Saturn V est unlanceur spatialsuper lourd de lafamille Saturn, développé dans les années1960 par l'agence spatialeaméricaine, laNASA, pour leprogramme lunaireApollo. Utilisé entre1967 et1973, il a placé enorbite terrestre, sans aucun échec[Note 1], les vaisseaux qui ont déposé les astronautes américains sur le sollunaire. Cette énorme fusée d'un peu plus de 3 000 tonnes — détenant toujours, en 2025, les records de masse et de capacité d'emport — est capable de placer jusqu'à140 tonnes enorbite basse terrestre pour les dernières missions Apollo. Elle est développée dans le contexte de lacourse à l'espace opposant Américains etSoviétiques dans lesannées 1960. Ces circonstances permettent aux États-Unis de mobiliser des moyens financiers et humains exceptionnels pour permettre sa mise au point. La fin prématurée du programme Apollo et les restrictions budgétaires entraînent l'arrêt de la chaîne de fabrication de ce lanceur particulièrement coûteux. Après un dernier vol pour mettre en orbite lastation spatialeSkylab, la NASA décide de développer unlanceur réutilisable, lanavette spatiale américaine, en espérant abaisser sensiblement les coûts très élevés de mise en orbite.
Les caractéristiques de la fusée Saturn V sont étroitement liées au scénario retenu pour l'envoi d'un équipage sur lesol lunaire. La puissance de Saturn V lui permet de lancer une charge utile de47 tonnes vers la Lune, soit la masse des deux vaisseaux (module lunaire Apollo etModule de commande et de service Apollo) nécessaires pour accomplir cette mission basée sur unrendez-vous en orbite lunaire. Pour atteindre les performances souhaitées, deux types de moteurs-fusées aux caractéristiques exceptionnelles sont mis au point : lemoteur-fusée à ergols liquidesF-1, d'unepoussée de700 tonnes dont cinq exemplaires propulsent le premier étage, et leJ-2 de103 tonnes de poussée brûlant un mélange d'hydrogène liquide/oxygène liquide dont c'est l'un des premiers usages (après l'Atlas-Centaur, laSaturn I et laSaturn IB).
SaturnV est l'aboutissement du programme de développement de la famille des lanceursSaturn entamé en 1960 qui a permis de mettre au point progressivement les différents composants de la fusée géante. Le lanceur est en grande partie le résultat de travaux antérieurs menés par le motoristeRocketdyne sur la propulsion cryotechniqueoxygène/hydrogène et les moteurs de forte puissance. Le développement du lanceurSaturnV s'est fait sous la responsabilité ducentre de vol spatial Marshall (MSFC) àHuntsville, enAlabama, dirigé parWernher von Braun et avec une forte implication des sociétésBoeing,North American Aviation,Douglas Aircraft Company etIBM. Pour construire et mettre en œuvre le lanceur, une usine d'assemblage, des bancs d'essais et des installations de lancement (centre spatial Kennedy) aux proportions hors normes ont été édifiés.
Les débuts de la famille delanceurs spatiauxSaturn sont antérieurs auprogramme Apollo et à la création de laNASA. Au début de 1957, ledépartement de la Défense (DoD) américain identifie un besoin pour unlanceur lourd, permettant de placer enorbite basse dessatellites de reconnaissance et de télécommunications pesant jusqu'à18 tonnes. À cette époque, les lanceurs américains les plus puissants en cours de développement peuvent tout au plus lancer 1 tonne en orbite basse, car ils dérivent demissiles balistiques beaucoup plus légers que leurs homologues soviétiques. En 1957,Wernher von Braun et son équipe d'ingénieurs, venus comme lui d'Allemagne, travaillent à la mise au point des missilesRedstone etJupiter au sein de l'Army Ballistic Missile Agency (ABMA), un service de l'Armée de Terre situé àHuntsville (Alabama). Cette dernière lui demande de concevoir un lanceur permettant de répondre à la demande du DoD. Von Braun propose un engin, qu'il baptise« Super-Jupiter », dont le premier étage, constitué de8 étages Redstone regroupés en fagot autour d'un étage Jupiter, fournit les680 tonnes de poussée nécessaires pour lancer les satellites lourds. Lacourse à l'espace, qui débute fin 1957, décide le DoD, après examen de projets concurrents, à financer en le développement de ce nouveau premier étage rebaptisé Juno V puis finalement Saturn (la planète située au-delà deJupiter). Le lanceur utilise, à la demande du DoD, 8 moteurs-fuséesH-1, simple évolution du propulseur utilisé sur la fusée Jupiter, ce qui doit permettre une mise en service rapide[1].
Les lanceurs américains existants ou à l'étude en 1959.
Durant l'été 1958, la NASA, qui vient tout juste d'être créée, identifie le lanceur comme un composant clé de son programme spatial. Mais au début de 1959, le département de la Défense décide d'arrêter ce programme coûteux dont les objectifs sont désormais couverts par d'autres lanceurs en développement. La NASA obtient le transfert en son sein du projet et des équipes de von Braun fin 1959 ; celui-ci est effectif au printemps 1960 et la nouvelle entité de la NASA prend le nom decentre de vol spatial Marshall (George C. Marshall Space Flight Center MSFC).
La question des étages supérieurs du lanceur était jusque-là restée en suspens : l'utilisation d'étages de fusée existants, trop peu puissants et d'un diamètre trop faible, n'était pas satisfaisante. Fin 1959, un comité de la NASA travaille sur l'architecture des futurs lanceurs de la NASA. Son animateur,Abe Silverstein, responsable du centre de recherche Lewis et partisan de la propulsion par des moteurs utilisant le couple hydrogène/oxygène en cours d'expérimentation sur la fuséeAtlas-Centaur, réussit à convaincre un von Braun réticent d'en doter les étages supérieurs de la fusée Saturn. Le comité identifie dans son rapport final six configurations de lanceur de puissance croissante (codées A1 à C3) permettant de répondre aux objectifs de la NASA tout en procédant à une mise au point progressive du modèle le plus puissant. Le centre Marshall étudie en parallèle à l'époque un lanceur hors-normes capable d'envoyer une mission vers la Lune : cette fusée, baptiséeNova, est dotée d'un premier étage fournissant 5 300 tonnes de poussée et est capable de lancer une charge de 81,6 tonnes sur une trajectoire interplanétaire[1].
Lanceurs américains envisagés dans le cadre du programme Apollo en 1962 et développés en 1966.
Les Saturn IB et V dans leurs configurations définitives
Lorsque le président américainJohn F. Kennedy accède au pouvoir au début de 1961, les configurations du lanceur Saturn sont toujours en cours de discussion, reflétant l'incertitude sur les missions futures de cette famille de fusée. Toutefois, dès, Rocketdyne, sélectionné par la NASA, a démarré les études sur le moteurJ-2, consommant le mélange hydrogène et oxygène et d'une poussée de89 tonnes, retenu pour propulser les étages supérieurs. Le même motoriste travaille depuis 1956, initialement à la demande de l'Armée de l'air, sur l'énorme moteurF-1 (677 tonnes de poussée) retenu pour le premier étage. Fin 1961, la configuration du lanceur super lourd (C-5, futur Saturn V) est figée : le premier étage est propulsé par cinq F-1, le deuxième étage par cinq J-2 et le troisième par un J-2. L'énorme lanceur peut placer114 tonnes en orbite basse et envoyer43 tonnes vers la Lune. Deux modèles moins puissants doivent être utilisés durant la première phase du projet[2] :
la C-1 (ou Saturn I), utilisée pour tester des maquettes des vaisseaux Apollo, est constituée d'un premier étage propulsé par huit moteurs H-1, couronné d'un second étage propulsé par six RL-10 ;
Le lancement du premier homme dans l'espace par les Soviétiques (Youri Gagarine, le) convainc le président Kennedy de la nécessité de disposer d'un programme spatial ambitieux pour récupérer le prestige international perdu[4]. Levice-présidentLyndon B. Johnson, consulté par Kennedy, propose d'envoyer une mission habitée sur la Lune[5]. Le, le président annonce devant leCongrès des États-Unis le lancement duprogrammeApollo, qui doit amener des astronautes américains sur le sol lunaire « avant la fin de la décennie »[6]. La proposition du président reçoit un soutien enthousiaste des élus de tous les horizons politiques ainsi que de l'opinion publique, traumatisés par les succès de l'astronautique soviétique[7]. Le nouveau programme est baptiséApollo, nom choisi parAbe Silverstein, à l'époque directeur des vols spatiaux habités[8]. Les fonds alloués à la NASA vont passer de500 millions de dollars, en 1960, à 5,2 milliards de dollars en 1965, date à laquelle son budget atteint son plus haut niveau[9].
