« Sans-culottes » est le nom donné, au début de laRévolution française de 1789, par mépris, aux manifestants populaires qui portent des pantalons à rayures et non desculottes (hauts-de-chausses), symbole vestimentaire de l'aristocratie d'Ancien Régime.
Les sans-culottes sont desrévolutionnaires issus du petit peuple de la ville et défenseurs d'une République égalitaire. Ils sont jugés par les autres révolutionnaires comme « radicaux » parce qu'ils prônent la démocratie (que nous appellerions « directe » de nos jours), c'est-à-dire sans intermédiaires comme les députés (qui à l'époque se disaient anti-démocrates car « la démocratie serait l'anarchie »[1][citation nécessaire]). Ils se distinguent par leurs modes d'expression, en particulier vestimentaires[2]. Leur tenue comporte un pantalon à rayures bleues et blanches, au lieu de laculotte courte et des bas, portés par les nobles et les bourgeois, ainsi qu'unbonnet phrygien rouge, et une tendance à la simplicité. Ce costume est un signe de protestation, arboré par des avocats, des commerçants, des employés, des artisans, des bourgeois, puis par les membres de toutes les conditions qui se présentaient comme « patriotes ».
Le sans-culotte est un personnage important de laRévolution française, qui s'oppose à celui de l'aristocrate par son costume, ses manières, son langage, ses symboles empruntés, mais de façon allégorique, aux couches les plus populaires de Paris et à une vision idéalisée de laGrèce antique.
Les sans-culottes vont devenir rapidement un véritable mouvement demode, aussi bien dans le domaine du costume que de la langue, de la musique, de la décoration, de la cuisine, de la civilité, de l'humour, de la manière de parler, et des idées : le sans-culottisme. Cette nouvelle ligne esthétique est celle de la Révolution dont elle développe les thèmes et les figures dans toutes les modalités pendant les années de laTerreur avec lethéophilanthropisme, levandalisme[3], puis elle laissera place aprèsThermidor auxIncroyables et Merveilleuses.
Lepantalon n'était pas non plus porté par les candidats dutiers état à la députation, car ils étaient tous issus de la meilleure bourgeoisie de robe et de finance, jamais des artisans ou des paysans. Les élus du tiers état arboreront des vêtements et un bicorne complètement noirs : des vêtements austères qui sont typiques de la bourgeoisiepuritaine et qui tranchaient aussi bien avec les vêtements luxueux des élus de lanoblesse et duclergé, qu'avec ceux des artisans, des commerçants, des ouvriers et des paysans.
Outre les pantalons (ou les jupes), rayés souvent aux trois couleurs, le sans-culotte arbore lablouse et legilet ou la veste courte à gros boutons (lacarmagnole), et dessabots qui marquent son appartenance au peuple travailleur. Le port du bonnet rouge, à l’origine utilisé pour protéger la chevelure dans certaines professions, et qui évoque les esclaves affranchis de laRome antique, lebonnet phrygien, s’affirme dès le, comme le « symbole du pouvoir politique des sans-culottes »[6].
Les élus sans-culottes répudient et retirent de leur nom les références à la noblesse ; certains se donnent des noms référant à larépublique romaine comme « Brutus » ou « Gracchus ». Les « Leroy » se renomment « Laloi ».
Le sans-culotte est une figure révolutionnaire qui dure moins de temps que la révolution.
Son entrée en masse en politique coïncide avec l’avènement de la République () qui établit le suffrage universel masculin, mettant fin au vote censitaire masculin qui caractérisait la Constitution de 1791[7].
Satire sur la mort deLouisXVI. Caricature anonyme de 1793. « Un sans-culotte instrument de crimes, dansant au milieu des horreurs, vient outrager l'humanité pleurante auprès d'un cénotaphe. Il croit voir l'ombre de l'une des victimes de la Révolution, qui le saisit à la gorge. Cette effrayante apparition le suffoque et le renverse. »
À partir de 1791, lorsque le massacre duChamp-de-Mars () parJean Sylvain Bailly eut fait mitrailler le peuple, les militants des sections parisiennes firent de leur costume un manifeste politique contre le régime de monarchie constitutionnelle censitaire.
