Son caractère amphiphile lui donne des propriétés caractéristiques, notamment la capacité de ses composants moléculaires à se placer à l'interface entre la phase aqueuse (solvanthydrophile) et la phase lipidique (graissehydrophobe), la formation demousse et la stabilisation d'émulsions utiles pour le lavage[3], molécules aussi utilisées comme épaississant entrant dans la composition de certainslubrifiants et de précurseurs decatalyseur.
Selon les périodes et les lieux, il a été considéré comme un produit cosmétique,« un produit d’hygiène et/ou comme un excipient ou encore comme une substance active, permettant la réalisation de médicaments ou de cosmétiques destinés à traiter aussi bien la gale que les brûlures, de réaliser des purges ou de mettre au point des préparations pour adoucir ou blanchir les mains ou pour allonger les cils »[4].
Les savons commerciaux sont des mélanges desels de sodium ou de potassium et d'acides gras. La longueur de lachaîne carbonée et surtout la présence d'insaturations, c'est-à-dire dedoubles liaisons affectent les propriétés macroscopiques du savon, induisant par exemple une rigidité ou une mobilité spécifiques.
Les savons se présentent sous des formes variées, selon leur teneur en eau, le type et le pourcentage de corps gras utilisés ou même selon la présence d'autres impuretés. Pour les savons durs et lorsqu'ils sont secs, ils forment des solides cassants. Humides ou gorgés d'eau, ces solides encore fermes glissent sur les surfaces, deviennent mous, voire perdent toute tenue dimensionnelle en déliquescence finale. Ces observations communes attestent leur nature decolloïdes, ainsi que leurs autres formes de mousses, degels, etc.
Les savons, précisément les sels d'acides gras[5], ne sont en réalité pas solubles dans l'eau et dans l'huile, maisamphiphiles, c'est-à-dire qu'ils se placent à l'interface desphaseseau ethuile nonmiscibles. En absence d'une des phases, ils forment des structures moléculaires singulières, appeléesmicelles dans l'eau et micelles inverses dans l'huile. Si la proportion des phases change jusqu'à une teneur volumique équivalente, s'organisent des structures de phasescristal liquide[6], appelées « états mésomorphes », caractérisées par une morphologie topologique en gouttelettes, puis en cylindres et enfin en planches parallèles. Au-delà de l'inversion de phase, on retrouve des organisations similaires.
Dans un récipient ou bassin rempli d'eau savonneuse, lesmolécules de savon s'arrangent en couches monomoléculaires couvrant en premier lieu des surfaces considérables à l'interface eau/air, comme le prouvent les travaux des devanciers d'Irving Langmuir. L'air est analogue à une matièrelipophile et permet la création de bulles et figures légères respectant le principe de moindre énergie de structures, à partir de très fins films liquides d'eau savonneuse.
Piégées dans l'eau, elles forment des micelles qui peuventsolubiliser les graisses, c'est-à-dire stabiliser les gouttelettes d'huiles, enrober lesmatières grasses en formant desémulsions ou et dessuspensions stables.
et à leur extrémité (la « tête »), un groupe carboxylatepolaire donc lipophobe ethydrophile, qui minimise son énergie en étant en contact avec lasolution aqueuse.
Par la présence d'un nuage desolvatationionique en double couche, au-dessus de la surface hydrophile, la micelle est stabilisée.
Des propriétés propices au lavage et à l'hygiène corporelle
Les propriétésdétergentes de l'eau savonneuse, agitée ou brassée, s'expliquent : les savons par leurs queues lipophiles se fixent à la salissure graisseuse ou à la tache d'huile, et l'extraient du tissu ou support en l'enveloppant dans descolloïdes ou gouttelettes sphériques qui se séparent etcoalescent avec des myriades demicelles. Au cours de l'agitation, les gouttelettes ou les micelles peuvent éclater à l'instar de bulles de savon dans l'air, mais la séparation est éphémère. Elles reforment aussitôt des gouttelettes ou micelles dans ces phases liquides et condensées. On remarque que la présence de savon abaisse notablement la tension superficielle de l'eau et facilite le déplacement des molécules et corps dans la phase eau, donc le recouvrement par le savon des micelles éclatées. Le savon tensioactif accroît le pouvoir mouillant.