Choix du scénario des missions lunaires et sélection de la fusée Saturn V
Dès1959, au sein de l'agence spatiale américaine, des études sont lancées dans une perspective à long terme sur la manière de poser un engin habité sur la Lune. Trois scénarios principaux se dégagent[9] :
l'envoi direct d'un vaisseau sur la Lune (« Direct Ascent ») : un lanceur beaucoup plus puissant que la Saturn V, la fuséeNova, lance un vaisseau capable à la fois d'atterrir sur la Lune puis de revenir sur Terre ;
le rendez-vous orbital autour de la Terre (EOR pour« Earth-Orbit Rendez-vous ») : pour limiter les risques et le coût de développement de la fusée Nova, les composants du vaisseau sont envoyés en orbite terrestre par deux ou plusieurs fusées moins puissantes. Ces différents éléments sont assemblés en orbite, en utilisant éventuellement unestation spatiale comme base arrière. Le déroulement du vol du vaisseau, par la suite, est similaire à celui du premier scénario ;
lerendez-vous en orbite lunaire (LOR pour« Lunar Orbital Rendez-vous ») : une seule fusée est requise, mais le vaisseau spatial comporte deux sous-ensembles qui se séparent une fois que l'orbite lunaire est atteinte. Un module dit « lunaire » se pose sur la Lune avec deux des trois astronautes et en décolle pour ramener les astronautes jusqu'au module dit « de commande », resté en orbite autour de la Lune, qui prend en charge le retour des astronautes vers la Terre. Cette solution permet d'économiser du poids par rapport aux deux autres scénarios (beaucoup moins de combustible est nécessaire pour faire atterrir puis décoller les hommes sur la Lune), et permet de concevoir un vaisseau destiné à sa mission proprement lunaire. En outre, la fusée à développer est moins puissante que celle requise par le premier scénario.
Lorsque le président Kennedy donne à la NASA, en 1961, l'objectif de faire atterrir des hommes sur la Lune avant la fin de la décennie, l'évaluation de ces trois méthodes est encore peu avancée, bien que le choix effectué ait des répercussions importantes sur les caractéristiques du lanceur et des vaisseaux à lancer. L'agence spatiale manque d'éléments permettant de mesurer les avantages et les inconvénients de chacun de ces scénarios : elle n'a pas encore réalisé un seul véritablevol spatial habité (le premiervol orbital habité duProgramme Mercury n'a lieu qu'en). L'agence spatiale peut difficilement évaluer l'ampleur des difficultés soulevées par les rendez-vous entre engins spatiaux et elle ne sait pas dans quelle mesure les astronautes pourront supporter des séjours de longue durée dans l'espace et à y travailler. Ses lanceurs ont essuyé jusque là une série d'échecs qui l'incite à la prudence dans ses choix techniques. Aussi, bien que la sélection du scénario d'une mission lunaire conditionne les caractéristiques des véhicules spatiaux et des lanceurs à développer, et que tout retard pris dans cette décision pèse sur l'échéance, la NASA va mettre plus d'un an, passé en études et en débats, avant de finalement choisir le troisième scénario. Au début de cette phase d'étude, la technique durendez-vous en orbite lunaire (LOR) est la solution qui suscite le moins d'engouement, malgré les démonstrations détaillées deJohn C. Houbolt ducentre de recherche Langley, son plus ardent défenseur. Aux yeux de beaucoup de spécialistes et responsables de la NASA, le rendez-vous entre module lunaire et module de commande autour de la lune paraît trop risqué. Les avantages du LOR, en particulier le gain sur la masse à placer en orbite, ne sont pas appréciés à leur juste mesure. Toutefois, au fur et à mesure que les autres scénarios sont approfondis, le LOR gagne en crédibilité. Au début de l'été1962, les principaux responsables de la NASA se sont tous convertis au LOR, et le choix de ce scénario est finalement entériné le. Le lanceur Saturn V joue un rôle central dans le scénario retenu et les études sur le lanceur Nova sont arrêtées. Dès juillet, onze sociétés aérospatiales américaines sont sollicitées pour la construction dumodule lunaire, sur la base d'un cahier des charges sommaire[10].
La mise au point du moteur F-1, d'architecture conventionnelle mais d'une puissance exceptionnelle (2,5 tonnes d'ergols brûlés par seconde), est très longue à cause de problèmes d'instabilité au niveau de lachambre de combustion, qui ne sont résolus qu'en combinant études empiriques (comme l'utilisation de petites charges explosives dans la chambre de combustion) et travaux derecherche fondamentale[11]. Le deuxième étage de la fusée Saturn V, qui constitue dès ses spécifications un tour de force technique du fait de la taille de son réservoir d'hydrogène, a beaucoup de mal à faire face à la cure d'amaigrissement imposée par l'augmentation de la charge utile du lanceur au fur et à mesure de son développement[12].
Les essais ont une importance considérable dans le cadre du programme puisqu'ils représentent près de 50 % de la charge de travail totale. Grâce aux avancées de l'informatique, la séquence des essais et l'enregistrement des mesures de centaines de paramètres (jusqu'à 1 000 pour un étage de la fusée Saturn V) se déroulent pour la première fois de manière automatique. Ceci permet aux ingénieurs de se concentrer sur l'interprétation des résultats et réduit la durée des phases de qualification. Chaque étage de la fusée Saturn V subit ainsi quatre séquences d'essai : un essai sur le site du constructeur, deux sur le site duMSFC, avec et sans mise à feu avec des séquences d'essais par sous-système puis répétition du compte à rebours et enfin untest d'intégration au centre spatial Kennedy une fois la fusée assemblée[13].
Les responsables du programme spatial américain, qui sont confrontés depuis le début de l'ère spatiale à des problèmes de mise au point de leurs lanceurs qui se traduisent par des échecs fréquents au lancement, ont pris l'habitude de tester de manière progressive les nouvelles fusées avant de les considérer comme opérationnelles.Wernher von Braun et ses ingénieurs comptent appliquer la même méthode pour la mise au point de la fusée Saturn V : les premiers lancements utiliseront des étages supérieurs inertes et le premier vol avec équipage sera précédé par six tests. MaisGeorge Mueller, responsable du programme spatial habité à la direction de la NASA, a calculé que cette méthode ne permettait pas de respecter l'échéance fixée et se traduisait par des coûts incompatibles avec le budget disponible[Note 2]. Dans son emploi précédent, Mueller a participé à la mise au point desmissiles balistiques intercontinentauxTitan etMinuteman qui pour la première fois appliquent le concept duall-up. Celui-ci consiste à tester dès le premier vol d'une fusée l'ensemble de ses composants dans leur configuration définitive. En, Mueller transmet aux responsables des établissements de la NASA un nouveau cadencement du programme Apollo reposant sur la mise en œuvre de la méthode duall-up. La fusée Saturn V doit dès son premier vol utiliser l'ensemble de ses étages ainsi qu'un vaisseau Apollo opérationnel. Un équipage est embarqué dès le troisième vol. Dans les centres concernés et particulièrement à Marshall, les ingénieurs et techniciens sont initialement complètement opposés à cette méthode compte tenu des difficultés rencontrées dans la mise au point de plusieurs composants essentiels, qui, disent-ils, imposent une démarche plus progressive. Mais von Braun, bien que réticent initialement, se range à cette décision qui est mise en œuvre par la suite et contribuera finalement au succès du programme[14].
Choix du site et du processus d'assemblage final et de lancement
Le problème soulevé par le lancement d'une fusée géante est étudié par l'agence spatiale américaine dès 1958. Le décollage de celle-ci se traduit par un niveau sonore très élevé et un risque d'explosion aux conséquences cataclysmiques qui imposent d'éloigner les installations de lancement des zones habitées. Des solutions originales sont proposées comme l'implantation dupas de tir sur underrick à bonne distance des côtes ou sur uneîle artificielle. Mais une étude effectuée au printemps 1961 conclut que la taille du lanceur n'impose pas un lancementoffshore[15]. Le concept deplateforme de lancement mobile est mis au point pour la fusée Saturn V. Les lanceurs sont à l'époque assemblés sur le pas de tir ce qui immobilise celui-ci sur une période de deux mois. La direction des lancements de la NASA (LODLaunch Operations Directorate) propose d'assembler la fusée dans un bâtiment dédié puis de l'amener sur le pas de tir pour une dernière vérification avant le lancement. Ce scénario, combiné avec l'automatisation des tests, permet de limiter la durée d'immobilisation du pas de tir à 10 jours et de protéger le lanceur des intempéries et des embruns salés durant une grande partie des préparatifs. Une étude est effectuée en[Note 3] pour comparer les deux méthodes d'assemblage avec l'option d'un transfert de la fusée à l'horizontale ou à la verticale. Elle met en évidence que le surcoût des installations et équipements nécessaires pour un assemblage à distance du pas de tir est largement amorti lorsque la fréquence des lancements est élevée (48 tirs par an)[16].
Pour développer et tester, la NASA crée de nouvelles installations adaptées à la dimension du projet :
Lecentre de vol spatial Marshall (George C. Marshall Space Flight Center ou MSFC), situé près deHuntsville dans l'Alabama, transféré en 1960 à la NASA et dirigé par Von Braun, joua un rôle central dans le développement de la fusée, dont il assura la conception et la qualification. On y trouvait des bancs d'essais, des bureaux d'étude et des installations d'assemblage. Les premiers exemplaires de la fuséeSaturn I y furent construits, avant que le reste de la production soit confié à l'industrie. Il emploiera jusqu'à 20 000 personnes[18],[19].
