'une précision compatible avec celle demandée par le ministère de la Marine. Il engagea un fabricant d'instruments pour entretenir les 22 chronomètres dans sa cabine, ainsi qu'un artiste,Augustus Earle, pour la topographie et les autres tâches en rapport avec son métier. Les trois Fuégiens embarqués lors du précédent voyage devaient également embarquer, pour retourner en Terre de Feu, accompagnés du missionnaireRichard Matthews[2].
FitzRoy était bien conscient du stress et de la solitude de sa fonction lors d'une telle mission, ainsi que du suicide du capitaine Stokes. Il craignait d'être lui aussi prédisposé au suicide, car son propre oncle,lord Castlereagh, s'était donné la mort à la suite d'une surcharge de travail. Cette fois ci leBeagle était sous sa responsabilité, et, aussi jeune et inexpérimenté fut-il, il ne pouvait pas se permettre de trop se rapprocher de ses subordonnés, de peur d'affaiblir son autorité[3]. Pour la première fois, il était le seul maître à bord, sans officier ou second capitaine à consulter, et personne à bord n'était de son rang social ou ne partageait les mêmes aspirations intellectuelles. Il avait peur d'être dépassé et ressentit le besoin d'un compagnon de bonne compagnie qui partagerait ses intérêts pour la science et pourrait dîner avec lui en égal, maintenant ainsi un certain degré de vie normal, loin de la pression liée au commandement[4]. Il se rapprocha de son ami Harry Chester, avec l'idée qu'il l'accompagnât, mais cela ne se fit pas[5]. Il n'était pas inhabituel pour les naturalistes d'être invités dans de telles expéditions en tant que passagers s'acquittant de leurs propres dépenses et en FitzRoy écrivit en urgence à l'Amirauté, probablement à son ami et supérieur le capitaineFrancis Beaufort, demandant qu'on lui trouve un compagnon approprié, bien éduqué et scientifique. Les requêtes de Beaufort, faites par l'intermédiaire de son ami George Peacock à l'université de Cambridge, furent déclinées par le RévérendLeonard Jenyns, vicaire de Swaffham Bulbeck, et par le professeurJohn Stevens Henslow, qui avait d'autres engagements. Tous les deux recommandèrent le jeune Charles Darwin, alors âgé de 22 ans et qui venait de finir ses études dethéologie et était alors engagé dans un voyage d'étude sur lagéologie.
Ainsi, à son retour, Darwin reçut lettre de Henslow lui disant « Je vous assure que je pense que vous êtes l'homme qu'ils recherchent » pour ce poste « plus en tant que compagnon que simple collectionneur » et une de Peacock lui disant que le poste était à « son entière disposition ». Au début le père de Darwin rejeta cette proposition, pensant que ce voyage de deux ans ne serait qu'une perte de temps, mais il fut finalement persuadé par son beau-frère,Josiah Wedgwood II, de fléchir et même de financer l'expédition de son fils. Puis FitzRoy écrivit pour s'excuser car il avait déjà promis la place à un ami. Mais lorsque Darwin vint le voir pour s'entretenir avec lui FitzRoy lui annonça que son ami venait de refuser son offre à peine cinq minutes avant.
FitzRoy, qui étaitconservateur, était prudent sur les perspectives d'un voyage en compagnie de ce jeune inconnu proche deswhigs (libéraux), et ils passèrent une semaine ensemble pour mieux se connaître. Initialement, FitzRoy rejeta presque Darwin sur le fait que la forme de son nez semblait indiquer un manque de détermination[6], mais ils se trouvèrent finalement d'agréable compagnie. Beaufort avisa Darwin que le coût de l'expédition serait de 500 livres, qu'il serait libre de la quitter à n'importe quel moment et qu'il aurait le contrôle sur la destination des collections qu'il constituerait.
Darwin prépara son équipement et son matériel pour préserver ses spécimens ; il chercha notamment des conseils auprès de son ancien maîtreRobert Edmond Grant.