Mises en suspension et stabilisées dans l'eau malgré les chocs incessants, les gouttelettes huileuses et les poussières graisseuses qui ne peuvent plus s'agglutiner finissent par être entraînées par l'eau de rinçage. Le savon montre une autre facette de son pouvoirémulsifiant.
Ces extraordinaires propriétés de surface, lamouillabilitémacroscopique du fait de l'abaissement de tension d'interface et surtout la stabilisation microscopique des poussières ou salissures grasses, facilement enlevées au cours du rinçage avec la phase aqueuse englobante et prépondérante, expliquent l'emploi de savons depuis l'Antiquité pour le lavage ou lenettoyage des surfaces.
Lors de la toilette, le savon dissout la graisse constituant lefilm hydrolipidique qui recouvre la peau. La graisse est entraînée dans l'eau avec les saletés qu'elle contient. L'inconvénient est que le film hydrolipidique sert à protéger lapeau et à retenir son eau. Le savonnage — ou tout lavage à l'aide de produits comportant des tensioactifs, par exemple les gels pour la douche ou les lessives — fragilise donc la peau, jusqu'à ce que le film hydrolipidique se reconstitue, au bout de plusieurs heures.
Le savon estbasique. Comme sonpH est proche de 10, il perturbe momentanément l'acidité de la peau, dont le pH est proche de 5. Le pH « naturel » de la surface de la peau de l'homme est en moyenne de 4,7. Ce chiffre varie selon l’âge et la partie du corps. D'après une étude deSara Lee Corporation, le simple usage d'eau du robinet augmenterait le pH de la peau humaine jusqu’à six heures après l'application de l'eau[7]. En Europe, le pH de l'eau du robinet est autour de 8,0. Une peau au pH en dessous de 5,0 serait en meilleure condition qu'une peau au pH au-dessus de 5,0[7]. Cependant, l'utilisation de savon n’affecte pas durablement le pH de la peau comme l'atteste cette étude japonaise menée sur 5 ans.https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25073884/Le pH du soin lavant ne serait donc pas le seul élément déterminant du pH de la peau.
Fusion, mélange et dispersion dans les solvants usuels
À basses températures dans l'eau liquide, la dispersion du savon est difficile par agitation, sauf pour lelaurate de sodium avec sa « petite » chaîne en C11. Plus la température est élevée, plus la dispersion est facile, donnant des eaux savonneuses claires et opalescentes. En milieu basique, pour un optimum depH entre 10 et 12, est constatée unehydrolyse partielle en acides gras et enionsbasiques libres. La dispersion est très faible dans lebenzène, letoluène et la plupart dessolvants organiques. La formation de micelles inverses est énergétiquement moins favorisée.
Les autres sels decarboxylates d'acide gras, en particulieralcalino-terreux,calcium,strontium etbaryum, les sels d'aluminium ou demétaux lourds, sont très difficilement solubles dans l'eau. Au contraire, ils sont plus solubles dans les graisses et les huiles minérales, à l'instar des sels d'acide carboxylique à très longues chaînes ou contenant des cycles, comme celui dunaphtalène. Ils sont utilisés dans l'industrie descolorants, et stabilisent les structures moléculaires deslaques.
Une graisse contenant du savon destinée à la mécanique automobile.
L'industrie deslubrifiants utilise, pour la fabrication des graisses, des carboxylates delithium (Li+), decalcium (Ca2+), demagnésium (Mg2+) ou encore d'aluminium (Al3+). Les savons d'aluminium imperméabilisent les étoffes industrielles. Les médecins utilisaient les savons deplomb comme emplâtre simple.
Dans uneeau dure, les molécules du savon réagissent avec lesions calcium et forment des dépôts de sels de calcium. Comme le savon est piégé, il faut une plus grande quantité de savon pour nettoyer à efficacité égale. Pour éviter ces inconvénients, on ajoute aujourd'hui aux savons des agents anticalcaires comme le très communcomplexantEDTA.
Une eau dure, c'est-à-dire riche encations calcium ou magnésium, a pour effet de faire disparaître le savon, c'est-à-dire de substituer les carboxylates de sodium oupotassium en carboxylates de calcium ou magnésium insolubles dans l'eau, formant la « crasse de savon ». Les détergents synthétiques sont conçus pour être moins sensibles à la dureté de l'eau.