LeLangley Research Center (1914), situé àHampton (Virginie) abritait de nombreuses souffleries. Il servit jusqu'en 1963 de siège au MSC et continua, par la suite, à abriter certains simulateurs du programme.
Installations
Premier étage de la fusée Saturn V, en cours d'assemblage dans l'usine de Michoud.
Bancs d'essais des étages S1 et S2, au Stennis Space Center (1967).
Construction du bâtiment d'assemblage du lanceur (VAB) au centre spatial Kennedy (1965).
La fuséeSaturnV après deux vols sans équipage destinés à tester son fonctionnement et trois vols destinés à tester les vaisseaux et les manœuvres, a été utilisée à sept reprises pour remplir l'objectif duprogramme Apollo c'est-à-dire le transport d'un équipage d'astronautes jusqu'à la surface de laLune. Les trois derniers vols (Apollo 15 àApollo 17) sont effectués avec une version du lanceur optimisée qui permet de lancer environ 2,2 tonnes de plus vers la Lune réparties à peu près à parts égales entre levaisseau Apollo et lemodule lunaire Apollo. Cette version permet aux astronautes de prolonger leur séjour sur la Lune et de disposer d'un véhicule motorisé à la surface de celle-ci (lerover lunaire Apollo). Le gain en charge utile est obtenu principalement en optimisant le fonctionnement du premier étage de la fusée : les moteurs F1 fonctionnent désormais jusqu'à épuisement de l'oxygène (moteurs situés à périphérie) ou ont une durée de fonctionnement prolongée (moteur central), le nombre de rétrofusées assistant la séparation de l'étage passe de huit à quatre[20],[21].
Les missionsApollo 6 etApollo 13 ont connu des pannes moteurs, mais les ordinateurs de bord ont été capables de compenser celles-ci en faisant fonctionner les autres moteurs restants plus longtemps. Tous les lancements effectués avec la fusée Saturn V remplissent leurs objectifs en plaçant leurcharge utile sur l'orbite ou la trajectoire souhaitée.
La NASA se préoccupedès 1963 de la suite à donner au programmeApollo et donc de son lanceur super lourd Saturn V. En 1965, l'agence crée une structure affectée aux missions postérieures à celles déjà planifiées regroupées sous l'appellationApollo Applications Program (AAP)[22]. La NASA propose plusieurs types de mission dont le lancement en orbite d'unestation spatiale, des séjours prolongés sur la Lune mettant en œuvre plusieurs nouveaux modules dérivés du module lunaire, une mission habitée versMars[23], lesurvol de Vénus par une mission habitée[24], etc. Mais les objectifs scientifiques trop vagues ne réussissent pas à convaincre leCongrès américain beaucoup moins motivé par les programmes spatiaux « post-Apollo ». Par ailleurs, les priorités desÉtats-Unis ont changé : les dispositifs sociaux mis en place par le présidentLyndon Johnson dans le cadre de saguerre contre la pauvreté (Medicare etMedicaid) et surtout un conflit vietnamien qui s'envenime prélèvent une part croissante du budget. Ce dernier ne consacre aucun fonds à l'AAP pour lesannées 1966et 1967. Les budgets votés par la suite ne permettront de financer que le lancement de lastation spatialeSkylab réalisée en utilisant un troisième étage de la fuséeSaturn V.
En 1970, le programmeApollo lui-même est touché par les réductions budgétaires : la dernière mission planifiée (Apollo 20) est annulée tandis que les vols restants sont étalés jusqu'en 1974. La NASA doit se préparer à se séparer de 50 000 de ses employés et sous-traitants (sur 190 000) tandis que l'on annonce l'arrêt définitif de la fabrication de la fuséeSaturn V qui ne survivra donc pas au programme. Un projet demission habitée vers Mars (pour un coût compris entre trois et cinq fois celui du programmeApollo) proposé par un comité d'experts sollicité par le nouveau président républicainRichard Nixon ne reçoit aucun appui ni dans la communauté des scientifiques ni dans l'opinion publique et est rejeté par le Congrès sans débat[25],[26]. Le, le responsable de la NASA, démissionnaire, annonce que les contraintes budgétaires nécessitent de supprimer deux nouvelles missionsApollo 18 etApollo 19[27],[28].
L'annulation des missions laisse trois fuséesSaturn V inutilisées dont l'une permettra néanmoins de lancer la station spatiale Skylab. Les deux restantes sont aujourd'hui exposées auJohnson Space Center et aucentre spatial Kennedy. La station spatiale Skylab est occupée successivement par trois équipages lancés par des fuséesSaturn IB et utilisant des vaisseauxApollo (1973). Une fuséeSaturn IB fut utilisée pour le lancement de la missionApollo-Soyouz qui emportait un vaisseau spatialApollo (1975). Ce sera la dernière mission à utiliser du matériel développé dans le cadre du programmeApollo.
Le programme Apollo dans son ensemble a coûté288 milliards d'US$ (valeur 2019 corrigée de l'inflation). Sur ce montant60 milliards d'US$ ont été dépensés pour développer le lanceur géant Saturn V,39 milliards d'US$ pour concevoir lemodule de commande et de service Apollo et 23,4 milliards d'US$ pour développer lemodule lunaire Apollo. Le solde a été utilisé pour construire les infrastructures, fabriquer les différents éléments (lanceurs, vaisseaux) et la gestion des missions[29].
LaSaturnV a été la fusée la plus grande de l'histoire spatiale de sa création jusqu'au 6 août 2021, date à laquelle leStarship, vaisseau spatial de la compagnieSpaceX du milliardaire Elon Musk a été assemblé fixant alors le record de la fusée la plus longue à 119 m.
SaturnV est haute de 110,6 mètres avec un diamètre de10 mètres, une masse totale supérieure à 3 000 tonnes au décollage et une capacité de mise en orbite enLEO (Low Earth Orbit) de140 tonnes[30]. Sans ergols mais avec sa charge utile, sa masse à vide est de209 tonnes, ce qui fait que 93% de sa masse au décollage est due à ses ergols (soit 2 829 tonnes d'ergols). Elle surpasse toutes les autres fusées ayant précédemment volé.
SaturnV est principalement conçue par lecentre de vol spatial Marshall àHuntsville, enAlabama. De nombreux composants majeurs, comme la propulsion, ont été conçus par des sous-traitants. Les moteurs utilisés par ce lanceur étaient les nouveaux et puissantsmoteurs F-1 etmoteurs J-2. Lorsqu'ils étaient testés, ces moteurs créaient des vibrations dans le sol qui pouvaient être ressenties à80 kilomètres à la ronde. L'ensemble des stationssismographiques des États-Unis étaient capables de percevoir les vibrations lors du décollage d'uneSaturnV. De plus, la fusée Saturn V serait la machine produite par l'Homme ayant généré le plus grand nombre de décibels, avec 204.7 dB[31].
Le lanceurSaturnV est composé de trois étages (le S-IC, le S-II et le S-IVB) et unecase à équipements située à son sommet. Les trois étages utilisent de l'oxygène liquide (LOX) comme oxydant. Le premier étage utilise dukérosène (RP-1) comme réducteur tandis que les deuxième et troisième étages utilisent de l'hydrogène liquide. Les deux étages supérieurs sont équipés de petits moteurs à poudre dits de « tassement » qui ont pour rôle de plaquer les ergols liquides au fond des réservoirs après le largage de l'étage inférieur lorsque le lanceur n'avance plus que par inertie. Il s'agit de permettre un bon fonctionnement des pompes aspirantes lors de la mise à feu des moteurs-fusées de l'étage. Enfin desrétrofusées sont utilisées lors du largage d'un étage pour l'éloigner du lanceur.
Principales caractéristiques des étages du lanceur
Cet étage faisait42 mètres de haut et10 mètres de diamètre, et fournissait une poussée de 3 500 tonnes propulsant la fusée pendant les67 premiers kilomètres d'ascension[33].
Premier étage
Le premier étage en exposition au Kennedy Space Center.
L'arrivée du premier étage pour l'expédition Apollo 10.
Test du premier étage.
Le réservoir de carburant est accouplé au réservoir d'oxygène liquide.
Le premier étage est propulsé par cinqmoteurs F-1 disposés en croix. Le moteur central est fixe, tandis que les quatre extérieurs, assistés de vérins hydrauliques, peuvent pivoter pour orienter la fusée. Le F-1 était un moteur-fusée de très grande puissance conçu parRocketdyne pour le lanceur. Les cinq moteurs F-1 utilisés sur Saturn V brûlent de l'oxygène liquide (LOX) et du kérosène (RP-1). Avec unepoussée de 6,7 MN (680 tonnes), le F-1 est encore aujourd'hui lemoteur-fusée àergols liquides et à chambre de combustion unique le plus puissant à avoir été mis en service. Le moteur russeRD-171 (1986) atteint une poussée supérieure (790 tonnes au sol) mais en utilisant 4chambres de combustion distinctes[38].