Le sans-culotte, en contribuant à la domination de la faction radicale, arrive au-devant de la scène politique parisienne d’ à l’été 1794[8]. La sans-culotterie trouve en effet l’une des sources de son efficacité politique dans la fascination rousseauiste de nombre d’hommes des Lumières pour le travail manuel. Lecteurs de l'Encyclopédie, débiteurs vis-à-vis des sans-culottes qui avaient fait la Révolution à Paris, sauvant ainsi l’Assemblée nationale constituante, les chefs politiques de la Révolution marquèrent leur attachement aux sans-culottes jusqu'à la chute deRobespierre : ainsi on imposa par exemple durant laTerreur, letutoiement démocratique remplaçant le servile vouvoiement.
Quelques journalistes surent coller à ce peuple combattant et révolutionnaire :Jean-Paul Marat et sonAmi du peuple, dans un tout autre registre,Jacques-René Hébert et sonPère Duchesne, mais aussiJacques Roux et son groupe lesEnragés. Ils en furent longtemps les porte-paroles, plus que les guides, incontestés. Les sans-culottes se rassemblaient, d’une part, dans les assemblées des sections et, d’autre part, dans les clubs. Les assemblées des sections, organismes de la vie de quartier institués dès 1790, n’accueillaient en principe que lescitoyens actifs ; cependant, le rôle primordial joué par nombre d’ouvriers et petits artisans, ainsi que le fait qu’ils étaient restés armés depuis 1789, leur donna voix au chapitre. Les clubs surtout —club des Cordeliers, club de l'Évêché, Société fraternelle des deux sexes, Club helvétique — furent l’instrument dont les sans-culottes se servirent pour influencer la vie politique. Le club de l'Évêché, issu des Cordeliers, joua un rôle important dans la préparation du, jour de la prise des Tuileries et de la chute du trône. À partir de, leclub des Jacobins s’ouvrit aux citoyens les plus pauvres : il devint dès lors le plus important des lieux de réunion pour les sans-culottes.
Ceux-ci manifestaient leurs revendications par des pétitions des sections présentées aux assemblées (Législative, puisConvention) par des délégués ; il y eut ainsi une succession de pétitions réclamant l’arrestation des chefsgirondins avant l’insurrection du au. L’insurrection, la « journée », était le second moyen d’action. La violence armée fut un recours fréquent du aux vaines émeutes de germinal et prairialan III. Les émeutiers, appuyés par les canons de lagarde nationale à laquelle ils appartenaient, venaient montrer leur force menaçante pour obtenir gain de cause. De leur détermination et de la capacité de résistance du pouvoir politique dépendait évidemment le succès de la tentative : réel le ou le, il fut nul durant la période de laConvention thermidorienne.
Avec la mise en place, en 1792 et 1793, descomités de surveillance, les sans-culottes eurent un troisième moyen de pression sur la politique : la police et les tribunaux reçurent par milliers les dénonciations des traîtres et conspirateurs supposés. Pour l’efficacité de la Terreur, la surveillance révolutionnaire exercée par les sans-culottes était indispensable. Celle-ci abolie par la Convention thermidorienne, vint le moment où les sans-culottes, privés duclub des Jacobins, désarmés, fichés et suivis par une police remarquablement infiltrée, durent abandonner leur pouvoir de pression.
En 1794, avec lachute de Robespierre, les sans-culottes perdent leurs pouvoirs et leur rôle politique et culturel.
L'idéologie du « sans-culottisme » et sa diffusion
Les représentations iconographiques, largement diffusées sous forme de gravures ou d’estampes vendues à la criée, idéalisent le corps du sans-culotte, robuste, musclé, équilibré, que tout opposait aux corps monstrueux des privilégiés, évêques obèses passés au « dégraisseur patriotique » ou nobles filiformes et émaciés, roi-cochon ou reine-autruche (« l’Autruchienne » [sic]), ayant perdu toute dignité et tout droit au respect.