Les organismes vivants, comme les plantes à racines, utilisent des analogues de savons pour contrôler ou entraver la migration des ions métalliques, comme lasaponine. S'ils sont indésirables, les ions ne sont pas seulement précipités ou complexés, c'est la source métallique proche qui est souvent revêtue d'une couche protectrice[pas clair]. Ainsi, les objets encuivre sont préservés dans la terre humide entre les racines d'un arbre.
Savon est issu du latinsaponem (liresāpōnem), accusatif singulier desapo,saponis, terme d'abord attesté chez Pline au sens de « mélange desuif et decendre utilisé par les Gaulois pour rougir les cheveux ». Le latinsapo est un emprunt au germanique*saipôn- « savon » ; cf. le vieux haut allemandseifa, seipfa « savon » > allemandSeife « savon » et l'anglo-saxonsāpe, d'où l'angl. soap « savon »[8],[9],[10].
La plus ancienne évocation de la réaction desaponification remonte au début duIIIe millénaireav. J.-C. dans les royaumes deBabylone et deSumer[11]. À partir de 1877,Ernest de Sarzec, vice-consul de France àBassorah en Irak, dirige des fouilles archéologiques sur le site deTelloh. Elles conduiront notamment à la mise au jour de cylindres d'argile, les cylindres deGudea. Certains sont emplis d'une substance savonneuse. Le flanc de l'un d'eux, le « cylindre B », porte desinscriptions cunéiformes. Traduites par l'assyriologueFrançois Thureau-Dangin en 1905, elles révèlent les détails d'un rituel annuel d'une durée de sept jours, mais surtout que lesSumériens maîtrisaient la saponification et composaient une préparation à base de graisse et descendres bouillies, dont l'effet est proche du savon que nous connaissons :
« Ainsi, il me purifie avec l'eau, ainsi, il nettoie avec la potasse, ainsi se fait le mélange de l'huile pure et de la potasse… »
LesÉgyptiens, en guise d'hygiène corporelle quotidienne, se frottaient avec dunatron, ducarbonate de soude naturel extrait deslacs salés après évaporation, hydraté[14]. Lepapyrus Ebers (Égypte, 1550av. J.-C.) indique dans sa partie finale[15] que les Égyptiens utilisaient une substance semblable à du savon à des fins pharmaceutiques. Cette substance était obtenue par un mélange de graisses animales (oie) ouvégétale avec dusulfate de plomb (extraits degalène) ou de carbonate de sodium (extrait des bords du Nil). La pâte nommée « Trona »[13], probablement toxique lorsqu'elle emploie du sulfate de plomb, était mise à reposer une journée avant son application sur les yeux.Des documents égyptiens mentionnent également qu'une substance similaire a été utilisée dans la préparation de la laine pour le tissage.[réf. nécessaire]
LeTalmud mentionne letsapon utilisé pour nettoyer la laine[16]. Cependant le mot semble être un emprunt à une langue romane, tout comme l'hébreu סבון (sabón) est un emprunt au français.
Le savon est, selonPline[18], une inventiongauloise[19], il décrit des savons durs et des savons mous. Le mot latinsapo a donné le françaissavon et les mots de même sens dans les autreslangues romanes. Il s’agit d’un emprunt auproto-germanique*saip(ij)ǭ qui a donné l'allemandSeife et les mots de même sens dans les autreslangues germaniques. Leproto-slavemydlo a donné le russeмыло et les mots de même sens dans les autreslangues slaves.