Moteur F-1
Quatre moteurs F-1 montés sur leur structure de poussée
Test statique d'un moteur F-1
Installation des moteurs sur le premier étage pour un test statique de l'ensemble de l'étage
Le SLA était composé de quatre panneaux fixes de 2,1 m boulonnés à lacase à équipements au-dessus dutroisième étage (S-IVB), qui étaient reliés par des charnières aux quatre panneaux de 6,4 m de haut et s'ouvraient d'en haut, semblables à des pétales de fleurs.
L'un des panneaux du SLA surApollo 7 ne s'est pas complètement ouvert à 45°.
Lors de la missionApollo 7 un panneau ne s'est pas complètement ouvert à 45 degrés, ce qui a soulevé des préoccupations, pour les futures missions lunaires, de la possibilité d'une collision entre le vaisseau spatial et les panneaux du SLA, pendant l'amarrage et l'extraction duLEM. Cela a conduit à une reconception du système d'ouverture à l'aide de charnière à ressort, pour libérer les panneaux à un angle de 45 degrés puis les expulser loin dutroisième étage (S-IVB) à une vitesse d'environ8km/h, offrant une distance de sécurité optimale pendant le retrait duCSM, sa rotation à 180°, l'amarrage du LEM et son extraction.
Charge utile : le vaisseau Apollo et le module lunaire
La fusée Saturn V est conçue autour d'un unique but : envoyer un équipage à la surface de la Lune. Pour remplir cet objectif, la fusée Saturn V doit injecter deux véhicules spatiaux sur une trajectoire les menant à la Lune : leModule de commande et de service (CSM), le vaisseau principal, et lemodule lunaire qui doit faire la navette entre l'orbite lunaire et la surface de notre satellite.
Le module de commande et de service (CSM) est un vaisseau de30 tonnes comprenant le module de service et le module de commande.
Le module de service de forme cylindrique comporte les réservoirs d'ergols, les piles à combustible, la tuyère principale, les RCS de manœuvre et l'antenne principale de communication. Une partie importante de sa masse est représentée par sa propulsion qui fournit undelta-v de2 800m/s.
Le module de commande est un habitacle de forme conique appelé aussi capsule. Il comporte 3 places utilisées par les trois astronautes durant la mission, sauf lorsque deux d'entre eux descendent sur la Lune au moyen du module lunaire. Seule cette partie d'une masse de 6,5 tonnes revient sur Terre[42].
Lemodule lunaire est le vaisseau utilisé pour descendre à la surface de la Lune, y séjourner et remonter en orbite. D'une masse de 14,5 tonnes, il comporte deux étages : un étage de descente permet d'atterrir sur la Lune et sert par ailleurs de plate-forme de lancement au deuxième étage, l'étage de remontée où séjournent les deux astronautes, qui reconduit les astronautes au vaisseau Apollo en orbite à la fin de leur expédition à la surface de la Lune[43].
Latour de sauvetage est un dispositif destiné à éloigner le vaisseau spatial du lanceurSaturn V si celui-ci subit une défaillance durant les premières phases du vol. Le recours à des sièges éjectables, utilisé sur le vaisseau spatial Gemini, est exclu compte tenu du diamètre de la boule de feu que créerait l'explosion de la fuséeSaturn V. La tour de sauvetage est constituée d'un propulseur à poudre situé au bout d'un treillis métallique lui-même perché au sommet du vaisseau Apollo. En cas d'incident, le moteur-fusée de la tour arrache le vaisseau de la fusée tandis qu'un petit propulseur l'écarte de la trajectoire de la fusée. La tour est alors larguée et le vaisseau entame sa descente en suivant une séquence similaire à celle d'un retour sur Terre. Si le lancement se déroule sans problème, la tour est éjectée lorsque le deuxième étage de la fusée Saturn est mis à feu[44],[45].
Les installations de lancement du centre spatial Kennedy
Plan du complexe de lancement 39 du centre spatial Kennedy à l'époque du programme Apollo.VAB : Bâtiment d'assemblage des fusées Saturn VLP-A : Pas de tir A -LP-B : Pas de tir B -1 : Bassin d'évitage -2 : Lieu de stockage de l'azote et de l'hélium -3 : Canal (couleur bleue foncée) -4 : Voie empruntée par les plateformes de lancement (couleur marron) -5 : Aire de parking des tours de service -6 : Transformateurs / compresseurs -7 : Site de stockage des équipements pyrotechniques -8 : Aire de maintenance des plateformes de lancement -L : Lagunes.Le crawler et la plateforme de lancement mobile. Le personnage au pied de l'ensemble donne l'échelle.La salle de contrôle de lancement n°2 du LCC lors du décollage d'Apollo 12.
Les fusées Saturn V décollent depuis le centre spatial Kennedy qui a été entièrement conçu dans ce but. Dans le centre sont assemblés les étages de la fusée ainsi que sa charge utile, l'ensemble est testé puis amené sur le pas de tir pour une répétition avant le lancement proprement dit. Le centre contrôle l'ensemble des opérations jusqu'au décollage du lanceur.
Le cœur du centre spatial est le « complexe de lancement 39 » qui comprend un immensebâtiment d'assemblage, leVAB (hauteur de140 mètres), dans lequel quatre fusées Saturn V pouvaient être préparées en parallèle[Note 4]. Ce bâtiment jouxte un canal qui permet d'amener par péniche jusqu'à leur lieu d'assemblage les deux premiers étages. Cette voie d'eau de 20 kilomètres de long est large de 38 mètres et profonde de 3 mètres. Elle relie le complexe à la Banana River qui est une voie navigable communiquant avec l'Océan Atlantique. Les autres installations du complexe de lancement comprennent le centre de contrôle du lancement (LCC) et deux pas de tir (A et B) distants d'environ 5 kilomètres[46].
Le VAB est composé en fait de deux bâtiments accolés : une partie haute subdivisée en quatre sous-ensembles pouvant chacun permettre d'assembler une fusée Saturn V à la verticale et une partie basse dans laquelle sont testés les deux étages supérieurs (le premier étage est directement testé dans la partie haute). Une allée centrale traversant les deux bâtiments est utilisée pour réceptionner tous les composants et les transférer grâce à un pont roulant pouvant soulever 175 tonnes jusqu'à une hauteur de 50 mètres. La fusée est assemblée dans une des quatre baies d'assemblage sur uneplateforme de lancement mobile, structure en acier de41 mètres sur49 mètres, haute de 7,6 mètres et pesant 3 730 tonnes. Pour les opérations d'assemblage les opérateurs disposent de plateformes mobiles qui peuvent entourer la fusée à différentes hauteurs et de deuxponts-roulants fixés au sommet de la structure permettant de soulever 250 tonnes. Sur la plateforme une tour ombilicale haute de120 mètres comporte huit bras mobiles échelonnés sur toute sa hauteur qui permettent de réaliser les multiples connexions nécessaires jusqu'au lancement (liaisons électriques, pneumatiques, air conditionné, alimentation des différents réservoirs (ergols,hélium...) ainsi qu'une passerelle permettant à l'équipage d'accéder au vaisseau Apollo. La tour ombilicale comprend de nombreux équipements destinés à contrôler les fluides qui y circulent, deux ascenseurs rapides desservant 18 étages ainsi qu'une grue placée à sommet qui permet de soulever une charge comprise entre 10 et 25 tonnes[47].
Une fois la fusée assemblée, l'ensemble formé par celle-ci, la plateforme et la tour ombilicale est déplacé vers l'un des deux pas de tir éloigné de 5 km à l'aide d'un engin spécialement conçu pour cela, letransporteur « crawler » qui est placé sous la plateforme. Le crawler est un engin gigantesque de 2 700 t monté sur quatrebogies à deux chenilles chacun dont la conception est basée sur un engin employé dans les mines à ciel ouvert. Entre le VAB et les pas de tir, il circule sur une voie de 57 mètres de large réalisée en entassant deux couches de matériaux sur deux mètres d'épaisseur pouvant résister à la pression exercée par l'énorme véhicule (58 tonnes au m2)[48].
Plusieurs autres bâtiments jouant un rôle central dans la préparation et le lancement de la fusée Saturn V, sont situés dans la zone industrielle construite au sud du VAB. Pour contrôler les tests des lanceurs et le lancement proprement dit, le complexe 39 dispose de quatre salles de lancement (une par lanceur en cours de préparation) installées au troisième étage d'un bâtiment bas (le LCC) situé près du VAB et relié à celui-ci par une passerelle[Note 5]. Chaque salle de lancement est équipée de plus de 200 consoles organisées en 7 rangées permettant aux techniciens de surveiller et d'intervenir sur les différents paramètres de fonctionnement du lanceur. Un bâtiment (O&C pourOperation and Checkout) est consacré au contrôle du vaisseau Apollo et du module lunaire. Il comprend notamment unesalle blanche et deux chambres à vide de 17 mètres de haut pour 10 mètres de diamètre permettant de tester le fonctionnement de l'ensemble de la charge utile (vaisseau Apollo et module lunaire) dans l'espace. Le bâtiment de l'instrumentation est un ouvrage dans lequel sont centralisés tous les équipements informatiques utilisés pour effectuer les tests et collecter les paramètres de fonctionnement. Immédiatement à l'ouest du O&C se trouve le siège du centre Kennedy[50].
