Alexandre dit « Sacha »[1] Guitry est le fils du célèbre comédienLucien Guitry (1860-1925) et de Renée Delmas (1858-1902), fille du journalisteRené Delmas de Pont-Jest, laquelle s'est essayée, elle aussi, au théâtre. Sacha est le troisième d'une fratrie comptant quatre garçons, dont deux mourront au berceau ; l'aîné en 1883, le benjamin en 1887. Le cadet prénommé Jean, naît en 1884 àSaint-Pétersbourg[2] et devient comédien et journaliste, avant de périr dans un accident d'automobile en 1920[3],[2], à 36 ans.
Comme ses deux aînés, Alexandre naît dans la capitale de l'Empire russe où son père a signé un contrat de neuf ans avec lethéâtre Michel pour la saison d'hiver. Il doit son prénom debaptême à son parrain, le tsarAlexandre III, lequel apprécie le talent de Lucien Guitry[4].
Renée Delmas suit son mari à Saint-Pétersbourg jusqu'à la saison d'hiver du théâtre en 1888, l'année de leur séparation[2]. Sacha Guitry a alors 3 ans. Elle n'admet pas les nombreuses liaisons de son mari, notamment avec l'éminente actriceSarah Bernhardt. Le divorce est prononcé en et le jeune Sacha est confié à sa mère. Mais Lucien enlève son fils en pour le ramener à Saint-Pétersbourg, et le garder pour sa saison théâtrale. Il le fait jouer devant le Tsar et la famille impériale. Sacha Guitry retrouve sa mère et son frère à son retour en France au printemps 1890[2].
Sur la recommandation deFrancis de Croisset, Guitry soumet sa première pièce àMarguerite Deval, directrice duthéâtre des Mathurins, laquelle l'accepte mais sous réserve qu'elle soit transformée en opérette[5].Le Page est créé le et atteint 35 représentations.
Mis devant le fait accompli, Lucien Guitry qui dirige lethéâtre de la Renaissance, fait faire ses débuts de comédien à Sacha sous le nom de Jacques Lorcey (pseudonyme qui sera utilisé ultérieurement par le metteur en scène et historienJacques Falgueirettes, grand admirateur de Lucien Guitry[6]) dansL'Escalier deMaurice Donnay en 1904. Lors de cette création, Sacha fait la connaissance deCharlotte Lysès, une jeune protégée de son père. La rivalité amoureuse entre les deux hommes ainsi qu'une entrée ratée dans une autre pièce qu'il joue à la Renaissance, le conduit l'année suivante se brouiller avec son père durant treize années[5],[7].
Sacha s'installe avec Charlotte Lysès et écrit pour elle sa troisième pièce,Le KWTZ, créée authéâtre des Capucines le 14 avril1905[5]. Toutefois, il remporte son premier grand succès au théâtre avecNono huit mois plus tard, au théâtre des Mathurins[7]. Charlotte et Sacha se marient le àHonfleur.
Brillant comédien, Guitry va dès lors s'affirmer dans l'écriture. Faisant partie, commeHenri Bernstein, de la nouvelle génération deboulevardiers dans la lignée deFeydeau,Meilhac etHalévy ouFlers etCaillavet, il écrit lui-même ses pièces, parfois en moins de trois jours, et en assure la mise en scène et l'interprétation.
En 1907, l'échec deLa Clef, écrite pour la comédienneRéjane, décourage un temps Guitry. Le soutien indéfectible de l'écrivainOctave Mirbeau lui donne le courage de continuer ; admiratif et reconnaissant, Sacha Guitry sollicite de lui une préface pour saPetite Hollande en 1908 et, plus tard, lui consacre une pièce,Un sujet de roman, créée en 1924 par son père Lucien Guitry dans le rôle de Mirbeau (Sarah Bernhardt doit être aussi de la création, dans le rôle d'Alice Regnault, mais la comédienne meurt avant la première).
Homme d'esprit à l'humour caustique, qui a la verve facile et le goût du bon mot[8], il fait les délices du public mais ne s'attire pas toujours la faveur des critiques. Guitry utilise déjà au théâtre la méthode qu'il utilisera plus tard au cinéma : s'approprier les règles, les codes d'un genre, les détourner et les plier à son propre style.
Sacha Guitry jouant le rôle de Grimm dans sa comédie musicaleMozart en 1926.
