LesJuifs séfarades ou simplementSéfarades (parfois orthographiéSépharades) ouSefardim (de l'hébreu : סְפָרַדִּים), sont les membres des communautésjuives historiques habitant ou issus de lapéninsule Ibérique (principalement d'Espagne et duPortugal). De nos jours, le terme fait souvent référence aux juifs duMaghreb (Maroc,Algérie,Tunisie,Libye)[2].
AuMoyen Âge, avant leur expulsion en 1492 par les autorités chrétiennes à la suite de laReconquista, ils ont participé au foisonnement créatif et culturel d’Al-Andalus, caractérisé par un contextemulticulturel fécond à la fois musulman, chrétien et juif[3] dans les domaines de laphilosophie, de lapoésie et dessciences. Ils y ont également développé une culture, un mode de vie et des langues propres.
Leur expulsion a aussi participé à la découverte ou redécouverte des œuvres (plus exactes ou complètes) des auteurs classiques antiques,grecs etromains, ainsi qu'à la diffusion de la pensée des auteurs de languearabe en philosophie, théologie, poésie, médecine, astronomie, arithmétique, logique, etc.
Un juif d'Alger photographié en 1890.Un repas de fête juif àAlger en 1835.Habits de juifs d'Alger dessinés vers 1850.
« Sefarad (en hébreu ספרד) n'apparaît qu'une fois dans la Bible, dans la phrase "Les déportés de Jérusalem qui sont en Sefarad" (Abdias, 20) et désigne originellementSardes, capitale deLydie en Asie Mineure »[4], sur le fleuvePactole, dont le fameuxCrésus fut roi auVIe siècle av. J.-C. Ce mot est unhapax, c’est-à-dire un terme dont on ne connaît qu'une occurrence (pour celui-ci dans la Bible).
Parfois, le terme séfarade désigne par extension les communautés juives ayant adopté certaines formes rituelles propres aux Juifs d’Espagne et du Portugal, voire tous les autres Juifs nonashkénazes. Ainsi, pourEsther Benbassa etJean-Christophe Attias,« Aujourd'hui, par une extension de sens, et en raison de contacts culturels et d'une relative communauté de rites, sont appelés séfarades les Juifs non ashkénazes, notamment les Juifs du Maghreb et d'Orient »[4],[5]. PourHaïm Vidal Séphiha, il s'agit d'« une dichotomie par trop simpliste qui divise ainsi le judaïsme en deux branches »[6].
En Israël aussi, legrand rabbin séfarade représente surtout les Juifs issus des pays arabes souvent jadis intégrés à l'Empire ottoman, bien plus que ceux se réclamant d’une identité ibérique, désormais fortement diluée.
« La particularité du judaïsme ibérique au Moyen Âge est d'avoir connu aussi bien le régime musulman que le régime chrétien et d'avoir développé une culture imprégnée par ces deux univers »[7].
Les Juifs sont présents dans l'actuelleEspagne à l'époque de l'Empire romain (190 - 414) ; ils passent sous la domination desWisigoths (414-711), puis sous celle desarabo-musulmans en711.« Comme ailleurs en terre d'islam, et à l'instar deschrétiens, les Juifs sont soumis à ladhimma. [...] C'est sur le sol ibérique que certains des sommets de la civilisation juivemédiévale ont été atteints et l'on devait plus tard présenter ces acquis comme ceux d'unâge d'or »[8]. Des Juifs ont joué alors un rôle de premier plan dans l'administration, l'appareil d'État, la finance ; parmi les plus célèbres,Hasdaï ibn Shaprut etSamuel ibn Nagrela. À cette époque, se forme aussi une élite savante qui s'illustre par de grandes œuvres philosophiques et poétiques, dont les représentants sont notammentMoïse ibn Ezra,Salomon ibn Gabirol,Moïse Maïmonide, etc.