Le géologueCharles Lyell demanda à FitzRoy d'enregistrer des observations sur des phénomènes géologiques tels que les blocs erratiques et, avant le départ d'Angleterre, FitzRoy donna à Darwin une copie du premier volume desPrinciples of Geology de Lyell, qui expliquaient ce phénomène comme le résultat d’un processus extrêmement long[5].
LeBeagle devait initialement partir le24 octobre 1831 mais, à cause de retard dans les préparatifs, le départ fut reporté jusqu'à décembre. Le10 décembre, le navire tenta de partir mais tomba dans le mauvais temps et dut revenir au port. Finalement, le27 décembre à14 h, leBeagle quitta le port dePlymouth pour ce qui allait devenir une des plus retentissantes expéditions scientifiques de l'Histoire. Après avoir étudié en détail les côtes de l'Amérique du Sud, leBeagle fit chemin vers l'Angleterre via laNouvelle-Zélande et atteignitFalmouth, à l'extrême sud-ouest desCornouailles en Angleterre, le2 octobre 1836.
Il approcha d'abord deMadère pour confirmer sa position mais sans s'y arrêter, puis se dirigea versTenerife dans lesîles Canaries où il y avait une mise en quarantaine à cause ducholéra qui sévissait en Angleterre et il se vit interdit d'accostage. Il fit son premier arrêt sur l'île volcanique deSantiago, la plus grande des îles duCap-Vert. C'est là que commence le « journal » de Darwin. Alors que des discussions étaient en cours pour déterminer la longitude exacte, il alla sur la plage, fasciné par sa première vision d'une végétation tropicale et par les reliefs comprenant en hauteur une large bande blanche constituée de coquillages marins, qui confortait la thèse de Lyell sur les élévations et les abaissements graduels de la croûte terrestre.
Darwin avait reçu de FitzRoy le premier volume desPrinciples of Geology deCharles Lyell, qui expliquait la formation des reliefs comme le résultat d'un processus graduel s'étalant sur d'immenses périodes, et à leur premier arrêt àSantiago le paysage qu'il vit lui donna une vision révolutionnaire de l'histoire géologique de l'île, lui donnant l'idée d'écrire un livre consacré à ce seul sujet[7]. Darwin écrivit plus tard « The greatest merit of the Principles was that it altered the whole tone of one's mind, and therefore that, when seeing a thing never seen by Lyell, one yet saw it through his eyes »[8].
Après avoir approché d'autres îles, leBeagle arriva àBahia (Salvador,Brésil) le29 février où Darwin tomba en extase devant la forêt tropicale. Il fit la remarque qu'il trouvait l'esclavage offensant et fit l'erreur de répondre lorsque FitzRoy remarqua qu'il le trouvait justifié, ce qui mit FitzRoy dans une grande colère au point qu'il demanda à Darwin de ne plus prendre ses repas avec lui. Les officiers avaient d'ailleurs surnommé leur capitaine « café chaud » pour ses accès de colère. Après que Darwin fut allé manger à la table des officiers, FitzRoy présenta ses excuses et lui demanda de revenir dîner avec lui[9].
Le navire fit route vers la côte deRio de Janeiro. Habituellement, le médecin d'un navire tenait aussi rôle de naturaliste et c'estRobert McCormick, le médecin duBeagle, qui en était le naturaliste officiel[10].
Sentant qu'il était supplanté dans ce rôle par le jeune Darwin, qui avait les faveurs du capitaine et qui recevait toutes les attentions des dignitaires qu'ils rencontraient à terre, McCormick se sentit suffisamment mécontent pour quitter l'expédition et rentrer chez lui, prétextant des raisons de santé. Darwin assumait maintenant presque officiellement le rôle du naturaliste et il se vit attribuer le surnom dePhilos. Ses collections lui appartenant, il les envoyait au fur et à mesure par bateau àHenslow àCambridge en l'attente de son retour. D'autres passagers, comme le chirurgien remplaçant et FitzRoy lui-même, accumulèrent des collections de grande taille pour la Couronne, que l'Amirauté entreposa auBritish Museum.
