Leséisme de Kantō(関東大震災,Kantō daishinsai?) frappe le laplaine du Kantō dans l'île deHonshū, île principale du Japon, dévastant de nombreuses villes dontTokyo, détruite à 70 % etYokohama, détruite à 85 %[2]. Cette catastrophe naturelle, la plus meurtrière que le Japon ait connue, fait au moins 90 000 morts[2]. La majeure partie des décès et des destructions résultent des nombreux incendies que le tremblement de terre a provoqués dans un habitat dense et très majoritairement en bois[2]. Ceséisme a été évalué en 1977[3] à unemagnitude de moment de 7,9.
Des rumeurs infondées ont suivi cette catastrophe etentrainé le massacre de milliers de Coréens, de Chinois et de militants politiques de gauche.
Destruction duRyōunkaku par le séisme.Changement de la topographie du terrain à la suite du séisme. En rouge, les zones qui sont surélevées ; en bleu, celles qui se sont affaissées.
La géométrie exacte du plan defaille n'est pas définie avec certitude. Différentes études ont proposé des modèles plus ou moins complexes, comprenant un, deux, voire trois segments de faille pour expliquer les mouvements du sol observés durant le séisme (observations géodésiques). La faille plonge vers le nord-nord-est avec unpendage autour de 27° par rapport à l'horizontale. La segmentation de la faille à son extrémité ouest provient d'une éventuelle courbure du plan de faille. Lemouvement sur le plan de faille est inverse avec une composante décrochante dextre.
Photographie de deux Japonais debout devant un cadavre après le massacre de Kantō en 1923.
La terre tremble à 11h58, le1er septembre 1923, jour de rentrée scolaire[2], dans toute la région du Kanto alors peuplée de 8 millions d'habitants[2]. La magnitude du séisme sera estimée plus tard à 7,9 et provoquera une élévation de la région de 1 cm[2]. Le tremblement de terre se produisant à l'heure de la préparation du déjeuner, des réchauds ou braséros sont allumés dans de nombreuses maisons[2]. Le séisme les renverse, embrasant les tatamis en paille de riz et les cloisons et parois légères des maisons en bois qui se sont effondrées[2]. Très vite après la secousse, de très nombreux incendies éclatent dans l'agglomération de Tokyo, de Chiba jusqu'à Yokohama. Ces incendies sont rapidement propagés du fait des vents forts venant d'untyphon près de lapéninsule de Noto (le météorologue japonaisSakuhei Fujiwhara (1884-1950) a fait une étude sur les conditions menant à sa propagation[4]). La propagation et l'importance prise par les incendies s'expliquent aussi par la densité urbaine et l'absence de planification urbaine dans la construction avec l'absence de zones coupe-feux[2]. Comme le tremblement de terre avait détruit les accès à l'eau, il fallut deux jours pour éteindre tous les feux[2].
Le volcanologue américainThomas Jaggar, dans un article publié en 1924, évoque le chiffre de 400 000 morts[5].
Le rapport officiel japonais publié le 30 août 1926 fait lui état de 91 344 morts[2], dont 83 % dans les incendies[2], 50 000 blessés graves et 13 000 disparus[2], plus de 3,4 millions de bâtiments auraient été détruits ou endommagés. Plusieurs sources parlent de la mort d'une foule de 32 000 personnes dans le district deHonjo. Le feu àTokyo échappant à tout contrôle, de nombreuses victimes ont été tuées en raison de la panique générale.
D'après une étude du centre de recherche Kajima Kobori de 2004, 105 385 personnes auraient été tuées ou portées disparues[6]. Plus de 570 000 maisons furent détruites, laissant environ 1,9 million desans-abris. Les dommages ont été estimés à plus d'un milliard dedollars américains aux valeurs contemporaines, Thomas Jaggar estimant pour sa part les dommages à 4,5 milliards de dollars de l'époque.
Le chaos et la panique créés par le tremblement de terre amenèrent au développement de nombreuses fausses rumeurs[7]. Des articles de journaux japonais diffusèrent des informations extravagantes ou exagérées, rapportant par exemple l'annihilation de Tokyo, l'enfoncement dans la mer de la totalité de laplaine du Kantō, la destruction de l'archipel d'Izu à cause d'éruptions volcaniques, ou l'apparition d'un immensetsunami jusqu'aumont Akagi (situé au centre du pays).
Une rumeur se développa accusant lesCoréens résidant au Japon de tirer parti de la catastrophe pour piller et rançonner, d'empoisonner les puits et d'allumer des incendies. Les nombreux feux présents un peu partout renforcèrent les rumeurs. Le ministère de l'Intérieur a, dès le lendemain du séisme, imposé laloi martiale et adressé à chaque ville une directive demandant de « prendre les mesures appropriées » contre les « Coréens rebelles », avec le concours de la population. Des groupes d’autodéfense japonais, soutenus par la police et l’armée, ont été formés, et pour certains d'entre eux, massacrèrent des Coréens[8].