Substance lavante et nettoyante connue enEurope occidentale depuis l'époquegauloise, il est fabriqué en quantité à partir decendresalcalines oupotassiques (cendres de hêtre, de l'herbe à savon), desuif, desaindoux desanglier (typique du « savon gallique ») ou d'huiles excédentaires non comestibles[20]. Il sert surtout, appliqué commeonguent sur les chevelures d'après la littérature latine, deshampooing ou de gel colorant à l'usage les longs cheveux en « rouge » (en fait chevelure blonde tirant vers le roux)[21]. À côté de la toilette des mains et du visage, il faut retenirl'emploi de substances de toilette complexes à base de suc de plantes, de savons mêlés de substances adoucissantes ou grasses, telles lebeurre ou laglycérine, mélange de moins en moins agressif ou de plus en plus protecteur appliqué de la pointe à la racine des cheveux.[réf. nécessaire]
L'odeur d'eau savonnée et d'acide butyrique, lorsque le beurre a ranci,était barbare aux nez romanisés duHaut-Empire et même duBas-Empire.[réf. nécessaire]Grecs etRomains se débarrassent des poussières du stade ou des taches en raclant unstrigile sur leur corps huilé, avant la régénération par les massages et l'eau desthermes, aux bains successifs chaud, tiède et froid.
Gallipoli, ville portuaire sur lamer Ionienne dans le sud de l'Italie, a probablement été l'origine dusavon de Marseille[note 2]. Grâce à ses nombreusesoliveraies et à ses multiplespressoirs souterrains (frantoi ipogei), le Salento commercialise dans toute l'Europe une huile d'excellente qualité, destinée principalement à l'éclairage des villes et des fabriques textiles, mais aussi à un usage alimentaire. L'idée d'ajouter de la soude aux restes des olives qui venaient d'être pressées une première fois permit aux habitants de Gallipoli de fabriquer des savons blancs et de diversifier durablement leurs activités.[réf. nécessaire]
Le premier artisan « savonnier » de Marseille, cité (à la fin du XIVe siècle, vers1370) par les archives, avait comme surnomSabonerius, c'était un Juif nommé Crescas Davin[22].
Le mot « savon » paraît avoir pour étymologie le mot latinsébum, suif, en grec,sapon. LesCeltes le désignaient sous le motsaboun, qui est resté dans lalangue provençale[23].
AuIXe siècle de notre ère,Marseille saponifie déjà sonhuile d'olive et produit de façon saisonnière son savon. AuXVe siècle, la région phocéenne semble un centre de production limité à la ressource locale. La soude marine qui désigne uncarbonate de sodium impur provient des cendres obtenues par lacombustion deplantes comme lasalicorne (les cendres contiennent divers carbonates de sodium,calcium etpotassium dans diverses proportions selon l'espèce).
La première grande fabrique française de savons fut fondée àToulon vers 1430 ; un certain Palmier, industriel deGrasse, étant appelé par lessyndics de l'époque à installer sa manufacture au nord de la place du Portalet (aujourd'hui la place Gambetta). La communauté toulonnaise s'engagea même pour mieux l'appâter à lui verser huitflorins par an et à lui payer son loyer[24].
De huitsavonneries en 1600, le nombre passa à vingt en 1650. Le commerce du savon à Toulon fut si prospère que les archives ont enregistré jusqu'à plus de soixante mille quintaux de savons produits et exportés par an. MaisColbert proclama lafranchise duport de Marseille en 1669, taxant par ailleurs toutes les marchandises qui entraient ou sortaient du port de Toulon, donnant l'avantage économique aux Marseillais et signant la perte dumonopole de la fabrication du savon par Toulon et la disparition une à une de ses savonneries[24].
Broyeuse-mélangeuse pour la fabrication des savons de toilette.
Le savon devient un produit de consommation courante, apparaît dans les maisons bourgeoises et complète la panoplie desfemmes de ménage, s'activant en semaine dans les nombreux et récentslavoirs communaux. Sans rival avant 1907, il sert aublanchissage du linge, au dégraissage de draps et des laines.Jules Ronchetti invente en1906 la poudre de savon à laver, commercialisée sous le nom de marquePersil. La société allemandeHenkel lance un produit similaire l'année suivante.
Le savon durant la Seconde Guerre mondiale (1939-1945)
Pendant et après laSeconde Guerre mondiale, une rumeur prétendait que lesNazis fabriquaient industriellement du savon à partir de graisse humaine provenant descamps de concentration. Letribunal de Nuremberg a permis d'éclaircir cette légende qui reste tenace : il y eut seulement des tentatives pour fabriquer du savon de graisse humaine de manière industrielle (notamment à l'institut anatomique deDanzig en1944 où l'on a utilisé des corps humains venant ducamp du Stutthof) et des cendres de victimes furent l'objet de diverses expérimentations, mais rien n'a corroboré la thèse d'une production massive de savon par un tel procédé[25].