Alors que leBeagle explorait les côtes, Darwin passait la plupart de son temps à terre. Par intervalle, leBeagle accostait aux ports où le courrier pouvait être reçu et Darwin en profitait pour envoyer en Angleterre ses notes, ses journaux et ses collections. Darwin passait de longues journées à terre, voyageant avec des locaux. En Patagonie, il voyagea à cheval avec desgaúchos et les vit utiliser desbolas pour attraper des « autruches[11] » (Rheas) ; il mangea destatous rôtis.

Alors que leBeagle était mouillé àBahía Blanca, Darwin et FitzRoy partirent en bateau et parcoururent 16 km à travers la baie le22 septembre 1832, et ils aperçurent des osfossilisés de gigantesques mammifères disparus sur la plage dePunta Alta, dans des gisements suggérant plus un dépôt naturel qu'une catastrophe[12]. Darwin retourna avec Covington pour y faire des fouilles pendant plusieurs jours, et il trouva un énorme squelette qui lui semblait être apparenté à celui d'unrhinocéros africain. Au début, il crut que les fragments d'armure osseuse provenaient d'un immense tatou similaire aux petites créatures communes dans les parages. Lorsqu'il étudia leDictionnaire classique deBory de Saint-Vincent pour tenter d'identifier un os de mâchoire et une dent, il les trouva proches de ceux duMegatherium, et il nota avec excitation que les seuls spécimens en Europe était enfermés dans les collections du Roi d'Espagne à Madrid. Mais comme les descriptions queCuvier avait faites de ces spécimens suggéraient faussement que ces créatures étaient pourvues d'une carapace, cela induisit Darwin en erreur et il resta persuadé que ces fragments d'armures appartenaient au Megatherium[13].
ÀMontevideo en novembre, le courrier comprenait une copie du second volume desPrinciples of Geology de Lyell, qui proposait une variation ducréationnisme, évoquant une théorie selon laquelle la Terre se serait transformée par des changements progressifs, avec des espèces créées dans des « centres de création » puis disparaissant lorsque l'environnement se modifiait et leur devenait défavorable.

Ils atteignirent la Terre de Feu le et Darwin fut déconcerté par la sauvagerie des natifs, qui contrastait totalement avec le comportement civilisé des troisFuégiens qu'ils ramenaient en tant que missionnaires (qui avaient reçu les noms de York Minster, Fuegia Basket etJemmy Button). Il décrivit sa première rencontre avec les natifs Fuégiens comme étant, « sans aucune exception, le spectacle le plus curieux et le plus intéressant que j'aie vu : je n'aurais jamais pu penser combien était grande la différence entre un homme sauvage et un homme civilisé : elle est plus grande que celle entre unanimal sauvage et unanimal domestique, dans la mesure où, chez l'homme, il existe une capacité d'amélioration bien plus grande ». Par contraste, il dit de Jemmy qu’« il me semble encore merveilleux, lorsque je repense à ses nombreuses qualités, qu'il puisse être de la même race et qu'il puisse tenir du même caractère que les misérables sauvages dégradés que nous avons d'abord rencontrés ici ». Quatre décennies plus tard, dansLa Filiation de l'homme, il utilisera ces impressions comme une preuve que la civilisation humaine a évolué à partir d'un stade plus primitif.
Sur l'île de « Button's Land » le14 janvier 1833 les membres de l'équipage installèrent un camp avec des huttes, des jardins, du mobilier et de la vaisselle, mais lorsqu'ils revinrent neuf jours plus tard, leur équipement avait été pillé et partagé par les natifs. Matthews abandonna le site et retourna au navire en y laissant les trois Fuégiens « civilisés ». LeBeagle se dirigea alors vers lesîles Malouines ( ou Malvinas, renommées par les Britanniques Iles Fackland) et y arriva juste après l'invasion de 1833 par les Britanniques. Darwin étudia les relations des espèces avec leur environnement et trouva des fossiles similaires à ceux qu'il avait découverts auPays de Galles. FitzRoy acheta unegoélette pour faciliter l'exploration des côtes, et il retourna en Patagonie pour l'améliorer et lui installer un nouveau fond en cuivre et il la renomma l'HMS Adventure. Darwin était assisté par le jeune marin Syms Covington pour préserver ses spécimens, et sa collection était si impressionnante que FitzRoy engagea Covington à temps plein pour 30 £ par an.