Avec le cinéma, les rapports de Guitry sont alors plutôt complexes. En 1912, il écrit« J'estime que l'influence du cinématographe a été déplorable, […] qu'il a tenté de faire au théâtre une concurrence déloyale en truquant et en tronquant les œuvres dramatiques »[9]. Ce qui ne l'empêche pas de faire, en 1915, une première tentative en réalisantCeux de chez nous, en réaction à un manifeste allemand exaltant la culture germanique. Il y filme, entre autres, des amis de son père,Auguste Rodin,Claude Monet,Anatole France,Auguste Renoir. Il note leurs paroles et les répète durant les diffusions publiques, recourant en quelque sorte avant l'heure à lapostsynchronisation. Non mobilisé au cours de laPremière Guerre mondiale car malade et perclus de rhumatismes, il reste fidèle à sonantigermanisme après la guerre, refusant de représenter ses pièces en Allemagne après l'armistice de 1918[10].
CommeLouis Jouvet, il reproche au cinéma de ne pas avoir la même puissance que le théâtre et ne s'y intéresse réellement qu'au milieu desannées 1930, peut-être sous l'influence de sa future épouseJacqueline Delubac. Comprenant que le cinéma permet une plus grande pérennité que le théâtre en fixant les images sur la pellicule, il décide d'adapter à l'écran certaines de ses pièces. D'abordPasteur, écrite pour son père Lucien Guitry et créée par ce dernier, pièce qui donne libre cours à sa passion pour l'histoire et les personnages historiques. Dans une scène,Louis Pasteur, joué par Sacha Guitry, déclare à ses confrères : « Messieurs, je sais que je n'utilise pas le style conventionnel auquel vous êtes habitués », phrase qui semble destinée aux critiques qui le dénigrent depuis qu'il fait du cinéma. La même année, il réaliseBonne Chance d'après un scénario original et confie le premier rôle féminin à Jacqueline Delubac. Le style de Guitry s'y affirme déjà nettement.
En 1936, il tourne à partir de la pièce qu'il a écriteLe Nouveau Testament. Puis, toujours en 1936, il réaliseLe Roman d'un tricheur, son chef-d'œuvre pour beaucoup de spécialistes. Dans ce film, presque sans dialogues à l'exception de quelques scènes, Guitry met en scène l'unique roman qu'il a écrit,Mémoires d'un tricheur. Tout Guitry est contenu déjà dans ses quatre premiers films : jeu avec les procédés filmiques, reconstitution d'événements ou biographie de personnages historiques, adaptations théâtrales. De 1935 à 1937, Guitry réalise dix films, dont au moins trois « chefs-d'œuvre »[11].
Son nom est proposé pour l'Académie française mais Guitry refuse la condition qu'on lui impose : abandonner son activité de comédien. En 1939, il est élu à l'académie Goncourt et réaliseIls étaient neuf célibataires. Guitry y traite le thème, déjà abordé par d'autres, dumariage blanc. Le film est cependant en prise presque directe avec l'actualité, car l'histoire part d'un décret qui oblige les étrangers à quitter la France. Le lendemain de la première de son film, laSeconde Guerre mondiale éclate.
L'armistice de 1940 survient alors que Sacha Guitry est en traitement àDax. Il est forcé d'y prolonger son séjour, dans l'attente de deuxsauf-conduits pour Paris. L'un lui est destiné, l'autre est remis au philosopheHenri Bergson qui, lui aussi, veut retourner à Paris[12]. Dans la ville de Dax, un officier allemand (Biegel) les reconnaissant, lui et Bergson, leur adresse un laisser-passer et un bon pour100 litres d'essence renouvelable en chemin, ordonnant aux officiers qui les croiseraient de réagir« eu égard à ce que représentent les deux grands hommes pour la culture française ». Cet officier est également celui qui s'adresse à Guitry en ces termes :« Nous arrivons au bon moment, où la culture française décline et où nous venons la sauver ». Cette phrase, dit Sacha Guitry, reste gravée de 1940 à 1944 dans sa mémoire et va l'encourager à défendre laculture française :« Ils auront la France mais n'auront pas la Culture française ».
Revenu à Paris, Guitry entend poursuivre ses activités d'auteur, d'acteur et de cinéaste. Il reprend notammentPasteur, pièce qui glorifie la France en la personne de Louis Pasteur. Deux pièces seront interdites par lacensure allemande, dontMon auguste grand-père qui se moque dustatut ignoble des Juifs et interdite par les Allemands en janvier 1941[13].Pendant quatre ans, il continue sa vie d'homme de théâtre et de cinéma.Dominique Desanti évoque « une réussite maintenue à travers l'horreur de l'Occupation, comme si de préserver les succès et le luxe de Guitry était nécessaire à la survie de la France »[14], alors qu'il a donné du travail et des secours à ceux qui en avaient le plus besoin[réf. nécessaire].
