Scipion Émilien (Publius Cornelius P.f. P.n. Scipio Æmilianus Africanus Numantinus), aussi dit le Second Africain ou Scipion le Numantin, est un général et homme d'Étatromain, né en185 av. J.-C., et mort en129 av J.-C.
Par son adoption, il entre dans lagensCornelia, qui compte déjà douze consulats et troiscensures. Son grand-père adoptif, Scipion l’Africain, vainqueur d’Hannibal, a donné à la famille un prestige inégalable.
Il reçoit une éducation soignée et ne perdra jamais une occasion d’élargir ses connaissances de la culture grecque. Il réunit autour de lui ce que l’on appellera le « cercle des Scipions », comprenant des hommes de lettres grecs ou latins, parmi lesquels l’historien grecPolybe, le philosophestoïcienPanétius, le poète satiriqueLucilius ou le dramaturge d’origine africaineTérence.
On attribuera d’ailleurs à Scipion Émilien la composition de nombreuses comédies de Térence.
En plus de sa culture grecque, il est aussi reconnu pour ses nobles vertus typiquement romaines, le courage au combat, l’éloquence, un certain talent pour la politique et son désintéressement. Ainsi, lorsqu’il détruitCarthage en146 av. J.-C., prend-il le soin de rendre aux villes grecques de Sicile toutes les œuvres d’art pillées par les Carthaginois.
À dix-sept ans, il accompagne son père en Grèce et combat sous ses ordres à labataille de Pydna où il se distingue par sa bravoure. C’est à ce moment qu’il rencontrePolybe. Fils préféré dePaul Émile, qui avait remarqué sa supériorité intellectuelle et morale sur tous les hommes de son temps, il lui cause une grande frayeur en disparaissant à l’issue de la bataille. Après une nuit de recherches, Scipion Émilien revient entouré de quelques amis, couverts de sang. Il explique alors qu’il était parti à la poursuite d’ennemis, dans l’élan de la victoire[2].
Il accompagne ensuite son père et le frère du roi Eumène Athenaios lors de sa tournée des villes grecques[3]. À leur retour à Rome, il figure au triomphe de Paul-Émile vainqueur du roi de Macédoine,Persée[4].
En151 av. J.-C., alors que la guerre faisait rage en Hispanie, la jeunesse noble de Rome refusait d’aller combattre. Nombre de postes militaires étaient alors vacants. Scipion Émilien montra l’exemple en proposant d’être envoyé avec le consulLucius Licinius Lucullus comme simplelégat outribun militaire. Le Sénat en fut surpris pour deux raisons : d’abord parce que sa naissance et son âge auraient pu lui permettre de prétendre à un poste plus élevé, ensuite car les Macédoniens venaient de l’inviter à régler leurs discordes, ce qui lui promettait de recevoir de grandes récompenses financières. La jeunesse romaine considéra alors avec enthousiasme l’exemple de Scipion Émilien et s’engagea avec lui en Hispanie[5].
Là encore, il s’y distingue en tuant un géant espagnol qui ridiculisait les Romains, bien que lui-même fût assez petit[6]. Peu de temps après, il convainc les Ibères de signer un traité de paix avec Rome[7].
Il force l’admiration de ses ennemis, à qui il rappelle les vertus de son grand-père.
L’année suivante, il est envoyé par Lucullus en Afrique pour obtenir un renfort d’éléphants. À son arrivée, il est reçu royalement par le vieuxMassinissa, en pleine guerre contre Carthage, qui lui demande d’être médiateur. Scipion Émilien échoue dans sa médiation et retourne en Espagne avec les éléphants[8].
En149 av. J.-C., il est envoyé en Afrique, toujours en tant que tribun militaire. Il sauve l’armée du consul Manius Manilius du désastre[9] et reçoit une couronne obsidionale[10]. Il obtient la confiance totale de ses troupes, ainsi que celle de Massinissa par son intégrité et sa fidélité à sa parole. Une commission, envoyée par leSénat romain, fait de lui un rapport plus que favorable. Caton l’Ancien, vieil ennemi de son grand-père adoptif, dira de lui« Lui seul est inspiré, parmi les ombres vivantes »[11].