Les deux navires partirent vers leRío Negro enArgentine où Darwin quitta leBeagle pour une autre exploration à terre avec les gauchos. Le13 août 1833 il rencontra le GénéralJuan Manuel de Rosas, qui menait alors une expédition punitive contre les indigènes « indiens », et il obtint de lui un laissez-passer. Alors qu'ils traversaient lapampa, les gauchos parlèrent à Darwin d'une petite espèce rare de Rhea (Oiseau aussi appelé nandou, incapable de voler ). ÀBahia Blanca, attendant leBeagle, il visita à nouveau Punta Alta et trouva les os d'un autremegatherium, cette fois situés dans une couche de sédiments incluant des coquillages modernes, ce qui indiquait que le climat n'avait pas beaucoup changé depuis leur extinction, sans signe de soudaine inondation catastrophique. D'autres expéditions à terre faillirent finir de façon désastreuse, lorsque Darwin tomba malade et se retrouva mêlé à une révolution, quand les rebelles s'allièrent à Rosas pour bloquerBuenos Aires. Mais son laissez-passer l'aida et lui permit, avec Covington, de s'échapper avec un groupe de réfugiés et de rejoindre leBeagle àMontevideo. Darwin fit un nouveau voyage à cheval long de 600 km en passant parMercedes près duRio Uruguay. Le22 novembre on lui parla d'os de géant dans une ferme et il acheta un crâne fossile de la taille de celui d'un hippopotame pour 18 pence, puis le transporta sur 190 km jusqu'à Montevideo. Ce fut le premier fossile identifié parRichard Owen, uncapybara géant éteint, qu'Owen nommaToxodon.
Sur leBeagle, l'artiste Augustus Earle quitta l'expédition pour raisons de santé et fut remplacé parConrad Martens. Ils naviguèrent vers le sud et atteignirentPuerto Deseado le23 décembre. Martens tira sur un rhea qu'ils s'empressèrent de manger jusqu'à ce que Darwin réalise qu'il s'agissait d'un rhea de la petite espèce la plus rare et qu'il en conserve les restes. Enjanvier 1834, 180 km plus au sud, ils atteignirentPuerto San Julián et alors qu'il étudiait la géologie locale dans les falaises près du port, Darwin trouva les fossiles de vertèbres et de pattes postérieures d'« un grand animal, unMastodonte j'imagine ». Le26 janvier, ils entrèrent dans ledétroit de Magellan et àSt. Gregory's Bay ils rencontrèrent des « géants » Patagoniens à moitié civilisés, de plus d'un mètre quatre-vingt de taille, décrits par Darwin comme « excellents naturalistes pratiques », qui lui expliquèrent que les plus petits rheas étaient les seuls présents dans l'extrême sud, alors que les grands rheas se trouvaient plus au nord, les deux espèces se rencontrant autour du Rio Negro.
Après une étude supplémentaire en Terre de Feu, ils retournèrent le5 mars 1834 visiter les trois fuégiens « civilisés », mais ne retrouvèrent que des tentes désertes. C'est alors que des canoës approchèrent et ils se rendirent compte que dans l'un d’eux se trouvait Jemmy qui n'avait plus ses vêtements et affaires européens et qui était retourné à la vie sauvage et avait pris une femme. Darwin dit n'avoir jamais vu un « changement aussi complet et désolant ». Jemmy vint à bord et y dîna en utilisant ses couverts et conversant en anglais. Il leur assura qu'il « n'avait aucun désir de retourner en Angleterre » et qu'il était « content et comblé », il leur laissa comme cadeaux des peaux de loutre et des pointes de flèches avant de retourner à son canoë et d'y rejoindre sa femme. De cette première visite, Darwin écrivit que « voyant de tels hommes, il est difficile de croire que ce sont nos semblables et des habitants du même monde. C'est un sujet commun de conjecture que de se demander quel plaisir les animaux les moins dotés par la nature peuvent avoir : on peut se poser la même question avec ces barbares » alors qu'un des leurs s'est adapté à la civilisation mais choisit pourtant de retourner à son ancien mode de vie primitif. Cela met à mal le point de vue de Cambridge voulant que l'humanité est la création la plus aboutie, immensément supérieure aux animaux.