Certaines tirades provoquent des réactionspatriotiques dans la salle au bout d’un certain temps interdites par les autorités allemandes[15]. D’autres œuvres n’ont pas de lien direct avec l’actualité, commeDonne-moi tes yeux,« réflexion originale sur le regard masculin »[11].
Il joue des contacts comme président de l'Union des Théâtres (décisions prises à l'unanimité) avec l'occupant pour obtenir la libération depersonnalités juives notamment celle de l'écrivainTristan Bernard et de son épouse, libérés ducamp de Drancy le[16] grâce à son intervention, qui lui restera toute sa vie reconnaissant[17]. Ses relations avec l'administration allemande concernant le théâtre (sauf laSS qui le consière commejuif[réf. souhaitée] - ce qu'il n'est pas) lui valent de recevoir quantité de demandes d’interventions, dont celle, sans succès, deMax Jacob pour sa sœur en janvier 1944[18]qui sera déportée et gazée. Jacob est à son tour arrêté et meurt au camp de Drancy deux mois plus tard malgré la mobilisation de ses amis, parmi lesquelsJean Cocteau,Marcel Jouhandeau etHenri Sauguet[19]. SelonLimore Yagil, il faut reconnaître que ses interventions ont permis de libérer de nombreux artistes arrêtés, et parmi eux des Juifs commeMaurice Goudeket, mari deColette[15]. Lepneumatique de Tristan Bernard remerciant en avril 1944 Guitry de l'avoir sauvé ainsi que sa femme, grâce à son intervention auprès des autorités allemandes, contribuera à sa disculpation par lecomité d'épuration[6].
Son album1429-1942 : DeJeanne d'Arc àPhilippe Pétain, catalogue des gloires françaises, historiques et artistiques conçu en 1942 et publié en 1944, est selon ce qu'il décrit en 1947« un véritable monument à la gloire de la France… Un cri de foi, d'amour et d'espérance, et l'on ne saurait lui attribuer sans mentir une signification politique »[21]. Reproduisant dans cet album lefac-similé de la célèbre lettre ouverte d'Émile Zola en faveur d'Alfred Dreyfus,J'accuse… !, publiée dansL'Aurore le, Guitry écrit :« N'était-ce pas audacieux, provoquant même ? ». Mais le 5 octobre 1943, il se rend àVichy pour présenter lui-même son œuvre à Pétain[22],[23] et la relation de ses conférences données sur le sujet dans la pressevichyste montre au contraire que Guitry entendait donner une portée politique à son portrait du pays :« C’est dans le présent de l’Europe que la France doit inscrire son activité, confiante dans son destin »[23]. Il reverse les recettes de ses conférences sur « La France de Jeanne d’Arc à Pétain » aux victimes des bombardements anglais[24].
Lors d'un gala à l'Opéra de Paris le, Guitry présenteDe Jeanne d'Arc à Philippe Pétain, accompagné d'unfilm de présentation,« sans lier le débarquement à ce que le titre de son livre peut avoir de provocateur », comme l'écritDominique Desanti[14]. Ce gala est l'occasion d'une vente auxenchères d'un des exemplaires, dont la recette, de 400 000Francs, est entièrement reversée à l'Union des arts[25].Geneviève Guitry, son épouse durant cette période, écrit :« Ce fut alors une période de manœuvres qu'il pensait habiles et qui nous effrayaient, car Sacha ne comprenait rien à la politique. Il avait un fond d'ingénuité, une confiance quelquefois excessive, qui l'amenaient à porter des jugements téméraires sur les gens qui gravitaient autour de lui. Dans cette période, il ne fut pas bon psychologue, ni suffisamment objectif »[26]. Le scénariste etcritique de cinéma Philippe Arnaud estime que« Guitry, on le sait, s'est trompé sur Pétain, et sur la nature de laSeconde Guerre mondiale. De cet aveuglement,Donne-moi tes yeux donne la métaphore facile »[11].
LaLibération de Paris est pour la foule un moment de liesse et le déclenchement de l'épuration. Le, Sacha Guitry est arrêté par des inconnus (leur nom n'a jamais été publié - et sans ordre[réf. nécessaire]) et envoyé à la Mairie du VII où il est photographié avec ces jeunes gens parCartier-Bresson. Il est incarcéré soixante jours sans inculpation, passant deux mois au dépôt, auVél d'Hiv, puis àDrancy, avant que ses avocats,Paul Delzons etGeorges Chresteil, ne le fassent transférer à laprison de Fresnes que dirigent des militaires, et non lesFFI. Il n'en est pas moins dénoncé dans la presse par des écrivains commePierre Descaves et leFigaro, dirigé alors parPierre Brisson, ennemis déclarés de Guitry surtout après que leurs candidats à l'Académie Goncourt avaient échoué : Sacha Guitry étant alors le président de l'Académie Goncourt.