L’année suivante, le consulLucius Calpurnius Piso Cæsoninus prend le commandement de l’armée et Scipion Émilien revient à Rome. L’armée souhaite le voir revenir vite car un oracle prétend que lui seul peut prendre Carthage[12].
Candidat à l’édilité, il est élu directement consul avant l’âge légal. Le Sénat lui accorde alors le commandement de l’armée d’Afrique[13].
Après quelques victoires, Scipion Émilien met lesiège devant Carthage. Il dure jusqu’au printemps 146 av J.-C., les Carthaginois étant repliés dans la citadelle de Byrsa, commandés parHasdrubal le Boétharque. Après une résistance héroïque des Carthaginois et une lente progression des Romains, maison par maison, la ville finit par tomber. Des milliers de Carthaginois se suicident, d’autres sont tués ou réduits en esclavage. La ville, finalement prise, brûle pendant dix-sept jours. Scipion Émilien la fait raser et consacre son sol aux divinités infernales. Il aurait pleuré en voyant le sort de la ville pluri-centenaire qui avait failli prendre Rome, quelques décennies plus tôt[14].
À la fin de l’année, il revient à Rome pour célébrer le triomphe le plus grandiose que les Romains aient pu voir jusqu’alors[15].
Sachant l’armée d’Hispanie nombreuse et puissante, il n’enrôle aucune légion supplémentaire, mais se contente, avec l’accord du Sénat, d’emmener avec lui des volontaires envoyés par des villes et des rois amis. Il ajoute aussi cinq cents clients amis avec lesquels il forme l’« ala amicorum » (certains historiens y ont vu la première garde prétorienne)[16]. Au total, ce sont quatre mille soldats qu’il met sous les ordres de son neveu, Quintus Fabius.
À son arrivée en Hispanie, il chasse du camp romain les marchands, les prostituées, les devins et les sacrificateurs et rétablit la discipline. Il interdit les lits et pour montrer l’exemple, il dort lui-même sur la paille. Il évite un temps les batailles rangées, tandis qu’il redonne le moral à ses troupes[17].
Il met ensuite le siège devant Numance, affaiblissant celle-ci en édifiant lescirconvallations, technique qu’il avait apprise de Massinissa. Après un long siège, la ville finit par tomber en133 av. J.-C. et Scipion Émilien lui réserve le même sort qu’à Carthage. Il rase la ville et réduit les survivants en esclavage[18]. Il reçoit alors le second agnomen « Numantinus » (le Numantin). Pour certains historiens, ce sont les Numantins eux-mêmes qui auraient détruit leur ville.
En142 av. J.-C., il est élu censeur, avecLucius Mummius Achaicus, le destructeur de Corinthe, pour collègue. Scipion Émilien prône une grande sévérité contre les sénateurs, mais il est empêché par son collègue« de haute naissance mais de mœurs efféminées »[19].
Lors ducens, à l’approche de Caius Licinius Sacerdos, il lui dit qu’il le sait coupable de parjure et que si quelqu’un daigne l’accuser, il appuierait l’accusateur dans sa charge. Finalement, personne n’ose attaquer Licinius et Scipion Émilien le chasse en lui disant« Sacerdos, emmène ton cheval et estime-toi heureux d’échapper à la flétrissure du censeur. Je ne veux pas être à la fois accusateur, témoin et juge. »[20]
Il clôt lelustre en changeant la formule rituelle. Il ne réclame plus« l’accroissement de la République », mais sa« conservation dans sa forme actuelle ». Son exemple sera suivi par tous les censeurs suivants[21].
En142 av. J.-C., Scipion Émilien avait retiré àTiberius Claudius Asellus son cheval public, le dégradant de son rang. Asellus se défend, accusant Scipion Émilien de le dégrader injustement, au regard de ses actions militaires, mais Scipion reste sur sa position[22].