Le centre Kennedy est utilisé pour la première fois lors du lancement de la missionApollo 4 en 1967. Désaffecté à la suite de l'arrêt du programme Apollo, le complexe de lancement est converti pour le lancement de lanavette spatiale américaine. Il sera utilisé par celle-ci de son premier vol en 1981 jusqu'à son retrait en 2011. Il a été depuis cette date reconverti pour le lancement de la fuséeFalcon Heavy et du lanceur super lourdSLS[18],[51].
Installations du centre spatial Kennedy
LaSaturnV sur sa plateforme de lancement quittant le VAB en arrière plan (Apollo 10, 1969).
La Saturn V attaque la rampe du pas de tir construit au sommet d'une petite colline artificielle. Notez l'inclinaison de la plateforme maintenant la fusée verticale (Apollo 11, 1969).
La Saturn V sur sa plateforme de lancement en route pour le pas de tir apparaissant en arrière plan au loin (Apollo 14, 1970).
Schéma du VAB à l'époque du programme Apollo :H : Partie haute du VAB comprenant les quatre baies d'assemblage du lanceur -L : Partie basse du VAB -E : Arrivée des composants de la fusée -T : Allée traversant les deux bâtiments (haut et bas) et utilisée pour le transfert des composants vers les cellules de vérification des étages 2 et 3 (V) et vers les quatre baies d'assemblage (deux d'entre elles sont indiquéesHB2 etHB4) -P Plateforme de lancement mobile sur laquelle est assemblée la fusée en position verticale -C Centre de contrôle des lancements (LCC) -R : Voie utilisée par le crawler pour transporter la fusée assemblée jusqu'au pas de tir.Le lanceur Saturn V de la missionApollo 12 en train de franchir la porte du VAB pour se diriger vers le pas de tir. Cette vue permet de distinguer les différents bras de la tour ombilicale ainsi que les plateformes à l'intérieur de la baie d'assemblage du VAB.La tour de service est amenée par le crawler jusqu'au pas de tir sur lequel est déjà installé le lanceur Saturn V.Deux des bras de la tour ombilicale (non visible) sont fixés au vaisseau Apollo qui se trouve sur le pas de tir au sommet de la fusée Saturn V. Un de ces bras est celui permettant aux astronautes de s'installer dans leur capsule. Au fond le sommet de la tour de service.
À leur arrivée dans le VAB, les deux derniers étages ainsi que lacase à équipements sont contrôlés (système hydraulique, conduites d'ergols, capteurs des conduites d'ergols, isolation) dans la partie basse du VAB avant d'être transférés à l'aide d'unpont roulant jusqu'à l'une des quatre baies de la partie haute du VAB où est assemblée la fusée. Les étages sont ensuite fixés au sommet du premier étage qui lui a été placé, dès sa réception, sur la plateforme de lancement. Pour optimiser la durée de l'assemblage des fusées, la NASA a fait construire des maquettes d'étage qui peuvent être mises à la place de ceux-ci si l'un d'entre eux était retardé. Ces structures ont la même hauteur et la même masse et contiennent les mêmes connexions électriques que leurs modèles. Les étages sont assemblés les uns avec les autres ainsi que lacharge utile (vaisseaux Apollo) et latour de sauvetage. Les liaisons avec la tour ombilicale. Chaque étage est testé individuellement (circuits électriques, hydrauliques, conduites d'ergols, instrumentation, systèmes d'auto-destruction). Une fois tous les étages testés individuellement, trois tests de l'ensemble de la fusée sont réalisés. Le premier consiste à vérifier le fonctionnement des différents systèmes (pneumatique, électrique, etc.), le deuxième consiste à simuler pour chacun de ces systèmes les opérations de lancement et du vol. Enfin un dernier test simule le fonctionnement de l'ensemble de la fusée durant une mission[53].
Trois semaines avant le lancement, la fusée Saturn V est convoyée jusqu'au pas de tir. Une fois la plateforme de lancement positionnée, plusieurs répétitions du lancement sont effectuées. La plus importante reproduit exactement la séquence des opérations d'un lancement mais s'arrête juste avant la mise à feu des moteurs du premier étage. Durant ce test, les batteries électriques sont chargées, les réservoirs des trois étages et ceux du vaisseau sont remplis et mis sous pression tandis que l'équipage est installé à bord du vaisseau Apollo. Tout au long du déroulement de cette simulation, l'ensemble des paramètres de fonctionnement sont contrôlés par les opérateurs de la salle de contrôle du centre spatial Kennedy (chargés du lancement) et par ceux du centre spatial de Houston (chargés du suivi de la mission en vol). Cette procédure minutieuse explique au moins en partie le succès des lancements de la fusée qui n'a connu aucun échec durant toute sa carrière[54].
Lafenêtre de lancement des missions lunaires doit prendre en compte de nombreuses contraintes. Le vaisseau Apollo doit se poser sur le sol de la Lune au début de la journée lunaire (1jour lunaire =28 jours terrestres) pour bénéficier de conditions d'éclairage et de température optimales. Une deuxième contrainte concerne le moment de la mise à feu du troisième étage pour l'injection des vaisseaux Apollo vers la Lune. Les opérateurs veulent pouvoir suivre en temps réel cette manœuvre et le fonctionnement du vaisseau dans les heures suivantes au cas où un incident nécessiterait une interruption de la mission. Pour des raisons liées à lamécanique spatiale, la mise à feu doit être effectuée lorsque le vaisseau survole la face de la Terre à l'opposé de celle de la Lune. Pour bénéficier de la couverture radio souhaitée, il faut que cette mise à feu se fasse au-dessus d'Hawaï ce qui permet aux stations terriennes situées plus à l'est de prendre le relais durant les heures suivantes. Enfin cette mise à feu doit se faire dans les trois heures suivant le lancement pour limiter l'évaporation desergolscryogéniques du troisième étage. La fenêtre de lancement résultant de toutes ces contraintes est limitée à quelques heures d'une unique journée du mois lunaire. Pour que cette condition ne soit pas trop contraignante, certaines missions lunaires disposent d'un ou plusieurs sites d'atterrissage de rechange (deux pour Apollo 11) permettant un lancement deux à trois jours plus tard[55].
Le remplissage des réservoirs débute 13 heures avant le lancement. C'est d'abord le réservoir dekérosène du premier étage qui est rempli car celui-ci ne s'évapore pas à température ambiante. Les ergols cryogéniques, qui doivent être stockés dans les réservoirs à des températures extrêmement basses pour rester liquides[Note 6] (−183 °C pour l'oxygène servant de comburant pour les trois étages et−253 °C pour l'hydrogène utilisé comme combustible par les deuxième et troisième étage), ne sont chargés que dans les dernières heures et nécessitent de suivre des procédures spéciales. L'air est au préalable expulsé des réservoirs d'hydrogène par de l'hélium sous pression pour éviter que de l'azote gèle et ne vienne contaminer cet ergol. Les opérateurs font descendre ensuite progressivement la température des parois des réservoirs cryogéniques en introduisant l'ergol en petites quantités. Lorsque celui-ci ne s'évapore plus au contact des parois, la vitesse de transfert est augmentée jusqu'à sa valeur nominale. Une fois les réservoirs des ergols cryogéniques pleins, le remplissage se poursuit à petite vitesse pour compenser les pertes par évaporation. Quelques minutes avant le décollage, les évents, qui permettent aux vapeurs de s'échapper des réservoirs, sont fermés. L'alimentation est alors interrompue ce qui fait monter la pression dans les réservoirs aux valeurs nécessaires pour permettre au processus d'alimentation de se mettre en marche au moment de l'allumage des moteurs-fusées[56].
Trois heures avant le lancement, les astronautes de l'équipage empruntent l'un des ascenseurs de la tour ombilicale de la plateforme de lancement qui les amène à100 mètres au-dessus de celle-ci. Ils empruntent alors l'un des bras reliant la tour à la fusée pour rejoindre une pièce baptiséesalle blanche (son environnement est contrôlé) donnant accès à l'écoutille du vaisseau Apollo. Une fois l'équipage installé dans le vaisseau et l'écoutille refermée, les techniciens ayant assisté les astronautes se retirent et le bras pivote de 12 degrés pour s'écarter du lanceur tout en restant à une distance suffisamment faible pour permettre une évacuation rapide de l'équipage en cas d'anomalie sur la fusée. Quatre minutes avant le lancement, le bras est complètement rétracté. 17 secondes avant le lancement, lacentrale à inertie de la fusée, qui doit permettre de déterminer la position et la trajectoire suivie par celle-ci, est réalignée[Note 7],[57].
Un des quatre bras mobiles qui retiennent la fusée Saturn V sur la plateforme de lancement mobile jusqu'à son lancement. Les quatre bras supportent les 3 000 tonnes du lanceur au repos et peuvent résister à une poussée totale de 1 400 tonnes au décollage.Décollage de la fusée Saturn V de la missionApollo 15.