Portrait d'un Juif séfarade, parI. Kaufmann (v. 1900)
Les Juifs d’Espagne s’exilent essentiellement à travers tout l'Empire ottoman ; dans lesBalkans comme àSarajevo etSofia, enGrèce comme à Rhodes et surtoutSalonique qui devient un grand centre rabbinique et enAnatolie surtout sa capitaleConstantinople, auparavant enItalie dans les ports commeLivourne, auMaroc et enAlgérie sous le nom demegorachim. À Tétouan et dans l'ouest algérien se développe une variété de judéo-espagnol, lehaketia. Les Juifs duPortugal emmènent aussi la tradition séfarade vers lesPays-Bas, le sud-ouest de la France et enAngleterre. Les Séfarades émigrent aussi dans leNouveau Monde ; ce furent les premiers Juifs d’Amérique, àNew York notamment. AuBrésil, àRecife, des Juifs luso-néerlandais constituent laSynagogue Kahal Zur Israel, première congrégation religieuse juive des Amériques en 1636. D'autres suivront dans les îlesCaraïbes et jusqu'àCochin en Inde.
Le décret de l’Alhambra de 1492, responsable de l’expulsion des Séfarades d’Espagne, est resté en vigueur officiellement jusqu’en 1967[13].
AuxXIXe siècle etXXe siècle, les populations juives d'Afrique du Nord sont administrées par la France, à la suite de lacolonisation de l'Algérie (à partir de 1830), puis après l'instauration duprotectorat français de Tunisie (en 1881), puis celle duprotectorat français au Maroc (en 1912). Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Juifs séfarades échappent aux persécutions nazies - à l'exception des Juifs grecs de Thessalonique et des autres communautés de la Grèce qui ont été en grande partie décimés dans les camps d'extermination allemands. Puis il y a eu quelques centaines de victimes mortes en déportation (principalement des natifs de l'Afrique du Nord française établis en France métropolitaine, ainsi que des Juifs tunisiens déportés lors de la courte occupation nazie en 1943). Après 1945, puis durant les décennies des années 1950 et 1960 (après les indépendances respectives de ces pays), une grande partie des Juifs d'Afrique du Nord émigre, soit vers Israël (nouvel État créé en 1948), soit vers la France.
En Israël, lesjuifs arabophones, non séfarades mais qui suivaient une liturgie proche de celle des Juifs espagnols, ont également revendiqué à eux l'identité séfarade comme facteur d'unité et de fierté face à la suprématie des Juifs d'Europe de l'Est, tandis que les quelques milliers de séfarades d'ascendance espagnole (de Salonique, de Bulgarie et de Turquie) se sont lentement laissé absorber dans l'élément majoritaire.
En Israël, le terme « séfarades » s'emploie en concurrence avec « mizrahim », les deux mots étant dans ce pays presquesynonymes, et désignant tous deux de manière impropre l'ensemble des Juifs non ashkénazes. Sur les difficultés d'intégration dans ce nouveau pays, voirJuifs Mizrahim en Israël.
Vers 1950, l'État d'Israël construit desMa'abarot, des camps pour accueillir les Juifs des pays arabes et musulmans à la suite de leurexode massif.
« En 1977, le vote séfarade jouera un rôle décisif dans la victoire deMenahem Begin, chef du parti duLikoud, sur le camp travailliste. Par bien des aspects, il sera le vote de la revanche »[14].« Plus que la fascination du "Grand Israël", le sentiment d'avoir été manipulés, humiliés, discriminés par un pouvoir "socialiste" » a poussé les séfarades dans les bras de l'opposition de droite[15]. Des partis politiques séfarades proches de l'extrême-droite apparaissent : leTami en 1981, leShas en 1984, dont la participation peut être indispensable aux coalitions gouvernementales et leGesher en 1996.
En 1998,Ori Orr, président du groupe politique leParti travailliste d’Israël, ayant tenu des propos jugés scandaleux, propres à aggraver le divorce entre les séfarades et le Parti travailliste, a été suspendu de toutes ses responsabilités internes parEhud Barak[16].
En 2010, àJérusalem, 80 000 juifsashkénazesorthodoxes manifestent contre l’intervention de la Cour suprême d’Israël dans les affaires religieuses, et en particulier contre l'interdiction de la discrimination entre enfants ashkénazes et séfarades dans une école religieuse[17].
Deux séfarades-mizrahim ont été Présidents de l’État d'Israël :Yitzhak Navon (1978-1983) etMoshe Katsav (2000-2007), respectivementladinophone etpersanophone. Le Président de l’État d'Israël est doté d'attributions essentiellement honorifiques.
