Leromantisme est un mouvement culturel apparu à la fin duXVIIIe siècle enAllemagne et enAngleterre et se diffusant dans l'Occident au cours duXIXe siècle jusqu’aux années 1850. Il s’exprime dans la littérature, lapeinture, la sculpture, lamusique, la politique et la danse et se caractérise par une volonté de l'artiste d'explorer toutes les possibilités de l'art afin d'exprimer ses états d'âme : il est ainsi une réaction dusentiment contre laraison, exaltant le mystère et lefantastique et cherchant l'évasion et le ravissement dans le rêve, le morbide et lesublime, l'exotisme et lepassé, l'idéal ou le cauchemar d'une sensibilitépassionnée etmélancolique.
Ses valeursesthétiques etmorales prônent l'exaltation du sentiment de la nature, décrivent lanostalgie comme l'attitude authentique de la conscience humaine, et fondent la théorie de la nature comme médiatrice entre l'Homme et la divinité.
L'adjectifromantic est attesté dans la langue anglaise dès leXVIIe siècle[1], qualifiant « ce qui est caractéristique du genre littéraire du roman et parle à l'imagination[2]». C'est un dérivé deromance, « roman », lui-même issu de l'ancien françaisromanz, romans, désignant les romans duMoyen Âge, les récits versifiés enlangue romane, par opposition aux ouvrages rédigés enlatin :« Romantic est proche de médiéval ou de gothique d'un côté, de romanesque, merveilleux, fabuleux, imaginaire ou fictif de l'autre »[3]. Traduit enromantisch, etromantique l'adjectif passe en France[4] et en Allemagne à la fin duXVIIe siècle, où cette idée de « qui est semblable au roman » prend une connotation péjorative pour« éveiller dans l'âme le goût dangereux des chimères »[5]. Au cours duXVIIIe siècle, il prend la signification de « comme dans un tableau », devenant synonyme de pictural car« dans l'expérience romantique, la nature est perçue à travers le prisme de l'art (originellement, le roman) »[6]. C'est dans cette acception que le mot fait son entrée dans la langue française avecLes Rêveries du promeneur solitaire deJean-Jacques Rousseau où il donne le qualificatif deromantique aux rives sauvages du lac de Bienne. Coïncidant avec la mode du jardin anglais organisant la nature comme dans un tableau, il s'associe à la notion depittoresque.
À la fin duXVIIIe siècle en Allemagne, le romantisme revient sur la valeur accordée au Moyen Âge et àsa littérature, par opposition aux éléments littéraires hérités de l'Antiquité et duclassicisme[7]. Dans les années 1797-1798,Novalis forge le motromantisieren ("romantiser"), désignant un processus de poétisation du monde :« Le monde doit être romantisé. […] Cette opération reste totalement inconnue. En conférant aux choses secrètes une haute signification, au quotidien un mystérieux prestige, au connu la dignité de l'inconnu, au fini l'apparence de l'infini, je les romantise »[8].August Wilhelm Schlegel, dans sesCours de littérature dramatique, diffuse le concept deromantique en Europe, ramenant la poésie romantique à la poésie moderne, marquée par la tradition chrétienne, progressive, ouverte aux mélanges des genres.Germaine de Staël écrit ainsi dansDe l'Allemagne :« Le nom deromantique a été introduit nouvellement en Allemagne, pour désigner la poésie dont les chants des troubadours ont été à l'origine, celle qui est née de la chevalerie et du christianisme »[9].
Le véritable rejet du classicisme fut exprimé par les collaborateurs de la revueAthenaeum, fondée en 1798 par les frèresAuguste etFrédéric Schlegel. AvecLudwig Tieck,Schelling etNovalis ils formèrent le « groupe d'Iéna ».« Rejetant les modèles grecs et romains à l'époque où triomphait l'esthétiquenéo-classique, cette conception privilégiait l'expression de l'irrationnel et le mysticisme, le sentiment de l'infini et de l'immensité, le rapport entre la nature et le sentiment intérieur »[12]. En Angleterre, l'essai d'Edmund Burke,Recherche philosophique sur l'origine de nos idées du sublime et du beau, paru en 1756, eut une influence considérable, sur la peinture du sublime et sur le mysticisme du paysage, tel que l'illustraCaspar David Friedrich.« En interprétant le sentiment du sublime comme un état d'âme provoqué par les violentes manifestations de la nature qui, par les cataclysmes ou les visions troublantes, frappent l'homme de stupeur, Edmund Burke rompait avec la conception classique de la nature, source d'harmonie et de sérénité… »[12]. En 1762,James Macpherson publiait sesPoèmes d'Ossian, dont le succès provoqua une vague deceltomanie dans toute l'Europe. Inspiré d'ancien poèmesGaëlique, Macpherson les réécrit et les attribue à un barde écossais duIIIe siècle. En 1764,Le Château d'Otrante d'Horace Walpole inaugurait le genre du « roman noir », dont le décor ténébreux et les atmosphères effrayantes correspondaient à ce que Burke avait défini comme le « sublime ».
