Khomeini naît dans la ville de Khomein sous le nom de Rouhollah Moussavi (enpersan :روح الله موسوی) en 1902 dans une famillechiite très croyante[3]. Son turban noir indique qu'il est unseyyed, c'est-à-dire qu'il serait un des nombreux descendants du prophète de l'islamMahomet, en l'occurrence par le biais de l’imamMoussa al-Kazim. Son grand-père, son père et son frère aîné sontayatollahs. Son père, Mostafa Moussavi, un notable local, est assassiné par les hommes de main d'un grand féodal en, six mois après la naissance de Rouhollah[4],[5]. Sa jeunesse est également marquée par les troubles politiques des années1906-1911 consécutifs à larévolution constitutionnelle.
Il s'installe, dès les années 1920 àQom, la deuxième ville sainte d'Iran. Étudiant en théologie, il suit des cours dephilosophie auxquels les séminaires traditionnels de Qom sont hostiles. En1927 il y devient professeur dethéologie, puis dans lesannées 1950 il est nommé ayatollah. Il s'engage dans l'opposition religieuse au régime autoritaire du shah Mohammad Reza Pahlavi et aux réformes que celui-ci mène pour la modernisation du pays (la « révolution blanche »), réformes incluant notamment le droit de vote des femmes, lesréformes agraires, la modernisation du système judiciaire qui met en cause la suprématie de lacharia coranique.
À la mort deBorujerdi (1961), il postule à sa succession, y compris auprès du shah[6]. Sa personnalité atypique fait qu'on lui préfère un autre candidat. Il s'écarte alors de la poésie et du mysticisme pour revenir à des visions plus tranchées de bien contre le mal[7] et devient un des chefs de la communauté chiite, reconnu comme « guide religieux suprême » (marja-e taqlid). La même année, il dénonce un décret abolissant l'obligation pour les élus locaux et provinciaux de prêter serment sur leCoran.
En 1929, Rouhollah Khomeini épouseKhadijeh Saqafi, alors âgée de treize ans. À la demande de la jeune femme, il prend en charge son éducation, lui faisant la classe pendant huit ans[8]. D'après les témoignages de ses proches, Khomeini est un époux amoureux et dévoué, attentif à prendre en charge les tâches ménagères[8].
Le couple a cinq enfants : Mostapha (1930-1977), Ahmad (1946-1995), Zahra (née en 1940), Seddigheh et Farideh (nées en 1943). Sa petite-filleZahra Eshraghi est une activiste et féministe.
Son opposition à la « révolution blanche » lancée par le chahMohammad Reza le conduit à l'affrontement avec le pouvoir. Il est arrêté en 1963 pour avoir joué un rôle important dans les émeutes du. L'arrestation de Khomeini provoque des manifestations à Téhéran et à Qom qui sont réprimées dans le sang.« Le responsable de ce massacre paiera de sa vie », promet-il. Le chah d'Iran, conscient de son influence, le fait libérer rapidement l'année suivante.
En novembre 1964, après avoir violemment critiqué un décret accordant l'immunité juridique aux conseillers militaires américains et un emprunt de 200 millions dedollars pour l'achat de matériel militaire, Khomeini est arrêté de nouveau et contraint à l'exil (par Oveyssi), d'abord enTurquie, puis àNadjaf etKerbala enIrak pendant quatorze ans. Son activisme pro-chiite indispose le pouvoir irakien et, en 1978, il part pour laFrance avec un visa de touriste et s'installe àNeauphle-le-Château, à une quarantaine de kilomètres de Paris, sans demander l'asile politique, considérant que Paris est l'idéal pour médiatiser ses opinions politiques[9]. Houchang Nahavandi estime qu'il y mystifie par son charisme des intellectuels commeJean-Paul Sartre ouMichel Foucault[10]. SelonAlexandre de Marenches (chef duService de documentation extérieure et de contre-espionnage, ancien nom de laDGSE), le chah aurait refusé l'expulsion de Khomeini au motif qu'il serait préférable qu'il soit en France plutôt qu'enSyrie ou enLibye[11]. Certains indiquent également que le présidentValéry Giscard d'Estaing aurait envoyéMichel Poniatowski auprès du chah pour lui proposer d'éliminer Khomeini[12].Raymond Aron a cru à tort que cette révolution s'alignerait au pouvoir sur l'URSS ; alors que Khomeini ne cesse de proclamer sa foi dans le « ni Est-ni Ouest » et que fidèle à ce principe, le jour même de la prise d'otages, il dénonce deux articles litigieux du traité de 1921 qui le lie à son voisin[13]. Par ailleurs, à l'été 1980, l'Iran boycotte lesJeux olympiques de Moscou[14].