Ils retournèrent aux îles Malouines le, juste après qu'un soulèvement de gauchos et d'indiens y eut massacré des ressortissants britanniques, et ils aidèrent à calmer la révolte. Darwin reçut un message deHenslow lui disant que ses spécimens avaient bien atteint Cambridge, ainsi que ses fossiles trouvés en Amérique du Sud, qu'ils avaient été extrêmement appréciés par l’élite de la communauté scientifique britannique, et que Darwin avait désormais une solide réputation. LeBeagle navigua ensuite vers le Sud de la Patagonie et le une expédition incluant FitzRoy et Darwin partit remonter le plus loin possible en bateau la rivièreRío Santa Cruz dans laProvince de Santa Cruz en Argentine, en partant dePuerto Santa Cruz, avec tous les membres de l'équipe se relayant pour traîner les bateaux vers l'amont. La rivière passait à travers une série d'élévations puis de plateaux formant de vastes plaines couvertes de coquillages et de galets, et Darwin discuta avec FitzRoy, donnant son interprétation pour expliquer ce phénomène : les terrasses actuelles étaient des anciens littoraux qui se seraient progressivement élevés, en accord avec les théories de Lyell. Ils approchèrent les Andes mais durent faire demi-tour.

LeBeagle et l'Adventure explorèrent ensuite ledétroit de Magellan avant de naviguer vers le nord, longeant la côte ouest et atteignant l'île de Chiloé dans l'archipel de Chonos, humide et boisé, le. Puis, ils passèrent les 6 mois suivants à étudier la côte et les îles plus au sud. ÀValparaíso, le, Darwin acheta des chevaux et se rendit dans les Andes volcaniques. Mais lors de son voyage de retour il tomba malade et passa un mois alité. Il est possible qu'il ait contracté à ce moment lamaladie de Chagas, responsable des symptômes qui l'accompagneront tout au long de sa vie, mais cette hypothèse reste discutée.
Il apprit que l'Amirauté avait réprimandé FitzRoy pour avoir acheté l'Adventure. FitzRoy réagit violemment, revendant le navire, puis il démissionna de son poste, doutant de ses capacités. Mais ses officiers le persuadèrent d'annuler sa démission. L'artisteConrad Martens quitta le navire et partit vers l'Australie.
Après avoir attendu Darwin, leBeagle repartit le11 novembre pour étudier l'archipel de Chonos. Ses occupants assistèrent à l'éruption du volcanOsorno dans les Andes. Puis, ils repartirent vers le nord et arrivèrent au port deValdivia le20 février 1835. Darwin était sur la côte lorsqu'il fit l'expérience d'un tremblement de terre, et il retourna au navire et constata que la ville avait été gravement endommagée. Trois cent vingt kilomètres au nord deConcepción, ils trouvèrent la ville dévastée par des chocs répétés et par un raz-de-marée, avec notamment la cathédrale en ruine. S'éloignant de ces images de mort et de destruction, Darwin nota que les rochers sur lesquels étaient fixés lesmoules se trouvaient désormais au-dessus duniveau de la mer à marée haute, avec des coquillages morts. Il retrouva des preuves lui permettant d'affirmer que le sol s'était élevé de 2,7 mètres, démontrant un des aspects du lent processus décrit par Lyell permettant au continent d'émerger de l'océan.