Lejuge d'instruction l'inculpe pour « intelligence avec l'ennemi »[27] et Guitry commente :« Je crois, en effet, n'en avoir pas manqué, même avec l'ennemi[14] » ; le juge lui reproche d'avoir dîné avecGoering et lui répond : " j'ai dîné aussi avec le roi d'Angleterre et le Président de la République, mais je ne dînerai jamais avec un juge d'instruction " . En l'absence de preuve, le juge classe le dossier[14] et Guitry est libéré le[28]. Le, il est convoqué devant lachambre civique sous l'inculpation possible d'indignité nationale mais obtient le unnon-lieu[29]. Il tirera, à sa manière, une leçon de l'épisode en déclarant« La Libération ? Je peux dire que j'en ai été le premierprévenu » et« Puisque j'ai bénéficié de deux non-lieux, c'est qu'il n'y avait pas lieu »[30]. Mais, en réalité, jusqu'à sa mort,« il sera poursuivi par la suspicion des uns et l'admiration inconditionnelle des autres »[31].
Lorsqu'il revient sur scène en octobre 1947,Henry Magnan dansLe Monde regrette la parade à laquelle se livre Guitry et ses autojustifications avec ces mots[32] :« Que l'on ne nous fatigue plus les oreilles de ces éternelles questions d'épuration artistique […] Danseurs, chanteurs ou comédiens, certains ont exercé le leur sans trop de discrétion en un temps où tout ce qui brillait choquait les regards et le cœur de tout ce qui, par conscience ou par force, restait dans l'ombre. On le leur a fait regretter. Nous n'aurons à nous souvenir de leurs errements que dans la mesure où ils commettraient la faute d'en faire parade ». Les biographes contemporains soulignent que Guitry s'est toujours opposé à ce que ses pièces soient jouées enAllemagne, avant la Première Guerre et aussi durant la Seconde (notammentN’écoutez pas, mesdames)[33],[15].
À rebours, l'écrivainDan Franck continue de le juger sévèrement pour des raisons morales :« Pendant la guerre, il y avait ceux qui crevaient de faim, se cachaient et que personne n'aidait, et ceux qui vivaient bien : Cocteau et Guitry personnifient un Paris dans lequel on mange, on trinque avec les Allemands »[34],[35].
Par la suite, certains de ses films réalisés sous l'Occupation seront également interdits de projection, commeLe Destin fabuleux de Désirée Clary, et Guitry demandera une indemnisation auConseil d'État, qui la rejettera« en raison de l'attitude [de Sacha Guitry] pendant l'occupation »[36].
Guitry publie en 1947 et 1949 les souvenirs de cette période sous forme de deux récits :Quatre ans d'occupations (un pluriel significatif) pour la période 1940 à et60 Jours de prison pour son incarcération. Il commente, en filigrane, son comportement dansLe Diable boiteux, biographie deTalleyrand.
Son retour au juryGoncourt sera l'occasion d'une nouvelle polémique et, cette fois, d'une condamnation. Pendant l'Occupation, Guitry faisait partie du jury Goncourt et, avec une minorité d'académicienspétainistes (J.-H. Rosny jeune,René Benjamin,Jean de La Varende), avait refusé d'entériner l'élection d'André Billy fin 1943. Billy avait notamment éreinté dans ses écrits Guitry et La Varende. L'élection ne sera validée qu'en 1944. Après laLibération, Guitry continue de manifester des sentiments« maréchalistes »[37]. L’académie Goncourt, présidée depuis la Libération parLucien Descaves, est tiraillée entre les deux factions. Benjamin (idéologue du régime de Vichy ethagiographe de Pétain) et Guitry, désormais très minoritaires avec les proches du régime vichyste (La Varende ayant démissionné), ne se rendent pas au jury pour l'élection du prix 1947[38], qui est attribué àJean-Louis Curtis[39]. Le jour de l'annonce, l'éditeur — pour faire une promotion commerciale — annonce aux journaux que Guitry et Benjamin ont, eux, attribué de leur côté leur prix et ont choisi comme lauréatKléber Haedens pour son romanSalut au Kentucky publié auxéditions Robert Laffont.