LeUnited States Holocaust Memorial Museum conserve un ensemble de savons mis à disposition des prisonniers des camps de concentration dont les photos sont disponibles sur son site internet[26]. Il conserve aussi des savons utilisés par les Nazis durant cette même période dont les photos sont également disponibles sur le site du musée[27].
DébutXXe siècle, l'hydrogénation des corps gras accroît le nombre et la variété des savons. Entre 1920 et 1930, alors que Marseille reste le principal centre de fabrication du savon en France, la concurrence survient avec lesdétergents synthétiques ou agentstensioactifs. Ces agents lavants sont utilisés encore aujourd'hui dans lesshampooings, lesgels douches et les « savons sans savon ».
Le mont Sapo est une montagne fictive qui aurait existé selon la légende quelque part près de Rome.
Selon la légende, les anciens Romains célébraient des holocaustes animaux sur ses pentes. Les cendres de bois des feux de leurs autels se mêlaient à la graisse des animaux sacrifiés, formant une sorte de savon primitif. Ce liquide savonneux aurait coulé vers les bords argileux d'un cours d'eau voisin, où les habitants auraient constaté qu'à cet endroit, le linge se pouvait être nettoyé particulièrement facilement et efficacement. C'est pourquoi le savon tirerait son nom latin,sapo, du nom de la montagne.
Cependant, aucun texte n'indique l’existence d'un tel relief et les noms géographiques actuels des environs n'indiquent aucun lien. Cette histoire apparaît dans un certain nombre de sources récentes, notamment en ligne, notamment le site Web de l'Association Soap and Detergent ou l'American Cleaning Institute[28], ou encore dans le livrePerfumes, Cosmetics and Soaps de W. A. Poucher, paru en 1975[12]. Ce récit procéderait donc de la réécriture fantaisiste en anglais de l'histoire du savon en lui inventant une origine quasi mythologique.
Le choix du type de savon à fabriquer dépend des besoins, de la disponibilité des ingrédients, mais aussi des utilisateurs du savon[29]. Les corps gras ou triesters duglycérol employés se caractérisent en général par des chaînesaliphatiques de huit à dix-neuf atomes de carbone, aprèshydrogénation.
Le savon traditionnel ou industriel en cuve des maîtres savonniers est le produit d’uneréaction chimique nomméesaponification descorps gras. Cette transformation lente est une des plus anciennes réactions chimiques connues et maîtrisées par l'humanité. Il s'agit d'une simplehydrolyse en milieu basique au cours de laquelle un mélange de corps gras — graisses animales ouhuiles végétales — est hydrolysé par unebase forte, soit la potasse ouhydroxyde de potassium KOH, soit lasoude ouhydroxyde de sodium NaOH, à une température comprise entre80 °C et100 °C.
L’hydrolyse des corps gras produit duglycérol et surtout un mélange decarboxylates de sodium ou de potassium qui constituent les molécules du savon. Les savons fabriqués à partir de soude sont durs. Les savons fabriqués à partir de potasse sont mous ou liquides.
Réaction de saponification soit : corps gras +NaOH (ouKOH) →glycérol + savon où R est une chaîne d'atomes de carbone et d'hydrogène, par exempleR = (CH2)14-CH3.
Fabrications et procédés industriels ont varié depuis les premières mises au point vers 1750. La fabrication en cuve est autrefois caractérisée par l'empâtage, lerelargage, l'épinage, le lavage et séchage. Voici les étapes-types de la Belle Époque :
l'empâtage consiste à mélanger les corps gras à la lessive de soude. Ici une solution de soude, faiblement basique, est chauffée à ébullition. Le corps gras végétal, c'est-à-dire l'huile d'olive, d'arachide, decoton, de palme, denoix de coco, desésame ou le corps gras animal,suif ouhuile de poisson, est ajouté par petites doses et souvent sous forme de mélange complexe selon le savon à obtenir. À noter qu'il reste dans la lessive de soude une quantité définie de vieilles solutions savonneuses, ousolutions mères soutirées d'une précédente saponification. Pour obtenir du savon mou on utilisera des huiles decolza, d'œillette ou dechènevis et de la potasse caustique (KOH) ;
lerelargage utilise des lessives concentrées puis des lessives salées qui permettent une meilleure séparation des sels basiques d'acide gras, c'est-à-dire du savon formé qui estrelargué et surnage en grumeaux ;
l'épinage, qui prend son nom de l'épine, robinet du bas de la cuve, consiste à soutirer l'eau salée et le glycérol, appelé glycérine ;
le lavage consiste à répéter l'ajout de solutions salines, pour emporter glycérol et lessives résiduelles. Leséchage permet d'obtenir des pains de savons secs et consistants.