Durant les plus de quatorze années que dure son exil en Irak puis en France, son discours se radicalise progressivement et sa pensée se systématise autour d'une conviction profonde : la dictature du chah n'est pas le système adéquat pour l'Iran. Selon son analyse, lesoulémas héritiers deMahomet détiennent l'autorité religieuse, jusqu'au retour de l'imam caché. Mais la politique est tenue par des hommes, donc il se penche vers une « démocratie » spéciale, selon lui une « démocratie islamique ». D'où l'idée d'une république islamique, au lieu d'une dictature « chahienne », dans laquelle les clercs ont le pouvoir de désigner le plus savant d'entre eux pour concentrer l'autorité. Ce principe deviendra sous le nom de « velayet-e-faqih » après larévolution islamique, la clef de voûte du nouveau régime iranien que Khomeini définit comme le pouvoir absolu du religieux. Un président de la République qui s'occupe plus des questions quotidiennes doit également être élu.
Cette révolution se prépare depuisNeauphle-le-Château où, arrivé en France le, il s'installe le, et il propage ses idées par le biais de conférences organisées à son domicile mais aussi, principalement, sous la forme de cassettes audio diffusées et dupliquées largement dès leur arrivée en Iran. Cette diffusion massive et furtive permet aux opérations d'échapper au contrôle du gouvernement iranien sur les médias classiques.
Retour en Iran et avènement de la république islamique
Khomeini retourne en Iran le, à un moment où la révolution entre dans sa phase victorieuse. Il confie la direction d'ungouvernement provisoire àMehdi Bazargan alors que les combats se poursuivent avec les derniers fidèles du shah. Le marque la victoire de Khomeini qui s'affirme dès lors comme le dirigeantde facto du pays, d'abord en tant que « chef de la révolution en Iran », puis en tant que « chef spirituel suprême ». Larépublique islamique est instituée par référendum les 30 et, puis par un second référendum uneconstitution est adoptée le suivant.
Le, Khomeini approuve l'élection d'Abolhassan Bani Sadr au titre de premier président de la république islamique d'Iran.
Dans la république islamique voulue par Khomeini, la Constitution reconnaît lechiisme duodécimain comme religion d'État et précise que la loi iranienne doit être en accord avec lacharia.
Au début de la révolution entre 1979 et 1981 a lieu l’évènement connu sous le nom decrise iranienne des otages. Des étudiants membres d'un groupe appeléPartisans de la ligne de l'Imam enlèvent 52 citoyens desÉtats-Unis et les retiennent en otage dans l'ambassade des États-Unis à Téhéran durant 444 jours[15]. Khomeini indique le devant le Parlement iranien que le destin des otages dépend de l'ambassade américaine, celle-ci devant exiger des États-Unis l'extradition du chah en vue de son procès en Iran. Leprésident des États-UnisJimmy Carter lance uneopération commando pour sauver les otages, mais la tentative échoue car les hélicoptères s'écrasent dans le désert aux environs deTabas. Plusieurs commentateurs avancent que cette débâcle a joué sur la défaite de Carter à l'élection présidentielle américaine de 1980 au profit deRonald Reagan[16].
Peu de temps après son arrivée au pouvoir, Khomeini commence à appeler de ses vœux la propagation de la révolution islamique aux autres pays musulmans. Ambitionnant d'occuper les zones pétrolifères d'Iran (en particulier leKhuzestan) et opposé à la diffusion d'un chiisme militant tel qu'il est promu par Khomeini, la république laïqueirakienne, dirigée parSaddam Hussein, envahit alors l'Iran, commençant ce qui deviendra pendant une décennie laguerre Iran-Irak. Au début de la guerre le peuple iranien se rassemble autour de Khomeini et son régime : sa popularité et sa puissance personnelle s'en trouvèrent inégalées.[réf. souhaitée] Toutefois, la durée du conflit aidant, au bout de huit ans de guerre, Khomeini qui qualifiait cette guerre de « don divin », accepte lecessez-le-feu en 1988 en le qualifiant de « coupe de poison ».