Certains Coréens prononçant le son « G » ou « J » avec un accent, il a été rapporté l'existence de barrages dans les villes, où les motsjū-go-en, go-jus-sen(15円 50銭?) etgagigugego(がぎぐげご?) étaient utilisés commeshibboleths. Ceux qui ne prononçaient pas correctement ces mots étaient battus voire tués, et de nombreux Chinois,Okinawais, ou Japonais d'autres régions ont été identifiés à tort comme Coréens.
Les autorités japonaises de l'époque estimèrent, officiellement, le nombre de victimes à 231 Coréens, 3 Chinois et 56 Japonais tués (en incluant les Okinawais). Une étude gouvernementale de 2009 a très nettement revu ce nombre à la hausse, faisant état de 2 600 à 6 600 victimes coréennes, ainsi que de plusieurs centaines de Chinois, mais aussi des militants politiques japonais[8]. 362 civils japonais furent arrêtés et condamnés. Une minorité fut condamnée à des peines sévères. La plupart eurent des peines légères, ou sortirent ensuite de prison lors des grâces liées au mariage duPrince Hirohito.
Desrévisionnistes japonais tentent d'atténuer, voire d'effacer la mémoire de ces lynchages[13],[14],[15]. Ce n'est qu'en 1973 qu’une stèle est érigée en mémoire des Coréens assassinés près du mémorial construit pour les victimes du séisme. Chaque 1er septembre, des associations s’y recueillent. Cet hommage provoque parfois des heurts avec des mouvements d’extrême droite qui nient la réalité du massacre. La gouverneure de Tokyo,Yuriko Koike, proche duParti libéral-démocrate (PLD au pouvoir), refuse également de prendre part aux commémorations[8].
Le gouvernement japonais fait appel àGotō Shinpei, nommé ministre de l'Intérieur, pour organiser la reconstruction de Tokyo[2]. La destruction de la ville a stimulé urbanistes et architectes qui proposent dans différentes revues des plans de reconstruction[2]. Gotō Shinpei propose un plan ambitieux avec le tracé de larges avenues, des voies circulaires, des ponts anti-sismiques et de grands parcs dans la ville[2]. Pour chaque école est prévu un espace ouvert servant de cour de récréation ou de terrain de sports et pouvant servir de zone refuge[2].
Mais les indemnisations à prévoir pour les personnes devant être expulsées, l'opposition des associations de commerçants et les nombreux Tokyoïtes ayant commencé à reconstruire leurs maisons et refusant d'être déplacés obligent à revoir le plan à la baisse[2].
Le plan permettra néanmoins la construction des premiers habitats en dur à loyer modéré et accéléra la création de la chaîne publique de radioNHK, le déploiement de laTSF visant à lutter contre la propagation des fausses rumeurs qui avaient suivi le séisme[2]. Le Japon a mis en avant l'importance d'avoir accès à des informations fiables lors des catastrophes naturelles. Les instructions à suivre lors d'un tremblement de terre recommandent notamment de se procurer des informations fiables grâce à la radio, et de ne pas écouter les rumeurs. En1960, le premier septembre fut désignéjour de la prévention des désastres pour commémorer le tremblement de terre et rappeler aux personnes l'importance de se préparer, septembre et octobre étant situés au milieu de la saison destyphons.
L'écrivainAkira Yoshimura (1927–2006) a écrit sur cet événement un « récit-document » replaçant ce séisme dans son contexte et relatant les événements qui en découlèrent (présentés ci-dessus), en s'attachant particulièrement aux réactions divergentes, mêlées de rivalité, des deux grands sismologues japonais de l'époque,Akitsune Imamura etFusakichi Ōmori.
Paul Claudel (1868-1955), alors ambassadeur de France au Japon et présent sur les lieux au lendemain du tremblement de terre, a fait le récit de ce qu'il avait vu dans un texte intituléÀ travers les villes en flammes, daté de septembre 1923. Le texte figure dans le recueilL'Oiseau noir dans le soleil levant (Paris, éditions Gallimard, 1929).
Oswald Wynd évoque ce séisme dans son romanUne odeur de gingembre.
Ce séisme est mis en images dans une séquence du film d’animation japonaisLe vent se lève(風立ちぬ,Kaze tachinu?), réalisé par Hayao Miyazaki et sorti au Japon en 2013.
Le mangaTaishou Otome Otogibanashi et la série d'animation japonaise qui en est inspirée présentent tous deux le séisme qui est un moment fort dans la romance des deux personnages principaux.
↑M. Nyst, T. Nishimura, F. F. Pollitz, W. Thatcher, « The 1923 Kanto Earthquake Re-evaluated Using a Newly Augmented Geodetic Data Set » dansJournal of Geophysical Research, 2005[lire en ligne]
↑Narusawa Muneo, Behind Tokyo Governor Koike’s Refusal to Send a Eulogy to the ‘Memorial Service for Korean Victims of the Great Kanto Earthquake’: a Rightist Women’s Group and Nippon Kaigi],Shukan Kinyobi (1er septembre 2017) p. 16-17, tr. par Satoko Oka Norimatsu, inTwo Faces of the Hate Korean Campaign in Japan,Japan Focus 15.24.5 (14 décembre 2017).