Élutribun de la plèbe en139 av. J.-C., Asellus attaque Scipion Émiliende maiestate devant le peuple. Son principal reproche est que le lustre de Scipion Émilien avait été malheureux et frappé par l’infortune[23]. Scipion lui répond par au moins cinq discours, où il paraît sans porter le vêtement de deuil, ni la barbe comme il est de coutume pour les accusés[24]. Finalement, Scipion est acquitté. Tiberius Asellus sera empoisonné, quelques années plus tard, par son épouse Licinia, qui sera à son tour étranglée sur ordre de sa famille.
L’opposition à Tibérius Gracchus et la question agraire (133-129)
À peine Scipion Émilien est-il revenu de Numance (133), que le tribun Caius Papirius Carbo, du parti des Gracques, le prend à partie. Tiberius Sempronius Gracchus, cousin et beau-frère de Scipion, venait en effet d’être mis à mort par leGrand pontife etPrinceps senatusPublius Cornelius Scipio Nasica Serapio, oncle des deux hommes, après la mise en place des lois agraires d’inspiration populaire[25] Carbon demande alors à Scipion Émilien son sentiment sur la mort de Tibérius Gracchus, espérant ainsi se servir de l’influence d’un consulaire aussi illustre. Mais Scipion Émilien déclare :« Que meurent ainsi ceux qui feront de même. » S’attirant de violentes clameurs de la foule, il la réprimande à deux reprises[26].
Les Italiens, principales victimes des lois agraires du tribun Gracchus, décident de confier leurs intérêts à Scipion Émilien. Celui-ci fait confier par le Sénat le transfert de la répartition des terres du triumvirat (institué par Tibérius Gracchus et composé de Marcus Fulvius Flaccus, Carbon etPublius Licinius Crassus Dives Mucianus) au consulCaius Sempronius Tuditanus. Mais celui-ci prend prétexte d’une expédition en Illyrie pour quitter la Ville[27].
La situation devenant intenable, le Sénat confie alors à Scipion Émilien le soin de régler le problème de la répartition des terres. Celui-ci, partagé entre la confiance des Italiens et les revendications de la plèbe romaine qui lui avait donné deux fois le consulat et l’avait porté bien au-dessus de tous les hommes de son temps, se retire un soir pour rédiger le discours qu’il prononcera sur le Forum le lendemain[27].
Au matin, il est retrouvé mort. Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer son décès :
Scipion aurait été assassiné parCornelia Africana, sa tante et belle-mère, mère des Gracques, par crainte de le voir abroger les lois agraires de son fils Tibérius, avec la complicité de Sempronia, son épouse ;
Scipion aurait été assassiné par Sempronia, laide et stérile, qu’il n’aimait pas ;
Scipion aurait été assassiné par Fulvius ou Carbon (c’est l’hypothèse de Cicéron) ;
Scipion se serait suicidé quand il se serait rendu compte de l’impossibilité de tenir ses promesses aux Italiens et à la plèbe urbaine ;
D’autres avancent aussi l’idée de l’assassinat de Scipion par Caius Gracchus, le frère de Tibérius.
Ses esclaves, torturés, témoignèrent que des individus s’étaient introduits la nuit par l’arrière de sa maison et l’avaient étranglé. L’affaire fut étouffée devant la joie du peuple à l’idée de sa mort[1].
Scipion Émilien, malgré les nombreux services qu’il avait rendus à Rome, n’eut pas droit à des funérailles publiques. Lors de son enterrement, il fut exposé la tête voilée[28].
Il laissa en héritage une fortune de trente-deux livres d’argent et deux livres et demie d’or, lui qui en avait rapporté 4 383 au Trésor après la prise de Carthage et qui avait distribué 7 deniers à chacun de ses soldats au retour de Numance[28].
Scipion Émilien est un des protagonistes majeurs du dialogue deCicéron,La République (54 av. J.-C.). Le passage le plus célèbre est dans le sixième livre, partie appelée« Lesonge de Scipion ». Ce rêve montre à Scipion Émilien son père et son grand-père adoptifScipion l'Africain et contient une penséepythagoricienne avec la théorie de l'immortalité astrale.