De retour à Valparaiso, Darwin organisa une autre expédition dans les Andes et le il atteignit laligne de partage des eaux à l'altitude de 4 000 mètres. Même à cet endroit il retrouva des fossiles de coquillages dans la roche. Après être allés àMendoza, lui et ses compagnons firent demi-tour en prenant un autre chemin et ils trouvèrent une forêt pétrifiée d'arbres fossilisés, cristallisés dans un escarpement de grès, ce qui lui fit déduire que ces fossiles se trouvaient sur une plage du Pacifique lorsque la terre s'effondra, les enfouissant dans le sable qui se transforma en roche et qui s'éleva progressivement avec le continent jusqu'à une altitude de 2 100 mètres. En retournant vers Valparaiso avec une mule à moitié chargée de spécimens, il écrivit à son père pour lui décrire ses découvertes et lui dire que, si elles étaient acceptées, elles seraient cruciales pour la théorie de la formation de la Terre. Après une autre expédition épuisante dans les Andes pendant que leBeagle était en révision, il le rejoignit et partit pourLima, mais y trouva une insurrection armée qui l'empêcha de descendre à terre. Il revoyait ses notes quand il réalisa que l'idée de Lyell, qui considérait que les atolls coralliens étaient les bords d'anciens volcans éteints qui se seraient élevés au niveau de la mer, semblait moins logique que celle considérant que les volcans se seraient enfoncés et auraient été progressivement engloutis, permettant aurécif corallien autour de l'île de se former près du niveau de la mer et de devenir un atoll une fois levolcan disparu. C'est une théorie qu'il se promit d'examiner lorsqu'ils approcheraient de tels atolls.
Une semaine après avoir quitté Lima, leBeagle atteignit les îles Galápagos le15 septembre 1835. Sur l'île de Chatham, Darwin trouva un rocher de lave volcanique noire brûlant sous le soleil, avec des cratères lui rappelant les fonderies d'acier industrielles duStaffordshire. Il remarqua des maquis ne comportant que dix espèces de végétaux et très peu d'insectes. Les impressionnantes tortues géantes lui apparurent antédiluviennes, aussi pensa-t-il qu'elles avaient été introduites sur ces îles par des boucaniers pour leur servir de nourriture.
À la colonie de la prison deCharles Island on lui raconta que les tortues différaient selon les îles. Mais les différences n’étaient pas évidentes sur les îles qu'il visita, aussi ne prit-il pas la peine de collecter leurs carapaces.
Lesiguanes marins lui semblèrent affreux ; à cause d'une erreur d'étiquetage au muséum, il pensa que ces créatures uniques n’étaient qu'une espèce provenant d'Amérique du Sud.
Les oiseaux n’étaient remarquablement pas craintifs vis-à-vis des humains, et ils étaient d'un genre unique, avec des ressemblances avec les espèces d'Amérique du Sud. Darwin nota que lesmoqueurs différaient selon les îles et il prit soin de bien étiqueter ses spécimens, mais il ne nota pas l’endroit où les autres espèces, comme lespinsons[14], avaient été trouvées. Heureusement, d'autres membres de l'équipage furent plus méthodiques dans leur étiquetage. Ils quittèrent les Galápagos le20 octobre, après un séjour d'un peu plus d'un mois.
LeBeagle repartit, ses passagers mangeant quelques tortues des Galápagos capturées. Le9 novembre, il atteignit lesîles de la Société, que Darwin jugea tout d'abord inintéressantes avec leurs plages de sable blanc et leurs palmiers. ÀTahiti, il s'intéressa à la végétation luxuriante et aux indigènes, intelligents et agréables, qui lui montrèrent les bénéfices de leur conversion au christianisme, réfutant les allégations qu'il avait lues sur les missionnaires tyranniques détruisant la culture indigène.
Le19 décembre, leBeagle atteignit laNouvelle-Zélande où Darwin trouva que lesMāori tatoués étaient des sauvages avec un caractère bien plus primitif que les Tahitiens, et il nota que leurs maisons sont « répugnantes de saleté et choquantes ». Il vit les missionnaires apporter des améliorations dans le caractère des indigènes, ainsi que de nouvelles pratiques d'agriculture avec une ferme anglaise exemplaire employant des natifs. Richard Matthews fut laissé sur place avec son frère aîné Joseph Matthews, qui était missionnaire àKaitaia. Darwin et FitzRoy s'accordèrent à dire que ces missionnaires avaient été injustement décrits dans des tracts tels que celui écrit par l'artisteAugustus Earle, qui avait quitté le navire. Darwin remarqua également la présence de nombreux résidents anglais dépourvus de valeur, comme des condamnés en fuite venant de laNouvelle-Galles du Sud. Le30 décembre il fut heureux de quitter la Nouvelle-Zélande.