La guerre terminée, Khomeini ordonne l'exécution des prisonniers politiques. En l'espace de trois mois, plusieurs milliers de prisonniers sont exécutés[17]. Le dauphin de Khomeini, l'ayatollah Montazeri proteste contre ce massacre, ce qui lui vaut la disgrâce et l'assignation à résidence.
En1989, Khomeini décrète la mort de l'écrivainSalman Rushdie à travers unefatwa — « contrat » d’un montant de 1 million de dollars — qui accuse celui-ci de « blasphème » contre le prophète de l'islamMahomet.
Les Versets sataniques, le roman de Rushdie, qui examine l'intégration des caractères indiens dans la culture occidentale moderne, contient des passages se basant sur une ancienne tradition islamique (absente du Coran, mais relatée par un certain nombre d'exégètes et de biographes faisant autorité dans le monde musulman, notamment Ibn Ishaq et al-Tabari).Satan, se faisant passer pour l'archange Gabriel, aurait inspiré au prophète Mahomet des versets légitimant l'adoration d'idoles païennes par les habitants de La Mecque (et remettant donc en cause le monothéisme). Mahomet serait par la suite revenu sur ces versets, s'étant aperçu de la manipulation. Dans l'ouvrage de Salman Rushdie, ces versets sont révélés à Mahomet par l'archange Gabriel et non par Satan. L'ayatollah Khomeini considère cela comme un blasphème envers l'islam et Mahomet. Il est important de souligner queLes Versets sataniques est avant tout un roman sur les conflits internes éprouvés par des individus plongés dans une culture différente de leur culture originelle. L'un des personnages brièvement mis en scène (l'imam) est une référence ouverte à Rouhollah Khomeini lors de ses années d'exil en Occident.
En, fait unique dans sa vie, il reçoit à Qom une personnalité étrangère, le ministre des Affaires étrangères soviétique,Edouard Chevardnadze, qu'il qualifie de « messager deGorbatchev ».
Après onze jours passés à l'hôpital du fait d'une hémorragie interne, Khomeini meurt le, à l'âge de 86 ans. Ses obsèques réunissent une foule de plus d'un million d'Iraniens. Il est enterré dans unmausolée situé à côté duBehesht-e Zahra, le plus grand cimetière d'Iran, au sud-ouest de Téhéran.
Pour la chercheuse Sabrina Mervin,« les doctrines de Ruhollâh Khomeini […] s'inscrivent en partie dans la tradition des utopies islamiques passant parFarâbî,Ibn 'Arabî etMollâ Sadrâ Shirâzi, elles-mêmes inspirées par le concept du sage vertueux qui gouverne la cité dansLa République dePlaton »[18].
Évoquant le choix du terme deRépublique pour le régime qu'il met en place, le philosophe Anoush Ganjipour estime qu'« il ne comprenait certainement pas ce que voulait dire la République au sens moderne mais en revanche, […] dans ses oreilles sonnait immédiatementLa République de Platon, les textes qu'il enseignait pendant toute sa vie »[19].
↑Patrick Boman, Bruno Fuligni et Stéphane Mahieu,Le guide suprême : petit dictionnaire des dictateurs, Paris, Ginkgo éd.,, 232 p.(ISBN978-2-84679-061-1,lire en ligne),p. 50.
↑M. Perry & H.E. Negrin,The theory and practice of islamic terrorism, an anthology,p. 30.
↑« Apart from his political activism, Khomeini’s love of poetry, and the mysticism in his complex theological lectures made him seem somewhat eccentric. This failure worked a profound change in his writing and preaching. Henceforth there was no mysticism, no poetry, but simple Manichean formulas of good versus evil »,op. cit.,p. 30.
ChristianBonaud,L'Imam Khomeyni, un gnostique méconnu du XXe siècle : métaphysique et théologie dans les œuvres philosophiques et spirituelles de l'Imam Khomeyni, Beyrouth, Al-Bouraq,.