La tourmente de laRévolution française puis del’Empire provoque un bouleversement, politique, social et culturel dont les effets se font sentir dans l’Europe entière.
« L'embrasement du romantisme qui enflamme l'Europe au début duXIXe siècle est de nature essentiellement politique et reflète l'aspiration profonde des peuples à voir des régimes plusdémocratiques remplacer les dynasties autoritaires. »« LaRévolution française, en l'espace de quelques années, a paru réaliser instantanément et miraculeusement l'idéal romantique de nation libre, consciente d'elle-même et maîtresse de son destin. […] Cette circonstance explique à elle seule la force et l'éclat du romantisme français. Sans ce séisme politique, il est probable que la France, nourrie de culture classique et arc-boutée sur ses certitudes aristocratiques, n'aurait jamais pu faire un tel accueil à l'esprit du romantisme ». En France,« la Révolution amplifie les ferments du romantisme »[13].
La diffusion des idées duromantisme allemand joue un rôle important dans l'histoire du romantisme :
« Sous l'Empire, tout un groupe d'écrivains, dontMadame de Staël est le plus célèbre représentant, plaident la cause allemande aux dépens de la tragédie et du poème classiques. Le Nord c'est la nostalgie, les sentiments sombres, l'infini. « Ce que l'homme a fait de plus grand, comme l'écrit en 1800Madame de Staël, il le doit au sentiment douloureux de l'incomplet de sa destinée. […] Le sublime de l'esprit, des sentiments et des actions doit son essor au besoin d'échapper aux bornes qui circonscrivent l'imagination »[14]. »
Lesrévolutions européennes duXIXe siècle manifestent l'alliance de l'idée dedémocratie avec l'affirmation nationale qui porte en elle une quête des origines afin que les peuples puissent fonder leur cohésion nationale sur des éléments littéraires et iconographiques puissants (littérature ethistoricisme médiéval) : écrivains et artistes romantiques cherchent une réhabilitation du Moyen Âge[15] chrétien, méprisé par philosophes dusiècle des Lumières, substituant le sentiment et l'esthétique comme champ privilégié de l'investigation aumodèle rationnel issu de ces philosophes[16].
Grand combat entre le Romantique et le Classique à la porte du musée, 1827. Lithographie.BNF, Paris.
Le romantisme est une nouvelle sensibilité, s'opposant auclassicisme, auxLumières et à larationalité. Elle proclame le culte du moi, l'expression des sentiments jusqu'aux passions.« Issu de bouleversements politiques et sociaux sans précédent, il met l'homme et l'artiste devant un destin, improbable, inquiétant. Cette vision dramatique de l'humanité est alors commune à tous les arts, même au théâtre et à l'opéra, sous la magnificence des décors… Le réel, que les romantiques rendent expressif, dramatique, l'emporte sur le beau idéal »[17]. Neuve et subversive, cette sensibilité se manifeste dans la littérature et les arts plastiques par un renouvellement thématique, leMoyen Âge[18], l'Orient, l'époque napoléonienne, la littérature étrangère, etc.
« Toute la maladie du siècle présent vient de deux causes ; le peuple qui a passé par 1793 et par 1814 porte au cœur deux blessures. Tout ce qui était n’est plus ; tout ce qui sera n’est pas encore. Ne cherchez pas ailleurs le secret de nos maux. »
Selon le philosopheMichael Löwy, la vision romantique constitue une « autocritique de la réalité » qui porte sur cinq thèmes principaux : le désenchantement du monde, sa quantification, sa mécanisation, l'abstraction rationaliste et la dissolution des liens sociaux[19].