Les deux étapes médianes ont parfois disparu au cours des années 1920 pour favoriser une épuration rapide et permettre une coulée à l'état liquide dans des bassins peu profonds, appelésmises où le savon se solidifie avant d'être débité en bandes, puis après séchage, marqué et débité en cubes.
Depuis les années 1970, l'hydrolyse des graisses par de l'eau sous pression et à haute température, en présence de savon dezinc faisant office decatalyseur, donne en continuacide gras et glycérol, immédiatement séparés par distillation. L'acide gras est neutralisé par la soude et donne le savon.
L'acide gras, produit intermédiaire, est la base d'une chimie, bien plus diversifiée que dans les anciennes savonneries. Il peut être converti en sels d'ammonium quaternaire, savons cationiques utilisés comme liquidesantiseptiques. Ainsi, le chlorure deN,N,N-triméthyloctadécylammonium.
Depuis1950[réf. nécessaire], les savons tendent à être distingués des autres moléculesdétergentes. Toutefois, le langage familier des laboratoires et usines assimile par commodité savon (soap), détergent (detergent) outensioactif (surfactant). Ces derniers produits souventpétrochimiques diffèrent plus par leurs compositions, conformations caractéristiques et propriétés d'usage que par les mécanismes évoqués ci-dessous.
Les matières premières pour fabriquer du savon sont les matières grasses et la soude, éventuellement la potasse. Un savon bien fini ne contient ni soude ni huile. Les savons sont principalement composés de différents carboxylates de sodium, molécules de savon. Ils contiennent aussi de l'eau et des additifs variés.
La glycérine ouglycérol est unsous-produit de la saponification que l'on peut éliminer. Mais elle est laissée ou rajoutée parfois au savon car elle apporte des propriétés hydratantes.
Les multiples débouchés commerciaux des savons, que représentent l'usage souvent quotidien ou hebdomadaire du shampooing, de la mousse à raser, de la toilette corporelle à la lessive, de la vaisselle à l'entretien des sols et des sanitaires… jusqu'à la lutte contre les pucerons, sont la cible de produits « modernes » spécialisés. Peut-être par leurs grandes variétés et en conséquence de notre méconnaissance toxicologique et écologique, ces produits sont discutables. L'impact écologique à long terme est accru par les productions gigantesques, les emballages et la pollution des eaux usées. Leur innocuité n'est pas nulle : risques de sensibilisation à de multiplesallergies ou allergies dues à la multitude de composants nouveaux[note 3]. Leur efficacité peut être mise en doute. Ainsi, pour la toilette corporelle, les produits « sans savon » se sont installés sur la croyance en l'effet déshydratant du savon alors que des savons, par exemple à la glycérine, respectent particulièrement bien l'épiderme.
Il est remarquable que dans ces produits standardisés et inévitables par le commerce de masse, le savon soit remplacé par lelaureth sulfate de sodium nommésodium laureth sulfate dans les compositions.