Lesacadémiciens décident de poursuivre Guitry et Benjamin ainsi que l'éditeurRobert Laffont qui a mis en vente le livre d'Haedens ceinturé d'un bandeau« Le Goncourt de Sacha Guitry et René Benjamin »[39]. Durant le procès, Benjamin se défend d'avoir décerné un prix à Kléber Haedens et témoigne qu'il était resté àMonaco et se trouvait d'accord tout au plus avec Guitry« pour estimer qu'Haedens aurait mérité leurs suffrages »[40]. Guitry et l'éditeur, qui a retiré entre-temps le bandeau pour le remplacer par « le Goncourt hors Goncourt », sont condamnés à 700 000 francs de dommages et intérêts, à la publication du jugement et au retrait du bandeau[41].
À la mort de René Benjamin en octobre 1948, Guitry démissionne de l'Académie Goncourt[42], déclarant qu'il tenait Benjamin en grande affection et que sa mort avait rompu le dernier lien qui l'attachait à la compagnie des Goncourt.
Ses amis le soutiennent et la reconnaissance vient avec la commande de trois grosses productions historiques élaborées entre 1953 et 1955, qui mobilisent une énorme énergie :Si Versailles m'était conté…,Napoléon etSi Paris nous était conté.Mots d'esprit et distribution prestigieuse font l'attrait de ces fresques. Il n'oublie cependant pas son arrestation et réalise le très caustiqueAssassins et Voleurs interprété par le duoJean Poiret-Michel Serrault (Darry Cowl y fait ses débuts dans une scène humoristique pratiquement improvisée).
Les trois font la paire de 1957 est le dernier film qu'il réalise avec l'aide de l'acteur-producteur-réalisateurClément Duhour, car la maladie l'a beaucoup affaibli. C'est un film-somme sur le cinéma de Guitry où l'on retrouve tout ce qui en fait l'essence. Son testament artistique est le scénario deLa Vie à deux qu'il rédigeet où il refond plusieurs de ses pièces ; Clément Duhour entreprend de le réaliser l'année suivante, après la mort du cinéaste, avec une pléiade de vedettes venues rendre hommage au maître.
Sacha Guitry meurt d'uncancer[43] le en son hôtel particulier parisien du 18,avenue Élisée-Reclus[44], où il avait succédé en 1925 à son père.
Sacha Guitry a été marié cinq fois, et uniquement avec des actrices (encore que les deux dernières ne le soient devenues qu'à son contact) :
Charlotte Lysès (1877-1956), qu'il épouse le àHonfleur, au grand dam deLucien Guitry, ex-amant de Charlotte. Elle crée 19 pièces de son mari et reprendNono en 1910. Le couple avait fait du « manoir des Zoaques » àYainville (nommé ainsi d'après le titre de l'un des premiers succès de Guitry,Chez les Zoaques) sa résidence d'été[46] de 1913 à 1916. Séparé en, le couple divorce le.
Yvonne Printemps (1894-1977), qu'il épouse à Paris le, avec comme témoinsSarah Bernhardt,Georges Feydeau, Lucien Guitry (avec lequel il vient juste de se réconcilier) etTristan Bernard. Yvonne Printemps crée 34 pièces de Sacha Guitry, en reprend 6 autres et joue dans un de ses films,Un roman d'amour et d'aventures (1918). Si on prête de nombreuses liaisons à Printemps (Georges Guynemer,Jacques Henri Lartigue,Maurice Escande, entre autres), elle quitte Guitry pourPierre Fresnay, le (Fresnay quittant de son côté la comédienneBerthe Bovy). Le divorce entre Sacha et Yvonne est prononcé le[47].
Jacqueline Delubac (1907-1997), de 22 ans sa cadette, épousée le à Paris. Son amiRobert Trébor lui avait présenté Jacqueline, en 1931, pour sa future pièceVilla à vendre. Guitry annonce leur mariage en déclarant :« J'ai le double de son âge, il est donc juste qu'elle soit ma moitié », rajeunissant légèrement la mariée pour justifier le « mot » (dès lors, celle-ci prétendra être née en 1910 et non en 1907[10]). Elle joue dans 23 pièces de son mari, dont 10 créations et 13 reprises à Paris et en tournée, et 11 de ses films. Séparés le, ils divorcent le.
Geneviève de Séréville (1914-1963), épousée le àFontenay-le-Fleury. Geneviève crée 5 pièces de son mari, en reprend 4 autres, et joue dans 5 de ses films. Le couple se sépare en et son divorce est prononcé le. Elle est la seule de ses cinq épouses à porter le nom de Guitry.
Lana Marconi (1917-1990), épousée le à Paris avecAlex Madis comme témoin[48]. Elle crée sept pièces de son mari, en reprend deux autres et joue dans 13 de ses films. Durant cette période, Lana Marconi a entretenu une longue liaison avec la directrice du cabaret Le Carroll's, Suzanne Baulé diteFrede, qui est ainsi devenue l'amie de Guitry. « J’ai pratiquement vécu chez Sacha pendant quatre ans », a raconté Frede en 1974[49].