Sa première vision de l'Australie, le12 janvier 1836, lui rappela la Patagonie. Mais une fois à terre, le paysage s'améliora et il fut bientôt rempli d'admiration devant la ville deSydney. Lors d'une expédition dans les terres, il croisa un groupe d'aborigènes amicaux qui lui firent une démonstration du lancer de lance pour un shilling, contrastant avec leur description habituelle de « créatures dépravées », et il remarqua tristement que leur nombre décroissait rapidement. Près d'une grande ferme de mouton il se joignit à une partie de chasse et captura son premier marsupial, unrat-kangourou de la famille desPotoroidae, qui lui fit penser qu'un non-croyant pourrait s'exclamer “deux créateurs bien distincts ont sûrement œuvré”. » Puis, on lui montra l'encore plus étrangeornithorynque, et il fut surpris de constater que sa tête était douce, contrairement à celle des spécimens conservés, et d'apprendre que de nombreux colons pensaient qu'il pondait des œufs comme unreptile, sujet de polémique en Grande-Bretagne.
Toujours en Australie, leBeagle visitaHobart, enTerre de Van Diémen, puis se dirigea vers King George Sound au sud-ouest de l'Australie, où vivait une petite communauté désolée qui sera remplacée par la colonie de Swan River. C'est là que Darwin fut spectateur d'une danse aborigène qu'il décrivit comme une « scène barbare grossière » où « tous bougent dans une hideuse harmonie », même s'il apprécia ces aborigènes « de plaisante humeur » et « pleins d'entrain ». Le départ duBeagle fut reporté à cause d'une tempête qui le fit s'échouer. Après sa remise à flot, il repartit.
À l’arrivée sur lesîles Cocos dans l'océan Indien le1er avril, Darwin et ses compagnons découvrirent une économie basée sur la noix de coco. Ils explorèrent les lagons coralliens ; les sondages de Fitzroy révèlent un profil des atolls compatible avec la théorie sur les atolls que Darwin avait développée à Lima. Une fois encore, Darwin fut victime du mal de mer lors du voyage vers l'îleMaurice, où il fut impressionné par la civilisation développée par la colonie française et où il fit un tour de l'île, en partie à dos d'éléphant.
LeBeagle atteint lecap de Bonne-Espérance le31 mai 1936. AuCap Darwin il reçut des lettres de sa sœur lui annonçant que dix de ses lettres sur la géologie de l'Amérique du Sud avaient été éditées parHenslow pour une distribution privée, établissant ainsi sa réputation de naturaliste. Après une semaine, Darwin et Fitzroy rendirent visite au célèbre astronome SirJohn Herschel qui faisait des observations et qui portait également un vif intérêt à la géologie, correspondant avec Lyell sur la formation des continents et sur le mystère de l'arrivée de nouvelles formes de vie. Dans la ville du Cap, Fitzroy fut sollicité pour écrire un article dans leSouth African Christian Recorder. Après avoir repris la mer le, Fitzroy écrivit une lettre ouverte sur l'état moral de Tahiti[15] comprenant des extraits du journal de Darwin et défendant la réputation des missionnaires. Cette lettre fut donnée à un navire de passage qui la ramena au Cap et qui deviendra le premier travail publié de Fitzroy et de Darwin.