Les moteurs du second étage sont allumés en deux temps. Après la séparation, des fusées à propergol solide impriment durant4 secondes une accélération au lanceur qui n'avance plus que sur son inertie depuis la séparation avec le premier étage. L'objectif est de plaquer les ergols au fond des réservoirs pour que les moteurs du second étage soient alimentés correctement lorsqu'ils seront allumés. Puis les cinq moteurs J-2 sont allumés. Le nombre de ces fusées de tassement a varié selon les missions : huit pour les deux premiers vols, puis quatre pour les vols suivants. Environ30 secondes après la séparation avec le premier étage, la jupe située entre les deux étages, qui sert également de support auxfusées de tassement, est larguée pour alléger le lanceur. Cette manœuvre de séparation demande une grande précision, car il ne faut pas que cette pièce cylindrique qui entoure les moteurs et qui en est distante de seulement1 mètre touche ceux-ci au passage. Au même moment, latour de sauvetage qui est fixée au sommet du vaisseau Apollo pour arracher celui-ci au lanceur en cas de défaillance est larguée[60].
Séparation de l'anneau inter-étage. Image extraite du film de laNASA sur la missionApollo 6.
Environ38 secondes après l'allumage du second étage, le système de guidage du lanceur passe d'un système de guidage préenregistré qui lui imposait une trajectoire précise à une navigation autonome pilotée par les ordinateurs de bord assistés par les instruments de la case à équipements, tels que les accéléromètres et les instruments de mesure de l'altitude. L'équipage peut reprendre les commandes si les ordinateurs de bord sortent des limites des trajectoires acceptables : il peut soit annuler la mission soit prendre le contrôle manuel du lanceur. Environ90 secondes avant l'arrêt du deuxième étage, le moteur central s'éteint pour réduire les oscillations longitudinales connues sous le nom d'« effet pogo ». Un système d'atténuation de l'effet pogo fut mis en place à partir d'Apollo 14, mais on continua à éteindre le moteur central comme lors des vols précédents. À peu près au même moment, le débit de l'oxygène liquide est réduit, modifiant le ratio de mélange des deux ergols pour garantir qu'il reste aussi peu d'ergols que possible dans les réservoirs à la fin du vol du second étage. Cette opération était réalisée pour une certaine valeur deDelta-V. Lorsque deux des cinq capteurs situés au fond des réservoirs ont détecté l'épuisement des ergols, les systèmes de contrôle de la fuséeSaturnV initient la séquence de largage du deuxième étage. Une seconde après l'extinction du deuxième étage, ce dernier se sépare, et un dixième de seconde plus tard le troisième étage s'allume. Des rétrofusées à poudre montées sur l'inter-étage au sommet du deuxième étage sont mises à feu pour écarter le second étage vide en l'éloignant du reste du lanceur. L'étage S-II retombe à environ 4 200 km du site de lancement[61].
La manœuvre TLI intervient environ2 heures et demie après le lancement : le moteur du troisième étage est rallumé pour propulser le vaisseau spatial vers laLune. La propulsion du S-IVB durant6 minutes porte la vitesse des vaisseaux à plus de11km/s, ceux-ci peuvent ainsi s'échapper de l'attraction de la Terre pour se diriger vers la Lune.Quelques heures après la manœuvre TLI, lemodule de commande et de service Apollo (CSM) se sépare du troisième étage, pivote de180 degrés, puis s'arrime aumodule lunaire (LEM) qui était situé sous le CSM pendant la phase de lancement. Enfin le nouvel ensemble formé par le CSM et le LEM se détache du troisième étage. Le troisième étage pourrait présenter un danger pour la suite de la mission puisque les vaisseaux Apollo suivent la même trajectoire inertielle. Pour éviter tout risque de collision, les ergols restants dans les réservoirs du troisième étage sont évacués dans l'espace ce qui par réaction modifie sa trajectoire. À partir d'Apollo 13, les contrôleurs dirigent le troisième étage vers la Lune. Des sismographes déposés sur la Lune par de précédentes missions peuvent détecter les impacts des étages s'écrasant sur la Lune. Les données enregistrées ont contribué à l'étude de la composition intérieure de la Lune. AvantApollo 13 (saufApollo 9 etApollo 12), les troisièmes étages étaient placés sur une trajectoire passant à proximité de laLune qui les renvoyait vers une orbite solaire.Apollo 9 quant à lui fut dirigé directement vers une orbite solaire[63].
L'étage S-IVB d'Apollo 12 connut un destin tout différent. Le,Bill Yeung découvrit un astéroïde suspect à qui il donna le nom provisoire deJ002E3. Il se révéla être en orbite autour de la Terre, et il fut rapidement découvert par analyse spectrale qu'il était couvert d'une peinture blanche de dioxyde de titane, la même que celle utilisée pourSaturnV. Les contrôleurs de mission avaient prévu d'envoyer le S-IVB d'Apollo 12 en orbite solaire mais l'allumage moteur après la séparation du vaisseau Apollo dura trop longtemps et le troisième étage passa trop près de la Lune et finit sur une orbite à peine stable autour de la Terre et de la Lune. On pense qu'en 1971, à la suite d'une série de perturbations gravitationnelles, le S-IVB se plaça sur une orbite solaire puis revint sur une orbite terrestre31 ans plus tard. En, ce troisième étage quitta l'orbite terrestre[64].
Contrairement à ce qui se passe à l'époque en Union soviétique, la NASA a choisi une politique de transparence qui s'applique en particulier au programme Apollo. Un accident entraînant une perte de vies humaines ne peut qu'avoir un impact important sur l'image de l'agence spatiale aux États-Unis et sur celle du pays dans le reste du monde (en particulier dans le contexte de laguerre froide). La survie de l'équipage en cas de défaillance du lanceur constitue donc un objectif très important pour la NASA[Note 8]. Les responsables de l'agence spatiale ont posé comme principe qu'à chaque étape d'une mission il devait y avoir au moins une procédure permettant à l'équipage de survivre à une défaillance de la fusée Saturn V[65] :
Dans les heures précédant le lancement, alors que les astronautes sont installés dans le vaisseau Apollo, le lanceur, dont les ergols sont en cours de chargement, est particulièrement vulnérable à un début d'incendie. Les astronautes disposent de deux méthodes pour tenter d'échapper à une éventuelle explosion du lanceur. La méthode privilégiée consiste à revenir dans la tour ombilicale puis embarquer dans une nacelle comportant 9 places située au même niveau que le bras reliant la tour au vaisseau. Cette nacelle coulisse alors le long d'un câble qui l'amène au sol à une distance de 1 000 mètres du pas de tir. Là, les astronautes peuvent trouver refuge dans un blockhaus. La deuxième méthode consiste à descendre avec l'ascenseur rapide de la tour ombilicale jusqu'au niveau de la plateforme puis jusqu'au niveau du pas de tir par un deuxième ascenseur. Si le risque n'est pas trop élevé, l'équipage embarque alors dans un blindé qui est stationné là et qui les emmène à une distance suffisante du pas de tir. Si le temps est compté, les astronautes se jettent dans une ouverture située sur la plateforme près du palier de l'ascenseur rapide. Ils dégringolent alors le long d'une glissière qui est en communication avec un tunnel foré dans le socle en béton du pas de tir. Ils sont ralentis et arrivent à l'entrée d'une salle blindée qui est conçue, une fois la porte blindée refermée, pour résister à l'explosion de la fusée et qui permet d'accueillir 20 personnes pendant 24 heures. Un long tunnel, qui débouche à 300 mètres de là, permet d'évacuer la salle et est également utilisé pour renouveler l'air[66].
Durant les premières minutes de vol jusqu'à l'allumage du deuxième étage, la fusée n'a pas atteint une altitude suffisante et est soumise à des forces aérodynamiques importantes qui ne permettent pas au vaisseau Apollo contenant l'équipage de se contenter de déclencher la séparation avec la fusée Saturn V en cas d'incident grave. Durant cette phase un ensemble demoteurs-fusées à propergol solide regroupées dans latour de sauvetage qui coiffe le vaisseau Apollo est chargé d'éloigner celui-ci du lanceur puis de lui faire parcourir une parabole en lui donnant le temps de déployer un parachute dans de bonnes conditions d'orientation. Si l'éjection a lieu durant les 42 premières secondes de vol, les fusées de la tour de sauvetage éloignent le vaisseau du pas de tir en direction de la mer pour que celui-ci ne retombe pas dans les débris du lanceur. Une fois son office rempli, la tour de sauvetage est éjectée pour que le parachute puisse se déployer. Au-delà de 42 secondes le vaisseau a atteint une vitesse hypersonique et le problème est désormais de pouvoir éjecter la tour de sauvetage, une fois que celle-ci a effectué son travail. Dans ce mode, des ailerons canard sont déployés pour freiner le vaisseau et permettre l'éjection. Au-delà d'une altitude de 30 kilomètres, les ailerons canard ne sont plus efficaces car l'atmosphère est devenue trop ténue : ce sont des petits moteurs-fusées qui sont actionnés pour modifier l'orientation du vaisseau Apollo et permettre le largage de la tour de sauvetage[67].
Une fois le deuxième étage allumé, la tour de sauvetage est larguée. Si la fusée Saturn V est victime d'une défaillance à ce stade, les forces aérodynamiques sont suffisamment faibles pour que le vaisseau Apollo puisse s'éloigner et s'écarter de la fusée en utilisant uniquement ses moteurs-fusées puis redescendre vers l'Océan Atlantique en déployant son parachute[68].