François-Valentin Mulot fit unAlmanach des sans-culottes.« La sociologie du sans-culotte est intentionnellement imprécise : élastique, elle permet l’identification des plus grands nombres… »[9]. On peut penser qu’il s’agit d’un processus de légitimation réciproque entre les Jacobins et le peuple. Le sans-culotte, est peut-être une forme intermédiaire permettant le dialogue entre nouveaux citoyens et députés.« L’appellatif sans-culotte est avant tout une catégorie de l’esprit public révolutionnaire […] »[10] et correspond à l’idéal théorique du citoyen tel qu’il est élaboré par le discours politique pour rallier le peuple. Ce modèle de citoyen est en quelque sorte inventé par les Jacobins et la Montagne et leur donne un allié pour lutter contre les contre-révolutionnaires et se départir des autres factions de l’Assemblée. Mais c’est un modèle qui se fixe dans le réel parce qu’il donne à chacun la possibilité d’accéder à un statut social valorisé. Fruit d’un discours sur le peuple en constante évolution, le sans-culotte, conçu comme idéal ou comme réalité sociologique, symbolise le renversement complet d’un système de valorisation social.
Le sans-culotte idéal décrit par le Père Duchesne, été 1793
« Qu'est-ce qu'un sans-culotte ? C'est un être qui va toujours à pied, qui n'a pas de millions comme vous voudriez tous en avoir, point de châteaux, point de valets pour le servir, et qui loge tout simplement avec sa femme et ses enfants, s'il en a, au quatrième ou au cinquième étage. Il est utile, il sait labourer un champ, forger, scier, limer, couvrir un toit, faire des souliers et verser jusqu'à la dernière goutte de son sang pour le salut de la République. Comme il travaille, on est sûr de ne rencontrer sa figure ni au café ni dans les tripots où l'on conspire, ni au théâtre. Le soir, il se présente à sa section, non pas poudré, musqué, botté, dans l'espoir d'être remarqué de toutes les citoyennes des tribunes, mais pour appuyer de toute sa force les bonnes motions. Au reste, un sans-culotte a toujours son sabre pour fendre les oreilles à tous les malveillants. Quelquefois, il marche avec sa pique, mais au premier bruit de tambour, on le voit partir pour la Vendée, pour l'armée des Alpes ou pour l'armée du Nord »
« Mandataire du peuple, depuis peu vous promettez de faire cesser les calamités du peuple ; mais qu'avez vous fait pour cela ? Avez-vous prononcé une peine contreles accapareurs et les monopoles[11] ? Non. Eh bien, nous vous déclarons que vous n'avez pas tout fait. Vous habitez la Montagne, resterez-vous immobiles sur le sommet de ce rocher immortel ? Il ne faut pas craindre d'encourir la haine des riches, c'est-à-dire des méchants ; il faut tout sacrifier au bonheur du peuple »
Pétition des sans culottes portée à la Convention,
↑Albert Soboul,Les sans-culottes parisiens en l’an II, Mouvement populaire et gouvernement révolutionnaire (1793-1794), Paris, Seuil, [1958] 1968,p. 210.
↑William Sewell, « Activity, Passivity and the Revolutionary Concept of Citizenship », dans Keith M. Baker etalii (éd.),The French Revolution and the Creation of Modern Political Culture (vol. 2), Oxford, 1987-1994,p. 121.
↑Voir la chronologie proposée par Haim Burstin dansL’Invention du sans-culotte, regard sur le Paris révolutionnaire, Paris, Odile Jacob, 2005,(ISBN978-2-73811-685-7), 233 p.,p. 77.
↑Haim Burstin,L’Invention du sans-culotte, regard sur le Paris révolutionnaire, Paris, Odile Jacob, 2005,(ISBN978-2-73811-685-7), 233 p.,p. 91.
Kåre D.Tønnesson,La Défaite des sans-culottes : mouvement populaire et réaction bourgeoise en l'anIII, Oslo / Paris, Presses universitaires d'Oslo / R. Clavreuil,,XX-456 p.(présentation en ligne).