Les cinq épouses de Sacha Guitry
Charlotte Lysès et Sacha Guitry
Yvonne Printemps
Jacqueline Delubac
Geneviève de Servile
Lana Marconi
Sacha Guitry entretient parallèlement de nombreuses liaisons avec des comédiennes et avec des artistes, parmi lesquelles la danseuse de laBelle ÉpoqueJane Avril, la comédienneArletty, qui refusa de l'épouser (« J'allais pas épouser Sacha Guitry, il s'était épousé lui-même ! »[50]), les actricesSimone Paris (qui consacre un chapitre de ses mémoires,Paris sur l'oreiller, au récit détaillé de leur romance),Mona Goya etYvette Lebon, etc.
Sacha Guitry tient le rôle principal de presque tous ses films. Mais il sait parfois s'effacer comme dans le film àsketchesIls étaient neuf célibataires, réunissant de grands noms au générique :Saturnin Fabre,Elvire Popesco,Gaston Dubosc. Ami fidèle dePauline Carton, il la fait jouer danspresque tous ses films (elle n'apparaît ni dansDonne-moi tes yeux de 1943[51], ni dansToâ de 1949[52], ni dansDebureau de 1951), lui inventant parfois des rôles. Il confie àMichel Simon les rôles principaux deLa Poison et deLa Vie d'un honnête homme, ainsi que celui de son dernier filmLes trois font la paire que Simon n'aime pas mais qu'il accepte de jouer par amitié pour Guitry, alors mourant.
Tout au long de son œuvre, Guitry se fait le chantre du comédien, de son père en particulier. Il lui dédie deux piècesMon père avait raison (1919) etLe Comédien (1921), toutes deux adaptées au cinéma. Pour lui, Lucien Guitry etSarah Bernhardt sont les deux plus grands acteurs du monde et il ne manque pas de le rappeler dans les nombreux articles qu'il signe[réf. nécessaire].
Avec la critique, Sacha Guitry a toujours entretenu des relations conflictuelles, et ce dès ses débuts au théâtre. Guitry invente un style qui lui est propre, fondé sur des dialogues incisifs et percutants, souvent déclamés par lui. On reproche à ses films de n'être que du « théâtre filmé »[53],[54],[55].
Souvent, les critiques reprochent à Guitry de dévoiler les dessous du tournage, par exemple avecIls étaient neuf célibataires : à la fin du film, Guitry mélange réalité et fiction en faisant croire à « l’amant sérieux » d’Elvire Popesco que tous deux sont en train de tourner un film.[réf. nécessaire]. Lors du tournage deNapoléon, un technicien, en visionnant les rushes, fait remarquer à Guitry que l'on voit une caméra dans le champ. Le cinéaste lui répond :« Mon ami, le public se doute bien que nous avons utilisé des caméras pour réaliser ce film »[56].
Le cinéastePaul Vecchiali, peu séduit par la filmographie de Guitry, suggère dans son dictionnaireL'Encinéclopédie que ses périodes créatives se font par rapport à ses cinq épouses : le théâtre bourgeois avec Charlotte Lysès, lesopérettes de charme avec Yvonne Printemps, le cinéma léger avec Jacqueline Delubac, une transition entremélodrame et gigantisme avec Geneviève Guitry et une dernière période entre sérénité et grands films historiques avec Lana Marconi[59].
Si bien des répliques de ses pièces ont forgé à tords sa réputation de misogyne, Guitry a souvent évoqué son amour pour les femmes (« La vie sans femme me paraît impossible ; je n'ai jamais été seul, la solitude c'est être loin des femmes »[60]). Ses épouses, qui lui ont adressé par ailleurs pas mal de reproches, évoquent également ce besoin deséduction. DansFaut-il épouser Sacha Guitry ?,Jacqueline Delubac écrit :« À la femme, il refuse la logique de l'esprit, pas celle du sexe ! Traduction : il ne suffit pas que la femme dispose, il faut qu'elle propose. C'est le caprice de Sacha de tout attendre du caprice des femmes » ; et plus loin :« Sacha, tu es un diable électrique ! Tu connais les escaliers cachotiers du cœur ! Les drôles de coin ! ». Geneviève de Séréville, dansSacha Guitry mon mari, évoque les causeries de Sacha sur l'amour et les femmes et avance une hypothèse :« Parler des femmes et de l'amour n'est-il pas devenu, pour lui, une sorte de jonglerie dans laquelle son cœur ne joue aucun rôle, mais seulement son aisance dans l'ironie, son goût excessif du paradoxe ».