Si un incident se produit au bout de 6 minutes de vol, le vaisseau Apollo dispose de suffisamment de puissance (en utilisant le moteur de son module de service) pour se placer en orbite autour de la Terre mais ne peut toutefois pas accomplir sa mission lunaire[69].
En cas de défaillance en vol nécessitant la destruction de la fusée, le lanceur Saturn V dispose d'un système facilitant la dispersion des ergols afin d'éviter qu'ils ne forment un mélange explosif. Celui-ci est activé une fois que le vaisseau Apollo contenant l'équipage s'est séparé du lanceur grâce à l'action de latour de sauvetage. Le responsable de la sécurité du vol transmet par radio un ordre d'interruption de la mission, qui est reçu par des antennes situées au sommet de chaque étage et qui sont elles-mêmes reliées aux systèmes de destruction. Ceux-ci déclenchent alors la mise à feu de cordons explosifs placés sur les réservoirs qui les éventrent en libérant les ergols[70].
Le développement de la fusée Saturn V avait pris du retard du fait de nombreux problèmes touchant en particulier le deuxième étage S-II : excès de poids, phénomènes de vibration (effet pogo), etc. Les déboires du vaisseau spatial Apollo (incendie du vaisseauApollo 1) permirent au lanceur de rattraper son retard. Traditionnellement, les nouveaux lanceurs étaient testés en vol étage par étage et le lancement de la fusée Saturn V du fait de sa taille et de sa complexité constituait un risque particulièrement important. Pour tenir les objectifs fixés par le président Kennedy en 1961 d'envoyer un homme sur la Lune avant la fin de la décennie 1960, le responsable de la NASA,George Mueller, fait le choix audacieux de lancer dès son premier vol la fusée Saturn V complète (procédure de testAll-up) en mettant en place l'organisation permettant de réussir ce pari. Deux vols sans équipage ont lieu pour valider le fonctionnement du lanceur mais également du vaisseau spatial Apollo[71].
Apollo 4 (), mission non habitée, premier essai du lanceur Saturn V.
La mission Apollo 4 est le premier vol du lanceur géant. Afin de recueillir un maximum d'informations sur le comportement de la fusée, 4 098 capteurs sont installés. Le premier lancement de Saturn V est un succès complet[72].
Le premier vol habité n'a lieu qu'en (missionApollo 7, lancée par lafuséeSaturn IB), mais les missions destinées à valider le fonctionnement des différents composants du programme et à effectuer une répétition presque complète d'une mission lunaire, se succèdent rapidement. Trois missions préparatoires utilisant le lanceur Saturn V se déroulent sans anomalie majeure sur une période de5 mois[74].
La mission Apollo 8 est le premier vol habité à quitter l'orbite terrestre. À ce stade d'avancement du programme, il s'agit d'une mission risquée car une défaillance du moteur du vaisseau Apollo au moment de sa mise en orbite lunaire ou de son injection sur la trajectoire de retour aurait pu être fatale à l'équipage d'autant plus que le module lunaire a été remplacé par une maquette[75].
Apollo 9 constitue le premier essai en vol de l'ensemble des équipements prévus pour une mission lunaire : fusée Saturn V, module lunaire et vaisseau Apollo. Les astronautes effectuent toutes les manœuvres de la mission lunaire tout en restant en orbite terrestre[76].
Les dirigeants de la NASA envisagent que cette mission soit celle du premier atterrissage sur le sol lunaire, car l'ensemble des véhicules et des manœuvres a été testé sans qu'aucun problème majeur n'ait été détecté. Mais, dans la mesure où lessoviétiques ne semblaient pas préparer de mission d'éclat, ils préférèrent opter pour une dernière répétition au réalisme encore plus poussé. Peu après avoir quitté son orbite terrestre basse, le vaisseau Apollo exécute la manœuvre d'amarrage auLEM. Après s'être séparé du troisième étage de Saturn V, il effectue une rotation à 180° puis arrime son nez au sommet du module lunaire avant de l'extraire de son carénage. Une fois le train spatial placé en orbite autour de la Lune, le module lunaire, surnommé « Snoopy », entame la descente vers le sol lunaire qui est interrompue à 15,6 km de la surface[77].
Les sept missions suivantes lancées entre 1969 et 1972 ont toutes pour objectifs de poser un équipage en différents points de la Lune, présentant un intérêt géologique.Apollo 11 est la première mission à remplir l'objectif fixé par le président Kennedy.Apollo 12 est une mission sans histoire, contrairement àApollo 13 qui, à la suite d'une explosion dans le module de service, frôle la catastrophe et doit renoncer à se poser sur la Lune. La NASA a modifié le modèle de module lunaire emporté par les missions à partir d'Apollo 15 pour répondre aux attentes des scientifiques[78] : le séjour sur la Lune est prolongé grâce à des réserves de consommables plus importantes. Le module lunaire plus lourd transporte lerover lunaire qui accroît le rayon d'action des astronautes durant leurs sorties.
32 secondes après son décollage, la fusée Saturn V est frappée par la foudre, entraînant une perte temporaire de la puissance électrique. Le module lunaire fait un atterrissage de précision dans l'Océan des Tempêtes à 180 m de la sonde spatialeSurveyor 3[80].
Cette mission lunaire est interrompue à la suite de l'explosion d'un réservoir d'oxygène liquide situé dans le module de service d'Odyssey durant le transit de la Terre à la Lune. Heureusement, la trajectoire de transit Terre-Lune a été calculée pour que, en l'absence de manœuvre, le train spatial puisse revenir vers la Terre après avoir fait le tour de la Lune[81].
Au début du transit Terre-Lune, l'équipage ne parvient à amarrer lemodule CSM aumodule lunaire qu'après5 tentatives infructueuses, impliquant une longue période de tension pour l'équipage. Apollo 14 atterrit dans la région accidentée deFra Mauro qui était l'objectif initial d'Apollo 13[82].
Apollo 15 est la première mission à emporter un module lunaire alourdi grâce, entre autres, à l'optimisation du lanceur Saturn V. Le poids supplémentaire est principalement constitué par lerover lunaire et des consommables (oxygène et puissance électrique) embarqués à bord dumodule lunaire Apollo qui permettent d'allonger le séjour sur la Lune de 35 heures à 67 heures[83].
Apollo 17 est la dernière mission sur la Lune. L'astronauteEugene Cernan et son compagnonHarrison Schmitt, un géologue civil américain, le seul astronaute scientifique du programme Apollo à avoir volé, sont les derniers hommes à marcher sur la Lune[85].
La deuxième série deSaturnV, dont la fabrication a été annulée, aurait très certainement utilisé desmoteurs F-1A sur le premier étage, fournissant un surplus de poussée notable. Ceux-ci ont été longuement testés sur banc d'essais mais n'ont jamais volé. D'autres changements probables auraient été la suppression des ailettes (qui apportaient peu de bénéfices compte tenu de leur poids), un premier étage S-IC allongé pour supporter lesmoteurs F-1A plus puissants et desmoteurs J-2 améliorés pour les étages supérieurs[87].
Voyager Mars était initialement un programme d'exploration robotique élaboré dès 1960 par leJet Propulsion Laboratory qui devait permettre d'envoyer un orbiteur et un atterrisseur sur la planète Mars. Pour lancer les deux sondes spatiales, il est prévu d'utiliser une variante de la fuséeSaturn IB équipée d'un étage supérieurCentaur. Mais la découverte par les sondes Mariner de la faible densité de l'atmosphère martienne change la donne. La sonde spatiale Voyager est fortement alourdie par les ergols et équipements qui doivent lui permettre de poser sur le sol en douceur et le lanceur envisagé n'est plus capable de la placer en orbite. Les responsables de la mission doivent se tourner vers le lanceur Saturn V mais celui-ci a plus de six fois la capacité nécessaire (18 tonnes de charge utile pour Mars). Finalement le programme Voyager Mars sera annulé en 1967 pour des raisons budgétaires[90].
Sur ces troisSaturnV, seule celle du centre spatial Johnson est composée entièrement d'étages prévus pour un lancement réel. Le centre américain de l'espace et des fusées à Huntsville dispose également en exposition d'une réplique à l'échelle deSaturnV érigée à la verticale. Le premier étage du SA-515 se trouve aucentre d'assemblage Michoud en Louisiane. Le troisième étage du SA-515 quant à lui fut converti pour servir de rechange pourSkylab. Ce dernier est aujourd'hui visible au musée national américain de l'air et de l'espace.
En 2022, aucun autre lanceur spatial opérationnel n'a surpasséSaturnV en hauteur, en poids ou encharge utile[91]. Plusieurs lanceurs de la même classe ont volé (N-1 etEnergia soviétiques,Falcon Heavy etSLS) ou sont en cours de développement (Starship). D'autres n'ont jamais dépassé le stade de la planche à dessin (Nova,Ares V).
Aux États-Unis, les propositions pour une fusée plus grande queSaturnV étudiées de la fin desannées 1950 jusqu'au début desannées 1980 ont toutes porté le nom général deNova. On compte ainsi plus de trente projets portant sur différentes versions de ce lanceur, avec une charge utile enLEO pouvant aller jusqu'à450 tonnes. Un projet ultérieur prévoyait d'atteindre588 tonnes en 1977[92].