Lepremier romantisme, appeléFrühromantik, naît en Allemagne àIéna. Le cercle de Iéna est très cosmopolite. Il est composé de figures telles queNovalis,Ludwig Tieck,Frédéric Schlegel qui se réclamaient proches de la pensée deFichte. Ce sont eux qui élaboreront la doctrine romantique et le romantisme politique. Après 1804, le romantisme allemand prend une nouvelle direction, c'est laHochromantik de l'école deHeidelberg avec des noms tels queClemens Brentano,Joseph von Eichendorff,Achim von Arnim et lesJacob et Wilhelm Grimm. La dernière période, laSpätromantik (romantisme tardif), s'étend de 1815 à 1848.
Dans lesannées 1760 lesGraveyard Poets (« les Poètes du cimetière »), en particulier Gray et sonÉlégie d'un cimetière de campagne, sondent les sentiments liés au deuil, à la perte et à l'anéantissement, voire à l'horreur de la putréfaction des corps, les émotions malséantes.
En 1764,Horace Walpole avec son romanLe château d’Otrante, créé un nouveau genre : leroman gothique (The Gothic Novel). Repris parAnn Radcliffe, dontLes Mystères d’Udolfe,le Roman de la forêt etL’Italien connaissent un vif succès, ces romans noirs exaltent le goût pour le morbide, le terrifiant, le mystère, autant que l'inquiétante étrangeté des ruines médiévales.
Avec sonPèlerinage de Childe Harold paru en 1813,Lord Byron connaît une célébrité foudroyante. Son héros qui traîne sa mélancolie désenchantée à travers l’Europe et l’Orient devient le modèle duhéros byronien que l’on retrouve dans ses poèmes orientaux :Le Corsaire,le Giaour,La Fiancée d’Abydos… Sa vie scandaleuse et sa mort en 1824 àMissolonghi, pour la cause de l’indépendance grecque, le transforme en mythe. Son influence poétique et politique sur toute la jeunesse européenne est immense : les auteurs veulent écrire commeByron, les révolutionnaires veulent mourir pour la liberté commeByron[20], phénomène qualifié de « byronisme »[21].
Le Grand Chemin de la postérité. Monté sur lePégase romantique,Hugo,« roi des Hugolâtres, armé de sa bonne lame deTolède et portant la bannière deNotre-Dame de Paris », emmène en croupeThéophile Gautier, Cassagnac, Francis Wey et Paul Fouché.Eugène Sue fait effort pour se hisser à leur niveau etA. Dumas presse le pas, tandis queLamartine, dans les nuages, se « livre à ses méditations politiques, poétiques et religieuses. » Gravuresatirique deBenjamin Roubaud.
Si le romantisme a été enAllemagne en partie un retour aux fonds primitif et indigène, enFrance, ce fut au contraire une réaction contre la littérature nationale. Les littératures anglaise et allemande ne s'étaient asservies que momentanément à la discipline duclassicisme, sous l'influence prédominante de notre grand siècle ; et ce qu'on appelle proprement romantisme outre-Manche et outre-Rhin c'est la période littéraire où le génie septentrional, reprenant conscience de lui-même, répudie l'imitation française. En France, au contraire, pays de culture et de tradition gréco-latines, la littérature était classique depuis laRenaissance, et l'on appelleromantiques les écrivains qui, au début duXIXe siècle, se sont affranchis des règles de pensée, en opposition au classicisme et au réalisme des philosophes duXVIIIe siècle.
Pas plus qu'en Allemagne, cette révolution ne s'est accomplie d'un seul coup en France. À cause de son caractère de rupture avec la tradition nationale, et non avec des habitudes passagères, d'importation étrangère, elle a été plus tardive et a eu plus de peine à se réaliser. Commencée en réalité vers1750, elle n'a atteint son terme qu'un siècle plus tard. Préparée auXVIIIe siècle, contenue et même refoulée pendant laRévolution et l'Empire, elle n'est arrivée à maturité que sous laRestauration et son triomphe ne s'est affirmé vers1830 qu'après des luttes ardentes et passionnées.
En musique, le romantisme prend des formes variées, mettant au premier plan l'expression de l'émotion. De nombreux compositeurs célèbres s'illustreront dans cette longue période, aussi bien dans la musique instrumentale et orchestrale que dans l'art lyrique et vocal.