Entre juin et août, Darwin écrivit dans sesNotes ornithologiques sur l'oiseaumoqueur du ChiliMimus thenca[16] que :« Les spécimens des îles de Chatham & Albemarle s'avèrent être identiques ; mais les deux autres sont différents. Sur chaque île vit une espèce, de façon exclusive : le mode de vie de toutes les espèces est identique. Lorsque je me remémore le fait que, à partir de la forme du corps, des écailles et de la taille, les Espagnols peuvent déterminer de quelle île provient une tortue. Lorsque je vois ces îles proches les unes des autres, et possédant un faible nombre d'animaux, occupées par ces oiseaux légèrement différents au niveau de leur anatomie mais occupant la même place dans la nature, je suspecte qu'ils ne sont que des espèces. Le seul cas de genre similaire que je connaisse est la différence constante entre les Loups des Falkland des îles East & West Falkland. S'il y a ne serait-ce qu'une mince base véritable à ces remarques, la zoologie de l'archipel serait intéressante à examiner, car ce fait ébranlerait la notion de la stabilité des espèces. »
On peut noter que le conditionnel a été utilisé de façon prudente par Darwin dans la phrase qui est réputée comme étant la première dans laquelle il exprime ses doutes sur l'immuabilité des espèces, ce qui le conduisit à être convaincu de la transformation des espèces et ainsi par la notion de l'évolution. Si ses doutes sur leloup des Falkland n'ont pas été confirmés, les différences chez les tortues des Galápagos selon les différentes îles ont été rappelées, et à son retourJohn Gould informa Darwin que les oiseaux moqueurs des Galápagos n'étaient pas seulement divisés en variétés, mais étaient des espèces bien distinctes. L'idée que les variétés soient des espèces naissantes a été fondamentale pour le développement de la théorie de l'évolution de Darwin[17],[18].
Le8 juillet, leBeagle s’arrêta sur l'île deSainte-Hélène pour 6 jours. Darwin remarqua la présence majoritaire de plantes d'origine anglaise. Il observa à l'altitude de 600 m des fossiles de coquillages, ce qui aurait pu indiquer que Sainte-Hélène se serait surélevée du niveau de la mer ; mais il prouva le contraire en identifiant ces fossiles comme appartenant à une ancienne espèce éteinte de coquillages terrestres.
LeBeagle atteignit l'île de l'Ascension le19 juillet, et Darwin en aperçut lescônes de scories rouges depuis le large de l'océan. Le23 juillet, il repartit, la plupart des membres d'équipage espérant retourner bientôt au pays. Mais FitzRoy voulait s'assurer de l'exactitude de la longitude de l’île et le navire traversa l'Atlantique jusqu'àBahia auBrésil pour vérifier les mesures. Darwin profita de cette occasion pour revisiter la jungle pendant 5 jours. Le départ fut reporté de 11 jours lorsque le mauvais temps força leBeagle à trouver refuge le long de la côte. Finalement leBeagle quitta les côtes de l'Amérique du Sud le17 août. Après une escale aux îlesAçores pour un ravitaillement, il atteignit l'Angleterre àFalmouth enCornouailles le.

À son retour, Darwin s'empressa de rentrer chez lui et arriva de nuit le à la maison familiale, la « maison Mount » àShrewsbury dans leShropshire. Il se serait mis au lit aussitôt et n'aurait salué sa famille que le lendemain matin au petit déjeuner. Après 10 jours passés à profiter de sa famille, il se rendit àCambridge et demanda àHenslow des conseils sur l'organisation qu'il devait adopter pour décrire et cataloguer ses collections.
Son père lui donna une somme d'argent qui lui permit de se consacrer à ses collections et ses écrits, et il commença un tour des différentes institutions de Londres, en tant que célébrité scientifique à la réputation établie par sa collection de fossiles et les publications de Henslow de ses lettres sur la géologie de l'Amérique du Sud. À cette période, âgé de 27 ans, il fit partie de l'« Establishment scientifique », collaborant avec des experts naturalistes afin de décrire ses spécimens et travaillant sur les idées qu'il avait pu développer lors de son voyage.Charles Lyell lui envoya des remarques enthousiastes. Endécembre 1836, Darwin fit un discours à la Cambridge Philosophical Society. Il écrivit un article sur le fait que le Chili et le continent de l'Amérique du Sud dans son ensemble, s'élevaient progressivement au-dessus du niveau de la mer, et il le présenta à laSociété géologique de Londres le.
Syms Covington resta avec Darwin en tant que serviteur jusqu'au mariage de ce dernier enjanvier 1837, puis il émigra en Australie.
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