Dominique Desanti, dans la biographie qu'elle a consacrée à Sacha Guitry, remarque à propos deN'écoutez pas, mesdames !, pièce tissée de railleries contre les femmes :« Sous les répliques spirituelles court l'angoisse de l'homme vieillissant face à une femme trop jeune qui lui échappe… ce qu'il trouve à la fois insupportable et naturel ».
SelonFrancis Huster,« on dit souvent que Guitry est misogyne ; c'est n'importe quoi. Dans ses pièces, c'est l'homme qui trompe, pas la femme. Il était fou des femmes. Elles n'ont malheureusement jamais été folles de lui. Peut-être parce qu'il n'a jamais su les entendre, même s'il savait leur parler »[50]. Guitry, lui, se justifie en disant :
« Tout ce mal que je pense et que je dis des femmes, je le pense et je le dis, je ne le pense et je ne le dis que des personnes qui me plaisent ou qui m'ont plu[61]. »
Ce n'est d'ailleurs pas tant avec les femmes qu'il a un problème, qu'avec le mariage :« Le mariage, c'est résoudre à deux les problèmes que l'on n'aurait pas eus tout seul »[61]. La séduction a certainement pour lui plus de charme que le quotidien à deux. Il écrit cependant :« Il faut courtiser sa femme comme si jamais on ne l'avait eue… il faut se la prendre à soi-même »[61].
Collectionneur avisé, il possédait dans son hôtel particulier du 18avenue Élisée-Reclus une remarquable collection d'œuvres d'art (peintures, sculptures, nombreuses lettres autographes de célébrités et de personnages historiques…) dont il souhaitait faire, à sa mort, un musée. Certaines de ces œuvres furent peu à peu dispersées, d'abord à partir de 1947, quand on lui réclame des arriérés d'impôts, puis pour financer ses films, et enfin à sa mort ; son projet ne vit donc jamais le jour. Malgré les protestations de ses nombreux amis, l'hôtel particulier fut démoli en 1963 et l'adresse porte désormais une plaque en son souvenir.
À l'occasion de sonjubilé (sa première pièce ayant été jouée le authéâtre des Mathurins), l'éditeur Raoul Solar publia gracieusement en 1952 un ouvrage intitulé simplement18 avenue Élisée-Reclus, commenté par Guitry lui-même. Il peut être considéré comme le catalogue de l'exposition de ses collections, exposition faite au bénéfice des œuvres charitables de laSociété des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD).
Organisée les 17 et à l'hôtel Drouot à Paris, la dispersion de la collection d'André Bernard, cofondateur de l'Association des amis de Guitry, a été, avec plus de huit cents lots de tableaux, dessins, livres, autographes, photographies et objets divers, la vente la plus importante consacrée à Sacha Guitry depuis la disparition de l'artiste[62].
Note : Liste reconstituée à partir deSacha Guitry,Œuvres, Omnibus, etSacha Guitry : une vie d'artiste, BNF,,p. 250-252. La quasi-totalité de son théâtre a été éditée en douze volumes auClub de l'honnête homme.
Sacha Guitry apparaît au générique de trois films muets :Un roman d'amour et d'aventures (1918), dont il a également écrit le scénario,Une petite main qui se place (1922), épilogue filmé de sa pièce, etCamille, court métrage deRalph Barton (1926) dans le bref rôle du toréador Mancha y Zaragosa.
Si l'on s'en réfère à la filmographie établie par Claude Gauteur etAndré Bernard dansLe Cinéma et moi, il apparaît aussi dansLa Huitième Femme de Barbe-Bleue (1938) d'Ernst Lubitsch aux côtés de sa future épouse Geneviève de Séréville. Néanmoins, dans la copie de la version américaine sous-titrée, le couple est absent à l'image.
1944 :De MCDXXIX à MCMXLII, c’est-à-dire de Jeanne d’Arc à Philippe Pétain, c’est-à-dire 500 ans de l’histoire de la France, éd. Sant’Andréa et Lafuma ; rééd. Raoul Solar en 1951
1946 :Elles et toi, réflexions illustrées par l'auteur,fac-simile du manuscrit original, Raoul Solar
Réédité en 1947 avec des gravures originales deJacques Boullaire, éd. les Amis du livre moderne, puis en 1951 chez Raoul Solar avec un frontispice non signé deSuzanne Ballivet.