À partir de 2012, l'Espagne accepte d'octroyer lanationalité espagnole aux personnes pouvant attester d'une ascendance séfarade, sous certaines conditions[22]. En, le gouvernement deMariano Rajoy lève l'une des clauses les plus décriées, celle imposant l'abandon de la nationalité précédente, et reconnaît dès lors ladouble nationalité. Cette décision relève de la démarche générale de reconnaissance d'une« erreur historique il y a cinq siècles » par les autorités espagnoles[23]. Depuis, les demandes de naturalisation, venues en majorité deTurquie, arrivent régulièrement aux ambassades espagnoles[24].
En 2015, lePortugal a promulgué undécret-loi concernant l'obtention de la nationalité portugaise par les descendants dejuifs séfarades portugais[25]. Bien que le roi du PortugalManuelIer eût tout d’abord promulgué une loi assurant leur protection, il décida, à partir de1496, d’expulser tous les Juifs qui refusaient de se soumettre aubaptême catholique. En dépit depersécutions et de la distance qui les séparait du territoire de leurs ancêtres, de nombreux Juifs séfarades d’origine portugaise et leurs descendants ont conservé non seulement leur langue, leportugais, mais aussi les rites traditionnels propres à leur culte hébraïque ancestral au Portugal, préservant, au fil des générations, leursnoms de famille, les objets et les documents attestant de leur origine portugaise, de même qu’un lien mémoriel fort qui les a conduits à se désigner eux-mêmes « juifs portugais » ou « juifs de la nation portugaise »[25].
À partir des années 1950, les Séfarades se sont installés en grand nombre àMontréal, deuxième plus grande ville duCanada et métropole duQuébec. Leur arrivée change le visage de la communauté juive montréalaise, jusque-là majoritairement ashkénaze et anglophone. En 2011, 22 225 personnes comptaient parmi la communauté séfarade établie dans la région métropolitaine de recensement de Montréal, près du quart de la communauté juive de ce territoire, qui comptait à l’époque 90 780 personnes[26].
Outre les différences de prononciation avec lesAshkénazes et les airs des chants synagogaux, il existe des différences mineures dans les programmes deprières et dans la façon de pratiquer certains commandements de laloi juive[27].
Les différences majeures entre Séfarades et Ashkénazes ne sont pas dans le domaine religieux, mais surtout dans le domaine culturel :langue vernaculaire, chansons, musique, poésie, littérature,nourriture…
↑« Espagne médiévale », dans Ch. Attias et E. Benbassa,Dictionnaire de civilisation juive, Larousse,,p. 275
↑ab etcJ.-Ch. Attias et E. Benbassa,Dictionnaire de civilisation juive, Larousse,, article « Sépharade », p. 72
↑JoanMiralles i Monserrat et JosepMassot i Muntaner,Entorn de la història de la llengua,, 90-91 p.(ISBN8484153096,lire en ligne)
↑NicoloBucaria, « Sicilia antiqua: International Journal of Archaeology : XIII. Ebrei catalani nel Regno di Sicilia (XIII-XV sec :) »,Fabrizio Serra Editore,(lire en ligne)
↑DanielleRozenberg,L'Espagne contemporaine et la question juive : Les fils renoués de la mémoire et de l'histoire, Toulouse, Presses universitaires du Mirail,, 296 p.(ISBN978-2-85816-864-4,lire en ligne),p. 162.
↑Marius Schattner,Histoire de la Droite israélienne : de Jabotinsky à Shamir, Complexe,(lire en ligne),p. 275.
Daniel Schroeter, « La Découverte des Juifs berbères »,Relations judéo-musulmanes au Maroc : perceptions et réalités, édité par Michel Abitbol, Paris, Éditions Stavit, 1997,p. 169-187 (en ligne)
Eva Touboul-Tardieu,Séphardisme et hispanité, Paris,PUPS, 2009.
BéatriceLeroy,L'aventure séfarade. De la peninsule ibérique à la diaspora,Albin Michel, 2013 (éd. originale 1986, même éditeur), 222 p.(ISBN978-2226294289).
Jacques Taïeb :Juifs du Maghreb. Noms de famille et société CGJ, 2003