Lepiano-forte, en remplaçant leclavecin, permet désormais d'exploiter de puissants contrastes de dynamique. De la même façon, l'orchestration devient de plus en plus audacieuse et élaborée, d'autant plus que certains instruments, comme lecor, sont modifiés par lesfacteurs d'instruments de manière à devenir plus maniables. Les sonorités inventées par les romantiques sont particulièrement colorées et évocatrices, davantage en tout cas que chez desclassiques commeJoseph Haydn ouWolfgang Amadeus Mozart. À la jonction de ces deux courants se situe la puissante personnalité deLudwig van Beethoven, dont les premières œuvres se rattachent à l'esthétique classique tandis que celles de sa maturité sont considérées comme le début du romantisme musical.
La première période du romantisme (1780-1810) se développe en opposition aunéoclassicisme (1760-1800). Là où le néoclassicisme prône une beauté idéale, lerationalisme, lavertu, la ligne, le culte de l’Antiquité classique et de la Méditerranée, le romantisme promeut au contraire le cœur et la passion, l’irrationnel et l’imaginaire, le désordre et l’exaltation, la couleur et la touche, et desmythologies de l’Europe du Nord.
Néanmoins, le romantisme en peinture ne se définit pas qu’en termes d’opposition, et développe ses propres caractéristiques, influencées par lebaroque :
La sculpture romantique apparaît au Salon de 1831. Marqué par leRoland Furieux deJehan Du Seigneur, ce nouveau style se caractérise par une certaine expressivité et une recherche d'un aspect plus naturel que la sculpture néoclassique tandis que les thèmes changent pour davantage s'inspirer de littérature du Moyen Âge ou de la Renaissance. Le romantisme tarde à se manifester en sculpture et son développement est rapidement contrarié par le jury du Salon qui commence à refuser des œuvres dès 1834, jusqu'en 1844 où les œuvres refusées sont plus nombreuses que les œuvres acceptées. LaTuerie d'Auguste Préault marque ce tournant puisqueJean-Pierre Cortot entend« accrocher cet ouvrage au Salon comme on suspend le malfaiteur au gibet », il souhaite en faire un exemple de ce qu'il ne faut pas faire en sculpture, un exemple effrayant pour la jeunesse[22],[23]. Ce n'est qu'à partir du Salon libre de 1848 que les sculpteurs romantiques peuvent exposer à nouveau, c'est finalement leSecond Empire qui consacre la reconnaissance officielle du romantisme en sculpture.
↑Elisabeth Décultot, article « Les pérégrinations européennes du mot romantique », inL'Europe romantique, revueCritiqueno 745-746, juin-juillet 2009,p. 456.
↑L'adjectif « romantique » est attesté en français dans le sens péjoratif « qui tient du roman par son caractère chimérique » dès 1675 (Grand Robert, vol. 5, p. 2224)
↑Elisabeth Décultot, article « Les pérégrinations européennes du mot romantique », inL'Europe romantique, revueCritiqueno 745-746, juin-juillet 2009,p. 458.
↑Elisabeth Décultot, article « Les pérégrinations européennes du mot romantique », inL'Europe romantique, revueCritiqueno 745-746, juin-juillet 2009,p. 459.
↑Stéphane Guéguan,L'Abécédaire du Romantisme français, Flammarion, 1995,p. 12.
↑Le romantisme propose trois grandes catégories d'images médiévales : l'esthétique grotesque, le surnaturel (Moyen Âge dépouillé de son historicité) et le Moyen Âge idéalisé.« Déçue par le présent, la génération romantique s'invente un paradis perdu, un Moyen Âge bien plus uchronique qu'historique, qui représente à ses yeux le temps idéal de l'harmonie sociale, de la religion et de la poésie naïve et spontanée ». CfIsabelle Durand-le-Guern,Le Moyen Âge des romantiques, Presses universitaires de Rennes,,p. 21.
Stendhal,Racine et Shakespeare (1818-1825) et autres textes de théorie romantique, éd. Michel Crouzet, Paris, Honoré Champion, « Textes de littérature moderne et contemporaine », 2006.
Gérard Gengembre,Le Romantisme, Paris, Ellipses, « Thèmes & Études », 2008, 202 p.
Gerald Gillespie,Manfred Engel, Bernard Dieterle (éd.),Romantic Prose Fiction (= A Comparative History of Literatures in European Langages, Bd. XXIII; ed. by the International Comparative Literature Association), John Benjamins, Amsterdam, Philadelphie, 2008(ISBN978-90-272-3456-8)
Georges Gusdorf,Le Romantisme (1982), Paris, Payot & Rivages, « Grande Bibliothèque Payot », 1993, 2 vol., 896 et 708 p.