1947 :Toutes réflexions faites, éd. de l'Élan
Quatre ans d'occupations, éd. de l'Élan
Quatre ans d'occupations, 1947
60 Jours de prison,fac-similé du manuscrit original, illustré par des dessins de l'auteur, 1949
1979 :Le Petit Carnet rouge et autres souvenirs inédits, éd. Perrin
Sacha Guitry,Cinquante ans d'occupations, Presse de la Cité, : recueil de textes préfacé parAlain Decaux ; réédition éd. Omnibus, 2018
Contient :Jusqu'à nouvel ordre ; Pensées ; Mon portrait ; Toutes réflexions faites ; Elles et toi ; Les femmes et l'amour ; L'esprit ; Si j'ai bonne mémoire ; Portraits et anecdotes ; La maladie ; Mes médecins ; Le petit carnet rouge ; Ceux de chez nous ; Lucien Guitry ; Quatre ans d'occupations ;60 Jours de prison ; De 1429 à 1942 ou De Jeanne d'Arc à Philippe Pétain ; Des merveilles ; Et puis voici des vers.
La Vie à deux (1958), film français deClément Duhour, adapté de cinq pièces de Sacha Guitry (Désiré,L'Illusionniste,Une paire de gifles,Le Blanc et le Noir etFrançoise) reliées entre elles par un scénario-prétexte
On ne sait quelle fut la part exacte de Guitry dans l'écriture des séquences de liaison. Elles sont plus probablement le fait de son secrétaire Stéphane Prince, lequel se cacherait derrière le mystérieux Jean Martin crédité par le générique comme co-scénariste. Les affiches du film présententLa Vie à deux comme le dernier film de Sacha Guitry… lequel mourut près d'un an avant le début du tournage.
Un crime au Paradis (2000) deJean Becker,remake du filmLa Poison dont l'action a été librement transposée du début des années 1950 à l'aube des années 1980.
↑« Ma villa duCap d’Ail, c'était le calme et le repos. C'était aussi l'inaction. Ma maison de Paris, c'était tout à la fois ma maison – et Paris. Je n'ai guère hésité. Une phrase de M. Bergson précipita ma décision. Je l'avais en effet consulté sur ce point – et sa réponse avait été : « Oh ! Voyons, vous : Paris… puisque vous lui devez tout ! » Et il avait ajouté : « J'ai bien l'intention d'y retourner moi-même. Et sans tarder d'ailleurs. » […] Et, même, il voulut bien me charger de demander pour lui le sauf-conduit qui, vraisemblablement, lui serait nécessaire. » dans Sacha Guitry, « Premier contact »,Quatre ans d'occupations, éditions de l'Élan, 1947.
↑« Tristan Bernard fut libéré huit jours après son arrestation. De chez son fils, il écrivit à Sacha sa reconnaissance profonde. », cité parDominique Desanti, dansSacha Guitry, 50 ans de spectacle, Grasset, 1982,p. 300.
↑Anne Spofford Kimball, Anne Verdure-Mary (commentaires et édition), « « Je me tais et j’attends… » Lettres inédites à Jean Cocteau (1916 ?-1944) et à Madame sa mère (1922-1927) »,Cahiers Max Jacob numéro 17-18, 2017 m,p. 11-32, articleno Lettre à Jean Cocteau numéro 14(lire en ligne).
↑Chloé Aeberhardt, François Ekchajzer, « Le poète abandonné »,Télérama,(lire en ligne).
↑Voir aussi : Dan Franck, dossier de presse du film, non paginé, Monsieur Max, fiction de Gabriel Aghion, scénario de Dan Franck, Paris : ARTE/France, 2007.
↑« M. Sacha Guitry ne recevra pas d'indemnité pour la mise à l'index de ses films »,Le Monde,(lire en ligne).
↑La première version muette durait 22 min ; elle était destinée à être projetée accompagnée d'une causerie de Sacha Guitry. La version sonorisée date de 1939. La version finale remaniée en 1952 dure 44 min et créditeFrédéric Rossif comme collaborateur.
↑Selon la base de donnéesDVD.fr. Cependant, les films originaux de Guitry (saufLe Veilleur de nuit qui ne fut pas adapté au cinéma par Guitry) furent édités en DVD.
Sacha Guitry et Albert Willemetz, raconté par le petit-fils de Willemetz[voir en ligne (page consultée le 22 février 2020)]
Sacha Guitry et Yvonne Printemps - Les 5 Femmes de Sacha Guitry - le style Guitry - Les dessins de Sacha Guitry - Les bijoux d"Yvonne printemps àhttp://www.albertwillemetz.com/1.htm
Sacha d'hier, Guitry d'aujourd'hui deJean-Marc Loubier, France 3, 1984