lesavon de Marseille est préparé avec des huiles végétales et de lasoude. Il comporte au moins l'équivalent de 72 % d'acides gras[note 4],
lesavon blanc. LeGrand Larousse duXIXe siècle l'assimile au banal savon de Marseille ou aux différents savons de toilette. La couleur blanche indique qu'il s'agit d'un savon sodique, de teinte claire ou nettement moins sombre que les différents « savons noirs » à la potasse ou lessive potassique. À noter que l'industrie suisse a promu une fabrication de savon de toilette à partir de l'huile de tournesol, nomméesavon blanc,
le savon marbré comporte des lignes de savons ferreux non déposées, c'est-à-dire des carboxylates defer précipités dans la masse du savon formé. Les fines marbrures sont vertes,
lesavon à froid est produit selon la méthode dite desaponification à froid,
le savon de Soissons est un savon biodégradable préparé à base d'huile de colza ;
suivant l'usage :
une savonnette ousavon de toilette est un petit pain dur de savon d'aspect agréable, parfumé, coloré et neutralisée. À l'instar des savons ou mousses à raser, les savons de toilettes sont préparés à partir desuif et denoix de coco et contiennent les plus hautes teneurs en sel d'acides gras, supérieures à 76 ou 78 %. Cette composition élaborée — lavage soigné éliminant toutes traces d'alcali, présence de colorant, parfum,bactéricide,fongicide ou autres additifs pour une action au contact de la peau — le destine en premier lieu à la toilette ou l'hygiène du corps,
lesavon de ménage, autrefois pour le nettoyage domestique,
lesavon ponce est un savon à décrasser dans lequel il entre une charge minérale, sous forme depierre ponce pulvérisée,
unsavon surgras est enrichi en agents (sur)graissants, par exemple des huiles végétales ; la présence d'huiles limite le dessèchement dû au savon qui enlève le film gras (film hydrolipidique) recouvrant naturellement la peau,
unsavon médicinal est un mélange de lessives de savonniers, avec des huiles d'amandes douces. Il est employé comme excipient dans la fabrication de pilules, ou prescrit comme laxatif,
lesavondentifrice est un savon additionné deglycérol (glycérine) et de substances aromatiques, pour les soins de la bouche ;
suivant l'aspect ou la composition :
lesavon liquide à la potasse est préparé à partir d'huile de ricin et de noix depalmier. Il a la plus faible teneur équivalente en acides gras : 15 à 20 % en masse,
lesavon noir ousavon mou est un savon plus ou moins mou au toucher, de teinte plus ou moins foncée et peu attirante (brunâtre, verdâtre, grisâtre, noirâtre) sans coloration. Les différents mondes paysans l'appelaient aussisavon vert,savon mou bleu,savon mou noir, etc. L'empâtage est réalisé avec des lessives depotasse et des huiles dechenevis,navette,œillette,colza, plus rarement à l'huile de lin[note 5]. Leproduit fini est facilement coloré à l'indigo ou à l'encre, composé detanin et de sels ferreux[note 6]. Il affiche une teneur équivalente en acides gras de l'ordre de 38 % en masse. Il est recommandé pour le nettoyage descarrelages bien qu'il existe aussi du savon noir pour le corps[note 7]. Aujourd'hui, il est très largement utilisé dans le monde arabe, notamment lors du rituel duhammam. Élaboré à base de matières végétales, il aurait des propriétés purifiantes,
lesavon noir à l'huile de lin. La saponification est ici réalisée traditionnellement avec de l'huile de lin et des lessives de potasse, à l'origine. Sa couleur est naturellement ambré sombre. On n'y ajoute pas de colorant. De même que le précédent savon noir, il affiche une teneur équivalente en acides gras de l'ordre de 38 % en masse et il est également recommandé pour le nettoyage descarrelages,
lesavonanimal est obtenu avec la lessive dessavonniers et des graisses animales, souvent dusuif de bœuf,
lesavon transparent est obtenu par dissolution d'un savon de suif dans de l'alcool à chaud, puis refroidissement lent et coulage. Il s'appellesavon de glycérine lorsque l'alcool est le glycérol, nom actuel de la glycérine,
lesavon à raser oumousse à raser, obtenu par saponification à la potasse, afin d'obtenir un produit fini plus mou. La basicité du savon à raser contribue à ramollir le poil. Il était à la fin duXIXe siècle souvent un simple savon de toilette,
lesavon d'atelier, savon spécial prévu pour nettoyer les hydrocarbures et suies (pour les garagistes, mécaniciens, imprimeurs, mineurs, etc.), mais qui peut être source d'allergies graves[32].
Dans son œuvreBulles de savon (1734),Jean Siméon Chardin évoque le caractère éphémère de la vie au travers d'une bulle de savon soufflée par un jeune homme. La figure du jeune homme en premier plan donne à l’œuvre un thème des vanités : le garçon est paresseux et perd son temps à souffler des bulles éphémères, bien qu'elles semblent amusantes au premier abord.