Wernher von Braun et d'autres avaient aussi des plans pour une fusée qui aurait eu huitmoteur F-1 sur son premier étage lui permettant d'envoyer un vaisseau spatial habité directement vers la Lune. D'autres variantes pourSaturnV suggéraient d'utiliser unCentaur comme étage supérieur ou d'ajouter des boosters d'appoint. Ces améliorations auraient augmenté sa capacité à envoyer de grands vaisseaux inhabités explorer les autres planètes ou des vaisseaux habités versMars.
Quatre tirs de laN1 furent réalisés entre 1968 et 1972. Tous furent des échecs dès la première phase du lancement, en particulier le second qui détruisit le pas de tir, et conduisirent à l'abandon du programme par les Soviétiques. Les systèmes informatiques embarqués de la fusée soviétique semblaient également moins performants. Au cours des volsApollo 6 etApollo 13,SaturnV fut capable de corriger sa trajectoire de vol malgré des incidents de perte de fonctionnement moteur. Au contraire, même si laN1 disposait également d'un système informatique conçu pour corriger les défauts de fonctionnement des moteurs, ce dernier manquait de fiabilité et ne parvint jamais à sauver un lancement de l'échec, étant même à une occasion à l'origine de l'échec du second tir en éteignant de manière impromptue tous les moteurs du premier étage, détruisant le lanceur et le pas de tir par la même occasion.
Fondamentalement, la principale cause de l'échec du programme N1 semble être le manque d'essais sur le bon fonctionnement simultané des30 moteurs de l'étage 1, insuffisance de précautions à son tour causée par des financements trop faibles.
Lanavette spatiale américaine génèrait unepoussée maximale de 3 100 tonnes au décollage[93] et pouvait théoriquement injecter29 tonnes de charge utile[94] (en excluant la navette elle-même) enorbite basse, soit environ le quart deSaturnV. Si on inclut la navette dans la charge utile, on montait à112 tonnes. Une comparaison équivalente serait la masse orbitale totale du troisième étage S-IVB deSaturnV, qui était de141 tonnes pour la missionApollo 15.
La fuséeEnerguia russe avait une poussée de 35,1 MN légèrement supérieure à celle de laSaturnV utilisée pour la mission SA-513 (Skylab), mais elle ne disposait que d'une capacité LEO de105 tonnes contre140 tonnes pour Saturn V. Elle ne réalisa que deux vols d'essais en raison de l'abandon du projet de navette spatiale soviétiqueBourane dont elle était le lanceur.
Falcon Heavy peut mettre 63,8 tonnes en orbite LEO (contre140 tonnes pour Saturn V). Son moteurMerlin a une poussée de 32 et 65 tonnes selon les versions (contre677 tonnes pour le moteurF-1 de Saturn V, qui utilisait les mêmes ergols l'oxygène liquide (LOX) etRP-1).
Le programme Constellation et le lanceur Ares V (2007)
Durant les années 2000 la NASA, sous l'impulsion du président des États-Unis, réactive le programme d'exploration de la Lune par des équipages humains (programme Constellation). Pour lancer les équipements les plus lourds, l'agence spatiale décide de développer le lanceur super-lourdAresV. Cette fusée utilisant des composants de la navette spatiale américaine aurait eu à peu près la même hauteur et la même masse queSaturnV. Le programme Constellation, insuffisamment financé, est arrêté par le président américain Barack Obama début 2010.
LeSpace Launch System est un lanceur super lourd, visant à remplacer les fuséesAres, présenté en 2011. Son but est de lancer des missions avec équipage vers la Lune et éventuellement d'autres destinations plus lointaines. Son premier vol a eu lieu le. Les111 mètres de hauteur de sa future versionBlock 2 Cargo sont comparables aux110 mètres deSaturn V. Sa poussée au décollage atteint 4 200 tonnes.
Néanmoins, son architecture est différente : il comporte deux étages et deux propulseurs d'appoint à propergol solide. Les deux étages sont cryotechniques. Le premier étage est propulsé par 4 moteursRS-25D/E dérivés desmoteurs SSME, le deuxième par 1 à 4RL-10 suivant la configuration. Quant aux propulseurs d'appoint, ils sont aussi dérivés de systèmes existants, en l'occurrence despropulseurs d'appoint à poudre de la navette spatiale américaine[95].
Starship, dénommé jusqu'en novembre 2018Big Falcon Rocket (BFR), est un lanceur super lourd entièrement réutilisable développé depuis 2017 par la sociétéSpaceX, forte du succès de ses lanceurs réutilisablesFalcon 9 etFalcon Heavy. Ce nouveau lanceur vise à abaisser les coûts d'accès à l'orbite mais aussi, à plus long terme, à un projet decolonisation de Mars envisagé dès 2002 par le fondateur deSpaceX,Elon Musk. Le Starship prend ainsi la suite du projet ITSInterplanetary Transport System (anciennement MCT,Mars Colonial Transporter) datant de 2016.
Le lanceur se compose de deux étages,Super Heavy etStarship, tous deux propulsés par des moteursRaptor consommant de l'oxygène liquide et duméthane liquide, au nombre de 33 sur Super Heavy et 6 (3 adaptés au fonctionnement au sol et 3 optimisés pour le fonctionnement dans le vide) sur Starship. L'ensemble permet de placer unecharge utile de 100 à 150 tonnes enorbite basse terrestre et près de 50 tonnes enorbite géostationnaire, ou 100 à 150 tonnes sur touteorbite après ravitaillement en orbite par unStarship Tanker. Après le lancement, le premier étage retourne se poser sur lepas de tir afin d'être réutilisé. Le second étage, une fois sa mission achevée, effectue unerentrée atmosphérique puis atterrit afin d'être réutilisé.
Le premier prototype à taille réduite du second étage, nommé Starhopper, est construit à partir de décembre 2018 et passe deux tests de vol à 150 m d'altitude. Plusieurs exemplaires du second étage à échelle réelle passent plusieurs types de tests : pressurisation de décembre 2019 à 2020, vols à 150 m en août 2020, vols à 12,5 km de décembre 2020 à juin 2021. Levol d'essai orbital du Starship (Integrated Flight Test 1, IFT-1) a lieu le 20 avril 2023 et se solde par la destruction de la fusée lors de la tentative de séparation des étages. Après un deuxième échec (mais une séparation réussie) le 18 novembre 2023 lors du vol IFT-2, le vol IFT-3 du 14 mars 2024 est un succès au lancement mais le contact est perdu avec les deux étages, respectivement lors de l'amerrissage et de larentrée atmosphérique.
↑Bien que les principaux objectifs de ce vol aient été atteints, certains modules n'ont pas fonctionné comme prévu lors du lancement d'Apollo 6 (voir la sectionMissions sans équipage).
↑Lorsque Mueller prend son poste en septembre 1963, le président Johnson, qui vient de remplacer Kennedy assassiné, subit de fortes pressions du Congrès américain : sous la contrainte d'un sénateur particulièrement influent, le budget demandé par la NASA (5,75 milliards US$) doit être ramené à 5 milliards US$.
↑Les responsables de la NASA prennent à l'époque connaissance d'un rapport qui indique que les soviétiques en utilisant cette méthode peuvent lancer une fusée quelques jours après son installation sur le pas de tir.
↑Au moment de la conception du bâtiment, le scénario prévu pour une mission lunaire impliquait deux lancements dans un délai très court de fusées Saturn V et un assemblage en orbite terrestre des deux charges utiles satellisées. Ce scénario sera abandonné fin 1962.
↑L'ensemble s'avèrera rapidement surdimensionné et une des quatre salles ne sera jamais équipée de consoles.
↑Les ergols pourraient être maintenus sous pression pour rester liquide mais cela nécessiterait que les réservoirs aient des parois épaisses ce qui serait trop pénalisant en masse. Le maintien à l'état liquide passe donc par l'isolation des réservoirs et la compensation automatique des pertes par évaporation jusqu'au décollage.
↑L'objectif est d'aligner la plateforme inertielle sur l'azimut de lancement. Si l'alignement est effectué trop tôt la rotation de la Terre durant le temps écoulé avant le lancement fausse le résultat
↑Par contraste, les pilotes d'essais, corps dont sont issus les astronautes américaines, étaient fréquemment victimes d'accidents mortels sans guère de publicité.
Développement des installations de lancement des missions Apollo en Floride et mise au point des opérations de lancement (document NASA n° Special Publication-4204 ) -version HTML
(publié aux éditionsUniversity Press of Florida en deux volumes :Gateway to the Moon : Building the Kennedy Space Center Launch Complex, (2001)(ISBN0-8130-2091-3) etMoon Launch!: A History of the Saturn-Apollo Launch Operations, (2001)(ISBN0-8130-2094-8)
La version du 9 avril 2007 de cet article a été reconnue comme « article de qualité », c'est-à-dire qu'elle répond à des critères de qualité concernant le style, la clarté, la pertinence, la citation des sources et l'illustration.