Dans son œuvre de labroche Nestlé, le travail de l'artiste musicienJoshua Kosker(en) ré-affirme le lien entre le savon et le corps en utilisant un système d'attache issu des bijoux traditionnels. Le savon devient alors le symbole de la fragilité d'un quotidien toujours plus précieux[34].
Dans son œuvreSoap Making exposée au Frost Museum de Miami, l'artiste Orestes de la Paz a utilisé sa propre graisse issue d'une liposuccion pour créer vingt savonnettes. Les détails de son œuvre sont disponibles sur le site de l'artiste[35]. Ce dernier indique sur son site s'intéresser au lien entre corps qui devient objet et la banalisation de l'art de la performance. Une vidéo a été réalisée pour illustrer la création de l’œuvre[36].
Dans lelivre (1996) et lefilmFight Club, Tyler Durden utilise de la graisse humaine pour fabriquer des savons de haute qualité.
La sculpture de savon en art contemporain exprime soit une forme éphémère liée au corps et mise en abstraction (Cf.Frédérique Nalbandian), soit une fragrance qui revient à la sensation plus primaire de l'environnement qui entoure le corps qui se déplace (Cf. Labyrinthe de savon odorant versé à même le sol deNicolas Momein[37]).
La pratique que des puristes peuvent stigmatiser en abus de langage dénomme pourtant d'autres savons depuis des temps fort anciens ou récents, recourant à l'analogie d'emploi, de fonction ou d'action sur la matière et les surfaces :
unsavon sans savon, comme son nom l'indique, ne contient pas de molécules de savon. Appelé aussi pain dermatologique ou syndet (poursynthetic detergent), il est à base detensioactifs synthétiques. SonpH est proche du pH de la peau ;
lessavons antiseptiques, à base d'iode par exemple, ou antifongiques sont utilisés pour des soins particuliers dedermatologie. Ceux-ci ne contiennent pas de molécules de savon et sont pour la plupart desdétergents cationiques ;
lesavon blanc de montagne ou oropion est une variété d'argile déposée dans les eaux thermales ;
lesavon des verriers désigne ledioxyde de manganèse MnO2 employé pour décolorer le verre dans les creusets de fusion.
↑À propos des deux définitions du substantif masculin « savon » en français, voir la fiche duCNRTL[1].
↑Étymologiquement, il semble que ce soit la cité des gaulois, autre nom des Phocéens en Méditerranée orientale.
↑En particulier sur les cuirs chevelus, les peaux desséchées, etc.
↑Il s'agit de la noble définition artisanale, quoique pas toujours respectée ni vérifiée. D'un point de vue industriel ou mondial, il contient bien souvent de l'huile de coco et de l'huile de palme. Il comporte au moins l'équivalent de 61-63 % d'acides gras.
↑Réservée à l'éclairage ou à de multiples usages ou emplois d'artisanat.
↑La couleur bleue joue un rôle d'azurant, pour faire paraître la surface lavéeplus blanche ouplus propre (aspect visuel).
↑Pour certaines contrées encore isolées auXIXe siècle, le savon noir est le seul connu ou préparé localement.
↑A. Pons-Guiraud,L'Histoire du savon. In: Progrès en dermato-allergologie, Montpellier, 2011, Groupe d'études et de recherches en dermato-allergologie.
D'Arcet, Pelletier et Lelièvre,Rapport sur la fabrication des savons, sur leurs différentes espèces, suivant la nature des huiles et des alcalis qu'on emploie pour la fabriquer, et sur les moyens d'en préparer partout, avec les diverses matières huileuses et alcalines que la Nature présente, suivant les localités, inJournal de Physique et de Chymie, et d'Histoire-naturelle et des Arts, (Introduction au § D), septembre 1794,p. 161-178,lire en ligne (suite à partir du § E), décembre 1794,p. 405-428,lire en ligne.
Jean Poré,Émulsions, micro-émulsions, émulsions multiples, Éditions techniques des industries des corps gras, Neuilly, 1992, 270 p.(ISBN978-2-9507241-0-6).